Alistair regardait fixement l'horloge de la classe, ayant en tête les images floues de la chorégraphie de What time is it de High School Musical. Il battait la mesure avec son crayon sur la chaise de son voisin de devant, William. Il voyait les muscles de son dos se tendre au fur et à mesure que sa colère montait, et cela l'amusait. Ce n'était pas qu'il détestait foncièrement son camarade de classe. C'est juste que depuis qu'il sortait avec sa meilleure amie, ça n'avait pas amélioré les choses. Elle lui en vantait tant les mérites qu'à force, cela l'énervait. Oui, William étudiait énormément, oui William avait du talent, oui. Il n'avait pas toutes ces choses, il ne les recherchait pas non plus. Et, avouons-le, son camarade  perdait son calme tellement rapidement que c'en était jouissif.

Il reporta son attention sur le cours, juste le temps de réaliser que ce n'était pas plus intéressant que 5 minutes auparavant et qu'il ferait aussi bien de se pencher sur la durée de gestation des manchots en Antartique. Tiens, c'est vrai ça, ça mettait combien de temps ? Secouant la tête, il se redressa sur sa table pour se pencher par-dessus l'épaule de William, histoire de voir les notes qu'il prenait avec application. Des mots, beaucoup trop de mots. Ca parlait d'histoire, de guerre. Comme d'habitude. La fascination des humains pour le passé l'exaspérait tout simplement. Comme si on ne pouvait pas simplement vivre au jour le jour.
Il retint son souffle jusqu'à ce que ses lèvres soient à quelques centimètres de l'oreille gauche de William, dans le but de le surprendre.

"Eh, Livingstone, tu serais un amour de me passer tes notes", lança-t-il avec une moue faussement aguicheuse.

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La guerre froide.

Tac, tac, tac, tac, tac, tac, tac...
Les coups de stylo venait heurter la chaise dans une litanie monotone, qui venaient rythmer de manière désastreuse l'heure d'histoire. William n'avait pas besoin de jeter un coup d'oeil par dessus son épaule pour découvrir l'identité de ce chef d'orchestre improvisé. Cacophonique et insoutenable. Sonate pour deux mains gauche en si bémol. Satine en aurait hurlé d'effroi.
Alistair. Un nom qui sonnait comme le crissement d'une craie contre le tableau noir, un nom qui vous excitait les nerfs. Un nom digne de la personne qui le portait. Alistair. Alistair. Alistair.
Batman avait le Joker. Superman avait Lex Luthor. Spiderman avait Venom. Harry Potter avait Voldemort. Et William, lui, était obligé de se coltiner son super-vilain de pacotille, Alistair Albright. Si la situation n'était déjà pas assez risible ainsi, le hasard, la fortune, le destin ou peut importe comment vous l’appelez, le destin donc, avait fait à William un ultime cadeau empoisonné en faisant de sa petite amie Sara la meilleure amie de ce triste sire. Et la compassion divine alors ? Niet. Kapout. Envolée. Une fois de plus, tout les chemin menaient à Albright.
« ... Audie Leon Murphy, qui reste à se jour le soldat le plus décoré de la légion américaine, notamment grâce à ses multiples coups d'éclat qui lui valurent le prestige et l'honneur de recevoir des mains du président Albright la décoratio... »
Eh merde. William ratura vivement les derniers mots sur son cahier. Il commençait à perdre la tête, avec toutes ces conneries. La fatigue peut être. La lassitude, surement. Mais alors qu'il s’apprêtait à corriger son erreur, une voix aguicheuse se fit entendre prés de son oreille. Comment Alistair osait il l'appeler à la rescousse, après l'avoir longuement torturé ?
L'énervement de William était semblable à un ballon de baudruche. Elle gonflait, enflait, s'étendait... Mais à la place des confettis, il était plus probable que ce soit des paires de baffes qui attendaient Alistair lors de l'explosion finale.

« - Pourquoi faire Albright, pour étudier ? Sois un peu lucide, de simples notes ne suffiraient pas à combler le gouffre géant de ton cerveau. J'ai bien peur que nous soyons face à une impasse... »

Ca y est. On y était. Le ring était ouvert, les paris étaient lancés. Albright et Livingstone faisaient leur entrée dans l’arène, pour le meilleur, mais surtout pour le pire.

Un sourire étira les lèvres d'Alistair lorsqu'il vit son voisin s'énerver sur sa feuille. La tirade de ce dernier resta suspendue en l'air, le temps que le brun rassemble ses idées pour une remarque cinglante. Ses piques ne l'atteignaient plus depuis bien longtemps de toute manière, il était comme anesthésié. Ce n'est pas comme si quelque chose avait encore de l'importance. A part peut-être son amitié avec Balt... et Sara.

"Oh, je vois que monsieur est énervé aujourd'hui. Des soucis peut-être ? La vie n'est pas facile quand on a tout pour soi, n'est-ce pas ?"

Alistair ne savait pas vraiment où il allait. Il n'avait pas de plan, il se lançait juste en avant et voyait où ça le menait, comme un chien fou qui court après les voitures. Sauf que là, en l'occurence, il avait besoin de ces notes. S'il n'avait pas ce foutu bac, ça allait encore plus compliquer les choses à la maison, déjà que tout se barrait un peu en live. Et lui n'avait qu'une grande soeur pour subvenir à ses besoins en cas de coup dur, pas un héritage bien confortable.

"En attendant, le gouffre géant de mon cerveau, qui n'est certes rien en comparaison de la taille de ce qui repose sur tes épaules, a besoin effectivement de quelques embellissements. Enfin, ajouta-t-il en jetant un coup d'oeil aux notes de Will, si tu n'es même pas capable d'écrire trois lignes avant d'être mystérieusement troublé par un de mes homonymes, je trouverai quelqu'un d'autre, ne t'inquiète pas. Ta copine, par exemple."

Il avait essayé. Pendant un temps. Il avait vraiment, de tout son coeur, être son ami. Pour Sara. Mais non. Ils n'étaient juste, pas du même monde. A chaque fois, cela dérapait, cela crissait, et une étincelle faisait tout exploser.

Alistair avait fait mouche. L'escadron Alibright avait lancé le début des hostilités. Ses deux dernières répliques vinrent s'exploser contre le self-control de William à la manière de deux obus militaires. Touché, coulé. Les muscles de sa mâchoires se contractèrent.
De quel droit cette petite terreur des bacs à sable se permettait il de juger sa vie ? Et depuis quand Alistair avait il le monopole du mélodrame ? Si on l'avait prévenu, William aurait au moins ramené un orchestre de violons, pour aller avec le décors. Requiem pour un branleur. Voilà qui sonnait plutôt bien.

« - Émouvante tirade, Alistair. C'est que tu m'arracherais presque une petite larme, dis moi. »

L'acidité lui dévorait délicieusement les lèvres. Elle était là pour lui rappeler tout les mots que William aurait voulu balancer à la figure ce ce mauvais génie, mais qu'il gardait soigneusement prisonnier au fond de sa gorge. Il avait beau museler son mépris avec le plus grand soin, de temps en temps, quelques brides s'échappait pour venir atterrir sur les épaules d'Alistair. Qui se chargeait aussitôt de lui renvoyer la balle. Les deux garçons étaient pris dans une partie de ping pong interminable, mais dont aucun des adversaires n'était prêt à lâcher sa raquette, au risque de se voir déclarer perdant.
Pourtant, qu'avaient il de si différent tout les deux ? Peut être moins de choses qu'ils ne voulaient bien se l'avouer. Mais la Sterling High School était trop petite pour les deux géants qu'ils étaient.

« - Oui, brillante idée, fais donc ça. Parasiter les gens, c'est encore ce que tu fais de mieux, Albright. Je suis sur que Sara n'a rien de mieux à faire, en ce moment. »

Il accompagna sa remarque d'un grand sourire crispé. En prononçant le nom de Sara, Alistair venait de s'embarquer sur une pente glissante. Le moindre faux pas risquait d'engendrer une formidable avalanche, qui ne manquerait pas de tout emporter sur son passage : lui, William, et leurs derniers vestiges de civilité.

Lorsqu'Alistair mentionna Sara, il sentit William flancher. Il avait appuyé là où il ne fallait pas, il sentait que l'étincelle qui avait produite en se frottant à l'autre adolescent risquait d'enflammer bien plus qu'une simple querelle comme leurs autres habituelles. Il voulait se retenir. Pour Sara. Mais en même temps, qu'est-ce qu'il lui  devait, à Livingstone ? Au fond de lui, Alistair sentait la jalousie lui tordre l'estomac. Il avait tout, des amis fidèles, une merveilleuse petite amie, une grande famille, riche, et du respect de la part de ses congénères. Le frisé s'en foutait pas mal, du regard des autres, mais il était aussi humain, et il y avait des choses sur lesquelles il avait du faire une croix il y a bien longtemps. Soit on rentre dans le rang, soit on s'amuse, pour lui il n'y avait pas de juste milieu. L'extase ou l'abîme, un monde en monochrome.

"Ce que je sais, c'est que Sara aurait bien mieux à faire que de sortir avec toi, en tout cas," lança Alistair. Oups. Il venait de lâcher une bombe, et de briser la mésentente cordiale entre les deux parties se livrant une guerre froide depuis des années. Mais bon, c'était la fin de l'année, haut les coeurs ! Le pire qui pouvait arriver était un peu d'animation dans ce cours d'un ennui mortel.

"Je suppose que tout va bien entre vous, hein ?" Il ponctua sa dernière pique d'un clin d'oeil.