Lorenzo avait toujours fonctionné par liste. Liste des affaires à ne pas oublier pour partir en vacances, liste des notes à préparer pour ses cours, liste des emplettes, liste des tâches ménagères à effectuer ... Et plus largement, liste des choses à faire. Il aimait que sa vie soit réglée, seule façon selon lui de ne pas la laisser s'échapper, de toujours la contrôler sans jamais perdre le contrôle. Mais une tâche de sa liste trainait dessus depuis longtemps, sans que Lorenzo puisse la rayer, et il était mal à l'aise à chaque fois que ces mots croisaient son regard. "Se réconcilier avec Jenn". Une tâche difficile voire infaisable, qu'il reléguait toujours à plus tard. Une cause même devenue désespérée depuis ce soir au Dancing où il se coltina la compagnie de Charly, et où cette dernière lui vola un baiser, scène dont bien sûr Junie fut témoin, sinon ce n'est pas drôle. Il était persuadée que l'ancienne aveugle avait couru tout raconter à son amie, laissant à Lorenzo autant de chance de se racheter qu'à un tueur en séries. Cependant, il y avait depuis repensé, et après mure réflexion, il avait réalisé que Junie n'avait pas intérêt à rendre cette affaire publique : Lorenzo était persuadé que Junie était toujours sur Peter, et si ce dernier apprenait que Lorenzo était soi disant infidèle, il allait courir vers celle qu'il n'avait jamais oublié, à savoir Summer. Lolo détestait Peter, et était d'ailleurs fier de pouvoir se pavaner avec Summer devant lui, espérant un jour le voir mourir de jalousie. Etant arrivé à cette conclusion, il décida que le moment était venu de retenter sa chance, de regagner l'amitié de Jenn. En plus, il avait déjà rayé toutes les autres tâches de sa liste, il était temps de s'attaquer à celle-là.

Arrivé devant la maison des 4 colloc, il se demanda si Jennyfer serait là, ou encore au travail. Difficile de savoir, puisqu'ils ne se parlaient plus vraiment. Ils avaient repris contact au début de l'année dernière, quand Lorenzo était revenu. Mais elle avait eu ensuite trop de mal à accepter qu'il se soit marié sans prévenir, sans même envoyer un petit mot, et petit à petit leur relation s'était dégradée de nouveau. Ajouté à ça les nouvelles rumeurs à propos de sa liaison avec une de ses élèves, beaucoup trop d'obstacles s'étaient dressé entre eux. Mais il était temps de renouer le lien, d'essayer tout au moins, pour ne pas regretter par la suite. Alors Lorenzo se décida enfin, et appuya sur la sonnette.

C'est une Junie dans un bien drôle d'accoutrement qui vint ouvrir au jeune homme. Fidèle à lui même, il ne se gêna pas pour la dévisager de haut en bas, et dire qu'à un moment, il l'avait trouvé attirante. Là, son sex appeal dansait avec les pâquerettes. Il devina qu'il la dérangeait en pleine séance de ménage, et ne put s'empêcher de penser, qu'elle méritait bien cette tâche : elle qui, pendant des années, avait feint de ne pas voir et avait donc échappé à ce sale boulot ! Mais il garda son humour douteux pour lui, s'en prendre à Junie n'arrangerait rien avec Jenny. Il décida alors de profiter de l'occasion pour améliorer quelque peu sa relation tendue avec la jeune fille. Peut-être pourrait-elle ensuite plaider sa cause auprès de Jenny. Oui, il rêvait bel et bien, mais ça ne lui coûtait rien.

Malheureusement, Junie avait décidé de ne pas lui faciliter la tâche. D'un ton sec et cassant, elle l'informa que Jennyfer était absente, et l'invita sans le dire à partir. Il était piégé, que pouvait-il vouloir d'autre ? Quelle prise de tête. Si, à son arrivée ici, on lui avait dit que sa vie serait si compliquée aujourd'hui, il n'y aurait sans doute pas cru. Lui qui avait emménagé ici pour recommencer sa vie, oublier les erreurs de son passé italien, il avait accumulé, en quelques années, un nouveau lot de problèmes assez conséquent. Et indirectement, Junie en faisait partie, encore plus depuis qu'elle l'avait surpris, embrassé par Charly. Car il fallait le dire, Lorenzo n'était en rien acteur dans cette affaire. Il ne le niait pas, il y a deux ans, il avait dragué leur colocataire, était pleinement conscient de coucher avec la chaudasse qui partageait la maison de sa meilleure amie. Mais le baiser de la semaine dernière, il ne l'avait pas voulu. Ce n'était pas tant son mariage qui le faisait repousser Charly désormais, c'était surtout Jennyfer qui lui manquait. Avait-il conscience d'avoir mal agi ? Il avait compris que son acte avait blessé la jeune fille, mais honnêtement, il cherchait encore pourquoi elle en avait fait une affaire d'état. Que Rose lui en veuille de coucher avec sa petite soeur mineure était une chose, que Jenny lui en veuille de coucher avec une de ses amies - qui la saoule parfois qui plus est - était plus difficile à comprendre. Mais les faits étaient les faits, son devoir était de les arranger.

« Ah zut, tu sais quand est-ce qu'elle rentre ? J'aimerais bien lui parler ... » Il marqua une pause, hésitant à continuer. C'était risqué. Lorenzo était persuadé que, si Junie s'était affirmée aveugle durant des années, c'était parce qu'en fait elle avait des rayons laser dans les yeux, capables de vous zigouiller sur place. Maintenant qu'elle jouait visage découvert, elle aurait pu désintégrer le jeune homme si bon lui semblait. Mais qu'importe, il jouait le tout pour le tout. « Mais, si ça ne te dérange pas, j'aimerais bien reparler de ce que tu as vu, la dernière fois, au dancing. Tu sais, Charly et moi ... » Il la scruta du regard, prêt à courir se cacher si elle révélait ses supers pouvoirs.

Lorenzo savait qu'il marchait sur des oeufs, qu'il avait de grandes chances de déclencher la tornade Junie et que celle-ci risquait de tout dévaster sur son passage. Mais s'il ne faisait rien, les conséquences auraient pu également être dramatiques, alors quitte à faire quelque chose, autant lui parler, tenter de clarifier et d'arranger la situation si mal engagée. Malheureusement, Junie ne réagit pas comme il l'espérait. Elle se mit à débiter des paroles en vrac, sur un ton hargneux. En la regardant, Lorenzo pensa soudainement à un chien enragé prêt à se jeter sur lui, un chien qui cependant cachait bien ses crocs, courtoisie entre voisins oblige. Elle ne se retint pas néanmoins de lui jeter ses gants à la figure, ce à quoi Lorenzo réagit avec dégoût. Ces trucs étaient plein de poussière, dégoûtant. Quand il les reçut sur lui, il eut un mouvement de recul et les jeta vite à terre, et secoua ensuite la tête, pour enlever toute trace de cette poussière. Pendant son petit manège, Junie s'était éclipsée à l'intérieur ... Mais avait laissé la porte ouverte. Il voyait bien là une autorisation à entrer, à défaut de pouvoir le dire tout haut. Elle voulait bien faire des efforts, mais il ne fallait pas pousser, le jeune professeur garda cette information bien en évidence dans son esprit, et entra dans la maison.

Il la connaissait bien, il y venait souvent du temps où il entretenait une relation amicale normale avec Jenn. Il jeta un regard vers le canapé, celui-là même où il s'était posé tant de fois avec son ancienne amie, pour lui raconter ses aventures de la veille. Ce à quoi Jenn répondait par un regard indigné, et le punissait à coup de coussin. C'était le bon temps ... Jusqu'à ce que l'une de ses aventures de la veille se nomme Charly, et que le regard indigné se transforme en un regard interdit et silencieux. Il secoua la tête, il préférait chasser ces pensées de son esprit. C'était révolu, de toute façon. Il se concentra alors sur Junie, et la rejoignit dans la cuisine. Elle l'écoutait ? Il avait l'impression d'être un accusé devant un tribunal, sur le point de débiter son plaidoyer. C'était sa dernière chance. « Elle m'a embrassé, quand tu nous as vu, c'est elle, je t'assure. Depuis cette connerie j'essaie de l'éviter, mais tu la connais elle fait exprès de continuer à me coller, et elle a gagné ça fout la merde ... » Il marqua une pause, ce qu'il avait envie de dire était très risqué, pire qu'un saut en parachute, ou que faire du trapèze sans filet. « Sauf si tu le gardes pour toi » Il s'appuya contre un meuble, ne sachant s'il devait la laisser réfléchir, ou au contraire reprendre la parole. Il avait pourtant une idée en tête : si ça se savait, que Peter l'apprenait, il retournerait conquérir Summer, et les chances de Junie seraient mises à zéro. Mais présenté comme ça, l'idée risquait vraiment d'agacer Junie et de la vexer. « Ça risque de gâcher ma relation avec Summer pour rien, et avec tous ceux qui lui tournent autour là ... » Rester évasif lui semblait être une bonne solution, la seule à vrai dire. Cachant une main derrière son dos, il croisa les doigts, par réflexe. Non pas pour se pardonner un mensonge, mais pour se porter chance. Seulement il ne voulait pas montrer à Junie qu'il avait recours à un tel stratagème. « Et ça risque aussi de dégrader ma relation avec Jenn, et de foutre en l'air notre tentative de réconciliation » Là, Junie ne pouvait pas le nier, Lorenzo avait fait des efforts avec leur amie commune. Il fut patient, avait attendu qu'elle accepte de le voir sans la brusquer, l'avait invitée à diner un repas concocté par ses soins, avait mis ses histoires à plat, lui avait raconté son histoire avec Summer, comment il l'avait rencontrée précipitamment, le coup de foudre, le mariage ... Il avait attendu qu'elle se sente en confiance et lui raconte à son tour ses nouvelles. Et il avait fait tout ça en toute sincérité. Il lui avait également raconté pour Nina, après l'avoir vue à la Saint Valentin, et avait même écouté son conseil, quand Jenn lui avait dit de dire la vérité àRose. Il voulait vraiment retrouver sa meilleure amie. Et garder sa femme, aussi.

Pas une seule seconde Lorenzo n'avait pensé que cette situation serait facile, que la conversation glisserait comme une lettre à la poste. Seulement là, ça tenait plutôt de la mission impossible, et Lorenzo n'avait pas eu d'autre choix que de l'accepter, ou alors c'est sa vie qui se serait auto détruite. La calme et effacée Junie - ou du moins il l'avait toujours vue ainsi, aux dires de Jennyfer - avait deux cornes de diable qui venaient de lui pousser sur la tête, elle crachait désormais des flammes et dans ses paroles raisonnaient l'enfer. Lorenzo n'oscilla pas une seule seconde, il ne voulait pas se laisser impressionner par une fille qui se fait passer pour aveugle alors qu'elle ne l'est pas. Cependant, il fit attention à ne pas afficher un regard trop dur : même si Junie lançait des éclairs, lui était venu en paix, et ce n'était sûrement pas en brandissant les armes qu'il obtiendrait gain de cause. Ses dires et son comportement devaient être pacifiques, toujours. Mais qu'on se le dise, il mourrait d'envie lui faire bouffer quelques livres, à la bibliothécaire.

Elle, en tout cas, n'y allait pas de main morte. Ses accusations transpiraient le pessimisme et, honnêtement, Lorenzo avait toujours considéré les choses autrement. Selon lui, sa relation avec Jenn s'améliorait doucement mais sûrement. Ils étaient loin de retrouver la complicité d'antan, pourtant Jenn semblait capable de lui pardonner. Après tout, un mariage, il y avait pire comme crime. Se faire passer pour aveugle, ce n'est pas vraiment mieux, d'abord. Lorenzo lui avait patiemment expliqué leur coup de tête, le coup de foudre, un sourire niais et des yeux brillants sur son visage. Jenn l'avait cru, avait sourit, avait émis l'envie de connaître Summer ... Tout n'était pas noir, contrairement à ce qu'affirmait Junie. « Attends je l'évite depuis que je suis rentré moi Charly ! Arrête de dire que tout est ma faute, j'étais même pas dans ce bar pour la voir elle. » Qu'aurait-il dû faire après tout ? Arrêter ses virées avec ses potes pour se protéger de la méchante Charly ? Très peu pour lui. « Et ce n'était pas tant la "merde" avant. Jenn ne t'en a peut-être pas parlé, mais on commençait à recoller les morceaux, tout doucement. Charly c'est du passé, du moins c'était, et elle a concédé que me marier n'était pas le crime du siècle. » Il regarda Junie et haussa les épaules sur un air condescendant, non il n'était pas capable de contenir sa fierté à chaque fois. Seulement, celle-ci retourna vite se cacher quand Junie la diabolique sembla sortir de ses gonds. A croire qu'elle venait d'évoluer pour devenir méchante Junie, Lorenzo faillit même tressaillir, mais il se contint. Il était foutu il le savait, et avait l'impression d'être un tueur en série devant un tribunal, prêt à être condamné à la peine de mort. Et effectivement, la peine de Junie s'en approchait. Ne plus voir Jenn était la pire des idioties, jamais elle ne viendrait vers lui alors qu'il était en tort. C'était à lui de faire les premiers pas, d'engager les conversations et de proposer les sorties. S'il devait pointer aux abonnés absents, Jenn ne risquait sûrement pas de l'appeler. Et le pire, c'est qu'il savait très bien que Junie en avait conscience. Elle lui imposait cette solution délibérément. Le pire, c'est qu'il n'avait vraiment pas le choix, sinon elle irait voir Summer. Quoi que ... Il hésitait à risquer, à tout miser, mais il était aussi possible qu'il perde tout. « T'es dégueulasse, tu sais très bien qu'elle ne viendra pas vers moi. Au contraire, si j'arrête de la voir, elle pensera que je ne me préoccupe plus d'elle. Tu sais très bien que je l'apprécie sincèrement, elle et moi nous avons quand même été amis pendant des années, tu ne peux pas m'imposer ça, et à elle non plus ! » Faire appel à la raison de Junie était vraiment un choix désespéré, qui risquait probablement de ne pas fonctionner. Mais que lui restait-il ? « Et si elle vient te voir en te disant "tiens Lorenzo ne m'a pas appelée depuis bien longtemps", tu lui répondras quoi ? Que c'est probablement parce que je suis un connard ? Tu mentiras à ta meilleure amie ? Belle preuve d'amitié dis donc ... » En reprenant la parole, son ton avait quelque peu monté, son agacement certain ne se cachait plus. Il jouait le tout pour le tout, de toute façon

Junie débitait un flot de paroles sans discontinuer, elle semblait envahie par une folie passagère, ou un éclat de génie. Mais quelle ingéniosité ! Il ne savait très bien, que Charly n'avait pas prévu d'abandonner, mais il n'était pas Dexter Morgan et il n'était pas dans ses cordes de se débarrasser des personnes gênantes. Il avait tenté de s'expliquer avec Charly, maintes fois, mais rien n'y faisait, il n'avait rien à lui offrir qui justifierait qu'elle cesse son stratagème. Il ne pouvait même pas en parler à Jenn, pour qu'elle lui vienne en aide. Il savait que, dès lors, Charly s'empresserait de dire la vérité à leur amie commune. Il était dans de sales draps, et ne pouvait s'en vouloir qu'à lui même selon Junie. Il n'était pas de cet avis, sa seule faute était d'être sorti dans ce bar ce soir-là, devait-il s'empêcher de vivre pour conserver ses amies ? Sottises, en quoi serait-il heureux s'il se privait de ses virées récurrentes ? Mais impossible de réprimander Junie pour ses dires erronés, car elle s'empresserait de remarquer qu'il préférait les virées dans les bars à sa meilleure amie. Ce qui était expressément faux, mais jamais Junie n'entendrait raison. Il était donc dans de sales draps, et pas près d'en sortir. Il laissa échapper un soupir, devant toutes ses pensées qui se bousculaient, il remarquait qu'aucune ne changerait l'opinion de la bibliothécaire. Mais il n'avait rien à perdre ... « Et donc je fais quoi pour que Charly arrête ? Je l'élimine ? Ah moins qu'elle ne se trouve un mec, je ne vois pas pourquoi elle changerait de comportement, or ce n'est pas demain la veille ... donc je suis foutu à jamais, c'est ça ? » Foutu car jamais il ne pourrait récupérer Jenn, Junie avait au moins la présence d'esprit d'approuver. C'était à lui d'aller vers elle. Quand la jeune femme évoqua les confidences et les pleurs de leur amie, il eut un gros pincement au coeur. Normalement, c'était à lui de la consoler et de la protéger des méchants garçons. Maintenant, il était devenu ce méchant garçon. Il avait comme qui dirait failli à sa tâche. « Arrête d'évoquer tout ça s'il te plaît ! Tu fais quoi, tu testes si j'ai un coeur en voyant comment je réagis ? Bien sûr que je m'en veux de la rendre malheureuse ... » "Mais putain c'est pas ma faute là ..." Il ne prit même pas la peine de finir sa phrase, c'était peine perdue car jamais Junie n'entendrait raison. Elle connaissait Charly pourtant, savait qu'elle était capable de se jeter sur n'importe quel mec trop éméché pour la repousser sur le coup. La preuve, elle lui annonça même qu'elle allait ... lui en parler ?! Lorenzo mit leur conversation sur marche arrière puis la repassa la bande dans sa tête en accéléré. Qu'allait-elle lui dire ? La vérité pour Charly ? Junie ne pouvait pas ne pas évoquer cet épisode, si elle parler de Lorenzo à Jennifer. « Tu veux dire que ... tu lui diras pour Charly alors ? » Il avait perdu, il n'avait plus qu'à se réfugier dans son lit et dévorer un paquet de cookies, en souvenir du bon vieux temps avec Jenny. Dépité, il n'avait même plus envie de se battre avec Junie, sa colère avait disparu quand il comprit que Junie ne pourrait jamais garder ce qu'elle avait vu pour elle seule. « La même erreur, tu veux dire coucher avec Charly ? Ce temps là est révolu Junie, je suis marié, engagé, ça fait un an que je ne suis plus comme avant » Information à peine erronée, car il ne considérait pas Nina comme une fille comme les autres, comme une sauterie sans importance. Exception faite, il disait vrai. Et Junie n'avait pas besoin de connaître cette exception. Elle était passée, de toute façon. « Mais j'ai l'impression que tu ne me croiras jamais ... »

Lorenzo et Junie se connaissaient peu, et ne s'appréciaient pas énormément. Alors, en engageant la conversation avec elle, Lorenzo n'avait pas parié beaucoup en supposant que la discussion ne serait pas aisée. Pire, Junie était en position de force, cette échange n'allait pas être une promenade de santé. Pourtant, peu à peu, la jeune fille semblait se radoucir. Après son éclat de colère, elle avait petit à petit revu son opinion dur Lorenzo et son erreur avec Charly. Lui qui s'imaginait faire ses bagages et quitter la ville, réalisait son erreur. Junie n'était pas une mauvaise personne en soi, et avait été motivée par la même pulsion que lui : celle de protéger Jennifer. Chacun avait sa vision des choses, mais avec des efforts des deux côtés, ils arrivaient doucement à s'accorder. Cette semi victoire boosta la confiance du jeune homme, mise à mal ces derniers temps. Il n'était peut-être pas si mauvais, finalement.

« Crois moi, je vais vraiment l'éviter, j'en ai fini avec les conneries. » En guise de preuve, il lui montra l'alliance qu'il portait autour du cou. Quand il s'était marié, il n'avait pas su se résoudre à avoir cet anneau autour du doigt. Summer lui avait suggéré de le porter sur une chaîne au début, et désormais il ne l'avait plus quitté. Mais Junie n'avait plus besoin de preuves : elle ne doutait pas de sa sincérité, elle le croyait. Soulagé, Lorenzo poussa un long soupir, comme si la pression retombait d'un coup. « Merci Junie, tu ne peux pas savoir ce que ça fait qu'on me croit pour une fois » Bien sûr, ses antécédents ne jouaient pas en sa faveur, c'était un peu de sa faute si on pouvait mettre si facilement sa parole en doute, quand il s'agissait des femmes. mais jamais au grand jamais il ne permettrait qu'on doute de son amitié, encore plus pour quelqu'un qu'il considérait comme sa soeur. Il était si joyeux qu'il avait presque envie de la prendre dans ses bras. Mais passé 25 ans, il y a certaines choses qu'on ne peut plus se permettre.

Mais Junie mettait ses nerfs à rude épreuve : maintenant, elle lui annonçait qu'elle garderait le baiser volé pour elle. Vraiment, il ne pouvait pas lui faire un tout petit câlin ? tout petit petit ? Malgré leurs différents par le passé, Lorenzo prenait avec sérieux et importance la confiance que la jeune fille mettait en lui. Il allait en être digne, c'était certain. Il radotait sévère, mais il était marié. Et la seule fille capable de lui faire chavirer le coeur se trouvait à Philadelphie. Sa vie d'homme marié pouvait reprendre son cours. Il allait retrouver ses meilleures amies, tout rentrerait dans l'ordre et tous ces écarts ne seraient bientôt qu'un lointain souvenir. « Elle me réclame ? » Il lui fit un grand sourire. « Tu veux bien m'aider alors ? Comment je fais pour qu'elle me pardonne et pour retrouver notre complicité ? Je crois que des cookies ne seront pas suffisants cette fois ... » Tous deux savaient que Jennifer était une catastrophe culinaire, contrairement à Lorenzo, et qu'elle avait toujours apprécié cette qualité chez son ancien meilleur ami. Mais s'il se contentait de biscuits, il allait devoir en préparer plusieurs camions.

Subitement, Lorenzo s'en voulait d'avoir mal jugé Junie. D'habitude, de nature un peu égoïste, il se préoccupait peu de ses mauvais jugements, éprouvait rarement des regrets. Mais Junie était une amie de Jennifer, et pour ça elle était différente, plus importante ... et ils auraient pu être amis. Enfin, cette perspective restait difficile à concevoir. Mais quand même, ils auraient au moins pu se côtoyer sans se lancer piques et regards de tueur. Et cette perspective là, Lorenzo la voyait peu à peu se profiler dans un avenir proche.

« Ahah, je n'y manquerais pas ! » Dès qu'il allait sortir de cette maison, il enverrait un message à Jenn pour la convier à un déjeuner. Ou juste pour boire un verre au Gordon Coffee. Ils y avaient passé tellement de bons moments, tous deux adoraient leurs pâtisseries. Et ils étaient deux gamins ensemble, deux gamins qui avaient besoin de goûter à 4h, avec un grand verre de lait, tout en refaisant le monde. Oui oui, ils approchaient la trentaine. Mais pour Lorenzo, ces moments là étaient précieux. Il se savait jeune, mais quand il apercevait cet anneau autour de son doigt, il vieillissait de dix ans. En quittant l'Italie et Chiara, il ne s'était pas imaginé marié avant 30, voire 35 ans. Et voilà qu'il l'était à 27, c'était imprévu. Parfois, il osait formuler ses craintes : c'était trop tôt. Mais ensuite, il fermait ce sujet, c'était fait de toute façon. Mais pour combien de temps ? Ce n'était ni le lieu ni le moment pour y penser.

Pour l'heure, il allait pouvoir prendre congé de la jeune fille. Il l'avait dérangée dans son ménage qui plus est, et Junie voudrait sûrement s'y remettre. Il aurait pu l'aider certes ... mais non. Nettoyer était probablement la dernière activité à laquelle Lorenzo pouvait s'adonner. Sauf s'il s'agissait de nettoyer son tableau noir, d'y enlever toute trace de la journée. C'était son petit geste quotidien pour marquer que les cours étaient terminés pour aujourd'hui, qu'il devait rentrer voir sa petite femme. Sa petite femme qui s'occupait du ménage chez eux, bien entendu. Au début, Summer avait sommé le jeune homme de l'aider, et il souriait encore en y repensant. Cuisiner certes, mais le ménage il en était tout bonnement incapable. Il était déjà incapable de repasser ses chemises, sauf en cas d’extrême urgence.

« Bien sûr que je cuisinerai, je ne suis pas encore maso ! » Il rit de bon coeur, puis se redressa. « Junie je vais te laisser à ton ménage, je crois qu'il est temps pour moi de partir ... J'appelle Jenn dès que je suis dans la rue ! » Il sortit son téléphone de sa poche pour appuyer ses dires. « Et normalement tu auras des nouvelles de cette histoire dès ce soir, enfin j'espère ! » Un instant, il imagina Jenn courir vers elle pour lui annoncer qu'elle allait déjeuner avec Lorenzo. Et cette idée lui plaisait énormément. Il se dirigea donc vers la porte, ses bonnes manières lui indiquèrent de se reculer pour laisser Junie ouvrir. Une fois sur le perron, il lui fit un sourire en guise d'au revoir. Et une fois dans la rue, il regarda l'écran de son portable, chercha le numéro de sa meilleure amie, et cliqua sur appeler.