Aujourd’hui était un jour où Lou déprimait. Elle n’avait pourtant pas de raisons. Mais voilà, elle était chez elle, devant Facebook et relisait d’anciennes conversations qu’elle avait eues avec Julian. A l’époque où ils étaient encore les deux meilleurs amis du monde. A l’époque où Julian lui parlait de tout et de rien. A l’époque où elle sentait qu’elle pouvait l’appeler à n’importe quelle heure juste pour lui dire qu’elle n’arrivait pas à dormir, ou bien que tel ou tel truc la tracassait. Désormais, ils se parlaient à peine. Lou pouvait tout à fait comprendre que Julian ne soit plus le même, il venait de perdre sa mère, de façon tragique. Il n’arrivait pas à se relever et refusait de se confier à Lou. Elle se sentait mal pour lui, mais de façon plus égoïste elle se sentait inutile. Quand elle avait perdu son père, elle s‘était tournée vers lui, son seul vrai ami à cette époque là. Le garçon qui la protégeait et qui l’amusait en même temps. Un peu comme un frère. Lou avait décidé d’appeler Julian, pour savoir ce qu’il faisait. Aucune réponse. S’en était trop. Il fallait qu’elle fasse quelque chose.

Elle avait vite enfilé ses chaussures et une veste et avait pris la direction de la maison de son meilleur ami. Elle voulait simplement passer du temps avec lui. Ça faisait des siècles qu’elle ne s’était pas retrouvée seule avec lui. Ça devait même faire depuis la fête de Noël que Lou n’avait pas eu de vraie conversation avec lui. Elle sonna, et Daren vint lui ouvrir. Elle demanda à voir Julian, et son père lui répondit qu’il était dans sa chambre. Lou monta les escaliers à la hâte, et toqua à la porte de la chambre. Elle n’attendit même pas une réponse et ouvrit la porte. Bonne surprise, Julian était bel et bien là. « Salut. » fit-elle avec un léger sourire. Il devait se demander ce qu’elle fichait là. Mais Lou s’en fichait, ils se connaissaient depuis tellement longtemps qu’elle n’avait même plus l’impression de paraître ridicule à ses yeux. « Ton téléphone a peut-être un problème étant donné que tu ne décroches pas. » première pseudo attaque. Au moins, avant il faisait quand même l’effort de lui répondre. « Je te dérange ? » même s’il répondait oui, Lou avait l’intention de camper dans sa chambre. Elle était en plein période nostalgique. Son meilleur ami lui manquait. Elle avait le besoin de renouer avec lui, aussi impossible soit cette mission. Elle entra vraiment et referma la porte derrière elle. "T’es coincé mec", pensa-t-elle.

Julian ne semblait pas vraiment surpris ou même enthousiaste de voir Lou. Tant pis, elle était là maintenant et n’était pas prête à faire demi tour. Ce n’était cependant pas ça qui avait dérangé Lou, c’était à quoi s’adonnait Julian. Scotché devant son ordi ? Ça ne lui ressemblait pas. A moins d’y avoir quelque chose à faire d’important. Qu’il lise l’article de Dirty Secret, encore une chose à laquelle Lou ne s’attendait vraiment pas. Depuis quelque temps, et aussi surprenant cela soit il, ce site était devenu un sujet tabou. Lou n’aimait pas en parler, et encore moins là alors que Julian venait juste de finir de lire. Ce n’était plus le même Julian avec qui elle pouvait parler de tout et surtout de rien. C’était presque devenu un étranger. « Ah. » Lou qui se trouvait sans rien à redire ? C’était rare. Il fallait qu’elle soit vraiment perturbée. Ou mal à l’aise. Oui, c’était plutôt de la gêne qu’elle ressentait ; pourtant, Julian la connaissait par cœur, elle n’avait aucune de raison de se sentir ainsi. La situation était devenue tellement spéciale. Il lui fit signe de s’asseoir à ses côtés, lui laissant même un petit bout de place sur son lit.

Touchée de l’attention, Lou s’exécuta sans rien dire. Elle prit place sur le lit de Julian. Cette invitation voulait peut-être dire que Julian avait un truc à lui dire, or depuis quelques temps il n’était jamais le premier à engager la conversation. Ou alors il désirait simplement avoir une explication. Que Lou lui déballe tout comme elle avait toujours voulu le faire. Elle était sûre que Julian ne la jugerait pas. Elle avait vraiment beau adorer son autre meilleure amie, Zoe, elle ne voyait pas trop lui confier cette histoire sordide, elle était bien trop bonne morale pour comprendre. De même, elle ne se voyait pas déballer à Andrew tous les détails de sa relation ; c’était délicat de confier ça à son nouveau petit ami. Julian semblait donc être la personne la mieux placée pour parler de tout ça, librement. Malheureusement, il restait silencieux, et Lou détestait ce silence pesant. Il devait bien le savoir qu’elle allait craquer la première, après tout lui pouvait se terrer dans le silence durant des jours entiers. « Et donc toi aussi tu penses que je suis une pute distinguée ? » sa question n’avait ni queue ni tête, en fait elle avait juste voulu combler le silence. Évidemment elle ne pensait pas que Julian partage cet avis, du moins elle l’espérait. Lou ne savait pas très bien dans quoi elle mettait les pieds en décidant ainsi d’aborder le sujet avec Julian. Timidement elle reposa son regard sur Julian, et afficha un mince sourire. Ainsi, il ne prendrait peut-être pas ses paroles au sérieux. Même si au fond la gorge de Lou commençait à se serrer. Elle avait déjà abordé l’article avec plusieurs personnes de son entourage, et jamais cela ne l’avait mis au bord des larmes.

Gênée, Lou l’était. Elle avait sans cesse essayé de retrouver son meilleur ami. Par tous les moyens. Rien à faire cependant, le jeune homme avait décidé de murer dans le silence depuis la mort de sa mère. Après avoir tout essayé, Lou était devenue un peu pessimiste, et pourtant ce n’était pas son genre. A la fête de Noël elle avait cru apercevoir une lueur d’espoir, mais finalement non. Julian avait fait silence radio pendant des semaines, voire des mois. Animée par un sentiment de nostalgie, Lou avait décidé de lui rendre visite. Elle ne s’était absolument pas attendue à ce qu’il lui annonce avoir enfin lu le dernier article de Dirty Secret. Bien évidemment cela avait augmenté sa gêne. Puisqu’une nouvelle fois un silence s’était installé entre eux, Lou avait décidé de le rompre sachant pertinemment qu’elle allait sortir une stupidité. Malgré tout, elle essayait de se la jouer cool, de rester fidèle à elle-même en somme. Ce n’était pas chose aisée. Heureusement, Julian venait d’affirmer qu’il ne la prenait pas pour une salope. Ouf, elle n’allait pas fondre en larmes. Du moins pas tout de suite. Elle espérait simplement que l’attitude positive de Julian envers elle ne s’arrête pas là. Il semblait préoccupé, enfin, il était absent, comme il avait coutume de l’être depuis quelques temps. Un peu comme s’il luttait intérieurement.

Elle attendit qu’il argumente, il semblait en pleine réflexion. Lou voulait à tout prix éviter de le brusquer. Mais la patience n’était pas vraiment son fort. Il reprit néanmoins la parole. Des paroles rassurantes, Lou se mit à sourire comme une idiote. Et un putain de « mais » venait tout gâcher. « Mais » ça voulait dire qu’on renonçait à la première partie de sa phrase. Quand bien même il pensait vraiment que Lou resterait sa meilleure amie, quelque chose clochait. « Mais quoi ? » demanda-t-elle du tac au tac. Tant pis pour la patience, Julian jouait un peu avec ses nerfs. « On n’est plus des enfants Julian, tu ne penses pas qu’il serait temps de me dire ce que tu as sur le cœur ? De se parler franchement ? » Lou avait beau vouloir le bien de son meilleur ami, cette situation commençait à l’agacer aussi. Elle était un peu paumée, elle ne savait plus quoi faire. Une seule chose était certaine, c’était que la situation ne pouvait plus être ainsi. Quand elle n’avait pas été bien, elle avait toujours prié pour que Julian lui envoie une onde positive. Qu’il soit à ses côtés pour lui remonter le moral. Elle avait en vaine espérer qu’il soit là pour elle. Pour autant, Lou avait incapable de lui en vouloir. Si jamais une autre personne se serait avisée de lui faire cela, Lou l’aurait tout de suite rayé de sa vie. C’était une chose qu’elle ne pourrait jamais faire à Julian. C’était son meilleur ami, son plus vieil ami. Il avait besoin d’elle autant qu’elle avait besoin de lui, c’était comme ça, et ça ne changerait jamais.

Lou trépignait d’impatience, elle sentait que quelque chose était sur le point de se passer. Elle ne savait pas quoi, mais n’aimait pas cette tension entre eux, palpable. Elle avait d’abord cru que tout pourrait s’arranger, pas d’un coup, mais au fur et à mesure avec le début de leur conversation. Voir Julian qui s’intéressait à elle, comme avant. Mais le jeune King avait des révélations à lui faire. Lou voulait savoir. Allait-elle comprendre l’attitude étrange de son ami ? Allait-elle finalement avoir une explication ? Elle lui demandait de s’exprimer clairement, franchement. Il lui devait bien ça quand même. Elle ne le quittait pas du regard, oui, elle essayait de lui mettre la pression pour qu’il parle plus vite. Il baissa les yeux, se concentra sur ses mains. Merde, c’était donc si grave que cela ? Finalement il repris la parole. Des mots très durs, des mots dont Lou ne pouvaient pas comprendre pleinement la signification. Mettre un terme à leur amitié. Impossible. C’était tout bonnement impossible. Julian faisait partie de sa vie depuis tellement longtemps qu’elle n’imaginait pas sa vie sans lui. Il avait grandi ensemble, c’était un peu comme renoncer à un frère. D’abord muette, Lou essayait de saisir les informations. Elle voulait lui hurler dessus, lui demander comment et surtout pourquoi de telles horreurs pouvaient sortir de sa bouche, mais non, elle était stupéfaite. Heureusement Julian était un garçon intelligent, il lui expliquait de lui-même les raisons de cette rupture. Il voulait le bonheur de Lou, or il ne pouvait pas la rendre heureuse, donc il fallait qu’ils ne soient plus amis. C’était le plus con des syllogismes qu’elle avait entendus de sa vie. Il n’osait toujours pas la regarder, le lâche. A court de mots, Lou avait simplement envie de le prendre dans ses bras. Il semblait perdu. Elle le regarda s’arracher une peau morte au niveau de son doigt, et se faire saigner. Elle n’arrivait pas à détacher on attention de lui. Elle ne parlait toujours pas, ce qui encouragea Julian à poursuivre une nouvelle fois. Julia ?

Après un temps de réflexion, Lou osa enfin reprendre la parole. « Qu’est-ce que tu racontes comme conneries encore ? » fit-elle incrédule. « De quoi tu parles ? Vas-y explique moi. » elle n’avait pas haussé le ton, elle était à son tour légèrement paumé. Trop d’informations d’un coup. « Bordel Julian tu te rends compte de ce que tu me dis ? » elle ne lui laissait pas le temps d’en placer une. « Tu es mon meilleur ami, c’est quoi que tu comprends pas là-dedans ? » doucement l’apathie s’en allait pour laisser place à la colère. « Explique moi. » demanda-t-elle ensuite, même si son ton était plus celui qu’on adopte lorsqu’on ordonne quelque chose. Elle le fixait toujours, alors que lui s’évertuait à regarder ailleurs. Cette attitude ne lui ressemblait décidément pas. Tout ça faisait penser à Lou qu’il ne pouvait pas penser les paroles qu’il venait de prononcer. Non, c’était impossible. Tout simplement impossible.

Lou était dans le flou total. Elle savait que son meilleur ami était mal, et n’avait jamais réussi à percer ce mal-être qui le rongeait. Il ne se laissait pas approcher, il ne s’ouvrait pas. Lou était patiente avec lui, avait toujours cru qu’avec le temps tout s’arrangerait. Comment pouvait-il en être autrement de toute façon ? Ils étaient meilleurs amis pour la vie. Par définition ils ne pouvaient pas se séparer, par définition Julian n’avait pas le droit de lui dire aussi brutalement et surtout sans justification précise qu’il ne voulait plus de Lou dans sa vie. La jeune femme le sommait de s’expliquer, et sur le champs en plus. Elle ne lui laissait pas le choix, il n’avait aucune échappatoire. Elle ne quitterait pas sa maison, et le séquestrerait dans sa propre chambre même s’il le fallait ! D’un côté elle avait l’impression d’être une chaussette sale aux yeux de son ami, mais de l’autre elle espérait qu’il ait une bonne raison de ne plus vouloir d’elle. Il lui dit d’abord qu’il ne pouvait rien lui dire. Il se dérobait, agissait avec lâcheté. Lou continuait de le regarder, elle n’allait rien ajouter, elle allait voir sa réaction. S’il tenait encore un tant soit peu à elle, il ferait des efforts pour lui donner une raison. N’importe laquelle.

Il se leva de son lit, et Lou resta assise, ne le quittant pas des yeux une seule seconde. Il se mit face à elle et reprit la parole. Il semblait plus perturbé que déterminé. Visiblement Julian hésitait encore. Peut-être Lou avait une chance de comprendre. Le "putain" en début de phrase voulait bien dire ce que ça voulait dire ; Julian craquait. Elle le laissa parler, elle n’osait pas l’interrompre, de peur de le couper dans ses révélations ; il ne voulait pas perdre Lou, mais avait peur. Mais putain peur de quoi à la fin ? Lou ne comprenait rien. Elle était larguée total. Il se retourna ensuite pour laisser échapper des paroles qui fendirent le cœur de Lou. Voir son ami dans un tel état de détresse ne lui était pas acceptable. Elle aurait tellement voulu agiter sa baguette magique pour que tout rentre dans l’ordre tout seul. Elle avait sentit sa voix s’abaisser, elle le soupçonnait d’être au bord, des larmes, ou même d’avoir déjà craqué. Elle se sentait impuissante et détestait cette foutue sensation. « Julian… » commença-t-elle, sentant à son tour qu’elle ne tarderait pas à craquer. « Je ne comprends pas pourquoi tu as peur de me blesser. C’est plutôt quand tu dis des choses comme ça que ça me fait mal. » elle jouait franc-jeu au risque de culpabiliser un peu son ami, c’est vrai. « Je sais ce que tu ressens, je suis passée par là moi aussi. » elle n’avait pas envie que son ami pense qu’elle tirait sur la corde sensible, mais quelques années auparavant c’est elle qui était à la place de Julian, en colère, triste, désemparée ; quand son père était mort, Lou avait vu son monde s’écrouler doucement. Elle comprenait ça, au moins. La mort d’Alicia avait été bien plus tragique à de nombreux égards, mais la sensation de perte était la même. « Arrête de te sentir responsable, ça ne t’avancera à rien. Tu ne pourras jamais aller de l’avant sinon. » fit-elle en s’approchant lentement de lui, mais n’osant pas le toucher, de peur qu’il lui file entre les doigts. Souvent, dans ce genre de situations les mots que l’on prononce nous semble vides de sens, et pourtant si Julian ne quittait pas cette phase de culpabilité et de colère, il ne pourrait s’en sortir. Allait finir par devenir fou, ou pire.

Spoiler:

Parfois Lou perdait totalement foi en son amitié avec Julian. Parfois elle ne comprenait pas pourquoi elle s’évertuait à vouloir conserver leur amitié. Ces moments de doute ne duraient jamais plus de quelques secondes néanmoins. La jeune femme se rappelait ensuite tous les bons moments qu’elle avait pu vivre avec son meilleur ami. Elle se rappelait qu’il avait toujours été là pour elle. Il était vraiment une des rares personnes à qui elle pouvait presque tout pardonner. Julian la rendait vulnérable, et ce au même titre que toutes les personnes à qui elle tenait vraiment. Que ça soit sa mère, ses frères, Andrew, Zoë. La vie voulait qu’on s’attache à des gens, et la vie les reprenait aussi parfois. Lou n’était pas d’accord ; et quand Lou n’est pas d’accord elle fait tout pour obtenir ce qu’elle veut. Comme elle ne pouvait tout bonnement pas croire que son amitié pour Julian allait prendre fin, elle faisait tout pour s’y accrocher. Tant bien que mal elle essayait de lui remonter le moral. Il n’avait accepté la mort de sa mère, et peut-être aussi que le meurtre ne soit jamais résolu. Que le meurtrier se promène encore librement, là quelque part. Lou pouvait tout à fait comprendre sa colère, mais ne comprenait pas pourquoi il avait besoin de rejeter tout le monde et pourquoi il ne voulait pas faire son deuil. Quand elle lui avait dit d’arrêter de culpabiliser, il ne répondit même pas. Il reprit la parole quelques minutes plus tard, alors que Lou s’était levée pour se placer derrière lui. Elle avait l’impression que si elle faisait le moindre mouvement Julian allait lui filer entre les doigts comme si elle avait essayé d’attraper de la fumée avec ses mains. Il la sommait d’arrêter de parler un instant. Elle s’exécuta. Ne sachant pas vraiment si c’était plutôt bon ou mauvais signe.

D’un mouvement maladroit, il prit Lou dans ses bras. La jeune femme c’était attendue à tout sauf à un geste d’affection de sa part. Qu’est-ce que ça voulait dire à la fin ? Elle se tût, réfléchissant. Elle le serra à son tour dans ses bras. Certes cela lui faisait du bien mais pourquoi ce geste avait-il un goût si amère ? « Tu resteras mon meilleur ami quoi qu’il arrive. » et pourtant, d’une certaine façon elle avait l’impression que cette séquence émotion ressemblait à un adieu. Elle resta un instant à le serrer dans ses bras, puis mit fin à leur étreinte. Elle le regarda un instant, un mince sourire sur les lèvres. Une sensation de nostalgie s’empara subitement d’elle. Elle n’avait pas envie de ruiner l’instant, mais elle ne tenait plus. « Dis, c’est quoi cette histoire avec Julia. » elle n’avait pas oublié ses paroles. Julian n’était pas un garçon qui blessait volontairement les autres, elle n’y croyait pas. Il se cherchait des excuses tout simplement ! Il était un peu solitaire et mal dans sa peau, mais ça ne faisait pas de lui quelqu’un de mauvais. Il était juste un peu abîmé par les tourments de la vie.

A contre cœur, Lou s’écarta de l’étreinte du jeune homme. Elle désirait reprendre leur conversation là où ils l’avaient laissé. Lou n’était pas le genre à lâcher le morceau, elle était déterminée, bien souvent quand elle voulait quelque chose elle l’obtenait quelque soit le prix. Parfois cela lui jouait des tours, peut-être allait-elle regretter de demander tant d’honnêteté à Julian. De toute façon elle n’était même pas sûre d’obtenir une réponse, il se renfermait parfois si soudainement… Là, il semblait néanmoins enclin à lui donner une réponse. Il avait du mal à tout raconter, alors Lou le fixa d’un air sérieux, elle hochait la tête l’invitant à continuer. Elle voyait bien qu’il avait l’air fatigué, las. Elle pouvait voir ses yeux un peu humides. Jamais elle n’avait vu son meilleur dans un tel état. Il semblait ne plus rien contrôler. Lou s’en voulait presque de lui demander de continuer alors qu’il semblait encore plus bouleversé que d’ordinaire. Elle n’eut pas le courage de lui demander d’arrêter, sa curiosité étant plus forte.

A l’évocation de la lampe de chevet, Lou eut un mauvais pressentiment. Bien entendu cette frayeur se confirma lorsque Julian lui confia l’avoir jeté à la figure de Julia. Elle savait que la relation entre Julia et Julian s’était mal terminée, mais de là à un tel degré de violence. Elle ouvrit des yeux ronds, sincèrement surprise de cette révélation. Elle savait que Julian pouvait parfois se montrer violent, mais pas à ce point là si ? « Bordel Julian. » ne put elle s’empêcher de commenter. Elle se doutait bien que cette charmante phrase n’allait pas rassurer son ami, mais comment était-elle supposée réagir ? « Tu as perdu ton sang froid, ça peut arriver à tout le monde. » elle ne pensait pas que Julian ait pu faire du mal à cette fille volontairement. Il n’était pas comme ça, elle le savait. Cependant les faits jouaient contre elle. Elle voyait bien néanmoins que Julian ne s’était jamais remis de cet événement. « C’était quand ça ? » elle n’était pas vraiment sure de ses paroles, mais elle se devait de rassurer son ami. Au moins tenter de le faire. Même si cela n’était pas très convaincant, même si cela n’allait rien changer. Lou avait décidé de ne jamais laisser tomber Julian, même si celui-ci vivait des moments durs ou troublants, elle allait faire de son mieux pour qu’il se sente épaulé. Certes il venait un peu de la jeter de sa vie, mais Lou était très têtue. S’il venait de lui raconter cette histoire pour lui faire peur il avait clairement raté son coup. Lou n’allait pas quitter la chambre de son ami en criant « vade retro satanas », non, il pouvait toujours se mettre le doigt dans l’œil là.

Spoiler:

Au moment même où Lou prononça son « bordel », elle sut qu’elle avait fait une connerie. La jeune Huntington était comme ça aussi ; têtue, spontané, un peu trop directe parfois. Cacher ses émotions et ses pensées n’étaient pas une chose à laquelle elle aimait s’adonner, pire, elle n’était vraiment pas douée pour ça. Elle prit sûr elle néanmoins, se rappelant que c’était Julian face à elle. Elle avait foi en lui. Savait que c’était une bonne personne. Lui en doutait. Pourtant, s’il se posait autant de questions ça prouvait bien sa bonne foi. Une remise en question perpétuelle illustrait que ce n’était pas un monstre au fond. Pour mieux comprendre, elle lui avait demandé quand cela c’était produit. Lou fit la douloureuse constatation que c’était à la fin de sa relation avec Julia. Elle qui n’avait jamais su pourquoi ils avaient cassé précisément, comprenait maintenant. Les précisions que Julian apportait ne purent que faire sourire la jeune femme, et pourtant rien de toute cela n’était drôle. Silencieuse, Lou tentait de comprendre comment Julian avait pu en arriver là. Elle venait de lui dire qu’il avait perdu le contrôle, comme n’importe qui essayant de le rassurer. Malgré tout, une petite partie d’elle se demandait si elle pouvait un jour, elle aussi perdre le contrôle à ce point-là.

Bien vite cependant Julian reprit la parole. Il s’excusait, et recommençait une nouvelle fois avec ses conneries de ne pas lui faire du mal. Elle soupira. Il ne comprendrait jamais qu’elle n’avait pas peur de lui, ne le prenait pas pour un taré. A l’évocation de ses dernières paroles, Julian semblait revivre la scène ce qui donnait à Lou l’impression de la voir se dérouler devant ses yeux. La voix de Julian se brisa à la fin. Elle posa un regard apeuré sur lui. Allait-t-il une nouvelle fois avoir les larmes aux yeux ? Pas sûr que Lou puisse supporter de voir son ami aussi mal, une nouvelle fois. « Mais mince tu ne vois donc pas que je n’ai pas encore pris mes jambes à mon cou ? » question purement rhétorique. Coup de force argumentatif, elle pouvait aussi lui tendre une nouvelle lampe de chevet et lui demander si maintenant, tout de suite, il avait envie de lui jeter à la tronche pour ne plus l’avoir devant lui. Elle choisit néanmoins une approche un peu moins provocatrice. « Pourquoi es-tu si en colère ? » finit-elle par demander. D’un côté, elle se doutait bien de la réponse : l’assassin de sa mère courait toujours. De l’autre, elle n’avait jamais compris pourquoi il n’essayait pas d’avancer. Julian était une personne complexe, Lou était une des rares personnes qui pouvaient le cerner, désormais, elle ne le comprenait plus. Ou moins qu’avant. Il avait changé, profondément changé. Et pourtant Lou savait que quelque part chez ce garçon qui se tenait devant elle aujourd’hui, se trouvait toujours le petit garçon avec qui elle pouvait rester pendant des heures à parler de tout et de rien. Ce petit garçon, naïf, pas encore totalement pessimiste et froid qui semblait être blasé de tout. Elle en était sûre, et surtout très déterminée à le faire revenir à la surface.

Comprendre Julian était un vrai casse-tête. Lou avait l’impression de faire un rubik's cube ; elle tortillait Julian dans tous les sens, essayant tant bien que mal de le remettre en ordre, couleur avec couleur. Elle n’avait pas la patience nécessaire pour faire ce genre de jeu habituellement. Mais là ce n’était pas un jeu. Elle ne pouvait pas laisser Julian dans les mains de quelqu’un d’autre. Elle avait l’impression qu’elle était la seule qui pouvait résoudre ce problème. Alors ses nerfs en prenaient un coup, mais sa détermination n’avait jamais été aussi forte. L’amitié était une valeur extrêmement importante à ses yeux, et Julian était son meilleur ami. Même s’il l’avait appelée à deux heures du matin en lui demandant d’apporter une pelle, Lou l’aurait fait. Tout simplement parce que l’amitié c’était cela aussi. Au delà des fous rires, des taquineries, il y avait aussi les moments difficiles, les déceptions, les illusions contrariées. Un euphémisme serait de dire que Julian vivait des moments difficiles. Jusqu’à aujourd’hui Lou n’avait pas pris clairement conscience de la situation, dans l’état de détresse dans lequel se trouvait son meilleur ami. Elle avait l’impression de se prendre une claque à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. Elle arrivait à s’en remettre pourtant. Elle essayait, continuait, argumentait. Elle pensait arriver à faire un petit effet, ou l’espérait. Oui, il semblait bien que Julian soit moins froid, plus attentif, plus réceptif. Il répondait même aux questions de Lou. Tout semblait s’arranger.

Il ne faut jamais être trop naïf. Ses dernières paroles avaient changé la donne en trente seconde et venaient de la mettre KO ; c’était la claque de trop. Elle était abasourdie de la désinvolture avec laquelle il considérait sa situation. En dehors du monde. Totalement marginal, à part. C’était donc ça la raison de sa colère ? L’impression que le monde tourne trop vite pour lui ? Il y avait trop d’informations à la fois pour le petit cerveau de Lou qui tentait toujours de remettre les morceaux en place. Elle se retrouvait sans voix, incapable de seulement prononcer une seule parole. La phrase de Julian flottait toujours dans l’air, avec toute la poésie dont il l’avait empreinte. Que pouvait-elle répondre ? Rien. Mais elle fut touchée. Depuis le début de leur conversation, elle était trop fixée sur son objectif pour laisser sa sensibilité transparaître. Sa garde était brisée désormais, et rien ne l’empêchait plus de craquer. Elle tourna le dos à Julian, fit quelques pas vers le lit de son ami et s’y assit. La tête baissée, elle avait laissé un silence s’installer, pesant sans doute pour Julian, mais nécessaire pour elle. Doucement, une larme perla au coin de son œil. D’un geste vif, elle l’essuya. Le moment n’était pas opportun pour se laisser aller. Et pourtant, comment rester de marbre alors qu’elle avait la nette impression de palper l’amertume, la colère, et l’angoisse de Julian, mais qu’elle ne pouvait rien faire d’autre que de la toucher vaguement. Impuissante, sa détermination était retombée comme un soufflet.

« Dis, tu y a réfléchi pendant combien de temps à cette phrase ? » le silence avait duré trop longtemps. Et Lou n’avait trouvé que cela à dire. Elle lâcha un rire, elle le taquinait, évidemment. Ce n’était pas le bon moment, ce n’était pas approprié, mais elle ne pouvait pas prendre la situation autrement qu’à la légère ou alors elle allait se transformer en fontaine ce qui serait tout sauf réconfortant pour le jeune homme. « Oh, et puis merde Julian. » fit-elle en se levant brusquement pour aller prendre son ami dans ses bras, geste tout à fait impulsif et vain. « Qu’est-ce qu’on peut faire ? » elle se doutait bien que Julian n’avait pas la solution. Elle ne l’avait pas non plus d’ailleurs.

Se sentir impuissant était un sentiment bien déplaisant. Lou détestait cette sensation, parce qu’elle aimait bien régler les choses, dans l’immédiat de préférence. Avec Julian elle avait déjà pris assez de temps. La patience n’était pas son truc, mais elle était maligne. Ne pas le brusquer. Et pourtant elle en avait eu marre, elle avait le besoin de parler avec lui, subitement, sur un coup de tête. Elle avait craint tout ce que pourrait lui dire son meilleur ami, mais n’avait pas renoncé pour autant. Elle était venue chercher des explications et à sa manière Julian les lui avait données. Alors c’est sûr que Lou ne comprenait pas tout. Comprenait d’ailleurs même très peu de choses, mais elle avait quand même l’impression d’avoir franchi une étape avec lui. Il ne la rejetait pas, au contraire il semblait enfin avoir saisi que Lou n’avait pas cessé d’être son amie peu importe les changements qui l’avait bouleversé. Comme solution elle n’avait au final trouvé qu’à faire une blague stupide qui souleva une interrogation visible sur le visage de Julian. Elle s’était ensuite jetée dans ses bras, incapable de trouver une autre solution. Un câlin pouvait tout arranger ? Sans doute pas, mais elle ne savait pas quoi faire. Continuer de pleurer en silence ? Non. Mieux valait lui demander ce que lui voulait faire, même si elle savait qu’elle n’aurait aucune réponse. Si Julian l’avait eue, il aurait déjà tout fait pour en finir avec ses problèmes, ses questions et ses doutes. Elle resta un moment dans ses bras silencieuse. L’instant était beau, malgré tout.

« Je donnerai tout pour qu’on soit gamins encore une fois. » on pourrait décerner à Lou la palme du changement de sujet, mais elle venait de penser à eux quand ils n’étaient encore des enfants, à 8 et 10 ans, rieurs, taquins, faisant toutes sortes de bêtises. Insouciants. Elle avait bien conscience qu’un hypothétique retour dans le temps n’était pas non plus une solution, et que la nostalgie était un sentiment étrange qui pouvait à la fois être facteur de bonheur et malheur. « Je sais c’est con de penser à ça. » ne put-elle s’empêcher d’ajouter. Elle n’avait toujours pas bougé, elle appréciait le moment, doutant d’avoir de la part de Julian de nouvelles marques d’attention. « Je devrais peut-être rentrer n’est-ce pas ? » elle n’en avait pas envie cependant. Mais elle doutait qu’ils puissent aller plus loin tous les deux aujourd’hui. En plus, elle préférait que leur rencontre se termine par une étreinte plutôt que par des pleurs, ou autre chose qui leur laisserait un goût plus amer au fond de la gorge. Lou avait aussi envie de repenser à cette conversation à tête reposée. Peut-être que par miracle une lumière allait s’allumer dans sa tête lui permettant d’accéder à la clé de l’énigme. Qu’elle trouver la solution miracle qui pourrait soulager Julian, lui enlever cette impression particulière d’appartenir à un autre monde, d’être différent, étranger, et surtout rejeté. Elle déposa un baiser timide sur sa joue, avant de desserrer leur étreinte.

Les souvenirs d’enfant évoqués par Lou semblaient les avoir tous deux plongés dans le passé. Une époque révolue, qui avait eu son lot de joie et de peines, et qui pourtant les laissait mélancolique. Heureux néanmoins d’avoir ces souvenirs en tête, gravés à jamais. Ils avaient grandis ensemble, et c’est ce qui faisait de leur amitié une chose si spéciale, et si précieuse. Il la connaissait vraiment, la Lou tantôt gamine, capricieuse et rieuse, tantôt la Lou adolescente, rebelle, et désinvolte. De même, elle le connaissait, le vrai Julian, pas celui qu’il était devenu. Celui dont certaines personnes préféraient éviter le chemin. Le temps d’avant finit par conclure, d’un ton qui marquait cette époque comme bel et bien terminée. Peut-être que Lou n’avait cherché qu’à se rassurer en pensant à leurs souvenirs, pensant trouver encore aujourd’hui cette ambiance si particulière de leurs jeunes années. Niet, Julian venait définitivement de ruiner ses derniers espoirs. Le silence se poursuivit, et Lou fut surprise de constater qu’elle l’appréciait. Elle qui d’habitude avait tellement de mal à supporter le bruit du silence trouvait qu’il comblait parfaitement l’atmosphère de la pièce. Bien vite néanmoins, elle avait repris la parole pour annoncer son départ. Du moins, elle l’évoquait par une question. D’un point de vue personnel, elle pensait que c’était la bonne chose à faire. Ils étaient plus ou moins en bons termes, et Lou n’avait pas envie de ruiner le moment. L’acquiescement de Julian ne l’étonna pas, lui était un solitaire avait peut-être avait-il besoin de retrouver sa compagnie. Une fois qu’ils eurent terminé leur étreinte, Julian la remercia. Elle eut un sourire niais, tellement bête, mais si heureuse de pouvoir être utile à son meilleur ami. Et même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi il tenait à lui dire merci, l’entendre prononcer ces paroles étaient pour elle la source d’un bonheur sans nom.

Ils se dirigèrent ensuite vers la porte, Julian l’ouvrit, et proposa à Lou de la raccompagner. « Je risquerai de me perdre. » répondit-elle amusée. En fait, elle acceptait surtout pour profiter encore quelques minutes de la compagnie de son ami. Profiter de ce moment si spécial qu’avait été cette journée, même si globalement elle n’était pas très heureuse pour eux. Pourtant Lou avait l’impression d’avoir fait un pas dans l’univers de Julian. Elle ne le saisissait pas totalement, n’y serait sans doute jamais à sa place, mais l’important était de se sentir intégrée et utile. Elle descendit les escaliers qui menaient à la porte d’entrée. « Tu m’aides à remontrer la rue aussi ? » demanda-t-elle le plus innocemment du monde. Elle était totalement consciente que son attitude était risible. Ils n’avaient pas durant ces moments-là une grande conversation, ils étaient même silencieux. Cependant le fait de le savoir à ces côtés lui faisait ressentir la même chose que quelques années auparavant. Avant toute cette merde qu’était la mort d’Alicia. Parfois on fait des choses stupides juste pour retrouver une sensation perdue, et c’était tout à fait ce à quoi Lou s’employait maintenant.

HJ - désolée pour le retard, j'avais pas vu que tu m'avais répondue