Lucy avait fini sa journée bien plutôt que d'habitude, et elle en était bien contente. Balthazar avait eu 16 à son dernier devoir d'anglais, alors pour Thanksgiving, il était dispensé de cours particulier... et Lucy aussi ! Cela lui permettrait d'être à l'heure pour le dîner organisé chez Holden Turner. Enfin, c'est ce qu'elle croyait. Car c'est à 18h30 qu'elle émergea d'une sieste d'une heure trente. A partir de là ce fut la course (mais Lucy, mal organisée comme elle l'était, avait de l'entraînement): elle se doucha et se prépara aussi vite qu'elle le put. Résultat, 5 minutes avant de partir, son trait d'eye liner était raté et sa jupe à l'envers. L'eye liner me direz vous, ce n'était pas trop grave, personne n'allait ramener son nez à 3cm de sa figure. Pour la jupe, par contre... Heureusement que Ginerva s'en aperçut avant leur départ !

Finalement, les deux amies partirent même en avance en direction du numéro 23. C'était une immense magnifique batisse, que Lucy avait toujours observé avec admiration. Aujourd'hui, elle allait pouvoir entrer dedans ! Cette soirée s'annonçait vraiment excitante: un dîner organisé pour tout le quartier, un plan de table mystère... Cela promettait de bonnes - ou mauvaises - surprises. Lucy n'était pas particulièrement fan de Thanksgiving: étant à la fois américaine et française, et ayant grandi à Paris, elle n'avait plus fêté l'arrivée des Pionniers depuis ses 9 ans. Autant dire que cela remontait à assez loin. Mais elle aimait ce que représentait cette fête: le partage, la reconnaissance, l'harmonie. Plein de jolies valeurs, et elle était un peu bisounours la Lucy.

Elles entrèrent alors chez les Turner, saluant l'hôte au passage, et entrèrent dans la salle de réception. Elle était bien plus grande que ce qu'avait imaginé la jeune fille, et superbement décorée pour l'occasion. Six tables étaient dressées, mais peu de convives y avaient pris place pour le moment. Ginerva et Lucy se séparèrent, en quête de leur place. Lucy commença par la table numéro une, en fit le tour, mais rien. Alors qu'elle s'apprêtait à faire de même chose autour de la deuxième table, Ginerva appela son nom et lui fit signe de venir. Lucy la rejoignit et vit leurs deux noms à la même table. Un immense sourire fendit son visage. Il fallait avouer que même si cette soirée l'enchantait, elle ne pouvait s'empêcher d'être un peu nerveuse à l'idée de manger avec des inconnus. Elle salua la personne déjà installée, qu'elle ne connaissait d'ailleurs pas, et fit le tour de la table pour voir qui étaient les autres convives. Andrew, Lou, et Julian. L'excitation de Lucy monta encore d'un cran: Andrew était quelqu'un qu'elle appréciait. Elle le trouvait bizarre, certes, mais elle l'appréciait. Et puis avec Ginny à la même table ça ne pouvait être que drôle ! Lou, elle ne la connaissait pas, mais elle avait beaucoup entendu parler d'elle et était ravie de passer la soirée à ses côtés. Et enfin Julian, Lucy le connaissait depuis la fac, mais ils ne s'étaient plus donnés de nouvelles... Jusqu'à il y a quelques jours, lorsqu'ils s'étaient rencontrés au supermarché. A vrai dire, Lucy était contente d'avoir l'occasion de passer du temps lui.

Elle alla s'asseoir à côté de Lou, comme son nom le lui indiquait, mais décida d'embêter un peu Andrew, en échangeant le nom de Julian avec celui de Ginerva, pour que la rousse de trouve à côté de lui. Lucy se trouvait donc face à Esperanza (dont elle avait lu le nom sur la table), entre deux places vides. Elle essaya de se tenir correctement, les gens étaient tous si bien habillés, et l'endroit si imposant ! Lucy en était sûre, la soirée allait bien se passer.

Qui de Lou ou de Andrew avait forcé l'autre à aller à Thanksgiving ? Ni l'un ni l'autre. Les deux amoureux s'étaient réveillés, un beau matin, avec l'idée en tête d'aller à cette fête. Chacun annonça fièrement à l'autre qu'il avait une proposition à faire ... et c'est en même temps qu'ils émirent l'idée de Thanksgiving ! Si ce n'est pas beau, d'être si fusionnel. Quand ils apprirent que les gens seraient placés, ils prièrent nuit et jour pour être ensemble. Une seule soirée séparés et ils étaient finis (oui Andrew est pourtant parti en Italie une semaine avec Scar, mais en fait il avait emmené Lou dans sa valise, mais ça personne ne le sait).

Le soir venu, Lou demanda gentiment à son petit ami d'être bien habillé. Il se vexa un peu, ayant toujours décrété que jean chemise de bûcheron était l'équivalent des costumes pour un mec cool. Mais voulant faire honneur à Lou, il fit l'effort de revêtir une chemise noir ... jean et converses par contre, chaque chose en son temps. Comme souvent, Lou s'était préparée chez lui. Officiellement, elle affirmait ne plus supporter le brouhaha incessant de sa maison, entre Anaïs qui parle tout le temps, Jeremy et sa musique ... Au moins chez Andrew, il n'y avait jamais personne. Mais officieusement, Andrew savait qu'elle se préparait chez lui juste pour se pavaner en petite culotte devant lui. C'est une coquine, cette Lou.

Les Turner n'habitant pas loin de chez lui, ils arrivèrent rapidement, saluèrent rapidement Mme Turner qui les accueillait, puis vite, cherchèrent leur table. Car c'était bien ça qui les angoissait depuis le tout début. Quand il lut son nom sur le carton, vite, il regarda les autres noms de la table, et quel bonheur de faire bonne pioche dès le premier nom. « Loulou on est à la même table ! » s'exclama-t-il, heureux comme un enfant de dix ans qui reçoit son premier vélo. Il la serra dans ses bras, sous le coup de l'émotion, comme s'ils venaient d'accomplir un exploit surhumain. Il leva alors les yeux vers les personnes déjà assises à la table (oui, quand ça concerne Lou, Andrew il s'en fout du reste du monde ) et eu un moment de recul en voyant que le diable s'était attablé à côté de lui. Au moins, Lucy était à ses côtés, Ginny ne dévoilerait pas sa vraie nature devant elle, sinon la jeune femme risquait de s'enfuir en courant de leur maison. A côté de Lucy restait une place vide, et entre la place inconnue et Lou, se trouvait une femme que Andrew ne connaissait pas. « Bonsoir tout le monde ! Vous allez bien ? » dit-il en s'asseyant. Instinctivement, il se décala un peu vers Lou, pour s'éloigner de Ginerva. « Qui est la dernière personne manquante ? » demanda-t-il à l'assemblée déjà présente. Du moment qu'il avait Lou à côté de lui, ça aurait pu être n'importe qui en face de lui, il s'en fichait.

Dieu comme Julian haïssait son paternel. L'obliger à participer à une soirée mondaine, qui plus est en ce soir de Thanksgiving, c'était vraiment inhumain de sa part. « Les King doivent se faire respecter, dans le quartier : va donc leur montrer qui nous sommes, mon fils ! ». Au départ, Julian avait presque ri, pensant qu'il s'agissait là d'une mauvaise plaisanterie, mais voyant que Daren ne lâchait pas l'affaire, le jeune homme avait compris. Non, ce n'était pas une blague : il serait réellement forcé de paraître devant tant d'autres personnes, et de faire semblant de profiter de l'ambiance de Thanksgiving.
Totalement désintéressé par cette soirée, il avait tout de même demandé à Zachary s'il y participait, ce à quoi le jeune homme acquiesça. Julian s'en rassura donc : il y avait une chance, infime, pour qu'il se trouve à la même table que son voisin. Ah oui, parce que cette idée d'un plan de table improvisé par les maîtres de maison ne l'enchantait guère. S'il avait à se retrouver à côté de Jay le destructeur de visage, de Sam la vipère, ou d'Andrew... il risquait de passer une soirée inoubliable !

Le soir venu, Julian se vêtit très correctement, en blanc et en noir, pingouin morbide qu'il était. Il s'observa dans la glace et soupira : c'était horrible comme il n'avait pas envie de participer. Pourtant, Joy vint le trouver dans sa chambre et le complimenter sur sa tenue. Il l'en remercia et sortit de la maison sans un regard vers son paternel. Les dizaines de mètres qui séparaient la maison des King de celle, grandissime, des Turner, furent avalés en une pensée : avec qui partagerait-il ce repas ?
Arrivé devant le perron de ladite demeure, Julian songea très sérieusement à faire demi-tour. Il avait un milliard d'arguments pour ne pas profiter de ce repas, mais il imaginait fort bien le regard meurtrier de son père. Et puis, cela pourrait nuire à la réputation des King, alors Julian s'obligea à s'introduire dans le salon... divin ! Il fut un instant assailli par cette ambiance trop classe, trop mondaine. Les convives s'étaient parés de leurs plus beaux costumes, à croire qu'on assistait à un gala de personnalités célèbres. En croisant Mrs Turner, Julian la salua dans un respect des plus consciencieux. Elle se garda cependant bien de lui sourire, ce qui n'étonna pas le moins du monde le jeune homme. Les invités commençaient à s'intéresser à leur place et à s'asseoir. Julian jugea que c'était une bonne idée. En passant autour des tables, il dut saluer quelques connaissances, se gardant bien de ne point regarder les gens qui ne l'appréciaient pas.
En arrivant à la dernière table, quelle fut la surprise de Julian en remarquant qu'il était le dernier arrivé, et en découvrant ses partenaires de soirée. Lucy, Ginerva et Lou étaient de bons présages ; l'aînée de la tablée lui était globalement inconnue cependant, il l'avait vue parfois au coin d'une rue, sans jamais discuter avec cette personne ni savoir qui elle était ; mais il eut l'horreur de voir la face de fouine d'Andrew Davies. En voilà une mauvaise nouvelle. Malgré son dérangement, Julian s'obligea à paraître tout à fait à l'aise, et salua sa table :

-Bonsoir.

Oui, ce fut bref, mais Julian n'était pas de ces gens à s'attarder sur des mots sans intérêts. Sans se presser, pour ne pas sembler tendu, Julian ôta son manteau et le posa sur le dossier de sa chaise. Il avait néanmoins les doigts qui tremblaient un peu. Il prit place aux côtés de Lucy et d'Espéranza, qu'il venait d'identifier grâce à son porte-place. Plongeant les mains sous la table pour cacher sa nervosité, Julian eut envie de demander à ses amies comment elles allaient, mais la présence d'Andrew le rebuta. Il croisa une seconde son regard, et le toisa silencieusement.

Thanksgiving était communément une fête qu’on pouvait qualifier de familiale. Pourquoi la passer avec des étrangers me direz-vous ? Pour Lou la réponse était plutôt simple ; quand Johan lui avait annoncé qu’elle fêterait Thanksgiving avec sa belle famille, autrement dit la famille de Paul, elle avait tout de suite eut envie de se défiler. La seule solution valable (et ce quand votre petit ami n’a pas vraiment de famille et donc que vous ne pouvez pas vous incruster chez lui) c’est de participer au dîner mondain des Turner Smith. Lou pensait avoir eu une brillante idée. Il ne restait plus qu’à la soumettre au dit petit copain. A sa plus grande surprise, Andrew y avait pensé aussi. Si ce n’était un pas signe ! Heureuse d’avoir pu sauver la fête, Lou avait annoncé fièrement qu’elle préférait rester ici pour Thanksgiving. Sa mère avait été obligée de capituler, ne pouvait pas vraiment lutter contre l’argumentation déterminée de sa fille. Partie chez Andrew pour se préparer, Lou avait décidé de se la jouer plutôt sobre et classe. Après tout, les Turner n’étaient pas n’importe qui, elle se devait donc d’avoir un minium de tenue. Aussi, elle fit part de sa bonne résolution à son amoureux, lui demandant de faire un effort. Evidemment, il n’avait pas très bien accueilli la proposition mais avait quand même fait l’effort de mettre une chemise, classique cette fois-ci. Quant à Lou, elle portait une jupe cintrée, façon tailleur, blanche, qui – pour une fois – ne dévoilait pas ses genoux, le tout assorti d’un pull d’un petit gilet noir. Juchée sur ses escarpins noirs d’une bonne dizaine de centimètre de talon (passage obligé de la fille de petite taille), Lou prit la direction de la maison numéro 23 en compagnie d’Andrew.

La demoiselle était toujours émerveillée quand elle s’approchait de cette maison, si gigantesque et qui montrait à tout le monde combien les Turner étaient puissants et riches. A l’intérieur, tout resplendissait de mille feux. Lou s’approcha ensuite des tables saluant au passage les quelques personnes qu’elle connaissait. Ils avaient tous l’air d’être si à l’aise, qu’elle avait presque l’impression d’être une dinde à côté d’eux. Heureusement que la présence d’Andrew la rassurait. Elle avait d’ailleurs prié pour qu’ils se retrouvent à la même table. Alors qu’elle cherchait toujours où se trouvait sa place, Andrew cria subitement qu’ils seraient ensemble. Elle poussa un grand soupir de soulagement. Il la prit dans ses bras comme s’ils avaient gagné au loto. Tout simplement, le fait de savoir qu’ils dîneraient ensemble les rendait heureux. Ils prient donc place vers leur table, où se trouvait déjà la Esperenza Damenez, Lucy et Ginerva. Andrew serait donc bien accompagné ce soir, puisque pour l’instant il n’y avait que des femmes. « Bonsoir tout le monde. » dit-elle simplement, un sourire aux lèvres. Elle s’assit, et d’un coup Julian s’approcha de leur table pour s’y installer. Pas même un regard, pas même un signe d’attention. Rien. Un bref bonsoir comme s’il connaissait à peine les personnes présentes. Comme si Lou était n’importe quel voisin. Piquée au vif dans son orgueil, Lou le toisa un instant, lui-même toisait Andrew. C’était donc ça la raison de son malaise ? Reposant son attention sur son petit ami, Lou ne savait pas quoi faire. Le pire serait qu’un malaise s’installe. « C’est vraiment magnifique. Les Truner ont mis le paquet. » concéda-t-elle à personne en particulier mais en posant son regard successivement sur toutes les personnes attablées.

Dès l'annonce de la fête de Thanksgiving chez les Turner, Ginerva savait qu'elle irait. Ces dernières années, les Wainwright avaient l'habitude de le célébrer dans un autre pays - ce dernier changeait chaque année, dépendant de l'endroit où Satine avait un concert -, ce qui était stupide puisque Thanksgiving ne se célébrait qu'aux États-Unis. Du coup, leur fête de ressemblait nullement à celle des Américains moyens. Cette année, Ginny voulait célébrer Thanksgiving comme les Américains et comme dans sa jeunesse, alors qui de mieux pour l'accompagner que Lucy, qui avait également rarement célébré cette fête avec les bonnes traditions? Cette année, Satine et ses parents seraient en Allemagne et Balthazar ne ferait rien, comme d'habitude. Il ne voulait pas les suivre au dîner des Turner: il préférait "étudier", c'est-à-dire aller chez Alistair faire on-ne-sait-quelles-conneries. Désespérant. Pour la soirée, Wainwright s'habilla de façon plus classe qu'habituellement, une robe tunique. Les robes décontractées étant son habillement quasi-quotidien, porter une robe plus serrée lui faisait une impression étrange, mais la robe qu'elle portait sur le dos était confortable, pas trop courte et n'était pas décolletée jusqu'au nombril. La rouquine se sentait à l'aise dans la robe, c'était le plus important. Et elle était bleu-grise, ce qui mettait en valeur sa jolie chevelure. De très petits talons et un léger maquillage plus tard, elle était prête et attendait sa colocataire à l'entrée. Colocataire qui, comme à son habitude, se préparait à la dernière minute. Sacrée Lucy! Et alors qu'elles allaient partir, Ginny remarqua un léger détail: Roberts avait mis sa jupe à l'envers. En deux secondes, le problème était réglé et elles quittèrent la maison familiale.

La maison des Turner était la plus grande du quartier. Et les propriétaires de la maison étaient à l'image de cette maison: superficielle. Les Wainwright n'étaient pas à plaindre financièrement, mais ils ne le montraient pas à ce point-là! Et puis Holden était un de ces fils à maman que la rouquine ne supportait pas, elle espérait ne pas être coincée dans la même table que lui. À leur entrée, la matriarche les salua et elles répondirent à sa salutation. Au salon, six magnifiques tables étaient dsposées de façon à ne pas se marcher sur les pieds. C'était superficiel, certes, mais magnifique. Alors que Lucy chercha son nom à la table la plus proche, Ginny alla directement à la table la plus éloignée, question de ne pas perdre de temps à chercher sur les mêmes tables. Sa stratégie fonctionna: son nom apparut à la première table qu'elle inspecta. Et Lucy était juste à côté d'elle! La rouquine interpella Roberts qui fut soulagée de cette disposition. avant de regarder les autres noms, Ginny avait remarqué que quelqu'un était déjà présent.

"Bonjour madame Damenez! Vous êtes magnifique ce soir!"

Ginny était une amie de Nina - même si ça ne paraissait pas du tout -, alors elle avait déjà croisé Espéranza une ou deux fois et savait que c'était la mère d'Evane. La rouquine avait toujours trouvé Espéranza resplendissante et charmante, et aujourd'hui ne semblait pas faire exception à la règle. Ginny lui sourit et s'apprêta à s'asseoir lorsqu'elle vit que son carton avec son nom avait changé de place: il était entre Espéranza et Andrew. En voyant le dernier nom, Ginny comprit et lança un regard complice à Lucy. Avec lui, elles allaient avoir bien du plaisir! Elle s'installa sans se préoccuper des autres cartons - la surprise était toujours meilleure lorsqu'on les voyait s'installer - et n'eut pas le temps de se demander quoi dire qu'elle entendit Andrew derrière elle crier son enthousiasme à sa belle. Oh, Lou serait donc à la même table! Excellent, ça faisait un moment qu'elles ne s'étaient pas vues et ce serait l'occasion parfaite de se raconter les dernières nouvelles. Les deux tourtereaux finirent par s'installer - Ginny avait bien vu qu'Andrew avait légèrement bougé sa chaise pour se rapprocher de Lou - et saluèrent les personnes présentes. Ginny répondit à leur salutation et hocha la tête avec un grand sourire pour leur informer qu'elle allait bien - comme d'habitude, en fait. Le seul garçon assis pour l'instant finit par demander qui était la personne manquante, mais personne n'eut le temps de lui répondre que Julian King s'installa à la place libre. Julian! Elle était ravie de le voir - même si lui ne semblait pas trop heureux d'être là - et lui sourit. Ce dernier se contenta d'un bref Bonsoir et... plus rien. Sympathique. De la façon dont Julian regardait Andrew, c'était facile de constater que ce dernier était la raison du silence de King, lui qui pourtant était assis avec deux de ses bonnes amies et une ancienne amie de fac, Lucy. D'ailleurs, Ginny ne put s'empêcher de lui lancer un sourire complice. Une jolie soirée en perspective, si seulement Julian cessait de regarder Andrew de cette façon. Lou finit par briser le petit silence qui avait commencé à s'installer en faisant un commentaire sur le décor.

"En effet! Et je n'imagine pas la nourriture qu'ils vont nous servir, je m'attend à la perfection avec un décor pareil!"

À moins que les Turner aient misé davantage sur la beauté que sur la nourriture, ce qui risquerait d'être décevant. Mais être riche comme Crésus permettait d'être pointilleux sur la nourriture, d'où la fine bouche de la rouquine. Chez les Wainwright, on ne mangeait pas n'importe quoi: que de la qualité. La rouquine regarda tous les invités et ne put s'empêcher de remarquer qu'Andrew ne portait pas sa chemise de bûcheron fétiche. Lou a dû faire beaucoup d'efforts pour que Davies ne la porte pas ce soir, ce qui était très bien.

Peu de temps après leur arrivée, ce fut au tour d'Andrew et Lou de les rejoindre. Ils étaient bien évidemment ravis d'être à la fois à la même table, mais aussi côte à côté ! Andrew prit place à côté de Ginerva - la "rousse sans âme"- mais se garda de se tenir trop près d'elle. Cela amusa grandement Lucy, qui n'avait échangé les places que pour ça... enfin presque. Au moment où Andrew posa la question à propos du dernier invité, Julian fit son apparition. Il était très élégant, elle ne l'avait encore jamais vu habillé de la sorte, et c'était très plaisant à regarder. Elle se sentit rougir rien qu'à ces pensées et arrêta de suite. Elle répondit à son "bonsoir", froid comme de coutume. Elle ne fut pas longue à interpréter les regards que se lançaient Andrew et Julian. Là était donc le problème ! Elle eut de la peine pour Lou, qui était au milieu de cette histoire. En effet, en y repensant, Ginny lui avait déjà parlé de la jalousie d'Andrew envers le jeune King. D'ailleurs cette sacrée Ginny s'amusait à lui sourire de façon exagérée, ce qui était fortement agaçant.

Tout le monde était donc installé, et Esperanza se présenta, avec un sourire chaleureux. Cette femme parut immédiatement sympathique à Lucy qui lui fit un grand sourire, et répondit "Lucy", se doutant qu'elle ne la connaissait pas non plus. Ginny et elles commencèrent à discuter du menu, mais Lucy n'écouta la conversation que distraitement, occupée à regarder la salle, ainsi que les autres invités. Ils étaient tous venus sur leur 31... sauf Andrew bien sûr, qui avait quand même fait un effort. Cela frappait toujours Lucy de voir les moyens que possédaient ses voisins. Ce soir en était la parfaite démonstration, elle se sentait vraiment en décalage à côté d'eux. Ses parents, aux moyens tout à fait convenables, n'avaient cependant jamais été aussi riches, et depuis qu'elle vivait loin d'eux, et surtout depuis qu'ils étaient en froid, ils ne lui envoyaient plus d'argent. Résultat, Lucy faisait figure de pauvresse au milieu de toutes ces personnes. Elle avait fait un effort, bien sûr, et les Wainwright la payaient convenablement, mais elle ne jouait pas dans la même catégorie. Une fois ces réflexions faites, elle reporta son attention sur la tablée. C'est à ce moment qu'Esperanza fit une remarque sur la moyenne d'âge des convives. En effet, elle était la plus agée à cette table, ce que Lucy n'avait même pas remarqué. Elle rit à ses propos et lui sourit pour la rassurer. Cela ne la dérangeait absolument pas, et puis elle avait l'air quand même à l'aise avec eux.

En attendant, l'ambiance restait assez tendue. La preuve, Lucy n'osait pas décrocher un mot. Elle comptait sur Ginny et Esperanza pour cela, car Andrew et Julian semblaient plus occupés à se détester mutuellement. Et Lou, elle, préférait voter en touche. C'était d'ailleurs la première fois que Lucy rencontrait Lou, après en avoir tant entendu parler, elle était ravie de l'avoir à sa table. Elle la trouvait particulièrement jolie, et la façon dont Andrew la regardait la fit sourire. Ils étaient très mignons.

Finalement, Lucy se décida à ouvrir la bouche:

Vous croyez que tout le monde est arrivé ?

Une fois que les deux amoureux eurent trouvé leur table, ils s’installèrent. La madame déjà présente et qui semblait beaucoup plus âgé que les autres se présenta. Elle connaissait déjà Andrew et Lou, sûrement parce que leurs noms étaient indiqués sur la table. Après avoir acquiescé lorsque celle-ci les appela par leurs prénoms, Andrew inspecta la table. Il se rendit subitement compte qu’il était le seul mâle. D’abord heureux d’être le seul représentant masculin attablé, Andrew se prit ensuite un peu peur : et si ses demoiselles décidaient de partir en conjecture sur des sujets auxquelles il n’y connaissait rien comme la mode, les people, ou pire des sujets gênants, genre l’épilation, ou même les garçons. Ainsi, il avait demandé aux filles qui était la dernière personne manquante, espérant avoir une bonne surprise.

Pile au moment où il acheva sa phrase, Julian s’avança vers leur table et prit place. Andrew sentit directement que l’atmosphère venait de se tendre d’un coup. Il n’osait d’ailleurs même pas jeter un coup d’œil à Lou. Comme à son habitude, grand corps malade avait pris sa tête de blasé et de suicidaire dépressif, lançant un bonsoir froid et distant. Il eut de la peine pour sa chérie. Son soit disant meilleur ami ne faisait même pas comme s’il était heureux de la voir. Avec le temps, Andrew était de moins en moins jaloux de la relation que Lou pouvait entretenir avec Julian, il trouvait simplement déplorable la façon dont Lou se faisait traiter par ce mec, alors qu’elle était tout simplement gentille avec lui (et que lui préférait faire joujou dans les cimetières à parler aux fantômes). Toutefois, le sujet était tabou dans leur couple. Les rares fois où Andrew voulait engager la discussion – le plus subtilement du monde – à propos de grand corps malade, Lou trouvait toujours la bonne astuce pour dévier sur autre chose. La coquine, elle abusait de ses charmes et cela marchait à tous les coups. Un silence s’installa que Lou s’employa à briser ; Ginny embraya ensuite, ne laissant pas une chance au mal l’aise de s’installer. Esperenza demanda ensuite ce qu’on allait servir, ce à quoi Andrew haussa les épaules. Puis, elle fit une remarque sur son âge, or Andrew ne pouvait résister au fait de flatter une femme et il savait qu’une remarque bien agréable allait considérablement augmenter son capital gentillesse. « Mais non, je vous donne 20 ans à peine ! » Il lui fit un sourire, et reporta son attention à Lucy qui venait de demander s’il manquait encore des gens. D’après ses comptes, tout le monde était là, du moins à leur table. D’ailleurs le dernier arrivé n’avait toujours pas décroché un mot. Toujours désireux de vouloir faire passer une bonne soirée à tout le monde (mais surtout à Lou parce que voilà kwa), il décida de retenter un élan de sympathie envers Julian. Il lui tendit la main fièrement, pour le saluer. « Bonsoir Julian » Il avait bien vu la façon dont le jeune homme l’avait regardé depuis tout à l’heure, or Andrew n’avait pas envie de ruiner la soirée sous prétexte de quelques histoires débiles. Loin d’être une provocation, le geste d’Andrew était sincère. C’était Thanksgiving après tout.

Ayant l'audace de quitter une seconde le regard d'Andrew, qui se voulait réciproque au sien, Julian croisa l'oeil téméraire de Lou. La jeune fille semblait lui en vouloir, mais pourquoi ? Pour son manque de fanfaronnades ? Ou le fait qu'il ne l'aie à peine regardée ? C'était certainement cette deuxième proposition, refusant d'accepter que Lou puisse espérer de lui un autre comportement. Il avait eu l'air froid, et en était désolé. Mais il n'allait pas oublier ses problèmes pour la soirée. D'autant plus que Julian se sentait forcé de venir, et maintenant forcé d'apparaître sous un meilleur jour. Quelle merdouille.
Heureusement que pour mettre l'ambiance à cette table, il y avait des pipelettes de haut rang. Lou sut parfaitement engager une conversation, même si celle-ci n'était qu'une commodité. Julian s'en ravit, ses voisins l'oublieraient un peu, pendant qu'ils débattaient sur le menu ou la décoration.
Soudainement, Esperanza remarqua qu'elle était la plus âgée des six convives présents. Julian acquiesça en silence ; cela ne le dérangeait pas, mais il imaginait que la femme aurait préféré s'entretenir avec des invités de sa génération. Il semblait que les années d'Espé ne dérangeait personne : Lucy rit un peu, tout à fait à l'aise, et Andrew se permit une légère blague pour exprimer à madame ce qu'il ressentait. Entendre Andrew parler était difficile pour Julian, qui détestait ce type. En plus de le soupçonner d'être un mauvais garçon pour Lou, qui plus est avec la révélation de ses affaires à Londres, l'ancien alcoolique s'était souvent vu jaloux de leur relation. Et cela, Julian ne pouvait le concevoir. Il était hors de question que Lou et lui se détachent pour ses beaux (?) yeux. En repensant à toute cette histoire, le King réalisa que sa volonté de s'éloigner un peu de sa meilleure amie convenait parfaitement aux idées d'Andrew. Enfin, il serait certainement moins jaloux. Alors, juste pour le faire rager un peu, Julian accepta son idée naissante : retrouver sa meilleure amie le temps de cette soirée. D'un, cela rassurera tout le monde de ne pas avoir un type trop silencieux à sa table, et de deux : Andrew montera dans une colère sans nom, sans pouvoir s'en épancher. Idée de génie ? Non, idée de King.
Lucy s'interrogea sur la présence des invités, et ce fut à Julian de répondre.

-Il semblerait que je sois le dernier arrivé, oui.

Il sourit un instant à la jeune fille, étonnant peut-être l'assemblée en même temps. Mais dans son idée grandiose, il fallait être relativement ouvert avec les gens. Évidemment, il ne s'imaginait pas à blaguer de tout et de rien, cela ne lui ressemblait pas. Juste d'être agréable, un semblant bavard, et très proche de Lou, et des gens qu'il connaissait. Soit Ginerva, avec laquelle il n'avait pas discuté depuis les lustres, et Lucy. C'était sans dire que la maman du groupe allait aussi recevoir des politesses de la part de Julian : hors de question de passer pour un discourtois. Seul Andrew était un peu à part dans sa réflexion, car c'était le seul auquel il ne pouvait manquer de respect, mais en même temps, comment éviter de passer pour un hypocrite ?
Justement, le jeune homme fit le premier pas vers lui, se redressant un peu pour lui tendre la main. Il le salua, et Julian s'obligea à serrer la paume qu'on lui tendait. C'était l'occasion de montrer aux gens qu'il s'était remis en question sur son arrivée pour le moins... silencieuse. Il eut cependant du mal à sourire ; son rictus eut du mal à apparaître sur son visage. Il ne fallait pas trop lui en demander non plus.
Se décidant à engager la conversation avec quelqu'un, ou peut-être avec tout le monde, Julian considéra sa tablée et ses voisines, surtout. Il n'avait aucune idée du sujet à aborder pour ne fâcher personne. Cherchant donc son thème en silence, Julian remarqua l'absence de Mrs Turner dans la salle. Il l'avait bien vue lors des présentations, mais se rappelait ne pas avoir croisé son nom sur les faire-parts. Il décida d'en faire la confidence à sa table. C'était un sujet idéal : personne ne semblait avoir de lien avec la dame de maison, et cela n'impliquait qu'un constat.

-Les Turner organisent ce Thanksgiving mais Mrs Turner ne semble pourtant pas dîner avec nous. Je trouve que c'est plutôt étrange.

Julian n'avait pas parlé sur un ton curieux, ou suspect. Il s'était permis de constater son absence, et sans le moindre sous-entendu. Tout le quartier savait comme Mrs Turner était quelqu'un de sérieux, d'important, et de respecté. Mais finalement, lui, ne savait rien de sa vie. Alors il était normal de se poser la question. Si elle ne comptait pas dîner avec ses invités, peut-être avait-elle pensé réunir le quartier autour d'Holden ? C'était son fils chéri, après tout.
Julian sourit à ses voisins pour les inviter à rebondir sur sa remarque. Il nota alors que son changement soudain de comportement pouvait apparaître comme étrange. Ce n'était pas faux, mais bon. Qu'on se le dise, Julian a décidé de passer un joyeuse fête des moissons, c'est tout. (a)

Lou était mal à l’aise finalement. Elle avait d’abord vu cette soirée d’un œil bienveillant, mais maintenant elle commençait clairement à paniquer. Toutes les soirées finissaient mal, en général par une bastion que les hormones masculines déclenchaient. Or Lou ne supportait pas l’espèce de tension/malaise qui s’était installée dès que Julian avait posé ses fesses sur sa chaise. Elle avait donc lancé la réplique la plus banale du monde en faisant une réflexion sur le décor. Ginny avait répondu, et peu à peu une conversation s’installait entre les personnes attablées. Seul Julian se mettait à part, comme d’habitude. Lou ne comprenait pas pourquoi il était venu si c’était pour ne pas participer, ou faire semblant de participer. Quand Esperenza demande ce qu’on allait servir, Lou regarda les autres convives qui s’attendaient apparemment à tout sauf les trucs habituels. Personne ne parla de d'airelle ou de jus de canneberge. Lou ne savait pas non plus, mais elle aurait bien donné quelques bières à ses voisins de table pour rendre l’ambiance plus joyeuse. Malheureusement il ne leur était même pas encore servi un apéritif. D’ailleurs Esperenza fit une remarque légère sur son âge à laquelle Andrew ne put que répondre par une blague. Au moins lui semblait détendu. Elle lui lança un regard, heureuse de se rappeler qu’il se trouvait près d’elle. Lucy qui s’était faite presque aussi discrète que Julian jusqu’à présent demanda ensuite si tout le monde était arrivé. Lou hocha la tête en signe affirmatif mais Julian (oui Julian) prit la parole. Andrew décida ensuite de lui serrer la main : un gage de paix ? Lou n’en croyait pas ses yeux, surtout quand son meilleur ami lui tendit sa main. Mon dieu, ces deux-là pouvaient donc faire un effort de temps en temps ? Lou pouvait donc être reconnaissante pour ça.

Julian semblait donc plus enclin à faire la conversation puisque lui aussi se lançait dans les banalités. A ce train-là il pourra bientôt débattre des patates douces et autres choses typiques de Thanksgiving. Heureuse que Julian semble enfin moins nerveux, Lou sauta sur l’occasion quand il prit la parole. Souriante, elle lui répondit : « Elle nous réserve peut-être une surprise un peu plus tard pendant le dîner. Connaissant les Turner ça ne m’étonnerait pas. » sous entendu les Turner se kiffaient, et kiffaient surtout montrer aux autres qu’ils avaient de la thune. Heureusement que la plupart de la population vivant dans le quartier n’avait pas de souci d’argent, parce que l’opulence des Turner pouvait en agacer plus d’un. Lou jeta un coup d’œil à son assiette, elle venait tout juste de constater ses couverts en argent. Quand elle disait qu’ils avaient mis le paquet ! Elle prit sa fourchette sa petite cuillère dans sa main et ne résista pas à se regarder dedans (oui Lou est un peu superficielle et alors ?). Quand elle se rendit compte complètement ridicule de son attitude, elle reposa fissa sa culière espérant que personne n’avait remarqué ce petit geste (a).

La conversation que Lou avait amorcé pour éviter de créer un malaise allait relativement bon train: Espéranza répondit à la rouquine et demanda quel genre de repas on devait s'attendre. Tout le monde haussa les épaules, s'imaginant probablement à un repas n'ayant aucun rapport avec Thanksgiving. Si c'était le cas, Ginny allait être déçue: c'était justement pour ça qu'elle avait acceptée cette invitation. Et puis on était chez les Turner, famille ancestrale dont les traditions devaient être bien ancrées dans la famille.

"J'imagine que ça sera le repas traditionnel de Thanksgiving... enfin, je l'espère bien!"

Puis, Espéranza parla de son âge, supérieur à celui des autres invités. Ginny avait adopté la réaction de Lucy: sourire gentiment. Non pas que ça la rendait mal à l'aise, mais elle préférait s'abstenir de tout commentaire au cas où madame Damenez le prendrait mal. Andrew, lui, ne s'était pas gêné pour la complimenter exagérément, ce qui fit bien rire Wainwright. Sacré Andrew! Au moins, il était là pour alléger l'atmosphère, car malgré l'apparence de calme tout le monde semblait assez mal à l'aise. Et tout le monde connaissait l'origine de ce malaise, sans néanmoins le nommer: Julian. Mais étrangement, ce dernier avait changé d'attitude, notamment en répondant à Lucy et en lui souriant. Ginny avait des doutes sur les sentiments de sa colocataire vis-à-vis de Julian, mais préférait attendre que Lucy se décide à lui annoncer. En les regardant assis côte à côte, elle les trouva mignon ensemble. Un peu comme Andrew et Lou. Sauf qu'Andrew et Lou avaient une très belle complicité et semblaient vraiment s'aimer: le couple parfait. Le clown de la table fit ensuite un geste assez étonnant, car inattendu: tendre la main vers King d'un geste purement amical. Wow! Si le fils King faisait de même, la soirée risquait d'être moins malaisante pour tout le monde, ce qui serait bien. Et Julian finit par serrer la main d'Andrew. En voyant ce geste, un sourire apparut sur le visage de Ginny et se détendit. La soirée s'annonçait de plus en plus belle! Finalement, Julian se décida à lancer une conversation de sa propre initiative. À ce stade-ci, ça en devenait limite louche, mais Ginny en éternelle optimiste ne s'en inquiéta pas outre mesure et écouta ce qu'avaient à dire King et Huntington. Le fait de ne pas voir madame Turner ne surprenait pas du tout Wainwright, un peu habituée à ces soupers mondains: l'hôte devait bien se faire désirer.

"Personnellement, je ne crois pas que Mrs Turner fasse son apparition. Holden est là pour représenter la famille, pour eux c'est bien suffisant."

Les gens mondains étaient toujours occupés ailleurs, même lors de soupers prévus dans leur propre maison; les employés étaient là pour combler le vide de l'hôtesse. Bien que la voir personnellement aurait été très bien.

L'atmosphère à la table commençait à se détendre, pour le plus grand plaisir de Lucy. Trop de stress la ferait transpirer des airelles... oups, aisselles, et ce serait une catastrophe ! Andrew et Julian semblaient avoir décider de faire une trêve, et elle leur en était reconnaissante. La discussion s'engagea sur Madame Turner: pourquoi n'était elle pas présente ? Lucy espérait qu'elle apparaitrait avant la fin du repas. C'était assez gênant de manger chez quelqu'un qui était absent. Mais elle ne s'y attarda pas outre mesure, et porta son attention sur les couverts en argent. Elle prit la fourchette dans sa main et la regarda d'un peu plus près. Elle était quasiment certaine que le prix de cette fourchette revenait au loyer de son ancien appartement.

Par ailleurs, le menu était, à la table 6, au coeur de toutes les pensées des convives. Oui, Thanksgiving est bien sûr une fête traditionnelle, mais c'est surtout l'occasion de se régaler ! Lucy n'imaginait pas un instant que les Turner puissent leur servir autre chose que les mets habituels, et si succulents ! Mais ils le découvriraient bien à temps. Comme dit le dicton, "le semer et la moisson ont leur temps et leur saison" ! Pourquoi s'en soucier maintenant ? Il suffisait d'attendre patiemment et de profiter du moment présent.

Madame Damenez prit la bouteille de vin posée au centre de la table, et en proposa aux plus de 21 ans avec humour. Lucy savait que ce n'était pas le cas de la plupart des convives et sourit, amusée. Elle prit son verre avec précaution, et le tendit.

J'en veux bien, s'il vous plaît.... J'ai 22 ans, voulez vous voir ma carte d'identité ?

Elle plaisantait, et savait bien que la femme à qui elle s'adressait plaisantait aussi. D'ailleurs, Lucy n'avait même pas pris avec elle ses papiers, ayant préféré les laisser en sureté dans sa chambre. Après tout, elle n'habitait qu'à quelques mètres de là, et ne voyait pas quel intérêt elle aurait eu à les prendre. Elle regarda autour d'elle pour voir qui souhaitait prendre du vin, et avisa Ginny qui portait la main à son verre.

N'y pense même pas Ginny, ou je le dis à ta mère ! lui dit elle en riant.

Lucy aimait bien rappeler à son amie qu'elle était plus âgée qu'elle. Evidemment, Madame Wainwright n'en saurait rien. Et de toute façon, elle était beaucoup plus laxiste avec la cadette qu'avec l'aînée, et cela, Ginny le savait très bien.

Oui, il s'était levé pour serrer la main de son ennemi. Oui, il agissait ainsi en partie pour Lou, et dans d'autres circonstances il n'aurait probablement pas fait un tel effort. Mais il était le meilleur ami de la jeune fille, et Andrew osait croire que leur entente pouvait devenir correcte, à défaut d'être cordiale. En tout cas, le jeune homme ne méritait pas forcément que Andrew l'attaque avec ses couverts, le repas, ou pire, ses yeux rayons laser (vous ne le saviez pas hein !)

Cependant, il jugea fort suspect que Julian prenne la parole, pour une phrase aussi longue qui plus est. Il compta 21 mots, mais cacha bien sa surprise. Il jeta un regard à sa petite amie, elle souriait, ravie que son ami soit d'humeur bavard. Andrew se contenta de hausser les épaules, il n'avait rien à dire sur cette femme. Il s'entendait bien avec Holden, mais le trouvait vraiment louche parfois, excentrique. Et il ne fallait pas oublier que son meilleur ami n'était autre que Adrian Connard O'Conell. Ça en disait long ... Quand Esperanza s'exprima à son tour, il s'autorisa une petite boutade, espérant qu'elle ne se vexe pas. Il se demanda alors si Julian ne lui en tiendrait pas rigueur, de réagir quand Esperanza parlait, mais pas quand Julian lui-même prenait la parole. En tout cas, il se promit de réagir la prochaine fois que Julian ouvrait la bouche. Même si ça ne risquait pas d'être avant trèèèès longtemps, le jeune homme avait d'ailleurs probablement utilisé son quota de mots prévus pour la soirée. Perdu dans ses pensées sur Julian et ses suppositions sur le nombre de mots qu'il s'autorisait à prononcer en public, il fut brutalement ramené à la réalité par Esperanza, qui le regardait en tendant la bouteille de vin vers son verre. « Non ! » Surpris et paniqué, il se pencha en avant pour mettre sa main au dessus de son verre, comme si la moindre goutte qui y tombait serait synonyme de débandade totale. Mais la jeune femme avait déjà penché la bouteille, pensant probablement que Andrew était en âge d'en boire, et quelques gouttes tombèrent sur sa main. Ce n'était pas de l'acide sulfurique, pourtant le jeune homme eut l'impression que le liquide lui brûlait la peau. Vite, il fit un geste en arrière, attrapa sa serviette et frotta fort sur sa main, comme si le vin s'y était déjà incrusté. Quand il releva les yeux, tout le monde le dévisageait plus ou moins. Il choisit de simplement se justifier auprès d'Esperanza. « Je suis allergique au vin. » Au dernier moment, il changea sa phrase. Au début, il avait voulu être honnête, expliquer qu'il avait eu des problèmes d'alcool et qu'il n'en buvait plus une goutte aujourd'hui, sous peine de crise totale. En témoigne le bal de promo 2011. Mais il joua la carte de la lâcheté, cette fois-ci. Pour oublier cet incident, il choisit de faire le serveur à son tour, et attrapa le plat de toasts qui se trouvait au centre de la table, pour le tendre à chacun un à un. « Vous en voulez ? » Depuis tout à l'heure, il évitait délibérément le regard de Lou, trop honteux. Ils ne parlaient jamais ni de sa cure, ni de sa rechute au bal, qui l'avait poussé à lui voler un baiser, et avait dégradé leur relation durant de longs mois.

A sa remarque, Lucy et Lou débattirent de l'arrivée surprise ou non de Mrs Turner en fin de soirée. Julian ne souhaitait pas partager ses hypothèses, mais elles allaient certainement plus dans le sens de sa meilleure amie. Pour lui, si la dame n'était pas présente en début de dîner, elle ne le serait pas non plus la nuit tombée.
L'aînée de la tablée décida de servir le vin. Elle joua de ses talents de comique pour amuser la galerie, ce à quoi Lucy fut cliente. La petite brune jura alors de révéler aux Wainwright toute le détail de la consommation d'alcool de leur fille. Bien évidemment, ceci était dit sur le ton de la plaisanterie.
Cependant, quand Espéranza survola les verres avec la bouteille de vin, elle s'arrêta au dessus de celui d'Andrew. Le jeune homme réagit alors brusquement, criant qu'il ne souhaitait pas boire, en dépit de sa majorité. Tous les regards se tournèrent vers lui, qui avait littéralement recouvert son verre de ses mains. Quelques gouttes de rouge atterrirent malgré lui sur sa peau, et il essuya aussitôt l'élixir d'un geste vigoureux. En guise de réponse aux airs surpris des convives, Andrew simula une allergie au vin totalement grotesque. Julian savait parfaitement de quels déboires avec l'alcool Andrew était victime. Il en avait entendu parler une fois par Lou, lorsqu'elle avait découvert le passé de son petit ami. Pour autant, en dépit de la méfiance qu'avait le King vis-à-vis de Davies, il eut un instant pitié de lui. Il n'avait jamais été alcoolique lui-même, mais il connaissait bien les effets de ces breuvages, et regrettait d'y avoir parfois trop touché. Alors, cherchant à soutenir d'une façon indirecte le garçon, et aussi parce que Julian n'avait plus l'habitude de boire, le King refusa à son tour le vin.
Il accepta pourtant sans hésitation les canapés que Andrew eut l'idée de faire tourner. Sans nul doute pour détourner l'attention de sa petite personne, mais qu'importait. Le blini choisi par Julian était encore tiède, et la chaleur eut comme conséquence de grandir son appétit. Quelques misérables amuses-bouche ne combleraient pas cet estomac impatient. Il lui faudrait plusieurs tartes à la citrouille, ou quelques centaines de marrons pour venir à bout de cet ogre.
Il dégusta la bouchée salée, tout à fait scandinave, blini et saumon fumé accompagné d'un brin d'aneth. C'était frais, délicieux, mais tellement riquiqui. Julian manqua de se resservir sitôt avoir dégluti, mais il réalisa que c'aurait été très impoli de sa part. Frustré, il s'obligea à garder les mains contre la table encore quelques minutes. De toute façon, il se rassasierait certainement plus tard. Ce n'était pas la commémoration de l'arrivée des Pèlerins pour rien ! Il fallait bien célébrer cette date historique d'une façon ou d'une autre. Et si c'était avec une crise de fois pour la Black Friday et bien, telle était la vie. Julian n'était pas un fin cordon-bleu, et Daren non plus. Joy ne passait pas sa vie aux fourneaux plus qu'eux. Donc c'était assez courant que les King mangent des plats rapides, surgelés, en rien mitonnés avec amour plus de dix minutes. Alors profiter d'un dîner si chic, si fin, quelle aubaine !

-C'est vraiment très bon ; belle annonce pour la suite du repas, avoua Julian.

Il évita de sourire autant que son palais le lui commandait, mais il s'avoua déjà heureux d'avoir eu quelque chose à dire. D'une part parce qu'il avait changé la conversation, définitivement, arraché les doutes aux esprits quant à la réaction d'Andrew, mais aussi parce qu'il était ravi d'en être capable. Peut-être, suite à cette soirée chez les Turner, ses voisins de table auront un autre regard sur lui. Oui il pouvait être violent, secret, isolé. Mais il savait toujours parler, et pouvait même se forcer à vivre en collectivité. C'était dur, mais Julian ne doutait pas sur ses aptitudes. Il n'avait certes jamais apprécié être entouré, et surtout par des inconnus, mais il avait également toujours fait avec. L'école, le collège, le lycée, la faculté. Certaines soirées peu enchanteresses, et maintenant, Thanksgiving.

La réaction intempestive, et étrange, d'Andrew n'était évidemment pas passée inaperçue. Lucy fut mal à l'aise pour le jeune homme qui prétexta une soi disante allergie au vin. Dans la panique, il s'était mis à frotter les quelques gouttes du liquide avec vigueur, comme s'il s'agissait d'acide sulfurique. Lucy avait bien entendu parler de ses petits soucis d'alcool, et sa réaction en était la preuve. Un malaise s'installa à la table numéro 6, vite rompu par le plat de petits fours que l'on fit tourner, à la plus grande joie de Lucy qui craignait que son estomac ne se mette à protester. Elle attrapa un petit friand à la tomate et l'engloutit d'une bouchée. Hm, un délice ! Et apparemment, tout le monde était de son avis ! Elle pouvait voir la satisfaction s'afficher sur le visage de chacun, en plus du soulagement pour Davies. Le plat fit rapidement un second tour, elle prit cette fois la tartelette à la citrouille recommandée par Esperanza.

Pour faire passer tout cela, elle décida de boire une gorgée de vin. Erreur fatale. A peine le liquide entra dans sa bouche, qu'elle s'étouffa. La gorgée de vin avait visiblement emprunté le mauvais chemin. Elle porta la main à sa bouche et fut prise d'une quinte de toux. Dieu merci, elle avait eut le temps d'avaler ce qu'elle avait dans la bouche. Ginny, en face d'elle, n'eut pas la chance de se voir aspergée de vin. Comme toute personne qui s'étouffe qui se respecte, Lucy devint rouge et suffoca. Elle repoussa sa chaise et se leva, cherchant à reprendre son souffle. Elle partit dans le vestibule le temps que sa toux se calme, sous le regard effaré des autres.

Quelques minutes plus tard, la crise était passée. La question maintenant était de savoir comment revenir de façon discrète à la table numéro six. Elle ne savait pas si elle devait rire de sa situation ou juste en avoir honte. Pour le moment, la honte l'emportait. Elle ne se voyait pas retraverser la salle devant tout le monde après sa sortie théâtrale de tout à l'heure. Elle épousseta sa jupe, se racla la gorge pour s'assurer que tout était rentré dans l'ordre, et prit son courage à deux mains: elle retourna vers sa table, les yeux rivés au sol, priant pour ne pas se faire remarquer.

Elle se rassit entre Julian et Lou, un sourire gêné aux lèvres, et les joues légèrement rosies. La conversation avait pris un tour différent, elle essaya de rattraper son train de retard. Elle prit son verre de vin et le poussa un peu loin, comme si le coupable pouvait lui sauter à la gorge. Elle leva les yeux vers Ginny qui la fixait et eut soudain très envie de rire. Mais non, elle s'était déjà assez faite remarquer pour la soirée.

Alors, vous parliez de quoi ?

Tout doucement, la soirée prenait un tour agréable. Chacun y mettait du sien pour que le dîner se passe bien. Andrew et Julian avaient en quelque sorte signer un traité de paix tacite qui ne pouvait que ravir Lou. Ainsi, elle était devenue particulièrement de bonne humeur. Après avoir prospecté sur la venue de Mme Turner, les convives avaient décidé de commencer à manger. Ou du moins à boire. Esperenza proposa aux gens attablés un verre de vin. Elle allait en servir à Andrew quand celui-ci s’écria qu’il n’en voulait pas. Subitement un nouveau malaise s’installa à la sixième table. Lou regardait la scène mortifiée. Elle n’avait pas du tout pensé que le « petit problème » d’Andrew pouvait intervenir si souvent dans leur vie quotidienne. Enfin, c’était souvent lorsqu’ils étaient en société, bizarrement l’alcool faisait partie de la vie de tous les jours. Or comme Lou et Andrew n’avaient jamais vraiment abordé ce sujet, la jeune femme ne savait pas comment gérer cela. En général elle ne buvait pas, car elle pouvait s’en passer et surtout ne voulait pas créer de malaise ; comme c’était le cas maintenant. Une goutte de vin était venue se poser délicatement sur la main du warrior et comme si cela l’avait brûlé il s’était essuyé violemment. Tout le monde l’observait du coin de l’œil, mais heureusement personne n’était assez cruel pour oser dire quelque chose à ce sujet. Quant à Lou, elle restait tout simplement sans voix, ne sachant pas quoi faire. Alors, elle refusa le verre de vin d’un signe de tête quand la jeune maman d’Evane lui proposa. Andrew prétexta ensuite être allergique au vin histoire de se justifier. Lou était mal pour lui, tout le monde savait bien qu’il avait des problèmes d’alcool, mais qu’il tente de se justifier était humain. Il fit ensuite passer le plat de petit four auxquels Lou ne toucha pas. Elle était devenue d’un coup un peu barbouillée. Esperenza s’excusa ensuite, et Lou se sentit une nouvelle fois mal à l’aise. Elle glissa une de ses mains sous la table et la posa sur le genou de son amoureux, signe désespéré et le plus subtil qu’elle ait trouvé pour lui dire qu’il n’était pas seul dans cette histoire.

L’histoire se tassa surtout quand Lucy commença à tousser… et ne s’arrêta plus, jusqu’à quitter la table. Lou jeta un œil aux autres qui – comme elle – était totalement impuissants puisqu’elle venait simplement d’avaler de travers. Lou qui depuis tout à l’heure était restée étonnamment muette ne put s’empêcher de commenter la sortie de table de la jeune femme. « Eh bien, j’espère qu’elle va rester parmi nous quand même. » elle fit un petit sourire aux autres convives. Heureusement quelques minutes plus tard la jolie brune refit son apparition. Elle semblait gênée de sa petite mésaventure. « De rien, on se demandait simplement si tu allais survivre. » peut-être que Lou n’aurait pas du se permettre cette petite taquinerie car elle ne connaissait pas du tout Lucy, mais trop tard c’était sorti avant qu’elle ait pu vraiment réfléchir. « Je peux avoir le plateau de petits four s’il vous plaît ? » demanda-t-elle ensuite préférant passer à autre chose avant de dire une nouvelle bêtise.

La véritable action commença dès que l'alcool apparut dans le décor. Espéranza en proposa sur le ton de la rigolade et Lucy avertit Ginerva de ne pas en prendre, ou elle la trahirait pour aller tout raconter à sa mère. La rouquine explosa de rire. Si Lucy était sérieuse dans ses paroles - chose qu'elle doutait fortement - et le racontait à maman Wainwright, celle-ci se contenterait de regarder Lucy quelques instants, de hausser les épaules et de se concentrer sur Satine qui se pratique à ses côtés. Bref, la Roberts frapperait un mur.

"J'aimerais bien te voir lui en parler, tiens!"

Lorsque madame Damenez approcha sa bouteille de vin près du verre de la rouquine, celle-ci hocha la tête en souriant à Espéranza, signe qu'elle voulait du vin. Niveau alcool, Ginerva était modérée, elle n'en prenait que lors de rares occasions et elle trouvait que cette occasion-ci y portait bien. Les gens étaient intéressants, la nourriture semblait délicieuse, le décor était magnifique... Perdue dans ses pensées, Ginny remarqua à peine le désastre qui arrivait et sursauta lorsqu'Andrew cria "non!" en interceptant une goutte de vin et en l'essuyant vigoureusement. Lorsqu'ils s'étaient rencontrés dans les rues près de l'université, ils avaient discuté du problème d'alcool que le brun devait affronter quotidiennement. Elle le trouvait très courageux d'affronter ainsi ses problèmes, mais l'excuse étrange qu'il venait de raconter pour expliquer son comportement... on était loin du courage. N'empêche que Ginny appréciait les pitreries d'Andrew et lui sourit, signe qu'elle le comprenait. Elle voulait également l'empêcher de se sentir aussi mal à l'aise. Mais la nourriture s'en occupa: excellente diversion à laquelle tout le monde prit part avec joie. Ça faisait un petit moment qu'ils étaient installés et la faim commençait à se ressentir. Ginerva prit une petite bouchée qu'elle dégusta. Dans les soirées mondaines organisées en l'honneur de sa soeur, il y avait toujours plusieurs petites bouchées au lieu de repas consistants. Le truc pour ne pas mourir de faim était donc de les manger tranquillement, en papotant et en entrecoupant les bouchées de vin. Lucy semblait connaître ce truc - ou pas. Elle devait avoir pris une trop grosse gorgée de vin et était maintenant en train de s'étouffer. Ginny se retint pour ne pas rire du visage cramoisi de sa voisine d'en face, mais trouva la situation moins hilarante lorsque sa colocataire dut se lever pour essayer de retrouver son souffle tranquille. Par réflexe, Ginny se leva mais se retint de la suivre. Elle ne l'aiderait en rien. Lorsque la rouquine vit Lucy revenir, elle s'assied et prit une autre bouchée de son petit encas. En s'asseyant, Robert et Wainwright s'échangèrent un regard et se durent toutes deux se retenir d'exploser de rire. La situation ne le permettait pas et ça semblerait étrange qu'elles partent à rire pour absolument aucune raison. Un second tour de t'able s'amorça pour les petite bouchées, mais Ginny n'en prit pas. Pas tout de suite, en tout cas. Elle n'avait même pas terminé sa première! Et ignorant l'heure du repas, elle préférait ne pas prendre de chance et continuer de manger calmement.

"Ça manque un peu de musique, vous ne trouvez pas?"

C'était bien beau de manger des encas et discuter de sujets vides, mais mettre de la musique éviterait des moments vides comme celui-là, où les gens avaient la bouche trop pleine pour combler le vide. Et puis même s'il y avait de la musique installée pour l'occasion, elle ne l'entendait pas, leur table étant la plus éloignée. La rouquine sortit de son sac à main son cellulaire et regarda rapidement les différents styles de musique disponibles qui iraient bien avec l'ambiance. Étant une Wainwright, son cellulaire était rempli de musique classique.

"Aloooors... Vous préférez de la musique douce ou quelque chose de moins coincé?"

Musique moins coincée = musique récente "écoutable" = Adele. Une des seules chanteuses de l'époque à avoir une voix qui se respecte et une musique enjôleuse. Évidemment, lorsque Ginny va dans les bars, elle écoute la musique qu'il y a là-bas et danse dessus. Mais elle ne danserait certainement pas ce soir!

Les conversations vont de bons trains, les habitants font connaissances entre eux autour d'une bonne dinde et de l'alcool. Tout d'un coup une musique angoissante démarre faisant taire tout le monde. La musique se fait moins forte alors que la voix d'un petit garçon s'élève par dessus où l'on peut ressentir sa peur et sa non-assurance.

- Bonsoir à tous mes petits chéris ! Avouez que je vous ai manqué non ? Et je ne pouvais pas ne pas faire de cadeaux pour Thanksgiving alors que c'est une occasion de faire la paix n'est ce pas ?
Enfin c'est ce que doivent penser les 6 menteurs assis parmi vous, les 2 fous qui devraient consulter, les 4 témoins peut être qui ont vu les 3 meurtriers et le criminel....Ne parlons même pas du complice !
Attention aussi à ceux qui ont quelques choses à cacher...ils sont 7 petits cachottiers !
Happy Thansgiving mes chéris ! Et comme dirait ma nouvelle amie : Je sais que vous m'aimez !


L'enfant se tut et la musique repart plus fort pour la laisser se terminer sur un cri.

Andrew aurait souhaité disparaitre six pieds sous terre, tant il avait honte. Tout le monde était au courant de son problème d'alcool, en puissance. Mais ils ne l'avaient jamais vu en acte, et Andrew leur en donna un aperçu fort peu glorifiant. Gêné, il gardait les yeux fixés sur son assiette, comme si elle allait se remplir toute seule, qu'il pourrait tout dévorer en 3 secondes chrono avant de s'enfuir se cacher chez lui. Il ne ressortirait jamais de chez lui, ferait un peu d'agriculture dans son jardin pour substiter - tomates, pommes de terre, rutabagas ... - et irait à la pêche la nuit quand tout le monde dormirait. Mais, comme un signe du ciel, Lucy s'ettoufa alors, évènement qui eut le chic de détourner l'attention de la table. Andrew poussa un léger soupir de soulagement, et regarda la jeune fille. Elle était toute rouge, voire mal en point, certes, mais elle lui sauvait la vie, et Andrew se promit de dire une action de grâce à son sujet. Un jour. Heureusement, elle ne s'absenta pas longtemps et fut rapidement de retour parmi eux, Andrew lui lança un petit regard, rempli de compassion, à la fois désolé et reconnaissant.

Mais les convives qui l'entouraient n'étaient pas enclin à s'attarder sur des sujets si peu importants durant des siècles. Bien vite, ils se reconcentrèrent sur les petits fours, et Andrew attrapa une tarte quand le plat passa sous son nez. Il en regarda le contenu, intrigué, des morceaux de noix de pécan sur une sorte de purée. Etrange. Warrior, il osa goûter, mais cela ne lui plut vraiment pas. Il fit une grimace, puis avala sa bouchée d'un coup avant de la faire passer avec de l'eau. Il faillit reprendre un petit four - au diable les convenances - pour oublier cette tartelette ratée, mais le plat principal apparut dans leurs assiettes comme par magie. Ginny en profita alors pour mettre un peu de musique. « Si tu mets de la musique alors tu te dois de chanter ! » dit-il, surtout par principe. Il restait silencieux depuis le début du repas, et ne voulait pas conccurencer Julian dans ce domaine. Mais ils n'eurent pas le loisir de continuer cette conversation, puisqu'une musique étrange se fit entendre, suivie par la voix d'un petit garçon. Ce message le surprit à peine. Ce n'était un secret pour personne que le meurtrier d'Alicia devait toujours être dans le quartier, tout comme ce fou qui avait agressé Lou à la fête des Hamilton. Quand le petit garçon se tut, Andrew soupira, il s'apprêtait à sortir une blague de mauvais goût, pour détendre l'atmosphère. Mais un cri strident se fit ressentir, et là, il dut le reconnaître, le jeune homme ne fut pas rassuré. Il regarda les tables qui les entouraient, tout le monde semblait en bonne santé. « Blague ridicule peut-être, mais c'était quoi ce cri ? » Histoire de ne pas passer pour le garçon flippé de service, il prit ses couverts, l'air de rien. « Bref, nous ferions mieux de manger je pense, bon appétit ! » Et il attaqua sa pièce de dinde.

Le monde en pleine révolution. Le sentir tourner, inlassablement. C'était cela qui provoquait tant de colère chez Julian. Alors qu'il était dévoré par le chagrin, par la haine, les remords, tous autour de lui vivaient en paix. Leurs futilités avaient le don de mettre le King dans une rage inavouable. Tiens qu'on rigole autour des petits fours, qu'on se fait des blagues inutiles. Décidément, Julian n'avait pas la tête à la fête, ce soir. Mais il se trouvait dans l'obligation de paraître un minimum heureux. Eviter de plomber l'ambiance serait une chose incroyable, mais aussi nécessaire pour ne pas s'attirer le mauvais sort. Si Daren prenait connaissance de son humeur désastreuse, alors il lui ferait le sermon du siècle. Et ce n'était absolument pas un des cadeaux de Noël commandés par le jeune homme.
Alors, se contentant de sourire aux bêtises et aux situations qui se déroulaient devant lui, sans trouver cependant quelque chose à dire, Julian s'efforçait d'envoyer des ondes positives. Si seulement ses proches convives ne pouvaient pas ressentir toute l'hypocrisie qui l'envahissait. C'était une horrible contradiction. Autant il appréciait les personnes qui l'entouraient, autant il les haïssait au plus profond de lui. Heureusement qu'en surface, ses doutes étaient invisibles. Il n'avait pas l'air différent de d'habitude. Ce visage lisse, observateur, inquisiteur. Tantôt un sourire, tantôt rien du tout.
Le plat principal fut disposé sur leurs assiettes vides, et Julian adora les odeurs qui se glissaient jusqu'à son nez. La dinde lui semblait savoureuse à souhait, et il remercia silencieusement le bon dieu de lui offrir un goûteux repas. Son action de grâce pouvait paraître ironique, et elle l'était. A défaut de passer son soir de Thanksgiving à bûcher pour rendre une thèse présentable, il était forcé à manger un poulet et quelques patates douces en bonne compagnie. Pour certains, le choix aurait vite été fait, mais Julian aurait réellement préféré se plonger dans ses cours et ses études. Merci Papa !
Il trouva l'idée de Ginerva déplacée, et la réponse d'Andrew plus encore. Le revoilà à faire le pitre. Julian haussa un sourcil discrètement ; il trouvait réellement la situation pathétique. Dans sa famille, on avait toujours respecté les repas. Du temps d'Alicia, au moins. Hors de question alors de concilier musique et dîner. Mais cela ne semblait pas être une évidence dans tous les foyers. Après tout, les Wainwright étaient tous mélomanes, alors ce n'était pas si étrange de les imaginer attablés avec une douce sonate en musique de fond. Quant à Andrew, il devait certainement fredonner des chansons paillardes. Avec son goût pour la boisson, cela lui ressemblait bien plus.
Une note retentit, suivit d'une seconde. La mélodie s'accordant, thème de thriller, Julian regarda Ginny avec un œil gêné. Mais elle semblait tout aussi étonnée que les autres, et Julian comprit. Il en fallut peu pour que le rythme s'allongeant, toujours plus inquiétant, une voix de petit garçon prenne le dessus. La farce ne semblait pas au goût des invités de sa table, ni de la pièce entière. En trouvant l'air dérangé d'Holden, Julian réalisa enfin qui était derrière cette étrange surprise. Dirty-Secret.
La voix aiguë intriguait Julian. Il faisait attention à chaque mot prononcé. L'anonyme derrière son écran avait toujours été une menace, et une source d'information relativement fiable. Depuis ses débuts, ou presque, Julian lisait les articles. Au départ uniquement pour trouver des indices sur l'assassin de sa mère, et maintenant pour en savoir plus. A l'annonce du gamin, le King se concentra pour compter les individus concernés. Six plus deux plus quatre... Vingt-quatre personnes en tout. Sur trente-six ? Tant mieux, cela laissait du flou pour les curieux. De toute façon, personne n'ouvrirait jamais sa boîte de Pandore. Tous ses beaux et pires secrets resteraient confinés dans leur écrin. Hors de question de risquer sa vie pour satisfaire les curiosités de quelques malins. Même si Julian le savait : cela aurait pu le soulager d'un poids tellement grand. Un regard fut jeté à travers les tables, pour trouver Scarlett. En voilà une qui le perturbait beaucoup.
Andrew confirma les pensées d'Esperanza, puis proposa aux invités de goûter à la dinde. Purée qu'il était doué pour changer de conversation parfois ! Julian se munit alors de ses couverts et commença à couper sa viande.

-Et bon appétit, surtout.

Sa voix avait été sobre, presque solennelle. Pas de grand sourire ni rien de différent comparé au début du repas. Il ne fallait pas qu'on le voit dérangé par le discours de ce mioche, enfin, de Dirty-Secret. Certes il était menacé par cet inconnu un peu trop informé à son goût, mais du moment qu'il était le seul au courant, tout allait pour le mieux.