Tant de choses défilent sur le fil de la vie, à l’image d’un funambule qui le traverse chaque fois qu’il ressent le besoin de reprendre le chemin guidant ses pas pour forger son expérience et passer à la difficulté suivante. Scarlett avait l’impression de ne pas l’avoir emprunté depuis un bon moment. Autant, elle restait au courant de ce qui se passait dans le monde au sens large, autant elle avait la conviction de demeurer déconnectée de tout ce qui se déroulait dans son propre entourage et autour d’elle, à Magnolia. Depuis quelques temps, elle avait ressenti le besoin de couper le fil avec plusieurs personnes, notamment avec les membres de sa famille. Elle ne vivait pour ainsi dire plus chez elle depuis plusieurs semaines et évitait un maximum de passer du temps là-bas. Au début, Scarlett avait eu du mal à s’y faire mais s’en était rapidement accommodée, déjà habituée depuis longtemps à ne plus rester chez elle tout le temps. Après ce qui s’était passé entre son frère et elle, elle avait la rancune tenace et n’oubliait que rarement une déception. La jeune femme était généralement entière et elle n’arrivait plus à continuer de faire semblant que tout se passait bien dans cette maison. Quand ce n’était pas les prises de tête entre ses parents, c’était entre son frère et sa sœur, et désormais avec elle. À part vivre chacun de leur côté ou se juger les uns et les autres, que faisaient-ils d’autre au juste ? N’hésitant plus une seconde, elle avait décidé de quitter le nid pour quelques temps. Cette sensation de ne plus se sentir chez soi dans sa propre maison était suffisamment désagréable pour ne pas avoir à le subir chaque jour. Et quand la jeune femme avait une idée en tête, il était difficile de lui faire changer d’avis. Ce matin cependant, après plusieurs jours sans la voir, Scarlett avait reçu des nouvelles de sa sœur, seul membre de cette famille à qui elle acceptait encore de parler plus ou moins fréquemment. Après avoir parlé pendant de longues minutes, elles avaient convenu de se retrouver au Gordon Coffee plus tard dans la journée, après leur journée de travail, pour prolonger la discussion. Sans se l’avouer mutuellement, le manque se faisait ressentir et les deux sœurs avaient visiblement le besoin de se voir. Scarlett tenait réellement à Elisabeth. On disait qu’une amitié devait être entretenue et ne pas être mise de côté trop longtemps pour ne pas se perdre… Mais la jeune femme n’avait absolument aucun doute sur ce qui la liait à sa sœur. Peu importe qu’elles ne se voient pas des jours ou des semaines, elles ne résistaient jamais bien longtemps, même quand les prises de têtes étaient au rendez-vous. C’était particulier, encore plus depuis la dernière véritable discussion sérieuse qu’elles avaient eue sur des sujets compliqués. Scarlett avait longuement réfléchi. Il y avait définitivement certains repères qu’elle ne pouvait se permettre de perdre, sa sœur en tête de liste. Une fois sa journée de travail finie, la jeune femme se dirigea vers le Gordon où elle devait retrouver Elisabeth en cette fin d’après-midi. Réputé pour ses doigts de fée en matière de boissons chaudes, c’était l’endroit où bossait Shawn mais il ne serait sûrement plus de service à l’heure qu’il était. Arrivée au lieu-dit, la jeune femme entra et, voyant que son « frère » n’était de travail, elle ressortit et s’installa à une table en terrasse où donnait le soleil. La chaleur des rayons caressa agréablement sa peau au teint déjà hâlé, l’été approchait à grands pas. La jolie brune baissa ses lunettes de soleil et observa les gens qui passaient en attendant qu’Elisabeth pointe le bout de son nez.

S’occuper l’esprit était la meilleure chose que la jeune Spencer pouvait faire pour s’empêcher de penser, et c’était ce à quoi elle s’était occupée ces dernières semaines. Elle n’avait pas arrêté d’enchaîner les heures supplémentaires, d’accumuler les tâches qui des fois n’étaient même pas destinées à elle, et lorsque ses collègues lui demandaient comment est-ce qu’elle faisait pour tenir le rythme, elle répondait toujours par une petite boutade qui faisait en général rire tout le monde alors que la situation n’avait rien de vraiment amusant. La jeune brune essayait de fuir sa maison le plus possible et le bureau était devenue sa cachette secrète pas si secrète, elle n’avait envie de parler à personne et encore moins de voir du monde, l’espace de quelques temps elle avait envie de s’isoler dans sa petite bulle et de faire sa misanthrope. Quoi qu’elle mentait lorsqu’elle affirmait ne vouloir voir personne juste pour se convaincre elle-même, elle avait en réalité envie de parler à une personne et une seule : Scarlett. Mais même cette dernière avait fini par déserter la maison à cause de toutes les tensions qui y régnaient, c’était bien la seule qui avait eut le courage de quitter l’endroit qui pourtant donnait des sueurs froides à tous les habitants de cette maison. Elisabeth avait prit son courage à deux mains et avait décidé de renouer avec cette dernière tellement le manque se faisait ressentir ; elle qui avait pourtant l’orgueil mal placé, elle arrivait toujours à le mettre de côté quelques instants lorsqu’il s’agissait de sa jeune sœur. Ce qui liait les deux jeunes était tellement plus fort qu’un simple lien d’amitié qu’il en était presque indescriptible, entre chamailleries, engueulades et réconciliations, la brunette était déjà par pratiquement tous les stades avec sa cadette. Mais après tout, si elle ne pouvait pas mettre cet orgueil de côté pour sa propre sœur, pour qui le ferait-elle ? Aujourd’hui la situation était un peu différente et dépassait de loin les petites disputes fraternelles qui finissaient toujours par se régler en moins de dix minutes, non, là elles étaient passées à un niveau au-dessus. On pourrait penser que le fait qu’une Spencer quitte le navire suffirait à ce que les choses se calment, mais bien au contraire, Elisabeth avait l’impression qu’elles n’allaient pas en s’arrangeant et elle savait de quoi elle parlait, en plusieurs années de vie commune, ce devait être la première fois qu’elle avait si peu parlé aux membres de sa famille voire même pas du tout. Peut-être que quitter la maison n’était pas la bonne solution après tout, mais y vivre n’était pas non plus tellement idéal. Peut-être que ce n’était pas la bonne personne qui avait quitté la maison alors. Cette pensée lui arrachant un pincement au cœur, elle fit la première chose qui lui passa par la tête et appela sa jeune sœur de la façon la plus naturelle possible et c’est sans cris et sans chamailleries qu’elles avaient pu discuter pendant un moment avant qu’elles ne se donnent rendez-vous au café du quartier. Elle qui à l’origine n’était pas une professionnelle de l’organisation, avait réussit à mettre en place un petit planning pour qu’elle puisse quitter le boulot à temps pour retrouver Scarlett, malheureusement, la mauvaise foi de cette dernière avait bien vite reprit le dessus et à force de ne pas suivre et de faire des écarts, elle avait fini par prendre dix minutes de retard. Faisant aussi vite qu’elle le pouvait, elle ne prit même pas la peine d’envoyer un sms ou d’appeler pensant que rien que de prendre son téléphone lui ferait perdre du temps, ce qui était totalement débile comme logique mais étant à court de temps, elle n’avait aucune envie de penser logiquement mais avec beaucoup de mal, elle arriva tout de même au point de rendez-vous qu’elles s’étaient fixées. « Coucou, désolée du retard, j’ai eu un… truc… » Elle s’assit avec autant de grâce qu’un éléphant pour essayer de reprendre son souffle après la course folle qu’elle venait de faire depuis sa voiture jusque la terrasse. Mais quelle importance, elle était là maintenant et qui plus est en compagnie de sa sœur.

Scarlett regardait les gens passer dans la rue, ils se précipitaient tous pour rentrer de leur travail, aller chercher leurs enfants à l’école, partir faire leur hobby de fin de journée ou bien d’autres choses. Rapidité et productivité n’étaient-ils pas devenus les maîtres mots de la société ? Elle se rendait compte qu’elle-même ne prenait plus souvent le temps de se poser. Tout était synonyme de course à longueur de temps. Et avec ce qu’elle devait lui annoncer… ça ne risquait pas de s’arranger. La jeune femme était donc ravie de pouvoir profiter de ces quelques instants de calme avec sa sœur qui ne devrait plus tarder à arriver. Un peu tête en l’air, Elisabeth arrivait souvent quelques minutes en retard. D’autres qu’elle l’aurait mal pris ou ce serait inquiété, toutefois Scarlett connaissait bien son aînée et ne se posait pas de questions. Elle ne tarderait plus à pointer le bout de son nez. Ce n’était pas de la mauvaise volonté, mais de l’organisation élisabéthaine. Le serveur qui s’occupait de la terrasse du café vint alors pour prendre sa commande, cependant la jolie brune signala qu’elle attendait quelqu’un. Scarlett préférait patienter après sa sœur plutôt que de commencer avant son arrivée, elle aurait l’impression de ne pas partager le moment avec elle mais de l’expédier. C’était bête, sauf que la logique Spencer ne suivait aucune autre. Et soudain, au coin de la rue, elle l’aperçut dans toute sa splendeur. Elisabeth approchait d’un pas rapide, cheveux au vent, toujours en mode « je suis pressée mais totalement cool avec ça » et elle débarqua comme une fleur à la table de sa cadette. Scarlett esquissa un sourire aux paroles de sa sœur tandis qu’elle s’installait à moitié en manque de souffle, les joues rosies par le pas précipité dont elle avait fait preuve. « Ça se voit que j’en ai raté des choses. Fallait me le dire que tu t’entraînais pour le marathon. Sauf si ce truc s'appelle 'j'ai zappé l'heure exacte'. » La taquina-t-elle en la saluant au préalable, sans grande marque d’affection toutefois, les deux sœurs étant plus réservées en public. Pour son aînée, Scarlett parlait du « marathon » de la marche, bien entendu. La jeune femme voyait mal Elisabeth faire son jogging quotidien rien que parce qu’elle devrait enfiler des vêtements horribles et finir les cheveux en pagaille, déjà que là, c’était… du grand Eli d’arriver au pas de course. Scarlett avait déjà essayé de l’emmener sur la plage pour s’entraîner avec elle un matin. Elle avait cédé une fois par curiosité. Depuis… Il valait mieux ne pas retenter l’expérience tout de suite. Les deux jeunes femmes avaient fini enroulées dans le sable plutôt qu’à courir sérieusement. La jeune assistante du sénateur s’apprêtait à reprendre la parole quand le serveur vint les interrompre sur le champ. En effet, Scarlett était là depuis dix minutes et n’avait toujours rien pris. Elle laissa sa sœur choisir ce qu’elle voulait boire avant d’opter pour un café latte de son côté. Les commandes prises, le jeune garçon les quitta. « À peine arrivée, que t’as déjà une touche. » Sourit la jolie brune à son aînée. Si ce n’était un rapide jeu de regard, il n’y avait rien eu de particulier avec le serveur, mais les deux soeurs se lançaient souvent des taquineries de ce genre. « Alors dis-moi, comment ça va ? À la maison, pour toi… » Demanda-t-elle enfin plus sérieusement pour prendre des nouvelles. Scarlett releva ses lunettes de soleil et attendit patiemment la réponse de sa sœur. À voir son regard, il y avait des choses à en dire.

Le cœur au bord de l’explosion à cause de la course folle qu’elle venait de mener pour arriver à la terrasse de café, elle ne se souvenait même plus de la dernière fois où elle avait couru autant, parce qu’il faut savoir qu’en dépit de sa bonne volonté de rester en forme et de garder la ligne, la jeune Spencer n’était pas très sportive et préférait courir derrière de la nourriture plutôt que de courir derrière un trophée ou une médaille à la fin d’un marathon. Elle avait cependant la chance de faire partie de cette catégorie de personne qui pouvaient manger n’importe quoi dans la limite du raisonnable, sans pour autant se soucier de son poids. De toute façon, elle s’était toujours dit que tant qu’elle passait les portes, tout allait bien. « J’essaie juste de trouver une nouvelle façon de me déplacer, pour sortir un peu du tas tu sais. » Rétorqua la jeune femme qui devait être toute décoiffée à force. La jeune femme sortit de son sac un petit miroir de poche qui ne la quittait jamais et qui commençait à bien faire son temps vu l’état dans lequel il se trouvait, et se regarda pendant quelques secondes juste le temps de se rendre présentable sans avoir à aller se recoiffer entièrement dans les toilettes du café. A peine eut-elle le temps de ranger son petit miroir que le serveur vint prendre les commandes des deux jeunes sœurs, qui se sont résumés en un latte pour Scarlett et un café mocha pour Elisabeth. Son sens de la politesse et peut-être son charme avaient dû être un peu trop présent lors de la prise de la commande, car elle ne put échapper au regard du serveur qui voulait se faire charmeur, mais préférant détourner le regard, la jeune brune préféra se concentrer sur sa jeune sœur. Cette dernière, de par sa nature observatrice, n’a put s’empêcher de relever ce petit échange de regard furtif. « Le charme des brunes, que veux-tu. » Elle passa une main dans ses cheveux pour accompagner ses paroles en haussant légèrement ses sourcils. Pendant un instant, la jeune brune avait retrouvé la complicité qu’elle entretenait avec sa jeune sœur depuis des années, des piques gentilles, des taquineries, des petites boutades… tout ce qui pouvait ressembler à une réelle complicité entre sœurs. Mais la réalité les rattrapa très rapidement, faisant comprendre à Elisabeth que cette époque était révolue ou du moins en suspens. La brunette se redressa sur sa chaise avant de baisser la tête pour fixer ses mains qui s’étaient mises à jouer entre elles. Comment allait-elle. C’était une bonne question. Question à laquelle elle ne prenait même plus la peine de se poser ni même d’essayer de répondre avec un minimum de sincérité, quand les gens lui demandent si elle va bien, comme un automate elle répond que oui précisant qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil pour qu’on n’insiste pas trop à lui demander ce qui se passe de nouveau dans sa vie. Mais là, elle n’était pas en face ‘des gens’, mais en face de celle qui devait la connaître la mieux parmi toutes ses connaissances, elle pourrait mentir et dire qu’elle est bien, que tout est rentré dans l’ordre et que tout le monde demande à ce qu’elle revienne, mais ce serait mentir et Scarlett le devinerait sans trop d’efforts. « Je dirais que ça va… même si en fait, je ne sais pas trop. J’évite de rester trop longtemps à la maison tu sais, je… j’ai juste envie de rester seule en ce moment. » Levant la tête, elle lui fit un petit sourire qui se faisait bienveillant mais qui cachait un mal être qu’elle essaie de dissimuler depuis maintenant des mois. « Et toi, comment ça va ? » Demanda-t-elle rapidement pour ne pas s’attarder sur le pourquoi du comment de son éloignement de la maison depuis son départ.

« Tu n’as pas besoin de ça pour sortir du lot. » Cette réponse était prononcée avec tant d’affirmation qu’elle n’appelait à aucune protestation de la part d’Elisabeth. Sa sœur était loin d’être comme la plupart des gens. Scarlett ne le pensait pas parce que son aînée était de sa famille mais parce que c’était bel et bien le cas. Elle avait un caractère peu conventionnel qui se démarquait nettement de ce à quoi on pouvait s’attendre. Elisabeth, qui détestait les surprises, était la reine pour surprendre les gens. Le serveur du café vint ensuite prendre leurs commandes et les deux sœurs se taquinèrent quelques instants avant de véritablement entamer une conversation un peu plus sérieuse. Comment Élisabeth allait-elle et surtout comment gérait-elle l’ambiance au sein de la maison ? La jolie brune s’en voulait quelque peu d’avoir « laissé » sa sœur, toutefois si Scarlett était restée un jour de plus, elle aurait pété les plombs ou aurait craqué. La jeune femme avait heureusement trouvé une meilleure solution, une solution de repli temporaire pour prendre une bouffée d’air en dehors de cette maison de fous. À cause de ses parents propriétaires de la morgue, on les avait souvent comparés à la célèbre famille Addams. Si l’image était poussée, la caricature de leur folie poussée n’était pas loin de représenter ce qui pouvait parfois se passer derrière la façade chez les Spencer : une maison de fous, tous à leurs niveaux. Scarlett sortit de sa rêverie et écouta la réponse de sa sœur. Elle se doutait d’avance que la situation ne serait pas rose mais de là qu’Elisabeth en soit au point de baisser les armes et de vouloir rester seule, c’était un cran au-dessus. La jeune femme ressentait la détresse de sa sœur. Elle savait que la situation était un peu plus compliquée en ce qui la concernait, même si rien ne l’obligeait à rester dans une maison où elle ne se sentait plus à l’aise non plus. L’atmosphère oppressante des Spencer avait pesé sur les épaules de chaque membre de la famille depuis trop longtemps, ces épaules qui commençaient à ne plus le supporter. Chacun à leur tour, ils implosaient. Ce n’était plus qu’une question de temps pour que les dissensions leur explosent définitivement au visage. Scarlett n’avait pas hésité à s’éloigner et à prendre du recul tant qu’il en était encore temps avant que le respect qu’elle avait encore pour sa famille ne n’éteigne totalement. « Tu as bien raison. À part se crier dessus ou juger, ils ne savent rien faire d’autre. Il s’est encore passé des trucs ? » S’inquiéta-t-elle alors vis-à-vis d’Élisabeth. Elle se demandait si son aînée s’était prise la tête avec quelqu’un d’autres et surtout… si ce qu’elle avait appris sur sa sœur y était pour quelque chose. Y avait-il de l’évolution dans ça d’ailleurs ? Elisabeth l’avait-elle appelée pour en parler ? Elle avait l’air soucieuse au téléphone. Scarlett préférait laisser le sujet venir de lui-même, sachant que sa sœur n’aimait pas qu’on la brusque, mais ça n’avait pas échappé à la cadette. Elles se connaissaient trop bien peut-être. La jeune femme s’apprêtait à répondre à son tour quand le serveur arriva avec leurs commandes. « Merci. » Dit Scarlett quand il déposa les boissons. Elle tourna ensuite de nouveau le regard vers sa sœur quand celui-ci repartit. « Ça va… bien mieux depuis que je suis partie en fait. » Résuma-t-elle la situation. Forcément, il n’y avait tellement pas de prises de tête avec Shawn. « Pourquoi tu ne ferais pas de même ? » Proposa alors la jeune femme comme une évidence. Elles pourraient peut-être même envisager de se trouver quelque chose à deux, parce que squatter alternativement chez Bryan ou Shawn, c’était bien beau mais ça ne pouvait pas durer. Voir Elisabeth ressentir la même chose qu’elle l’encourageait à avoir des idées farfelues. Pour calmer cet enthousiasme voilé, Scarlett attrapa son café latte et but une gorgée en attendant la réponse de sa sœur.

Scarlett avait préféré fuir la maison en déménageant temporairement, Carl faisait son Carl, et Elisabeth avait quant à elle décidé de fuir la maison en se cachant au bureau. A croire que chaque enfant a trouvé son stratagème pour rester le plus éloigné possible de cette maison, à se demander à quel moment le cocon familial a commencé à être si pesant qu’ils devaient tous fuir pour leur bien être personnel. Elisabeth avait longtemps cherché à répondre à cette question, pensant sûrement que si elle pouvait cerner la cause de cet éloignement soudain, elle pourrait alors essayer de faire en sorte que sa famille redevienne comme avant, mais ce n’est que bien plus tard qu’elle a comprit qu’il était inutile de chercher à comprendre, les réponses pouvant être plus douloureuses qu’elles ne devraient l’être. «  Pas à ma connaissance. Je passe tellement peu de temps à la maison, comme tous les autres d’ailleurs. » Si il n’y a personne, il n’y a pas d’histoires, si il n’y a pas d’histoires, il n’y a pas d’embrouilles et si il n’y a pas d’embrouilles, il n’y a pas de cris. Le cheminement était aussi simple que ça, bien que décevant, à en croire cette logique, les Spencer seraient condamnés à s’éviter toute leur vie pour qu’ils puissent vivre en paix. Mais chacun de leur côté, comme des étrangers. Interrompu par le jeune serveur qui était venu apporter leur commande, Elisabeth en profita pour changer de sujet et demander à la jeune brune comment elle, elle allait. A sa mine radieuse, elle devait sûrement aller bien, du moins bien mieux que lorsqu’elle était à la maison Spencer. Sa pensée fut confirmée lorsque sa cadette lui répondit, ce à quoi elle ne put s’empêcher de sourire. Elle était contente que sa sœur aille bien, qu’elle aille mieux, la théorie de l’éloignement pour aller mieux était donc confirmée. Portant sa tasse à sa bouche pour en boire une gorgée, elle fût stoppée dans son élan en entendant ce que lui proposa sa cadette. Reposant sa tasse, elle prit un petit moment pour être sûre de bien comprendre ce que lui disait sa jeune sœur. S’en aller, prendre ses distances avec la famille, elle y avait pensée des tas de fois mais jamais elle n’avait eut la force et encore moins le courage de le faire. Pourquoi, elle ne saurait l’expliquer, ou du moins, elle ne voulait pas chercher d’explications sachant que quelque soit la raison qui la pousse à rester là où elle n’est pas heureuse, ça ne lui plairait. « Quoi ? Mais… » Balbutia-t-elle avant de pouvoir prononcer une phrase correctement. «  Je ne peux pas, c’est… Non, pourquoi ce serait à moi de partir et pas à… ? » Elle prit rapidement une gorgée de son café, sentant très bien qu’elle venait de dire n’allait pas l’aider face à sa jeune sœur, mais ses mots venaient de dépasser sa pensée. La simple raison pour laquelle elle refusait de partir, était parce qu’elle ne le voulait pas, tout simplement. Peut-être qu’elle se faisait du mal en restant dans cette maison, entourée de ces personnes, mais elle savait que l’éloignement n’apporterait rien de bon non plus. «  Tu me manques Scarlett. Tu me manques beaucoup. » Elle prit la main de la jeune brune pour créer un pont entre elle avant de poursuivre. «  Je veux que tu reviennes à la maison. Sans toi ce n’est pas pareil, j’ai besoin de toi dans cette maison. » Ce devait être l’une des rares  fois où Elisabeth exprimait clairement ce qu’elle ressentait vis-à-vis de quelqu’un, sans chercher à l’embrouiller ou quoi que ce soit, non, là elle faisait preuve de sincérité dans ses mots et voulait que cette dernière le comprenne bien.

Le destin n’est pas une histoire linéaire, il ne se déroule pas dans le sens que l’on désire mais dans celui qu’il a été écrit. Jonché d’une multitude d’obstacles, il rend l’avenir incertain et nous dévie fréquemment de la route la plus directe. Scarlett avait de nombreuses fois crû que les problèmes dans leur famille pourrait se régler simplement si tout le monde avait la franchise de jouer cartes sur tables et de tout se dire une bonne fois pour toutes. Mais rien n’était aussi simple. Chacun avait sa fierté, ses peurs et ses hontes. La jolie brune en savait quelque chose. Tous ces ressentis avaient empêché les Spencer d’emprunter le chemin le plus simple et aujourd’hui, réfugiés dans leurs silences et leurs non-communications, ils s’éloignaient les uns des autres. Au lieu de s’affronter, ils se cachaient derrière les non-dits et se repoussaient au travers de disputes comme pour se protéger. Les tensions avaient cependant grandi à un point tel que Scarlett croyait vraiment qu’ils étaient arrivés à une limite, un point de non-retour. S’obstiner sur cette route les enverrait sur une voie sans issue et les bloquerait littéralement. L’explosion couvait, latente, menaçante. Était-il trop tard pour rétablir ce qui pouvait l’être encore ? La jeune femme l’ignorait mais elle avait déjà commencé à revenir sur ses pas pour s’engager, seule, dans un autre itinéraire. Celui de ne plus se cacher derrière les mensonges et les prises de têtes de ses proches, ni de les partager. Prendre du recul, se détacher, mettre le frein à main, diminuer les gaz. Appelez cela comme vous voulez. C’était comme si Scarlett avait arrêté d’avancer ou de reculer, en mode pause sur le parking d’autoroute et attendait de voir quelle serait la suite, comment ils réagiraient. La première à sortir du cocon du n°14 pour la voir était, sans grande surprise, celle qui lui était aussi le plus proche. Sa sœur. Elisabeth laissait entendre, par ses propos, que la situation n’avait pas vraiment changé. Elle aussi s’était franchement éloignée de la maison. Voyant son désarroi, Scarlett lui proposa alors l’idée folle de quitter le domicile également sans évoquer pour autant la pensée qui l’avait traversée selon laquelle, elles pourraient partir ensemble du n°14. Son instinct ne la trompa guère. Elisabeth se confondit en surprise et réticence, cumulant les questions d’incompréhension. Non, ce n’était pas à elle de partir. Ni à eux. Cette décision lui revenait de droit et appartenait à elle seule. Chaque famille connaissait ses moments difficiles à affronter, cette proposition ne tombait cependant pas dans un contexte où rien ne s’était jamais produit auparavant. Ça durait depuis plusieurs années, la dispute avec Carl étant l’ultime goutte qui avait fait déborder le vase aux yeux de la fille cadette. « C’est comme tu veux. Tu sais bien que je serais là si tu changes d’avis. » Se contenta de répondre Scarlett, qui ne comprenait pas comment sa sœur pouvait continuer à vivre dans cette ambiance oppressante. Elle ne parlait bien sûr pas d’un départ définitif, fuir ses problèmes éternellement n’était pas la solution, mais d’une alternative temporaire. Alors qu’elle s’apprêtait à préciser sa pensée, Elisabeth prit soudainement sa main dans la sienne, établissant ainsi le premier contact physique depuis longtemps entre elles. Sa sœur fit alors quelque chose qui ne lui arrivait jamais ou pratiquement jamais : s’ouvrir sur ces sentiments. Elle confia à Scarlett qu’elle lui manquait, énormément, elle avait besoin de sa présence, au point de lui demander de revenir chez les Spencer. Émue, la jeune femme ne sut pas quoi répondre dans un premier temps. Elle ne s’attendait pas à un tel aveu de la part de son aînée qui n’avait pas pour habitude de ce genre d’épanchement. Elisabeth devait vraiment se sentir… désarmée face à toute cette situation. Scarlett songea avec un air assuré que sa sœur arrêterait sans doute de courir un jour pour fuir les sentiments et alors elle s'apercevrait sans doute qu'elle n'était pas aussi froide voulait le laisser paraître. Scarlett n’avait pas mis longtemps à comprendre que loin d’être indifférente, Elisabeth était juste trop sensible. Son aînée avait la capacité d’aimer si profondément que lorsqu’elle se retrouvait confrontée à la réalité de ce qu’elle ressentait, elle avait bien trop peur d’afficher ouvertement les élans de son cœur. La jolie brune profita donc de l’instant, peu habituée à une déclaration si franche venant de sa sœur. Elle effleura sa main en retour. Désormais, Scarlett savait qu’elles pourraient se serrer les coudes en toute situation. Elle retrouvait la complicité d’antan avec Elisabeth. La jeune femme ne pouvait cependant pas revenir sur sa décision. Si sa sœur choisissait de rester, c’était son choix. Celui de Scarlett avait été de quitter la maison temporairement. « Tu me manques aussi. » Répondit-elle à son tour, en baissant la voix. Elle aussi était peu habituée aux marques d’affection, surtout en public. « Tu sais où me trouver quand tu as besoin de moi. Mais je ne peux pas revenir. Pas encore. » C’était inenvisageable pour elle dans l’état actuel des choses.« Cela dit, si tu apprends à faire à manger aussi bien que Shawn d'ici là, je reconsidérerais peut-être la proposition. » Ajouta-t-elle pour la taquiner afin de rendre l'atmosphère un peu plus légère. Scarlett savait que sa soeur détestait se mettre derrière les fourneaux, une petite pique qui ne manquerait donc pas de raviver la conversation.

Plus qu’une envie, un besoin. Elle avait besoin de sa sœur auprès d’elle, pas seulement parce que cette dernière lui manquait d’une manière inimaginable, mais parce que son départ marquait pour Elisabeth la fin de quelque chose. La fin de sa famille. Cette famille qui était très loin d’être parfaite et qui avait dépassé son quota de normalité concernant les conflits familiaux, elle ne pouvait pas accepter que tout se termine comme cela. La citation ‘un seul être vous manque et tout est dépeuplé’ avait toujours semblé ridicule à Elisabeth, se demandant comment est-ce qu’une seule personne pouvait bien créer un vide tellement immense qu’on le comparait à un dépeuplement. Lors du départ de sa sœur qu’elle avait tout d’abord essayé de rationaliser en disant que ça leur ferait peut-être du bien à tous, elle s’était vite rendu compte de la signification de cette simple phrase. En quelques semaines elle était passée par plusieurs phases pour tenter de bien vivre le départ de sa jeune sœur, que ce soit en se répétant plusieurs fois dans la journée que ça ne pouvait que faire du bien, passant par la colère ne comprenant pas comment est-ce qu’elle avait pu fuir suite à une petite dispute alors qu’elle avait bien dû supporter beaucoup plus au cour de ces dernières années, puis elle avait finit par abandonner et ne plus chercher à cerner la décision de la brunette. Mais elle ne pouvait berner personne et encore moins elle-même, elle comprit d’ailleurs à quel point cette personne importante dans sa vie lui manquait terriblement, quand elle a commencé à se faufiler dans la chambre de Scarlett pour dormir dans son lit, juste pour se sentir proche d’elle d’une manière ou d’une autre. Bien sûr, il lui restait toujours Carl, mais ce n’était pas la même chose, pas parce que lui était un garçon et que sa complicité se tournait beaucoup plus vers sa sœur, mais parce qu’une fissure s’était aussi immiscé entre eux il y a déjà plusieurs années et qu’elle n’a pas était assez intelligente pour la voir, pensant que ça s’arrangerait avec le temps. Scarlett était pour ainsi dire la seule personne qui lui restait et en qui elle avait une totale confiance, elle avait déjà perdu Carl et ne supporterait certainement pas de perdre sa petite sœur. Masochiste ou tout simplement pleine d’espoir, ce que voulait Elisabeth c’était que sa sœur revienne auprès d’elle, dans cette maison où certes les tensions avaient pris le pas sur la vie de famille, mais fuir ne servirait à rien puisqu’il faudra bien les affronter tôt ou tard. Elle décida de se lancer en faisant quelque chose qu’elle ne faisait jamais : être franche sur ce qu’elle ressentait. La jeune brune avait passé toute sa vie à garder ce qu’elle ressentait rien que pour elle en avare de sentiments qu’elle est, elle ne se souvient même plus de la dernière fois où elle avait à quelqu’un qu’elle l’aimait, supposant qu’elle l’ait dit un jour en oubliant les ‘maman je t’aime’ de lorsqu’elle était gamine. Elisabeth préférait les actions à la parole, et accordait en cela, beaucoup plus de valeurs aux actes qu’à de simples mots qui parfois n’avaient aucun sens, mais aujourd’hui elle n’avait trouvé d’autre moyens que de s’exprimer par de simples mots. Elle prit la main de sa cadette pour créer le contact qui lui manquait tant et parla, tout simplement. Un petit sourire s’afficha sur son visage quand elle vit le temps de réaction de la jeune femme qui ne devait sûrement pas s’attendre à ce qu’elle lui dis aussi clairement qu’elle lui manquait, et en même temps, même Elisabeth ne s’attendait pas à le faire. Sa réponse – quand elle su enfin quoi dire – eut le don d’arracher une petite larme à la Spencer, mais fierté oblige, elle l’essuya rapidement de sa main libre, gardant l’autre au creux de celle de sa cadette. Mais fut vite déçue par ce qu’elle lui dit ensuite, Scarlett ne comprenait décidément pas que sa sœur avait besoin d’elle, et non seulement par période, mais elle avait besoin de la savoir dans la pièce d’à côté même si elles ne se parlent pas, qu’elles ne se voient pas de toute la journée ou qu’elles se crient dessus. Les rôles étaient tout d’un coup inversé, ce n’était pas la petite sœur qui avait besoin de la grande, mais la grande qui avait besoin de la petite pour son bien être, même si après tout, est-ce qu’une hiérarchie a véritablement besoin d’être établit ? Voyant la déception qui devait se lire sur le visage d’Elisabeth, Scarlett prit les devants en lui lançant un autre commentaire qui lui rendit le sourire. « Quoi, mes boîtes de thons ne te suffisent plus ? Finalement reste avec Shawn tu risques de me ruiner en nourriture toi, j’ai pas les moyens de t’entretenir. » Répliqua-t-elle sur le même ton taquin et léger que celui de la jeune femme avant de sourire de nouveau mais cette fois avec beaucoup plus de conviction, lâchant la main de la jeune brune en faisant une fausse petite moue boudeuse. Les boîtes de thons ici pouvaient faire penser à une réplique drôle, mais il n’en était rien. Lorsque les parents Spencer sortaient et rentraient un peu trop tard au goût des chers enfants, Elisabeth se la jouait chef étoilé et menait à la baguette sa petite troupe composée de Scarlett et de Carl qui devaient avoir à peu près huit ans, tout ça pour ouvrir une boîte de thon qu’elle présentait avec une fourchette piqué au milieu ‘pour que ça fasse comme à la télé’ qu’elle disait fièrement. A cet âge ils étaient bêtes comme des pieds mais proches comme les quatre doigts de mickey. « Et sinon, il se passe quoi de nouveau dans ta vie ? Nate te traite bien ou faut que je mobilise une troupe pour lui apprendre à vivre ? » Elle reprit une gorgée de son café avant de sortir de son sac son téléphone qu’elle posa sur la table avant de reporter son attention sur sa sœur.

Il fallait arrêter de se voiler la face. Les liens qui unissaient la famille Spencer s’étaient distendus depuis longtemps déjà. Scarlett n’avait plus envie de les voir se continuer à se mentir à eux-mêmes. La jeune femme ne supportait plus l’ambiance dans la maison et n’arrivait plus à cacher ce qu’elle ressentait vis-à-vis de la situation. Elle avait déjà pris ses distances à l’époque où elle était en couple avec Elias. Fourrée la plupart du temps chez lui, la jolie brune s’était déjà détachée pour prendre son envol de son côté comme son frère et sa sœur avaient également tenté de le faire en passant le plus clair de leur temps hors de la maison. Quand ils se retrouvaient, ce n’était plus du tout comme avant. À part se jauger derrière les façades, se juger ou longer les couloirs en silence dès le réveil, quand ils se croisaient… Que restait-il ? Ils avaient longuement essayé de sauver les pots cassés mais rien ne semblait s’améliorer. Ni entre eux, ni entre leurs parents. Chaque fois qu’ils s’adressaient la parole sur l’un ou l’autre, la discussion partait toujours en vrille. Leurs liens étaient devenus si minces que la famille en passait souvent après le reste. Ils pouvaient bien sûr toujours compter l’un sur l’autre en cas de gros problèmes mais ce n’était clairement plus la priorité. Alors quand Elisabeth confia à sa sœur qu’elle lui manquait, Scarlett ne l’aurait plus cru possible dans un tel moment. Cet aveu était rassurant. Elle se sentait encore particulièrement proche de son aînée malgré tout ce qui s’était passé. Ce sentiment était visiblement partagé par Elisabeth qui demandait à sa sœur de réintégrer la maison. Son départ temporaire n’avait certainement pas arrangé les tensions déjà existantes, pourtant la jeune femme n’avait pas l’intention de revenir pour le moment. Elle avait besoin de se tenir éloignée de cette atmosphère pesante, loin des faux-semblants incessants. La dernière dispute en date avec son frère n’avait été que l’ultime prétexte pour lui servir à quitter le domicile, une excuse qui cachait un malaise plus profond qui régnait dans leur famille. Carl n’était pas la cause première du départ de Scarlett, il n’était que la goutte qui avait fait déborder un vase déjà bien rempli. La jolie brune s’accrochait au rebord pour ne pas se noyer complètement dedans. Autrement dit, elle était partie avant de péter définitivement les plombs. Attristée de voir Elisabeth se mettre dans un état pareil, la jeune assistance d’O’Conell lui proposa plus ou moins de quitter le numéro quatorze aussi ou du moins, sur une note plus légère, d’apprendre à cuisiner correctement pour que Scarlett ait une raison valable de revenir. En effet, si sa sœur développait des doigts de fée en gastronomie, ce serait le petit miracle du quartier. Cette petite pique eut le don de réveiller l’humeur taquine de son aînée qui rétorqua qu’elle n’aurait finalement qu’à rester chez Shawn pour ne pas avoir à l’entretenir, bien que Scarlett voyageait un peu entre les maisons de deux-trois de ses amis. « Voilà que je retrouve ton vrai visage ! » Rétorqua à nouveau la jolie brune pour continuer de provoquer légèrement Elisabeth. « Toujours prête à me troquer contre quelques boîtes de conserve… ça témoigne de l’estime que tu as pour ta sœur ! » Elle rit elle-même de sa bêtise avant de prendre sa tasse de café et de la porter à ses lèvres, tandis qu’Elisabeth retrouvait un air plus sérieux. Sa sœur lui demanda ce qui se passait en ce moment dans sa vie en général et dans son couple. Voilà bien un autre trait de caractère qui n’avait pas changé chez l’aînée Spencer ; son intérêt pour ce qui se passait dans la vie de sa sœur ou dans le quartier. « Tout se passe très bien. L’artillerie lourde ne sera pas encore nécessaire pour cette fois. » Résuma Scarlett en souriant. Hormis les soucis qui rongeaient sa famille de l’intérieur, n’avait-elle pas l’air plus heureuse que jamais ? Elisabeth ne pourrait que le lire sur son visage. Toujours aussi pudique quand il s’agissait de ses histoires de couple, la plus jeunes des deux soeurs préférait ne pas s’étaler à ce sujet. Maintenant qu’elle se retrouvait en face d’Elisabeth, elle avait soudainement du mal à s’ouvrir de nouveau. Disons que la dernière fois… Une dispute avait éclaté entre le frère et les sœurs. Mieux valait l’oublier. Scarlett songea cependant qu’elle n’aurait probablement pas l’occasion de la revoir avant un moment. Elle se lança alors pour lui parler d’un autre projet qu’elle avait en tête et dont elle n’avait encore fait part à personne. Elisabeth était souvent la première à qui elle se confiait, l’avis et les conseils de sa sœur lui étant souvent précieux et aussi ceux qui comptaient le plus. « Et dernièrement, Joey m’a confié de plus en plus de responsabilités à son cabinet. » Cela faisait un an bientôt qu’elle travaillait pour lui et son rôle d’origine avait déjà bien évolué en quelques mois à peine. « Il m’a laissé entendre que… enfin vu mon caractère, que je devrais peut-être envisager de me tourner vers la politique. » Ajouta-t-elle à voix basse. Elle attendit que la nouvelle lâchée fasse son chemin dans la tête de sa sœur tout en buvant une nouvelle gorgée de sa boisson chaude. Bonne ou mauvaise idée ? Il y avait du pour et du contre… Scarlett avait beau retourner la question dans tête, elle trouvait cette idée absurde. Bien sûr « politique » était un bien grand mot, qui nécessiterait de multiples étapes au préalable, mais c’était pour l’aligner sur le long terme. L’avis d’Elisabeth, toujours très direct et terre-à-terre saurait donc mieux la guider que ses incessantes élucubrations personnelles.

C’était cette complicité, ces taquineries et ces rires en tout genre qui manquaient à Elisabeth, et pas seulement depuis le départ de Scarlett. Elle n’était pas en dépression et passait tout son temps à masquer sa tristesse et ses problèmes derrière des tas de dossiers qu’elle empilait parfois au dessus de son bureau, se construisant une sorte de protection où elle pouvait se cacher et être sûre d’être tranquille. La seule personne qu’elle avait autorisé à entrer au début était Joshua, mais même lui elle avait préféré le tenir éloigné de tout cela. « Entre manger et avoir une sœur, j’ai fais mon choix que veux-tu. J’ai encore du chemin à faire pour obtenir l’oscar de la meilleure sœur, mais je le vis bien, et au moins, je ne meurs pas de faim. » Elle haussa les épaules en souriant de plus belle pour répondre à sa jeune sœur sur le même ton qu’elle. Pour rester sur une note légère et complice, Elisabeth lui posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début de la conversation, à savoir, ce qui se passait de nouveau dans la vie de Scarlett. De nature curieuse – surtout lorsqu’il s’agit de cette dernière – elle ne perdait jamais une occasion pour se tenir informée des nouveautés dans la vie de sa cadette, même si ces dernières semaines ont été un peu difficiles dans la récolte d’informations vu l’éloignement qui s’était fait entre les deux jeunes femmes. Jouant avec son téléphone en le faisant tourner entre les mains, la Spencer écoutait attentivement ce que lui disait la jeune femme en face d’elle, ne pouvant s’empêcher d’esquisser un sourire lorsqu’elle lui répondit que tout allait très bien avec Nate. Bien qu’il ne s’agisse là seulement d’un petit point, elle était contente pour eux et savait que malgré toutes les piques qu’elle pourrait lancer sur le jeune Evans, il était le plus apte à prendre soin de sa sœur et de la rendre heureuse. Son sourire se transforma vite en un air interrogateur lorsque Scarlett lui parla de son boulot, des responsabilités que lui confiait de plus en plus Joey ainsi qu’une éventuelle carrière en politique. Elle ne dit rien pendant un moment, pensive de ce qu’elle pouvait bien lui répondre, il était clair qu’elle n’avait jamais pensé que Scarlett pouvait se lancer ou même s’intéresser à la politique, mais ça, c’était peut-être l’une des choses qu’elle n’avait pas remarqué à cause de l’éloignement qui s’était créés entre elles. Peut-être qu’elle rêvait de devenir maire, sénateur ou même présidente des Etats-Unis d’Amérique et qu’Elisabeth ne le savait pas, ce ne serait sûrement pas la première chose dont elle serait passée à côté de toute façon. Mais de toute évidence, sa sœur attendait une réaction de sa la part de la jeune brune, c’est pourquoi elle contenta de lâcher un « hum hum » et de hocher vaguement la tête avant de prendre la parole. « La politique ? Et, c’est ce que tu as envie de faire ? Te tourner vers une carrière politique ? C’est… surprenant je dois dire…» Elle ne montrait ni joie, ni excitation et même pas une once d’encouragement dans le ton qu’elle avait employé, mais elle ne voulait en aucun cas se risquer de blesser Scarlett en lui disant d’emblée le fond de sa pensée, surtout si c’est ce qu’elle veut faire. Elle avait déjà un avis sur la question et malheureusement pour la cadette Spencer, si elle le lui demandait, Elisabeth ne pourrait pas lui donner tout l’encouragement qu’elle le voudrait et encore moins son feu vert pour qu’elle se lance dans un projet tel que celui-là.

L’oscar de la meilleure sœur ne pourrait certainement pas être décerné de sitôt à Elisabeth. Néanmoins, les imperfections de leur relation fraternelle faisaient partie intégrante du lien qui les unissait et Scarlett n’aurait échangé son aînée pour rien au monde. La jeune femme se contenta d’hocher la tête en levant les yeux au ciel à l’énième remarque de sa sœur avant que la discussion ne dévie vers un sujet moins léger. La plus jeune des deux Spencer se sentait en effet beaucoup mieux depuis qu’elle avait temporairement quitté la maison quatorze et elle ne s’en cachait pas. Plus sereine d’apparence, elle admit à Elisabeth que tout se passait bien pour le moment. Scarlett en vint rapidement à évoquer son travail qui promettait d’évoluer sous peu puisqu’elle s’était vue confiée de nouvelles responsabilités. La jeune femme mentionna à sa sœur la dernière lubie en date de son patron, histoire d’avoir son avis sur la question. La voyait-elle en politique ? L’idée n’était pas pour lui déplaire mais elle ne s’en considérait pas forcément capable, non pas d’un point de vue caractère, mais ce n’était pas vraiment un milieu qui lui était familier. Et puis, Scarlett entrait tout juste dans la vie active. Son travail auprès du sénateur lui plaisait plutôt bien pour le moment mais elle ne se voyait pas encore s’engager plus loin, d’autant qu’à l’origine elle l’avait uniquement choisi pour une raison précise par rapport aux fils O’Conell, raison qui n’était désormais plus d’actualité. Prendrait-elle le risque à son jeune âge de se tourner vers cette voie plus « vicieuse » ? (Appelons un chat, un chat.) Gravir les échelons ne l’effrayait pas, cependant Scarlett n’était pas prête à le faire n’importe comment et en prenant des décisions précipitées. Son rêve n’avait jamais été de finir dans un bureau politique mais plutôt de travailler pour une maison d’édition ou dans quelque chose qui touchait davantage aux livres et à la littérature. Malgré des recherches en parallèle, elle n’avait rien trouvé de prometteur pour le moment dans ce domaine plutôt fermé et continuait donc de s’accrocher à ce qu’elle faisait pour le moment. Scarlett avait toutefois l’appréhension que Joey finisse par le comprendre et par l’écarter s’il se rendait compte qu’elle ne travaillait pour lui qu’à titre temporaire et non sur le long terme. La question qui comptait vraiment était plutôt la suivante : avait-elle vraiment envie et surtout se sentait-elle vraiment prête à se lancer là-dedans ? Cette idée ne manquait certes pas de susciter son intérêt et de la séduire, elle qui avait toujours voulu… « plus ». C’était sans doute l’occasion rêvée. Mais au détriment du bon sens ? Tel était le sujet de ses interrogations. « Pour tout te dire, je ne sais plus très bien ce que je veux en ce moment. J’ignore si j’ai les épaules nécessaires pour le faire. Pas maintenant en tout cas. Après… Je suis là pour évoluer. Mais dans quoi ? Et comment ? Je ne sais pas. C'est une 'chance' qui pourrait ne pas se représenter si je la refuse. » Scarlett avait bien conscience  qu’il était trop tôt pour l’envisager, elle qui avait intégré le service un an auparavant seulement. Elle se trouvait bien trop jeune et inexpérimentée. « Qu’est-ce que tu en penses ? » Lui demanda-t-elle plus clairement son avis en priant pour que son interlocutrice ne la préserve pas en cas de mauvaise opinion. Scarlett voyait bien la surprise briller dans les yeux de sa sœur. Après avoir brièvement évoqué la question de son orientation professionnelle avec Elisabeth, la jeune femme s’intéressa à son tour à ce qui se passait dans la vie de son aînée. « Parlant d’O’Conell, comment ça se passe avec Joshua ? » Enchaîna Scarlett qui se rappelait du début de relation difficile de sa sœur qui ne se livrait pas vraiment, surtout en histoires d’amour. La jeune femme trouvait bizarre qu’Elisabeth n’ait pas encore parlé de lui. Mauvais signe ou simple distraction dans la conversation ?

De toutes les idées que pouvait bien avoir sa jeune sœur, de la plus intelligente à la plus farfelue, Elisabeth essayait toujours de l’encourager ou de la conseiller de la meilleure façon qu’une grande sœur pouvait bien le faire. Elle se souvient d’ailleurs de quelques mésaventures où elle s’était laissé embarquer par sa cadette et son imagination débordante qui ne manquait jamais de surprendre la jeune brune, mais s’engager en politique – ou du moins y penser – devait être de loin la chose la plus folle qu’elle avait exposé à la Spencer. Elisabeth n’avait aucuns doutes concernant les capacités de sa jeune sœur à percer dans ce milieu, ou du moins de pouvoir assurer avec un métier qui apporte autant de responsabilités. Ce qui inquiétait plus la jeune brune était de savoir sa sœur dans un milieu aussi hostile et dangereux qu’est la politique, elle savait qu’elle ne pourrait pas éternellement protéger sa sœur - en considérant qu’elle l’ait fait un jour – ni même lui donner son avis et espérer qu’elle le prenne en considération, mais elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour cette dernière. Surtout que ce qui l’effrayait le plus était qu’elle serait guidée et aurait comme mentor le père O’Conell, pas qu’elle n’avait pas confiance en ses capacités de mener qui que ce soit à une brillante carrière, mais cette famille étant connu pour être une famille à problèmes, elle préférait que sa sœur en reste éloignée, ou du moins qu’elle se contente du strict minimum en travaillant pour lui, et non avec lui. « Je pense que… c’est surprenant. Très surprenant. » Elle dit ces quelques mots d’une voix à peine audible, mais de façon à ce que Scarlett l’entende, comme si elle se le disait à elle-même plutôt qu’à son interlocutrice. « Je dois dire que je ne te voyais pas du tout là dedans, mais après je ne devrais même pas m’étonner, de tous les membres de cette famille tu dois être la seule qui est promit à un brillant avenir. Mais ça fait quand même un peu peur, non ? En toute sincérité, je pense que la politique est un domaine dangereux et véreux, et où à chaque élection on a droit à un rassemblement d’hypocrites méprisants qui ne pensent qu’à se remplir les poches. » Au moins, ça, c’était dit. Elle voulait un avis, elle l’a eut. Prenant une gorgée de son café, elle décida tout de même de placer une petite phrase un peu moins massacrante. « Mais si c’est ce que tu veux faire ou que ça te plaît alors… fonce, mais essaie juste de faire attention. » Elisabeth n’était pas experte en politique et avait un avis très arrêté au sujet de la politique de ce pays, de cet état et même de cette ville, mais elle avait visionné au cours de sa courte vie, assez de séries qui portaient sur la politique, sur des présidents ou sénateurs corrompus et malhonnêtes, pour savoir que certaines fois, lorsqu’il y avait conflits, le dialogue n’était pas l’une des premières armes qu’ils préféraient utiliser, et la jeune brune tenait beaucoup trop à sa petite sœur pour l’encourager à se jeter dans la fausse aux lions, sans lui dire de faire attention. « Avec Joshua, ça se passe plutôt bien. » Elle rétorqua à Scarlett d’une voix complètement détaché comme si elle donnait l’heure à quelqu’un en haussant légèrement les épaules, car la vérité était que tout ne pouvait qu’aller bien étant donné que la dernière fois qu’ils se sont parlés elle lui avait demandé avec autant de gentillesse et de tact qu’elle pouvait bien avoir, de la laisser tranquille un moment et qu’elle reviendrait quand elle en aurait envie. A peine s’étaient-ils mis en couple, qu’Elisabeth avait décidé de s’éloigner alors qu’ils venaient à peine de se retrouver. Voulant changer rapidement de sujet, elle décida d’aborder un sujet qui la travaillait depuis un petit moment et qu’elle trouvait judicieux de partager avec sa cadette. « Dis, une photo où toi, moi, Nate, et où d’autres personnes du quartier sont également présentes, ça ne te dit rien ? Elle doit dater de 97 ou quelque chose comme ça. » A peine avait-elle posé la question que les images de la nuit mouvementée qu’elle avait passé avec Ginnie lui revinrent en tête, lui donnant un petit frisson par la même occasion qu’elle dissimula en se grattant le bras.

L’avis assez tranchant d’Elisabeth ne tarda pas à tomber. Scarlett avait toujours apprécié la franchise de sa sœur. Elle préférait entendre sa désapprobation plutôt que celle-ci ne l’encourage contre son gré. Son aînée s’inquiétait du milieu que pouvait représenter la politique, une perception largement partagée par la plus jeune des deux Spencer qui hésitait réellement à se lancer dans cette voie. Scarlett avait l’impression de ne pas y être prédisposée, de ne pas y avoir été préparé suffisamment, ni d’en avoir la conviction nécessaire. Continuer à travailler pour Joey impliquerait forcément d’accepter de plus en plus de responsabilités au fur et à mesure, et éventuellement, de s’engager plus avant dans ce domaine encore méconnu pour elle. Les questions qui se posaient vraiment étaient les suivantes : avait-elle vraiment envie de le faire ? Et surtout, était-elle prête à se jeter dans une fosse aux lions ? Elisabeth trouvait cette idée dangereuse. Scarlett ne pouvait pas lui donner tort. Épanouie dans son travail tel qu’il était pour le moment, elle ne souhaitait pas changer du tout au tout. Joey lui en reparlerait cependant un jour, et ce jour-là, elle devrait déjà y avoir réfléchi et se décider. Il avait certainement pour projet d’y engager ses propres fils également, surtout l’aîné. Alors devrait-elle vraiment se rajouter à la liste ? Peut-être pas. À entendre sa sœur, Elisabeth rejoignait non seulement son hésitation mais allait plus loin en lui recommandant implicitement d’éviter de s’enfoncer trop loin sur un chemin sans retour. La jeune femme était la première à savoir combien il fallait se méfier de cette famille. La réponse de sa sœur, loin de la déstabiliser, lui donnait au contraire matière à réfléchir sur la question. Ce n’était de toute façon pas urgent. Scarlett devait simplement envisager cette possibilité. « Comme je l’ai dit, je ne sais pas encore ce que je veux. Mais je me souviendrais de ce que tu en penses. » Souffla-t-elle en guise de conclusion. Rien ne servait de se précipiter. Après ce petit intermède sur son travail, la jeune femme tourna ensuite la conversation vers Elisabeth, qui n’en avait pas trop dit pour le moment, hormis qu’elle ne supportait plus l’ambiance chez les Spencer. La jolie brune s’enquit de son couple avec Joshua… Son aînée se montra encore plus vague qu’elle sur la question. Le détachement avec lequel Elisabeth réagissait en parlant de sa relation était impressionnant. Anguille sous roche ? Eau dans le gaz ? Possible… À moins que sa sœur ne soit bien plus sur la réserve qu’elle lorsqu’il s’agissait de mentionner Joshua. Scarlett préféra ne pas insister. Si sa sœur avait des problèmes, elle lui en parlerait en temps voulu. Par ailleurs, Elisabeth s’engageait déjà vers un autre sujet qui semblait lui tenir plus à cœur. Elle s’intéressait à une photo de leur enfance, datant d’une bonne quinzaine d’années. D’un geste vif, Scarlett posa sa tasse de café, où elle venait de boire une gorgée et regardant son interlocutrice d’un air surpris. Elle fit mine de réfléchir un instant pour remonter dans ses souvenirs, avant de répondre. « Pas que je sache, peut-être à une fête de quartier… Pourquoi ? » La question de sa sœur l’intriguait. Pour quelle raison s’inquiétait-elle d’une photo ? Elisabeth avait peut-être retrouvé ce beau cliché d’enfance sans savoir d’où il venait et elle se le demandait tout simplement. Scarlett avait pourtant l’impression de deviner une autre intention derrière l’interrogation de sa sœur. 97 ? Elle était trop petite à l’époque pour s’en rappeler mais plusieurs enfants du quartier avaient sûrement eu l’occasion de se retrouver sur une même photo, à plusieurs reprises même, lors de fêtes organisées à Magnolia par le voisinage. Les parents de nombreux jeunes du quartier étaient des amis de longue date et se rassemblaient souvent auparavant, lorsque leurs enfants étaient encore petits. Scarlett ne voyait donc pas précisément de quelle photo Elisabeth voulait parler. « Tu l’as ici ? » Demanda-t-elle à son tour, pour s’en rendre compte par elle-même. À supposer que sa sœur l’avait tout court et ne la recherchait pas dans les vieux cartons familiaux… C’était tellement le bordel dans leurs albums photos que ce serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

Lors de ses dernières retrouvailles avec son amie la rouquine, elles en étaient toutes les deux venues à la conclusion qu’il valait peut-être mieux ne parler de toute cette histoire à personne, que ce soit la photo, la nuit au cimetière et les poupées, mais depuis cette fameuse nuit, le cerveau de  la Spencer n’avait cessé de se repasser en boucle les événements. Parfois lorsqu’elle est seule dans sa chambre – ou celle de sa sœur qu’elle s’est récemment mise à squatter, au choix – il lui arrivait de revivre cette nuit au cimetière comme si elle y était encore. Les odeurs, le bruit, le froid, la peur, tout semble parfois tellement réaliste qu’il lui arrive à avoir du mal à se dire que tout ceci n’est qu’un rêve. Le besoin d’en parler se faisait de plus en plus présent ces derniers jours, mais mis à part Ginnie, Elisabeth ne voyait pas bien avec qui d’autre elle pourrait aborder le sujet, mais le problème était que la dernière fois où elles se sont retrouvées avait été tellement mouvementé, qu’il serait peut-être préférable de chercher une autre personne avec qui parler de ça. Et pour la Spencer, qui d’autre que sa sœur cadette en qui elle a une totale confiance, pour parler de cette histoire, ou du moins d’aborder vaguement le sujet. « Une fête de quartier ? Probablement… » La mémoire d’Elisabeth ne remontait malheureusement pas assez loin pour se souvenir d’une quelconque de quartier où elle et certains habitants du quartier s’étaient réunis le temps d’une photo, la seule chose dont elle était sûre était cette maudite date qui ne l’avançait en rien et visiblement, elle n’était pas non plus très utile à Scarlett. « Non, je ne l’ai pas avec moi et à vrai dire, je ne l’ai même plus en ma possession. Tu penses qu’en fouillant dans un des vieux albums je pourrais la retrouver ? Et tu es sûre et certaine que l’année 1997 ne te dit absolument rien ? Il ne s’est rien passé de spécial dans le quartier cette année là ? Disparition, meurtre, apparition… ? » Sans qu’elle ne se rende compte, le ton de sa voix était devenu plus sérieux et elle venait de poser ces questions comme si les réponses dépendaient de sa vie. Ce qui en soit  n’était pas totalement faux, mais lorsqu’elle vit l’air qu’affichait la jeune femme en face d’elle, elle comprit qu’elle aurait peut-être dû être plus subtile ou tout simplement éviter le sujet. Après tout, peut-être qu’elle faisait une fixette sur cette photo parce qu’elle l’avait trouvé à un endroit qui laissait supposer qu’elle est spéciale, qu’il pourrait s’agir d’un indice, alors qu’il s’agit tout simplement d’une fête de quartier banale. Mais alors pourquoi s’être donné tant de mal pour la récupérer et surtout, pourquoi les poupées ? Pourquoi le mot qu’elles avaient trouvés ? « Je suis désolée de te bombarder de questions comme ça… On est censées passer un bon moment et au lieu de ça je commence à divaguer complètement. » Préférant laisser tomber, elle reporta son attention sur sa tasse de café dans laquelle elle y avait plongé sa cuillère qu’elle commença à faire tourner dans tous les sens. Après tout, il valait peut-être mieux qu’elle ne cherche pas à comprendre le pourquoi du comment, qu’elle prenne en considération le mot qu’elle avait trouvé le soir dans le cimetière et qu’elle laisse tomber toute cette histoire. Ou du moins, éviter de mêler qui que ce soit d’autre à tout ça.  

Scarlett essaya tant bien que mal de remonter dans ses souvenirs mais elle ne se rappelait pas d’une photo en particulier. Elle demanda à Elisabeth si elle l’avait en sa possession. En la visualisant, sa mémoire lui reviendrait peut-être. En 1997, elle n’avait pas plus de cinq ans. Difficile de garder beaucoup de garder des souvenirs précis à cet âge… La jolie brune essayait de se remémorer les différentes fêtes de quartier de leur enfance, cependant aucune ne l’avait particulièrement marquée. Sa sœur répéta sa réflexion avant de changer de visage et de se mettre à lancer une multitude de questions les unes après les autres. L’expression d’Elisabeth changea vers une attitude terrifiée. Elle insista sur le sujet et remit en cause les certitudes de Scarlett : ne s’était-il vraiment rien passé cette année-là ? Une disparition, un meurtre… Les propos qu’utilisa son aînée inquiéta la plus jeunes des deux Spencer dont l’intuition première ne l’avait pas trompée. Elisabeth semblait plus inquiète qu’à son habitude, mais pas pour les disputes familiales ni pour son couple avec Joshua, semblait-il. Elle avait autre chose à l’esprit. Quoi ? Scarlett comptait bien le découvrir, maintenant que sa sœur avait ouvert la porte, autant s’y engouffrer de plein pieds avant qu’elle ne fasse mine d’oublier et de changer de sujet. Une disparition, un meurtre. Les mots résonnaient encore dans sa tête. Était-il arrivé quelque chose de grave dernièrement pour que son aînée se mette ainsi à s’interroger sur le passé ? « Non, je ne crois pas. Mais qu’est-ce qui te prend ? Quelle importance a cette photo pour toi ? » Réagit-elle aussitôt. Elisabeth détourna instantanément le regard et ramena ses mains pour commencer à jouer avec la cuiller de son café. Scarlett comprit son intention d’éluder ses questions, sauf qu’elle ne laisserait pas filer cette histoire aussi facilement. Si quelque chose était en train de préoccuper sa sœur ou de lui arriver, la jeune femme tenait à être mise au courant. Son aînée se confondit en excuses et se rétracta davantage. Scarlett tendit son bras vers elle et posa en douceur, mais non sans une certaine fermeté, sa main sur la sienne. « Qu’est-ce qui se passe ? » Demanda-t-elle d’une voix qui se voulait rassurante. « Tu sais bien que tu peux tout me dire. » Elle n’avait pas tort dans ses propos. Ne connaissait-elle pas déjà tout ce qu’elle ne devrait pas sur cette famille, en particulier sur sa soeur ? La jeune femme n’en serait plus à une nouveauté près. Qu’est-ce qui poussait ainsi Elisabeth dans ses retranchements, elle connue pour être la reine de la sérénité en cas de problème ? Mille et une questions se bousculaient dans la tête de Scarlett. Une seule personne avait les cartes en main pour y répondre.  

La jeune Spencer sentait son estomac se nouait lorsqu’elle évoqua la photo, pas parce que l’objet en lui-même la rendait malade, mais au vu des récents évènements, elle ne pouvait pas y penser sans qu’une boule ne se forme au creux de son estomac. Secouant doucement la tête pour répondre à sa cadette, elle essayait de replonger dans ses souvenirs pour trouver ne serait-ce qu’une petite chose pour la mettre sur la voix, mais rien. Pourtant si 6 mois auparavant on lui demandait de donner une réponse approximative sur l’endroit où a été prise la photo, elle aurait pu sans hésiter essayé d’y répondre. Depuis la dernière fois, elle  n’était plus sûre de rien sauf des visages qui étaient représentées sur la photo et malheureusement, ce n’était pas tout. S’assurant que personne n’entende ce qu’elle était sur le point de dire, elle prit ensuite son sac qu’elle mit sur ses genoux de façon à ce que Scarlett puisse regarder à l’intérieur sans qu’elle n’ait besoin d’enlever complètement l’objet. L’inquiétude se lisait sur le visage d’Elisabeth, qui mit tout de même un petit moment avant d’ouvrir le sac, se demandant si elle faisait bien de mettre sa jeune sœur au courant. Elle  ne voulait pas que cette dernière s’attire les foudres de DS ou de qui que ce soit d’autre, mais elle avait commencé à lui raconter et devait par conséquent, aller jusqu’au bout et ça qu’importe les conséquences. Elle poussa un petit soupir avant d’ouvrir enfin son sac, et au milieu de tout un tas de documents qu’elle avait soigneusement rangés, se trouvait un sac en plastique transparent dans lequel elle avait décidé de conserver la poupée qu’elle avait ‘reçu en cadeau’ de la part de DS le soir où elle avait décidé de s’aventurer dans ce cimetière. Elle le prit délicatement entre les mains avant de le poser au dessus de son sac pour être sûre une fois encore que personne ne voit ce qu’elle était en train de faire. « Quand on a trouvé la photo, on s’est mise à paniquer et je ne sais plus si l’idée venait de moi ou de Ginnie, mais on a décidé de l’enterrer dans une boîte, dans le cimetière… » Commença-t-elle à voix basse avant de faire une petite pause, et de reprendre ensuite. « Il y a quelques semaines de ça, j’ai eu la bonne idée d’en reparler à Ginnie et elle a eut l’excellente idée de me convaincre qu’on devait aller déterrer la photo pour la mettre en sécurité. On l’a fait, on a déterré la boîte mais tout ne s’est pas passé comme prévu et cette poupée est l’une des seules choses qu’il nous reste. » Les yeux baissés sur le sachet transparent, elle fit une petite grimace lorsqu’elle toucha la poupée pour la retourner un peu dans tous les sens. Elle était moche, sale et si elle n’était pas dans le sachet transparent, elle sentirait sûrement très fort. Et dire que cette chose était censée la représenter. « Et il y avait une note aussi qui disait qu’on ferait mieux d’en rester là, qu’un accident est si vite arrivé. »  Elle n’avait pas quitté la poupée des yeux, comme absorbée par ce qu’elle avait sous les yeux et avait prononcés ces paroles sans même lever la tête vers son interlocutrice.

Scarlett encouragea sa sœur à lui confier toute l’histoire. Maintenant qu’Elisabeth avait commencé, elle se devait d’aller jusqu’au bout. Que s’était-il passé justifiant ainsi l’inquiétude dans les yeux de l’aînée Spencer ? La jeune femme lui expliqua alors ce qui s’était passé après la vente aux enchères. Ginnie et elle avaient eu la bonne mauvaise idée d’aller cacher cette photo dans le cimetière. « Drôle de cachette. » Commenta Scarlett lorsque sa sœur fit une pause. Pourquoi diable s’en séparer et aller l’exposer dans un endroit hors de leur portée ? La jolie brune trouvait cette idée insensée quoique… Son aînée avait peut-être préféré cette alternative à cause de son inquiétude. Comme écho aux pensées de sa jeune sœur et pour appuyer ses propos, Elisabeth attrapa son sac et l’ouvrit pour montrer à Scarlett ce qu’il y avait à l’intérieur. La jeune femme eut un léger mouvement de recul. Quelle était donc cette horreur emballée dans un sachet ? Une poupée à faire peur, dans le style de Chucky en mode féminin. Repoussante à souhait ! « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Demanda-t-elle aussitôt à Elisabeth, en se demandant pourquoi sa sœur se promenait avec une telle chose dans ses affaires. L’aînée Spencer reprit son récit et détailla comment Ginnie et elle avaient décidé de retourner sur les lieux pour récupérer la photo. Les événements ne s’étaient pas déroulés comme prévu et l’image leur avait complètement échappée, remplacée par des horribles poupées. Scarlett ouvrit une nouvelle fois de grands yeux. Quelle était donc l’importance de cette maudite photo pour justifier une action aussi franche de la part, disons-le, de DS ? La jeune femme avait bien compris qu’il s’agissait d’elle, qui d’autre aurait pris ce risque et aurait laissé une note équivoque ? Des menaces… La personne qui se cachait derrière cette identité était décidément passée à un cran supérieur. Qui sait si il ou elle n’était pas déjà impliquée dans d’autres affaires ? Si Scarlett avait toujours pensé que son rôle se limitait à pourrir la vie des gens du quartier à travers son site ou lors de fêtes organisées à Magnolia pour tout faire foirer, elle n’avait jamais eu la preuve que ses initiatives pouvaient aller bien plus loin. « Pas besoin de demander qui se cache derrière cette œuvre. Mais j’en reviens pas… Elle vous a carrément menacé ?! » Scarlett fulminait intérieurement. Sa sœur avait traversé une situation éprouvante, voilà qu’elle ne l’apprenait que maintenant. « Je me demande bien ce que cette fichue photo peut avoir avec « elle ». Tu n’en as pas fait de copie pour être sûre avant de l’enterrer ? » Demanda-t-elle ensuite à voix basse, son côté pragmatique de retour au premier plan. La jolie brune réfléchissait à toute allure. D’abord les Evans, et puis sa sœur. Cette pimbêche s’en prenait un peu trop directement aux gens auxquels elle tenait dernièrement. La jeune femme voulait trouver un moyen de réagir même si… le message reçu par Elisabeth imposait clairement la prudence. « La note est ici ? » Sa sœur indiquant le sachet, Scarlett l’attrapa discrètement et tomba sur un message, qui n’était évidemment pas écrit à la main. Elle soupira et remit ensuite le tout dans les affaires de sa sœur. « Tu as bien fait de tout garder, on ne sait jamais. » Approuva-t-elle la réaction d’Elisabeth. La jeune femme contrôlait sa surprise et sa colère intérieure pour retrouver son calme et réfléchir à la situation. « Je veux bien qu’il faut rester prudents et tout, mais cette ou ces personne(s) qui se cachent derrière ont trop pris la confiance. Détruire la vie des gens ne leur suffit plus, ils sont passés à un stade supérieur là... À qui d’autre as-tu montré ce mot ? » Elisabeth ne pouvait pas vraiment aller à la police pour de simples menaces, ils s’en moqueraient ou qualifieraient cette histoire de problèmes dignes de cour de récré, mais le signaler était peut-être à envisager si la situation survenait à nouveau. Mais à qui ? Tout semblait tellement se savoir à chaque fois dans ce quartier, que la confiance ne pouvait pas vraiment être accordée à qui que ce soit. Mieux valait donc éviter. Scarlett se rendit alors compte que sa sœur s’était confiée à elle par peur et qu’elle-même n’avait peut-être pas réagi comme il le fallait, dans le sens qu’elle avait plutôt préféré maudire DS plutôt que de rassurer son interlocutrice. « Je suis contente que tu m'en aies parlé. On ne devrait probablement pas trop s’y frotter, mais ça m’énerve de voir que rien ne bouge et que cette ou ces personnes continue(nt) d'agir en toute liberté. » À la place d’Elisabeth, elle détesterait laisser tomber, toutefois elle était contente que sa soeur ait eu le bon sens de ne pas creuser plus loin sans lui en avoir parlé avant. Elle ne savait pas si Elisabeth lui avait fait part de cette histoire parce qu’elle lui pesait ou si elle comptait en rester là, Scarlett lui emboiterait de toute façon le pas, peu importe si Elisabeth choisissait de chercher plus en profondeur ou non.

Elle ne pouvait pas vraiment dire que raconter toute cette histoire à Scarlett lui enlevait un poids des épaules, bien au contraire. Inconsciemment, elle venait peut-être de mettre la vie de sa jeune sœur en danger, alors qu’elle aurait peut-être pu et dû l’épargner. « C’est… supposée me représenter… » Souffla-t-elle en réprimant une grimace de dégoût. Jusqu’à présent, elle n’avait encore aucune idée de ce que représentait la poupée au-delà du fait qu’elle soit à son effigie, elle ne savait pas si il s’agissait d’une poupée vaudou ou d’un simple jouet sur lequel on s’est acharné pour faire passer un message plutôt violent. Elle n’a d’ailleurs jamais eut le courage de le tester, mis à part pour le transporter plus facilement, elle l’avait soigneusement emballé dans un sac en plastique transparent pour être sûre que personne ne s’amuserait à enfoncer des épingles dans le ventre de la poupée. La jeune brune ne l’a d’ailleurs même pas lavée de peur de l’abîmer ou quoi que ce soit, la seule chose qu’elle se soit permis de faire avec la poupée était de la mettre dans le sac et de le ranger dans son sac Lorsqu’elle vit la mine que fit sa cadette en voyant la poupée, l’envie lui expliquer sa théorie sur les poupées vaudous lui avait passé, elle savait très bien ce que penserait Scarlett à ce sujet et qu’elle lui dirait de ne pas s’inquiéter. Elle avait d’ailleurs trouvé le mot juste, elle les avait menacées. Et elle ne s’était même pas contentée d’un mot mais avait préféré y rajouter les formes avec des poupées ridicules et effrayantes. « Non, on a été prise de court et je n’avais aucune envie de garder ça à la maison. Et vu les moyens déployés pour la récupérer, j’ai peut-être eut raison de l’enterrer. » Si l’enterrer était une bonne idée, la déterrer était peut-être la pire, mais cela voulait dire que la photo avait beaucoup plus de valeur qu’il n’y paraissait et qu’elle avait peut-être un rapport direct avec elle. C’était le genre de question que la jeune brune s’était posée pendant des semaines, essayant de lier les choses ensembles, passant de l’élément le plus banal au plus fou, du plus évident au plus ambigüe sans pour autant en arriver à une conclusion. Aujourd’hui il ne lui restait plus que ses souvenirs, une note menaçante et une poupée qui lui rappelait constamment que ce n’était pas elle qui tirait les ficelles du jeu mais qu’elle n’était qu’un pantin parmi tant d’autre ; sa plus grosse erreur dans l’histoire aura été de ne pas prendre l’initiative de garder une copie avec elle ou Ginnie. Concentrée sur la poupée, elle n’écoutait Scarlett que d’une oreille et ne fit même pas attention lorsqu’elle tira le petit papier sur lequel étaient écris les paroles de Dirty Secret. « A personne. » Dit-elle finalement en levant les yeux vers sa jeune sœur. Elle sentait bien que cette dernière essayait de se contenir pour ne pas montrer sa colère, ce qui faisait sourire Elisabeth mais qui était beaucoup trop inquiète et apeurée pour le montrer, elle se demandait d’ailleurs si Scarlett se serait laissée aller si elles n’avaient été que toutes les deux, en privée et sans personnes autour d’elles. « Je suis autant énervée que toi, tu peux me croire, mais je me suis frottée à elle deux fois et la deuxième fois voilà ce qu’on en a tiré… » Lâchant la poupée pour prendre le papier entre ses mains, elle fronça les sourcils avant d’entamer une profonde réflexion avec elle-même. Scarlett avait raison, rien ne bouge ou alors pas assez, à croire que tout le monde avait décidé de laisser tomber et de vivre leur petite vie en laissant DS frapper lorsqu’elle en avait envie, et de reprendre comme si rien ne s’était passée. Cela devait cesser, mais comment ? Ce qui était sûr, était que lorsqu’elle avait encore la photo en sa possession, elle et Ginnie avaient une pièce du puzzle qui mettait la ou les personne(s) derrière le pseudonyme de Dirty Secret en danger et à bien y réfléchir, elles étaient en position de force. Il serait peut-être temps de réitérer l’expérience. « Tu sais, je crois que si on regarde dans les vieux cartons, on peut trouver quelque chose. Surtout qu’on avait commencé à classer les photos par date à un moment, et on était même arrivée jusque 1999. » Lançant un petit regard à sa cadette, elle attendait une réaction de sa part et bien que partagée entre l’envie de ne pas impliquer sa sœur dans cette histoire et faire en sorte que tout cela cesse, elle espérait que cette dernière la suivrait.

Un frisson parcourut l’échine de Scarlett lorsque sa sœur précisa que la poupée était censée la représenter. Quelle blague de mauvais goût… Une blague qui n’en était pas une. La jeune femme prenait cette histoire au sérieux et considérait qu’Elisabeth avait fait l’objet de menaces de la part de DS. Avait-elle fait une copie de la photo avant de cacher l’original sous terre ? Malheureusement, son aînée hocha négativement la tête et lui expliqua que la première initiative qu’elles avaient prises avec Ginnie avait été de dissimuler l’image dans un endroit sûr. Scarlett examina ensuite la note qu’Elisabeth avait reçue. L’écriture à l’ordinateur ne pourrait évidemment les mener nulle part. Le mot ne comportait aucun indice en particulier et la personne qui avait déposé les poupées avaient sûrement pris soin de porter des gants. On pouvait croire toutes ces réflexions qui traversaient la tête de la jeune femme tout droit sorties d’un film policier, toutefois ses pensées fonctionnaient logiquement et se concentraient sur le moindre élément. Cette conversation soulevait deux points importants : la prudence était de mise, mais DS prenait de plus en plus de libertés et ne s’arrêterait pas de pourrir la vie des gens du quartier à tous points de vue. Entre la prudence et creuser plus loin, le choix était délicat. Scarlett n’ayant cependant pas peur pour elle-même, elle emboîterait le pas de sa sœur si celle-ci décidait de chercher d’autres réponses. Comme si son aînée lisait en elle, Elisabeth proposa de regarder dans les cartons de la maison Spencer où étaient rangés les vieux albums photos. Récemment, les deux sœurs et la mère avaient passé du temps à classer plusieurs d’entre eux, même si les deux filles avaient rapidement abandonné, bien plus attirées par d’autres occupations que de trier les vieilleries de la maison. « Tu crois qu’on trouvera quelque chose là-dedans ? » Répéta-t-elle de façon plus ou moins rhétorique. Pas bête… Les deux sœurs ne tomberaient évidemment pas sur le même cliché, mais peut-être que d’autres photos leur montreraient en quelle occasion celui-ci avait été pris. Les Spencer et leurs enfants avaient pratiquement participé à toutes les fêtes du quartier, du moins quand ils étaient petits, car maintenant que Carl, Elisabeth et Scarlett étaient assez grands pour décider de ce qu’ils faisaient, ce n’était plus toujours le cas. « Si on m’avait dit ce matin que je passerais à la maison aujourd’hui, je ne l’aurais pas cru. Mais vu les circonstances… » Scarlett avait pausé dans sa phrase, montrant tout de même qu’elle approuvait l’idée d’Elisabeth et qu’elle chercherait avec elle dans les vieux cartons. Passer quelques heures chez elle n’était pas la même chose que d’y retourner définitivement. D’un air entendu, la jeune femme termina son café et attendit que son aînée fasse de même avant qu’elles ne règlent la note et rassemblent leurs affaires pour quitter le Gordon Coffee. Toute cette histoire avait éveillé leur curiosité et les poussait à vouloir en savoir plus. Alors que sa sœur et elle marchaient rapidement en direction de la maison familiale, Scarlett arrêta Elisabeth quand elles abordèrent une rue bien plus calme. Baissant la voix d’un ton, la jolie brune posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres depuis plusieurs minutes. « Eli… Est-ce que tu crois qu’une des personnes sur cette photo pourrait avoir un rapport avec DS ? » Cette question était quand même plutôt importante, sachant que la plupart d’entre eux comptaient parmi leurs amis proches.

Scarlett venait de marquer un point, à quel point les deux jeunes femmes pouvaient-elles assurer connaître les gens de cette photo ? Magnolia Crescent était l’un de ces quartiers calme en apparence mais qui apportait avec lui son lot de mystères et de secrets, et les Spencer n’étaient d’ailleurs pas en reste lorsqu’il s’agissait de secrets. Elisabeth refusait cependant de se dire que l’une des personnes présentes sur cette photo puisse faire partie du clan de DS ou puisse avoir un quelconque lien avec cette ou ces personne(s). A vrai dire, tout comme sa jeune sœur elle ne savait plus très bien quoi penser, elle ne savait pas si elle devait prendre cette photo au sérieux ou pas, mais tout pensait à croire que oui vu tout le mal que DS s’était donnée pour la récupérer. « Oui, rentrons. » Regardant rapidement autour d’elle pour s’assurer que personne n’ait entendu ce qui venait de se dire entre elle et sa jeune sœur, elles se remirent en route à la même vitesse à laquelle elles avaient quittés le café. Une fois arrivée à la maison, ce fût Scarlett qui s’empressa d’ouvrir la porte, ce qui eut le don de surprendre Elisabeth. Pour quelqu’un qui ne voulait pas retourner à la maison, elle avait une certaine facilité à y entrer, mais soit, elle ne ferait aucun commentaire à ce sujet ou du moins, elle les garderait pour elle. Comme à son habitude, elle déposa ses affaires au salon sans vraiment prendre la peine de ranger et ouvrit la marche en direction du grenier où étaient rangées toutes les vieilles photos de familles. Montant les escaliers à toute vitesse avec la jeune brune sur les talons, ce devait être la première fois qu’Elisabeth semblait aussi impatiente de fouiller dans des cartons, voulant en finir au plus vite. Mais sa joie ne fût malheureusement que de courte durée, lorsqu’elles arrivèrent au grenier et qu’elle réalisa qu’entre le bordel présent et les boîtes qui montraient qu’elles avaient un jour tentées de faire un semblant de rangement, elles étaient mal parties. « Bon, bah quand faut y aller. » Poussant un soupir, la jeune brune s’engouffra entre les boîtes de cartons et tout ce qui traînait au sol, faisant bien attention de ne pas se prendre les pieds dans quelque chose et d’éviter les toiles d’araignées qui ne devaient pas être rare dans cet endroit. « Tu trouves quelque chose ? » Lança-t-elle à Scarlett alors qu’elle s’était accroupie pour commencer à ouvrir quelques boîtes, mais à part des décorations de Noël, d’Halloween ou des vieux vêtements d’enfants qui appartenaient aux enfants Spencer, sa fouille était loin d’être très fructueuse. Elle était même tombée sur un vieux cadre où était encadrée une photo d’elle, de Scarlett et Carl où ils étaient tous les trois habillés en trois petits cochons pour une fête costumée dans le quartier, mais aucune trace de la boîte où les albums étaient rangées, du moins, du côté d’Elisabeth.

Après avoir eu l’avis d’Elisabeth quant à la question qui lui brûlait les lèvres, Scarlett entraîna sa sœur vers la maison Spencer où les deux jeunes femmes pourraient commencer leurs recherches. Une fois arrivées devant la porte, elle sortit sa clef qu’elle gardait pour passer quand elle en avait besoin et leur ouvrit. Elisabeth prit seulement le temps de déposer ses affaires avant de se précipiter dans les marches, suivie par la plus jeunes des deux sœurs qui lui emboîta le pas jusqu’au grenier. La pièce n’était triée que rarement et était devenue, au fil des années, une véritable caverne d’Ali Baba. La jolie brune entra à la suite de sa sœur et afficha une mine dépitée. Comment allait-elle retrouver une aiguille dans une botte de foin ? Afin de gagner du temps, elles se répartirent chacune un côté. Scarlett s’approcha de quelques caisses vides et les débarrassa pour atteindre des cartons tandis qu’Elisabeth fit de même de son côté. « Tu te souviens pas où ils ont rangé les albums ? » Demanda-t-elle pleine d’espoir à sa sœur. Déjà que son aînée ne pointait quasiment jamais le nez dans le grenier sauf quand les deux sœurs se cachaient et préparaient un mauvais coup, il ne fallait pas trop lui en demander. Quelle idée aussi de la part de leurs parents de venir ranger les vieux albums dans cet endroit… C’était comme s’ils voulaient enterrer le passé comme ils enterraient les gens. Scarlett déchanta bien vite en fouillant dans les premières caisses. À croire que les photos avaient disparu de la circulation. « Tu crois qu’ils ont changé les photos de place ou qu’ils s’en sont débarrassés ? » La jeune femme n’avait en réalité pas beaucoup de patience. Disons qu’elle était pressée de mettre la main dessus pour tomber sur l’année 1997. Alors qu’elle déplaçait une ultime caisse, Scarlett en fit tomber une pile sur le côté. « Mince… » Elle s’empressa de tout ramasser et découvrit alors d’autres cartons derrière. De beaux albums reliés, aux couvertures en cuir, classés par année pour la plupart, se trouvaient dans les boîtes. « Alléluia ! Oui, je crois que j’ai trouvé ! Tu viens ? » Appela-t-elle son aînée pour qu’elle se rapproche et l’aide à tout ramener vers la lumière. Il y en avait un sacré paquet, mais Scarlett se souvenait vaguement de toutes ces piles et était quasiment certaine de trouver leur sésame, à savoir la bonne année.