Devant lui se déroula un curieux spectacle. Le visage de Lucy passa par une flopée d'expressions en quelques minutes. La colère laissa bien vite la place à la surprise, qui fut à son tour remplacée par un semblant de gêne, avant qu'un soupçon d'exaspération ne prenne le dessus, bien vite transformé en ... reconnaissance ? Puis, vint le clou du spectacle : Lucy s'affala sur la table. Andrew resta interdit, incapable de trouver la réaction à adopter. Devait-il prendre son pouls, afin de vérifier qu'elle respire toujours ? Ou la laisser là et partir se refaire un café comme si de rien était ? Ou continuer de parler avec elle comme si elle était toujours droite sur sa chaise ? Heureusement, elle se redressa toute seule comme une grande, et il put continuer son laïus. Touchée, elle lui répondit seulement que ses paroles étaient gentilles. Mais au fond, il savait qu'elle savait que ce n'étaient pas des paroles en l'air. Elles étaient sincères. « Non c'est simplement normal, entre amis » dit-il en souriant gentiment normalement.

C'est alors que Lucy décida de prendre congé de lui. Il l'imita et regarda l'horloge de la cuisine, bon dieu le temps avait filé à une vitesse folle. Il était incapable de dire pourquoi, mais il ne s'était pas ennuyé une seconde : était-ce son plan machiavélique pour libérer Lucy, ou simplement la naissance de leur amitié nouvelle, un peu des deux peut-être. La jeune fille décida de le tester à son tour, et il ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Il avait fait de même auparavant. Mais quel défi lui lançait-elle ! Entrer dans la maison Wainwright ! Andrew était un peu bloqué, s'il disait non elle serait déçue, s'il disait oui il risquait de mourir. Il creusa alors ses méninges, et c'est alors que sa discussion avec Ginerva, quelques semaines auparavant, lui revint en mémoire. « C'est une manie de m'inviter chez vous ! Ginerva m'a aussi invité à dîner un soir, avec Lou » lui expliqua-t-il en riant. « Mais je n'avais encore aucune invitation pour un café, donc je prends ! » Après tout, Lucy avait précisé qu'elle y serait seule, donc il ne courrait aucun danger. Mieux, il pourrait même glaner quelques informations pour délivrer un jour la jeune fille. Il se leva alors à son tour, et conduit Lucy jusqu'à la porte d'entrée. « J'attends ton invitation pour un café donc ... et je n'ai pas oublié tout ce que tu m'as dit ! » Il lui fit un clin d'oeil discret, il faisait évidemment référence au fameux garçon inconnu, donc il connaîtrait l'identité un jour, il s'en faisait la promesse. Mais il devait laisser à Lucy le temps de se confier, mais il ne manquerait pas de mener sa petite enquête !

When someone wants to save you
From a ginger army

Debout, à côté de la table, son manteau à la main, Lucy attendait. Elle attendait la réponse d'Andrew. Elle le regardait et vit le trouble s'afficher sur son visage. Elle se retint de rire, pour ne pas le déconcentrer. Il la regarda, baissa les yeux, la regarda à nouveau, rebaissa les yeux, comme s'il cherchait la réponse quelque part. Ca devait sacrément cogiter là dedans. Elle se doutait qu'il s'imaginait des scénarios abracadabrantesques (Rimbaud, ça, c'est pour toi): un roux démoniaque caché dans le placard, un piège à voisins au milieu de la cuisine, une cave remplie de pauvres êtres affamés... Elle lui sourit pour le rassurer.

C'est une manie de m'inviter chez vous ! Ginerva m'a aussi invité à dîner un soir, avec Lou... Mais je n'avais encore aucune invitation pour un café, donc je prends !

Il avait dit cela en riant. Lucy n'en revenait pas: il avait accepté ! C'était surement parce qu'elle lui avait dit qu'elle serait seule, sans l'ombre d'un roux dans les parages. Lorsqu'elle apprit que Ginerva l'avant déjà invité à venir, elle sourit, amusée. Cela ne l'étonnait même pas ! Après tout, il allait falloir le harceler pour le convaincre de mettre un pied chez les Wainwright. Elle attrapa le téléphone portable d'Andrew qui trainait sur le meuble, mit quelques temps à le déverrouiller et entra finalement son numéro de téléphone dedans. Elle le lui tendit avec un sourire.

Lou est très jolie sur cette photo !

Sur ces bonnes - et sincères paroles - elle enfila sa veste et prit le chemin de la sortie.

Envoie moi un message pour me dire quand tu es libre, à bientôt !

Hop, elle remit son sac sur son épaule et s'en alla, prenant le chemin de l'Enfer.

Il la regarda prendre son téléphone, et par réflexe il eut un mouvement pour le reprendre. Puis il comprit qu'elle voulait simplement ajouter son numéro, et il se sentit bien con. Il la regarda faire, galérer, puis finit par craquer et lui expliqua comment déverrouiller. Il ne put que rougir à son commentaire, comme un gosse de huit ans qui cache la photo de son amoureuse sous son oreiller. « Baaah merci » Que dire d'autre ? « Merci, si elle te branche je peux t'arranger un coup avec elle » ? Peut-être pas non. Il ne savait même pas si Lucy et Lou se connaissaient bien, ou si elle se croisaient simplement comme deux voisines. De toute façon, il allait raconter cet après-midi à sa petite amie, il aurait l'occasion de lui poser la question. Bien sûr, il omettrait les potions pour sauver Lucy des roux démoniaques, Lou n'y croyant pas et s'agaçant quand il était trop insistant à ce sujet.

Il la raccompagna jusqu'à la porte et la regarda sortir. « Sans faute je te contacte ! » Elle s'éloigna dans l'allée, puis dans la rue. A regret, il la vit entrer dans la maison ensorcelée, et eut un petit pincement au coeur quand il vit la porte se fermer. Il se promit que ce serait l'une des dernières fois où la jeune fille retournait en enfer. Il la sortirait de là, c'était son devoir d'ami.