La routine dévorait Julia tous les jours. Elle se levait, bossait, glandait, dormait, et faisait exactement la même chose le lendemain. Quand le réveil ne la tirait pas du sommeil, elle continuait de dormir jusqu'à être bien éveillée et en avoir marre d'être allongée dans son lit à penser, penser, penser. C'était comme ça tous les jours depuis l'article de Dirty Secret et vu le manque de motivation de Julia ça ne risquait pas de changer avant un bon bout de temps. Elle aimait presque son travail de serveuse, qui lui permettait de penser à autre chose qu'à Zach et ce qu'il avait fait. Evidemment, ce soir, elle n'était pas de service et attendait, comme tous les soirs où elle n'était pas de service, que quelque chose d'intéressant se passe. Une émission à la télé, un film, une dispute avec Leeda ou Henry. Elle n'avait plus vu Jaylann depuis quelque temps déjà et c'était mieux ainsi ; l'ainée avait vraiment bien choisi son moment pour s'éclipser de la maison Fitzgerald, sans quoi Julia l'aurait sûrement assassinée dans son sommeil ou empoissonné ses repas. Comme s'ils faisaient la paire, elle n'avait plus eu de nouvelles ni de Jaylann ni de Zach depuis le jour où elle avait appris ce qu'il s'était passé entre son (ex)copain et sa soeur. Enfin, si, il lui avait envoyé quelques sms, avait essayé de l'appeler plusieurs fois et avait même commenté son changement de situation amoureuse sur Facebook par trois petits points – autant dire, un commentaire inutile – mais comme à son habitude Julia n'avait répondu à rien de tout cela et il avait progressivement arrêté. Elle n'avait donc pas de nouvelles de lui et lui aucune d'elle. Elle évitait autant que possible les endroits où il trainait habituellement ; les fêtes aux alentours, le bar et même le supermarket. C'était une chance qu'il ne soit pas venu en personne sur son lieu de travail, où elle n'aurait pu faire autrement que l'affronter.
Plongée dans ses pensées, à ressasser ce qui était aujourd'hui le passé et, en somme, à se faire mal, la sonnerie de son téléphone tira Julia de sa rêverie. Elle avait à peine envie de voir qui s'intéressait à elle un soir de semaine, mais regarda quand même, par curiosité.

Julian. T'es libre ce soir ?
Julia. Oui.
Julian. On peut se voir ?
Julia. Gordon Coffee.

Elle acceptait, seulement parce que c'était lui – et pourtant, ils ne s'étaient réconciliés que depuis quelques mois, et ce grâce à Zach. Mais s'il lui donnait rendez-vous parce que son meilleur ami le lui avait demandé, alors elle le rembarrerait et rentrait aussi sec. Elle ne disait cependant pas non à une petite distraction.


Elle fut au Gordon Coffee une demi-heure plus tard. Se préparer lui avait pris plus de temps que venir au bistrot ; malgré tout ce que pouvait penser Julian, elle ne lui donnerait aucun indice que toute cette histoire l'avait affectée. Elle s'était donc habillée et maquillée normalement, comme elle le faisait depuis toujours, comme si rien n'avait changé. Comme si elle n'avait pas été atteinte.

Février avait plutôt mal commencé. Julian était persuadé que l'amour ne lui seyait pas bien et l'histoire tragique de son rendez-vous raté avec Lucy ne faisait qu'accentuer sa vision des choses. De plus, il avait ouï, ou plutôt lu (Merci Dirty Secret !), qu'il n'était pas le seul malheureux en amour. Car son ancienne petite-amie, jolie blonde volcanique, Julia Fitzgerald avait elle aussi subi le mauvais versant de la pente. L'anonyme cachée derrière son écran pouvait être haïe, Julian savait qu'elle ne délivrait jamais des informations malhonnêtes. Et lorsqu'elle s'était permise de révéler la trahison de Zachary Dekker, il n'avait pas douté une seconde de la véracité de ses aveux. Même si l'impertinent en question n'était autre que son meilleur ami. Même si la fille avec laquelle il s'était joyeusement envoyé en l'air était la soeur de sa propre copine. Oui, décidément, le fils Dekker n'avait pas fait les choses à moitié.
En apprenant cette triste nouvelle, Julian avait voulu appeler son ami, lui demander des explications. Il l'aurait bien engueulé aussi, mais il se doutait que Julia n'hésiterait pas à lui remettre les yeux en face des trous. Et puis finalement, le King sentait qu'il n'était pas le mieux placé pour faire la morale à quiconque. Alors il avait refusé fatalement de composer le numéro de Zachary.
Pendant bien une semaine, le jeune homme avait suivi les aventures du couple Fitzgerald/Dekker grâce à un fameux réseau social, et avec dépit, avait pu constater l'arrêt de leur relation. « Julia Fitzgerald est passée de en couple à célibataire ». Cependant, il n'avait eu la foi de croiser la jeune fille avant ce jour. Il faut dire que la Saint-Valentin était arrivée très vite et qu'il s'était stressé à faire parvenir sa lettre pour Lucy à temps. Mais une fois ceci fait, Julian n'avait plus aucune raison de repousser sa rencontre avec Julia. Il attendit néanmoins le week-end pour cela, et ce avec une idée bien particulière derrière la tête : poindre juste après l'anniversaire de la jeune fille, le seize février.
En lui envoyant un texto, Julian n'avait que de bonnes intentions, surtout de celles à faire plaisir. Elle avait répondu qu'elle était disponible pour un rendez-vous au Gordon Coffee. Il s'en ravit et se hâta de demander conseil à Philipp pour un cadeau pour une fille. Il lui proposa quelques idées romantiques que Julian refusa à chaque fois. Pour Julia, ni fleurs, ni chocolats, ni bijoux et encore moins peluches. Ce n'était pas leur genre à tous les deux.
En arrivant au bar, Julian se dirigea directement vers une table. Il soufflait fort à l'extérieur, et il se refusa d'attendre les cheveux au vent. Il s'installa à une table et ôta son manteau. En voyant Julia apparaître, il lui fit un signe et l'invita à s'asseoir. Aussitôt, il se laissa aller à un sourire. Il ne l'avait pas conviée pour jouer au dépressif. Alors, il tira une boîte de la taille d'un poing et la fit glisser devant la blonde.

-Joyeux anniversaire Julia.

Il ne savait pas si le verre à shooter qu'il venait de lui offrir allait lui plaire. Ce n'était en réalité pas plus le verre que le message sur celui-ci : « Une fille au top ! », ainsi que la grenouille difforme au dos. Le tout était assez comique, mais cela n'assurait pas le plaisir de la jeune fille.

-Ca va comment ? S'inquiéta Julian pour ne pas s'attarder sur le cadeau dont il n'était pas sûr.

Le Gordon Coffee était ouvert le soir et c'était une chance parce que Julia ne comptait pas faire la folle aujourd'hui. Elle avait déjà bien assez bu la veille, pour son anniversaire, et se doutait que les fêtes n'étaient de toute manière toujours pas le dada de Julian. Qu'il se manifestait plutôt pour lui parler. C'était tant mieux parce qu'elle aussi avait envie de discuter, n'étant plus certaine d'avoir raconté tout ce qu'il y avait à raconter à Carl pendant leur soirée de la veille. Julian était déjà assis à une table lorsqu'elle entra ; il la repéra, lui fit signe, et elle alla le rejoindre. Elle quitta sa minuscule veste qui ne la protégeait de rien par ce temps et se posa sur une chaise, pile devant un cadeau soigneusement emballé. Julian devait avoir la pêche aujourd'hui, il enchaînait sortie, sourire, cadeau et prise de nouvelles.

« Ça va super. Et toi ? »

Elle préférait de loin la simplicité aux longues explications du pourquoi du comment elle était dégoutée à longueur de journée, et au passage démangée par l'envie de poser quelques questions sur un certain meilleur ami qu'elle évitait autant qu'elle le pouvait. Même si elle se doutait que Julian était déjà au courant de l'histoire, comme à peu près tout le quartier, si ce n'était plus. Elle arrêta de triturer l'emballage du cadeau pour le déchirer et découvrir... un verre à shooter, accompagné d'un petit mot et d'un dessin qui ressemblait à une grenouille. Julia étouffa un petit rire. Ça, c'était un cadeau qui allait servir. Enfin, le verre, en tout cas. À vrai dire elle n'avait pas vraiment pris le temps d'ouvrir ses cadeaux, s'enfuyant vite fait bien fait de la maison Fitzgerald pour aller passer la soirée ailleurs.

« Waaawh, merci ! Par contre il servira plus tard, désolée ; ce soir je resterais à la limonade. J'pensais pouvoir être tranquille hier mais ce n'était pas de l'avis de tout le monde, alors... »

Elle avait quand même été bien contente d'échapper à la fête d'anniversaire familiale, ou la manière la plus merdique de fêter un anniversaire, mais comme promis Carl avait amené de quoi s'amuser, et en effet ils avaient bien rigolé tous les deux. Cependant le réveil avait été dur et Julia avait envie de tout sauf d'alcool. Du moins, de l'avis de son estomac.

Le jeune homme n'avait pas envie de s'épancher sur ce qu'il ressentait. Son cœur ne cessait d'être contradictoire, et cela le gênait outre mesure. De la crainte à l'assurance, il n'y avait qu'un pas, microscopique. Car si l'on s'en référait aux événements récents dans la vie de Julian King, alors c'était un grand huit infernal. Du rire aux larmes, de l'espoir à la déprime, des hauts aux bas. Ce n'était pas évident de sortir d'un sommeil dans les ténèbres, Julian n'irait pas dire le contraire. Mais telle chose était bien en train d'arriver, du moins, à condition que Lucy l'accepte, lui et ses piètres excuses. En effets, après avoir décidé de revoir la jeune fille au cours d'un rendez-vous, et de l'avoir lâchée au dernier moment sans même la prévenir, il était dans l'ordre du normal qu'elle lui en veuille. Cependant, la jolie Roberts faisait face à l'héritier des King, et grâce aux précieux conseils de son paternel, Julian n'avait pas refoulé ses sentiments. A l'occasion de la Saint Valentin, le prétendu fils dépressif de la morte avait réussi à surmonter son passé pour se faire pardonner. Et désormais, il ne faisait qu'attendre ce mercredi pour savoir s'il pouvait espérer à un futur ou non. Car sans Lucy, Julian ne désirait rien, et préférait broyer du noir. Elle était son étoile, et rien ni personne ne pourrait la remplacer, jamais.

-Ca va aussi, répondit-il sans s'éterniser sur la question.

Lorsque la blonde ouvrit son paquet, Julian avait une certaine appréhension. Il n'était pas le genre à offrir des cadeaux à tout va. Déjà qu'il n'était pas le genre à avoir des amis (a). Mais Julia comptait pour lui, elle représentait un peu son côté mouton blanc et en dépit de leur rupture apocalyptique, les deux jeunes gens avaient réussi à oublier un peu leurs vieilles rancoeurs. Ils s'étaient un peu pardonnés, et Julian ne saurait remercier assez la jolie blonde pour tous les efforts qu'elle avait déjà fait et continuerait à faire pour lui. D'une certaine manière, Julia était de celles pour qui le jeune homme ne s'inquiétait pas ; il ne craignait pas de la voir physiquement comme Lou et ne pouvait s'expliquer les raisons. Peut-être qu'au fond de lui, il savait que sa meilleure amie restait la proie idéale et désirée ; alors valait-il mieux l'éloigner pour la garder en sécurité. Alors le garçon profitait d'avoir une amie qu'il puisse rencontrer sans être trop nerveux. Enfin, il craignait que le cadeau ne lui plaise pas, mais c'était un autre problème. Et puis, au final, elle sembla ravie, ce qui soulagea le King. Bien qu'elle assure ne pas l'utiliser ce soir, il s'en fichait ; il ne s'était pas trompé comme ç'avait été le cas à d'autres occasions. Mission réussie.

-Oh, tu as bien fêté ton anniversaire alors !

Julian y allait au hasard. Evidemment, il ne songeait pas à ce que Julia ait bu à en avoir la gueule de bois avec ses sœurs, ses parents ou même son frère. Elle n'était pas de ces filles à partager la boisson en famille. Et puis, les Fitzgerald étaient une famille particulière, Julian avait pu le remarquer à de nombreuses reprises. Cependant, puisqu'il était presque certain que Julia n'avait pas fêté ses vingt-deux ans avec Zachary, il ne pouvait que faire des suppositions. D'un côté, il se fichait de savoir avec qui la blonde avait bu, alors il n'insista pas. Elle le lui dirait si l'envie lui prenait, un point c'est tout.

Les cheveux ébouriffés au possible, Julia essayait de les remettre en ordre, bien qu'elle sache déjà que c'était mission impossible. Déjà qu'à la base, ils étaient loin d'être dociles, avec ce vent ça devenait presque la jungle sur sa tête. Et tout ce vent rendait l'air encore plus froid qu'il ne l'était à l'origine, et bien que peu frileuse, même Julia se retrouvait à frissonner de froid. À croire que le temps s'était mis en accord avec son humeur, pour être assorti.

« Ouais ça va, c'était cool. Carl Spencer, tu connais ? »

Elle savait que Carl connaissait Julian, et pas forcément en bien puisqu'elle lui avait parlé du garçon lorsqu'elle sortait avec le Spencer et que le froid entre les deux Jujus était toujours aussi présent qu'à ses débuts. Mise à part cette image peut valorisante, les deux garçons ne semblaient pas se connaître plus que ça. Mais peu importe, elle n'avait de toute manière pas très envie d'épiloguer sur la soirée légèrement trop alcoolisée de la veille. Elle avait eu la gueule de bois ce matin en se réveillant, fin de l'histoire. Un serveur venait justement vers leur table et Julia commanda, comme prévu, une limonade.

« Et toi t'as fait un truc ? La Saint-Valentin... ? »

ajouta-t-elle une fois l'employé reparti chercher les boissons. Il n'était jamais trop tard pour se tenir au courant des nouvelles de ses amis. Julia n'avait pas eu beaucoup d'occasion d'en savoir plus concernant Julian, notamment sur sa vie amoureuse, et venait juste de décider que c'était le moment. Il y avait bien une histoire avec Lucy Roberts non ? Enfin, la Fitz n'avait pas tout suivi, mais apparemment la brune avait le brun dans sa ligne de mire, et Julia elle-même l'avait encouragée à prendre son courage à deux mains et faire avancer les choses. Se changer les idées avec de l'amour ne ferait pas de mal à Julian. (a) Enfin, s'il restait raisonnable du moins. Julia, elle, ne s'était pas arrêtée au King après leur rupture, mais aujourd'hui elle en payait les conséquences et c'était loin d'être ce qu'elle préférait. En somme, Julian pouvait..devait s'aventurer sur ce chemin, mais devait rester extrêmement vigilant.

Si Julian connaissait Carl Spencer ? Ah ça, oui. Il l'avait affronté selon plusieurs angles. Celui du gamin que l'on croise lors de repas réunissant les familles King et Spencer. En ces temps reculés, Julian n'avait jamais trop fait attention à Carl. Plus occupé à passer le temps avec Scarlett, déjà plus de son âge, il n'avait jamais eu l'occasion et la volonté de faire connaissance avec le benjamin de la famille. En grandissant, rien n'avait changé : Julian ne parlait pas plus à Carl que dans les années qui avaient précédé. Cependant, il avait entendu parler de lui à maintes reprises, et chaque fois, c'était par rapport à une demoiselle différente. Julia premièrement, était sortie avec lui, quelques temps après leur rupture. Julian n'en avait pas été effleuré le moins du monde. Son esprit ne baignait alors plus dans la logique. Il ne se souvenait même pas de comment cette idylle s'était terminée. Cependant, aux dires de Julia, c'était bien avec Carl Spencer qu'elle avait fêté ses vingt-trois hivers. Et bien que le King s'interroge sur la relation entre son amie et le fils Spencer, il n'en dit mot. Il acquiesça d'un hochement de tête et esquissa un sourire. Voilà, la conversation sur la soirée alcoolisée de la Fitzgerald venait de se clore.
Un serveur s'approcha de leur table et Julia commanda une limonade. Le King réalisa alors que la blonde tremblait comme une feuille. La raison semblait bien évidente : février et ses humeurs glaciales. Et cela même à l'intérieur du café. A croire que le chauffage s'était mis en grève. D'une galanterie presque oubliée, Julian se leva pour ôter sa veste molletonnée et la tendre à la blonde frigorifiée.

-Prends-la. Perso, j'ai pas froid.

Ce n'était même pas un mensonge, qui plus est. Car depuis le quatorze au soir, Julian était incessamment animé par l'anxiété. Il avait envoyé cette lettre à Lucy et n'en savait pas plus. L'avait-elle lue ? Allait-elle accepter son rendez-vous ? Et lui, serait-il à la hauteur de leurs espérances ? Tant de questions s'agitaient dans son esprit que Julian ne pouvait lutter contre la nervosité. Son corps entier était devenu palpitant, son sang et son cœur, ses paupières et ses doigts. C'était l'impatience et l'espoir mêlée, ainsi que la peur sensible de la déception.
Lorsque Julia l'interrogea sur ce qu'il avait pu faire des derniers jours, en l'invitant à parler de sa Saint-Valentin, le brun sentit quelques contractions inopinées agir dans son abdomen. Décidément, il n'était pas serein. Il faut dire qu'après deux ans de vide intersidéral pour ce qui est des relations et des sentiments amoureux, il démarrait fort !

-J'ai envoyé une lettre à quelqu'un. Enfin, à Lucy.

Il avait répondu sans respirer pour ne pas hésiter sur sa déclaration. Il ne savait pas si c'était clairement une bonne idée que de raconter ses aventures épiques du « j'ai posé un lapin à un fille puis j'essaie de la reconquérir », mais s'il y avait quelqu'un à qui Julian pouvait en faire part, c'était Julia. Après tout, elle seule connaissait l'amant qui existait quelque part en Julian et pouvait considérer objectivement la question. Si le brun avait préféré en discuter avec Lou ou Zach, ils n'auraient fait que le pousser dans cette voie sans nul doute. Mais c'étaient parce qu'ils ne le connaissaient pas en amour. Ni ce dont il était capable, ni ce dont il était aveugle.

"Moi je vois pas les choses, je les sens.
Regarde, je peux faire la différence entre un loup et un agneau les yeux fermés."

D'habitude peu frileuse, Julia s'était habillée comme s'il faisait beaucoup plus chaud et se retrouvait à frissonner, pas encore habituée à l'intérieur chauffé du Gordon Coffee. Même si elle devait avoir froid, elle refusait de porter ces espèces de grosses doudounes horribles, ni même ces capes qui avaient l'air chic mais qui coutaient surtout la peau du cul. Elle n'aimait pas les manteaux, c'était ainsi – heureusement pour elle, elle tombait rarement malade. Julian, par contre, ne semblait pas croire en la résistance de la Fitz et lui proposa sa veste.

« Je vais surtout ressembler à un vrai mouton avec ça, mais merci quand même. »

Parce que même pour les peu-frileux, le froid reste désagréable, Julia accepta la galenterie et enfila le manteau tout de laine. Voilà pourquoi les moutons restaient dehors sans broncher : leur fourrure les empêchait de sentir la vraie température. La Fitzgerald aurait tôt fait d'avoir chaud là-dessous, mais en attendant c'était l'idéal.
Puisque Julian l'interrogeait sur sa soirée de la veille, Julia en fit autant et lui demanda carrément ce qu'il avait fait à la Saint-Valentin. Elle savait qu'il ne sortait pas beaucoup depuis la mort de sa mère, mais après tout peut-être avait-il changé ses habitudes pour cette fête. Et c'était presque le cas. Il avait envoyé une lettre. Bon, c'était déjà ça. À défaut d'avoir une vie dehors, il semblait en avoir envie. La blonde n'eut même pas à lui demander un nom, il facilita la conversation et l'avoua tout seul. Lucy. Ainsi donc le truc qui se produisait chez la Roberts était réciproque chez le King. Tant mieux, c'était toujours compliqué quand ce n'était pas réciproque !

« Ah cool ! Et j'ai le droit de savoir ce que disait ta lettre, ou c'est top-secret ? »

Savait-on jamais. En fait, Julia se fichait un peu de ce que Julian pouvait bien raconter à Lucy, du moment que ce n'était pas pour la jeter méchamment. Oh, elle ne serait pas du genre à aller consoler la brune si c'était le cas – et non, elle laissait cette tache à Ginny – mais s'assurait juste de l'avancée de leur relation. Il y avait de toute manière peu de chances pour que Julian se montre ingrat, et quand bien même il repousserait Lucy ce serait en douceur. Le contraire aurait bien étonné Julia, qui était sûre que le King avait envoyé des mots doux. Ça se voyait sur son visage, ça s'entendait dans ses paroles, ça se sentait dans son comportement. Monsieur était sous le charme de Madame.

C'était étrange comme Julia ne sembla pas étonnée par cette révélation. Peut-être s'était-elle souvenue de l'article de Dirty-Secret qui les annonçait ? Ou alors les commères méprisables de Magnolia Cresent avaient vraiment le cœur à l'ouvrage et s'amusaient déjà de colporter sur eux des rumeurs ? Il ne pouvait vraiment deviner les sources de la blonde, mais une chose était sûre : elle n'était pas surprise. Elle arborait un sourire mâtin comme elle savait bien les faire, et s'intéressa au contenu de la lettre. Julian fit une moue gênée ; et pour cause, ses jolies phrases lui paraissaient futiles. Quel garçon irait raconter de telles inepties à la fille qu'il convoitait ? Julian n'en connaissait aucun capable de pareille chose. Mais il fallait qu'il s'avoue que sa situation était bien différente. Si Julia avait connu sa descente aux enfers, Lucy saurait l'en extirper. Il en était certain. Alors oui, il pouvait bien se permettre quelques belles promesses qu'il s'efforcerait à tenir, et à donner toute son âme pour la convaincre. Cependant, il ne savait pas si toutes ces attentions l'avaient touchée ; et même si elle avait daigné lire sa lettre. C'était une ignorance terriblement frustrante.

-Et bien, je lui ai dit qu'elle était l'unique personne dont j'avais besoin, que je mourrais d'envie de l'avoir à mes côtés. Enfin, des trucs de Saint-Valentin quoi. Et je lui ai donné rendez-vous mercredi à la gare.

Voilà c'était dit. Julian passerait peut-être pour un naïf gamin, oiseau tombé du nid. Mais cela lui importait peu. Depuis le temps qu'il envoyait valser le regard des autres, il n'avait aucune raison de changer de comportement. Sa lettre avait tout du romantique qui écrit des poèmes. Il n'était pas celui-là. Mais il s'était efforcé d'être sincère, et c'était tout ce qui comptait.
Cependant, Julia connaissait les risques de l'amour, ce que ce sentiment pouvait induire chez le King. Ou plutôt, ce dont il était capable, malgré lui. Une lampe était si vite lancée ! Peut-être irait-elle lui déconseiller certaines choses... fallait-il qu'il l'écoute ? Julian était un peu désarçonné par les conséquences hypothétiques de son aveu. Mais un coup d'éclat vint illuminer sa tête : changer de conversation. Autrement appelée : la technique des lâches. Mais après tout, le rendez-vous avec Julia n'avait pas comme objectif de parler de ses déboires sentimentaux à lui, bien au contraire. Et le garçon se trouva fort industrieux de ramener la discussion sur la rupture du couple Fitzgerald/Dekker.

-Bref, et toi, ça va comment ? Vous avez pu en discuter ?

Le jeune homme avait appris par Dirty-Secret que Zachary avait trompé Julia avec sa propre sœur. Imaginez l'incompréhension de la tête du King, alors dans celle de Julia, c'avait dû être un véritable tsunami. C'est pourquoi il ne laissa aucun doute planer, son visage exprimant clairement qu'il savait pour Jaylann et Zachary. A vrai dire, sa question s'intéressait plus à Julia et comment elle vivait ça et aussi ce qu'elle comptait faire.

"Dis-moi ce que tu sais, je te dirais qui tu es."

Julia était contente pour Julian. Il sortait enfin de sa bulle et allait vers les gens. Après la Fitz, c'était à son tour d'avancer et de passer à autre chose – à quelqu'un d'autre –, certes avec du retard mais mieux vallait tard que jamais. Sans compter que Lucy n'était pas une mauvaise personne. Calme, douce, gentille, Julia était sûre que c'était la personne qu'il fallait au King. Certes, il lui avait laissé un mauvais souvenir deux ans auparavant, quand il l'avait menacée d'une lampe, mais elle s'était engagée à oublier cette période de leur relation et ne dirait par conséquent rien. De toute manière, si Julian et Lucy voulaient vraiment être ensemble, rien de ce qu'on pourrait leur dire ne les désintéresserait l'un de l'autre. C'était comme essayer de convaincre la Fitzgerald que l'alcool, la drogue, l'éclate, tout ce petit monde dans lequel elle baignait était nul. Et puis elle ne pouvait pas fissurer l'attirance de Lucy en lui rapportant que son amant s'était montré dangereux ; question de principe, elle ne voulait pas briser un rêve. Elle préférait les laisser faire, ne pas s'impliquer, rester en dehors de leur histoire.
À la réponse du King, qui confirma l'hypothèse qu'il était resté un grand romantique comme à leur rencontre, Julia se contenta de hocher légèrement la tête. Elle se tiendrait au courant du déroulement de ce rencart, peu importe de quelle façon, il serait facile de faire parler l'un ou l'autre des deux amants. Elle avait bien réussi à faire parler la Roberts concernant leur premier rendez-vous, elle arriverait bien à faire de même pour celui-ci.
Les boissons arrivèrent et Julia commença à siroter sa limonade. Même si le temps se prêtait plus à boire des boissons chaudes, elle appréciait celles qui étaient glacées, qu'il pleuve ou qu'il neige. A la question de Julian sur son propre état à elle, la Fitz s'autorisa un petit rire.

« Tu sais que tu viens de me redemander exactement la même chose que ce que tu m'as déjà demandé y'a cinq minutes ? Et de quoi veux-tu qu'on ait discuté, de ta lettre ? Non, la dernière fois que j'ai vu Lucy c'était... avant le Nouvel An. »

Julian avait une expression bizarre. Fini la tête de celui qui essayait de séduire sa belle, il avait plutôt l'air du gars qui n'était jamais impressionné, qui comprenait tout, qui savait tout. Et bien quoi, s'il voulait savoir comment Lucy avait pris cette vague de romantisme sur papier, ce n'était pas à Julia qu'il fallait demander ! D'abord parce qu'elle n'en savait rien. Et surtout parce que jouer le petit messager entre les deux amoureux, à ça elle disait non merci.

Le serveur s'approcha d'eux discrètement avant de disposer devant les anciens amants les boissons qu'ils avaient commandé. Une limonade comme prévu pour la blonde, et un café crème pour Julian. Avec le froid à l'extérieur, il avait été impossible pour Julian de prendre un soda glacé, et ce même s'il n'était pas frigorifié. Il porta la tasse à ses lèvres, laissa le liquide pénétrer sa bouche et glisser dans son œsophage. Il passa une langue sur ses lèvres pour effacer la trace de crème. Enfin, il leva les yeux pour se reconcentrer sur la conversation.
Avec surprise, le King constata qu'il y avait un léger malentendu. En effet, Julia lui fit remarquait qu'il venait de se répéter. Ensuite, elle avança qu'elle n'avait pas pu discuter de sa lettre avec Lucy. Julian arqua un sourcil, dans l'incompréhension la plus total. Mais what the fuck ? Puis, se remémorant les mots qu'il avait utilisé, il réalisa qu'en n'ayant pas précisé qu'il parlait de Zachary, son changement de conversation si malin venait de tomber à l'eau. Dommage !

-Ah... On parlait pas de la même chose : je te demandais si tu avais parlé avec Zach suite à... votre rupture.

Julian accompagna sa rectification d'une moue. Il espérait que cette fois-ci, la ruse allait fonctionner, et que la blonde n'irait pas annihiler ses espoirs. Cette perspective était tout bonnement refusée dans l'esprit du garçon. Il ne voulait pas s'attarder sur Lucy, l'anxiété le tenaillant trop. Il préférait davantage venir titiller les histoires d'amours de la Fitzgerald, même si cela pouvait la blesser un peu.

-Enfin, tu n'es pas obligée de m'en parler, lâcha Julian en haussant légèrement les épaules.

Il était vrai qu'il n'était pas là pour obtenir des informations. C'était évidemment l'un de ses buts, mais d'abord, il tenait à parler avec Julia ; cela faisait un certain temps qu'ils ne s'étaient pas croisés. Et sans avancer qu'elle lui manquait, il préférait plutôt dire qu'il aimait passer du temps en sa compagnie. La magie de l'amour les avait quitté, mais Julian restait attaché à la blonde.

-Sache juste que je ne suis pas rangé de son côté, et ce même si c'est un de mes meilleurs amis.

Il ne savait pas si cet argument, lâché comme s'il avait à remporter un quelconque marché d'agro-alimentaire, allait convaincre la jeune fille, mais une chose était sûre : il jouait franc-jeu. Oui, malgré tous les bons sentiments, bons souvenirs et bonnes reconnaissances qu'il éprouvait vis-à-vis du Dekker, il n'acquiesçait pas ses actes. C'était son esprit trop honnête, presque loyal qui parlait.

La Fitz trouvait la question de Julian étonnante. Il savait pourtant très bien qu'elle n'était pas du genre à commérer sur l'amour et toutes ces choses à l'eau de rose, qui pouvaient rendre certaines filles très nunuches. Sans compter que Lucy avait beau être la voisine d'en face, elle n'avait jamais été la grande copine de Julia pour autant. Si celle-ci se préoccupait de sa dernière idylle c'était seulement parce que Julian était concerné. Et si sa question était saugrenue, c'était parce que la blonde ne l'avait pas bien comprise. Enlevant la paille de son verre, elle but une gorgée glacée de sa limonade et reposa brusquement le verre lorsque le garçon se corrigea, avançant qu'il voulait parler de Zach.

« Ahok. »

Bien sûr. Évidemment. Julian n'allait pas rester indéfiniment sur le sujet Lucy ; il se devait de converser de choses plus récentes et surtout, qui concernaient la Fitzgerald. Le petit amusement que la répétition avait provoqué chez cette dernière disparut dès que le garçon prononça le nom de son meilleur ami. Elle le savait depuis qu'il l'avait contactée pour se donner rendez-vous ; s'il était avec elle ce soir ce n'était pas pour lui raconter ses petites aventures amoureuses à lui. Est-ce qu'elle avait envie de parler du Dekker ? Oui, indéniablement, en particulier avec Julian qui se trouvait être le mieux placé pour savoir ce qu'il était devenu. Julia avait beau le fuir comme la peste, éviter tous les endroits où il était susceptible de se rendre, elle n'en restait pas moins curieuse sur ses faits et gestes. Elle craignait seulement d'avoir une réponse du style "Je l'ai vu trainer avec ta soeur", ce qui ne ferait que retourner le couteau dans la plaie.

« Ah bon. Au début j'pensais que c'était lui qui t'avais envoyé ici ? Non mais on sait jamais, puisqu'il n'a pas les tripes de faire autre chose que m'affronter par SMS, il pourrait très bien demander à ses potes de le faire. »

Elle ne voulait pas que Julian se retrouve victime de son agressivité, mais c'était plus fort qu'elle, il y avait des sujets qu'elle ne pouvait s'empêcher d'aborder avec sarcasme. Surtout aujourd'hui, alors qu'elle discutait avec le meilleur ami de celui qui l'avait trahie. Elle s'efforça de soutenir le regard de Julian, et de ne rien laisser paraître bien que ses paroles indiquent clairement qu'elle était pleine de rancœur.

Le garçon ne put ignorer la transformation du sourire de la blonde. Elle n'était peut-être pas ravie de finir par parler de Zachary, mais il fallait bien en venir aux sujets qui fâchent ! Et Julian était justement au milieu de cette querelle d'amoureux, à devoir soutenir le Dekker malgré ses écarts notables, et aussi à s'entretenir avec la Fitzgerald. Il n'avait pas envie de faire de choix à proprement parler, mais Zachary avait été trop loin. Et il fallait marquer le coup d'une manière ou d'une autre. Evidemment, il n'avait pas l'intention de le rouer de coups, ni de le rayer de la carte, juste de lui faire comprendre que cette fois-ci, il prendrait le parti de Julia, et ce même s'il adorait toujours autant son voisin. Non mais sérieusement, quelle folie de coucher avec la sœur détestée de sa petite amie ? Même lui qui n'était pas doué avec les sentiments, sentait au plus profond de son être que c'était la pire erreur qu'il puisse faire.
Julia semblait tout à fait blessée de cette trahison, et il ne pouvait qu'essayer de la comprendre. Son agressivité naturelle prenait le pas sur ses doux sourires, et si elle avait pu sonder avec des clous empoisonnés une poupée vaudoo à l’effigie de Zach, elle l'aurait certainement fait. Mais en dépit d'avoir le matériel adéquat pour cette sordide expérience, la blonde préférait concentrer tout le sarcasme qu'il lui était possible de faire dans ses phrases et dans sa vision pour le moins horrible qu'elle avait de Zachary. En entendant qu'il avait affronté Julia par SMS, le King écarquilla une seconde les yeux. Mais wtf où était passé le grand Dekker ? Sa répartie, sa classe naturelle, son humour dans toutes les circonstances ? Il avait tenté de s'expliquer par messages ? Vraiment, cela l'étonnait.

-Il n'a pas essayé de te parler en face ? Je veux dire, ça ressemble peu à Zach cette histoire de SMS, lâcha-t-il encore sur la surprise d'une telle réaction, avant de se reprendre pour éviter les foudres de la Fitzgerald : Mais si c'est ce qu'il a fait, je te crois, hein !

Le King restait un peu secoué par cette révélation. Zachary devait vraiment être désemparé pour s'en remettre à des techniques aussi lâches, mais d'une certaine manière, c'était compréhensible. Les scénarios, suite à la lecture de l'article de Dirty-Secret, étaient apparus par milliers dans l'esprit de Julian, tentant de comprendre les tenants et aboutissants de cet adultère. A son avis, Zach avait dû trop boire et se laisser aller à quelques folies avec la belle Jaylann. Mais avant même de demander à Julia ce qu'il s'était exactement passé, histoire d'avoir un aperçu de la situation, le brun préféra clarifier un point qui semblait avoir titillé l'esprit de la Fitzgerald :

-Et non, ce n'est pas lui qui m'envoie. Je n'ai d'ailleurs pas trop eu le temps d'en parler avec lui...

Julian disait vrai. Ces dernières semaines, il avait été pris par son mémoire, et il n'avait que très peu croisé Zachary. Il avait pensé à lui envoyer un texto, mais avait oublié ou s'était ravisé, il ne savait plus.

Julian était plus que surpris. Eh bien quoi, ça l'étonnait tant que ça que son ami préfère ne pas prendre tout de suite le risque de faire face à Julia ? C'était d'ailleurs préférable, s'il voulait éviter la même catastrophe qu'à leur dernière conversation, à l'annonce de sa tromperie dans l'article. Certes, Julia aimerait le voir et elle se l'avouait elle-même – non sa fierté ne lui permettait toujours pas d'avouer certaines choses aux yeux de tous – mais elle lui avait clairement fait comprendre qu'il valait mieux la laisser tranquille pour un temps. Le garçon avait dû se montrer compréhensif puisque depuis, plus rien. Ni de messages sur Facebook, ni par téléphone, ni sa silhouette à l'angle d'une maison. Il avait disparu, pouf. Elle avait bien aperçu un vieux vélo ressemblant à s'y méprendre à celui du Dekker, trainant contre un mur, l'avertissant qu'il était tout près et qu'il valait mieux prendre un autre chemin si elle ne voulait pas le croiser. Mais en dehors de ça, c'était comme s'il n'existait plus.

« Nan nan nan. On s'est parlé. Tu sais sa manie d'apparaître quand on parle de lui, bah j'venais d'apprendre... ce qu'ils avaient fait, et il a débarqué. Là on a parlé. Depuis, non. »

Parler était une belle exagération. Zachary s'était contenté de balbutier quelques mots, et Julia avait laissé exploser son incompréhension, sa tristesse aussi et surtout, sa colère. Ça avait été une jolie scène de ménage qui avait brusquement pris fin au départ de l'un des deux amants.
Julia se sentit soulagée de savoir que Julian était venu de lui-même, et plus spécialement que Dekker ne continuait pas d'essayer de la contacter, notamment par l'intermédiaire de leurs amis communs. Donc, si ce sujet en particulier était abordé c'était juste parce que King le voulait.

« Tu veux nos deux versions, c'est ça ? »

Si c'était pour jouer le Sherlock Holmes, mener l'enquête et essayer de recoller les morceaux – sous-entendus Julia et Zach – alors qu'il s'y amuse mais il avait peu de chances de réussir. La blonde voulait bien en discuter avec lui, en temps qu'ami, parce que même si elle ne voulait pas le reconnaître, en parler lui démangeait les lèvres. Mais elle refusait que ce soit lui qui la réconcilie avec celui qui l'avait trompée. S'ils devaient redevenir ne serait-ce que des amis, alors ils le feraient d'eux-même, comme des grands.

Ah, le soulagement lorsque Julia rectifia le tir. Zachary et elle avaient parlé, mais pas dans les meilleures conditions qui soient, d'après ce qu'en comprit Julian. En effet, il s'était pointé quelques minutes après la découverte de cette infidélité. Décidément, Dirty Secret avait le chic pour annihiler le bonheur des gens du quartier ! Mais malgré tout, Julian ne parvenait pas à lui en vouloir. D'une part parce que depuis le temps, elle n'avait jamais lâché un indice sur les crimes dont il s'accusait. Et d'autre part parce qu'il sentait, esprit vengeur qu'il était, que tous ces voisins, abrutis et hypocrites, méritaient leurs sorts. Cependant, la plaie béante dans le cœur de Julia ne faisait pas plaisir au jeune homme. Il n'appréciait pas voir ses amis et ses proches souffrir ainsi. Que ce soit à cause de la bloggeuse ou sans aucun rapport. Oui, Julian était peut-être amer mais pas sadique pour autant.
Julia avoua que depuis ce jour fatidique, elle n'avait plus reparlé à Zachary. D'une certaine manière, c'était tant mieux. Vu la colère qui débordait d'elle, mieux valait que le Dekker attende encore un peu avant de se pointer. La rage de la Fitzgerald ne semblait pourtant pas cibler uniquement le garçon, et le King devinait avec facilité qui était la seconde proie de cette ire démesurée : Jaylann. Déjà que Julia ne pouvait pas encadrer sa sœur avant, cela ne devait vraiment plus être la joie au numéro trente-neuf ! Evidemment, il avait de nombreuses questions à poser à l'aînée des Fitzgerald.
Ils ne s'étaient vus en tête-à-tête une fois seulement, mais cela avait suffi pour qu'ils comprennent qu'à travers les mondes et les dimensions, ils étaient tous les deux seuls. Leur manège du colérique et de la méprisante n'avait pas duré bien longtemps, les masques se brisant comme de vils miroirs, et révélant leurs visages désemparés. La douleur. Le regret. L'impression que le monde tourne bien plus vite depuis que vous n'êtes plus sur ses rails. Mais si Julian avait une seule chose à retenir de leur entretien, c'était l'importance de la question posée par Jaylann. « Qu'est-ce qui te manque pour être heureux ? » Lui qui avait toujours raisonné selon le théorème inverse, à savoir ce qui avait causé son malheur, voyait une porte de sortie. A sa propre question, elle avait répondu : « L'amour me sauvera ». Il avait trouvé cette idée pathétique mais n'avait pu la rayer de son esprit. De toutes les alternatives possibles, c'était bien la plus risquée, c'était donc celle qu'il avait choisi.
En se souvenant de cette rencontre, de ces mots, Julian ne put s'empêcher de se demander si elle avait été sincère, en épousant le corps de Zachary. L'avait-elle désiré comme un objet charnel, comme une requête à ses vengeances inassouvies, ou comme baume à son cœur ?

-Pas forcément, avoua-t-il conscient que chercher à jouer les psychologues ne fonctionnerait pas avec Julia, je veux juste que tu aies une épaule et une oreille à ta disposition. Tu sais, pour... voilà quoi.

Oui, c'était nian-nian, c'était tout ce que Julia détestait. Elle préférait l'adrénaline, la dope était son remède, l'alcool son anxiolytique. Personne ne pouvait contrôler la Fitzgerald, pas même Julian. Son épaule et son oreille ne risquaient pas d'être trop vite usées. Mais il devait soutenir Julia. Elle n'était pas seule, pas dans ce combat-là.

"Wolves are knocking at my door."

Que Julian ne se fatigue pas à faire des choses inutiles. Cette rupture était différente de celle des deux Juju, et elle ne pourrait être réparée de la même façon que celle datant d'il y a deux ans. Julia s'était réconciliée avec Julian, et avait oublié ce qui les avait séparés plusieurs années auparavant. Cette fois-ci, pour peu qu'elle renoue avec Zachary, elle n'oublierait pas ce qu'il avait fait. Il l'avait meurtrie, cassée en deux au profit de sa sœur, et personne ne semblait pouvoir comprendre ce qu'avait ressenti la blonde en apprenant la nouvelle. Pas même Julian, qui avait traversé une mauvaise passe et lui proposait aujourd'hui son appui. C'était comme l'hôpital qui se foutait de la charité aux yeux de la Fitzgerald. Julian, le Julian King qui proposait son aide, qui voulait jouer le petit sauveur de son mental. Alors que le même Julian, deux ans auparavant, refusait tout geste de ce genre de la part de ses amis, de sa famille et même de sa petite-amie, et ce jusqu'à se montrer violent. Soit il avait bien changé depuis tout ce temps, soit il se moquait réellement de sa gueule.

« Pour... ? »

La Fitz avait repris son ton bourru, fâchée que Julian la pense trop fragile pour s'occuper d'elle toute seule, et qu'il s'arrête à ces conneries de prêter son épaule alors qu'il ne l'aurait jamais fait avant – pas depuis la mort de sa mère en tout cas. La jeune fille avait développé un principe simple, ces derniers temps : tout ce qui se prêtait se reprenait. Et en général, peu de choses nous appartenait vraiment.

« J'ai besoin de personne Julian. Et encore moins de toi ou de Dekker, si c'est ce que vous pensez. »

Elle était consciente que ce n'était pas une phrase du genre à faire plaisir, mais une part d'elle restait convaincue que Julian avait pu discuter avec Zach ; peut-être même complotaient-ils dans son dos, tout deux persuadés qu'elle n'était que sensibilité et dépendante de ses proches. Précisément ce que la jeune femme s'efforçait de cacher et de ne pas être.

Dans ses yeux se reflétait une colère qui n'annonçait rien de très bon. Evidemment, Julian avait prévu le coup ; il savait que ses petites avances, minauderies de premières, ne satisferaient pas son ancienne petite-amie. Elle n'était pas ce genre de fille à vouloir à tout prix des mines peinées chez ses amis. En dépit de son chagrin et de sa furie, Julia était plus à se rendre sur un terrain de golf ivre pour imaginer la tête de Zachary à la place de la balle que son club venait de propulser au loin, et d'en être pleinement euphorique. Mais Julian ne s'avoua pas vaincu. Il ne répondit cependant pas, hors de question de lui donner plus de matière à s'énerver.
Lorsque Julia avoua n'avoir besoin de personne, il eut l'impression qu'enfin on en venait au cœur du problème. A savoir que la jeune fille était bien trop blessée pour lui faire confiance, lui, le meilleur ami du traître. Il le fallait bien, pourtant. Julian ne s'amusait pas avec les nerfs de la Fitzgerald : il lui avait dit la vérité, ni plus ni moins. Et c'était absolument nécessaire qu'elle adhère à ses propos.

-Je ne pense rien ; je constate juste que t'es à l'ouest et qu'il est à côté de la plaque aussi. Et vous êtes mes amis, alors j'essaie de voir si je peux me rendre utile. Ça changera, pour une fois.

Aïe, mauvaise tournure de phrase. Julian s'en rendit compte dans la seconde qui suivit ses propos. Ce n'était absolument pas par obligation, ou par peur de déplaire, que le jeune homme souhaitait aider ses amis. Ni même pour leur rendre ce service. Il n'était pas du genre à se mêler des affaires des autres. A l'ordinaire, du moins. Mais pouvait-il assurer qu'il était le même que durant ces deux dernières années ? Le même enfant silencieux et dépressif les trois quart du temps, plongé corps et âme dans ses études ou dans ses regrets ? Le même salaud qui avait manqué de tuer sa petite amie ? Le même gamin perturbé qui passait de l'alcool à l'isolement, des poings aux larmes en une fraction de seconde ? Rien n'était moins sûr. Il avait changé, depuis sa rencontre avec Lucy. Il ne pouvait le nier, et cette révolution l'inquiétait énormément. D'une certaine manière, il s'était conforté dans son univers et en sortir l'effrayait. Comment agir ? Que dire, quoi faire ? Ses habitudes étaient totalement remises en question, et un tel travail sur soi ne pouvait être que dérangeant. Cependant, s'il s'autorisait de plus en plus une vie sociale, il ne comptait pas quitter son monde gris et nuageux pour autant. Il ne voulait pas oublier, jamais.

Magnifique contraste qu'offraient les deux Juju. Alors que Julia sentait monter en elle une colère qui concernait aussi bien les actes de Zachary que les paroles de Julian, ce dernier restait impassible devant l'agacement plus que visible de la blonde. Et ce calme mélangé à ses belles paroles avait le don de faire empirer l'irritation de Julia. Depuis que le King avait proposé son soutien, rien de ce qu'il pourrait dire dans ce genre-là ne l'apaiserait, le garçon semblait pourtant bien parti pour continuer sur cette voie. Aussi Julia avait-elle fait comme lui deux ans plutôt, elle avait décrété n'avoir besoin de personne, si ce n'est d'elle-même. Ce n'était pas seulement une manière de cacher la blessure qu'une nuit entre deux amants avait réussi à provoquer, c'était aussi une façon de se convaincre elle-même de cette idée, alors qu'elle se rendait compte que plus le temps passait, et plus Zachary lui manquait. Elle avait beau lui en vouloir énormément, elle repensait sans cesse au garçon d'avant, l'amusant Zachary Dekker, pas toujours très à l'aise mais comique, et surtout très attachant, le Zachary Dekker qui n'aurait jamais trompé qui que ce soit comme il l'avait fait aujourd'hui. Rien que penser au temps d'avant, et même au début de leur relation suffisait à lui donner envie de pleurer. Mais si elle voulait se persuader elle-même et les autres qu'elle était totalement indépendante, elle ne devait surtout pas agir ainsi, parce qu'alors Julian comprendrait qu'il avait raison et qu'elle ne faisait que raconter des salades pour cacher la vérité.

« Mais je suis pas du tout à l'ouest ! Et tu constates très mal ! »

Et le seul moyen de défense efficace de Julia restait l'agressivité. En attendant de trouver une nouvelle réplique pour appuyer ses paroles elle avala sa limonade, le volume baissant jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien, le tout faisant un horrible bruit lorsque la paille essaya d'aspirer les dernières minuscules gouttes de soda au fond du verre. Maintenant qu'ils en arrivaient à ce stade de la discussion, la Fitz prendrait bien une petite bière finalement.

« Et en plus comment tu peux savoir s'il est à côté de la plaque puisque tu ne l'as pas vu ? Enfin, tu es censé ne pas l'avoir vu. »

HAHA ! Coincé le Julian ! Il allait enfin admettre qu'il avait parlé avec Zachary, que celui-ci lui avait demandé d'aller voir Julia et d'essayer de la raisonner. Les deux amis pensaient vraiment pouvoir la berner ainsi ? Bien sûr que non, ça sentait le mensonge à des kilomètres à la ronde, peut-être même que Julia avait des pouvoirs de divination, qui sait. Et si la jeune fille avait fait une erreur dans ses cartes et que Julian n'avait vraiment pas vu Dekker, alors il avouerait...il avouerait...il avouerait quelque chose d'autre. Qu'il ne savait pas comment les aider malgré ses promesses de soutien, par exemple. Bon, certes, la contre-attaque de Julia était carrément nulle, il ne fallait pas être magicien pour deviner que Julian connaissait les états d'âme de son meilleur ami sans même avoir besoin de le voir. Elle était déjà à deux doigts de se faire démasquer, et avec cette lamentable riposte elle augmentait les risques, mais tant pis, ce qui était dit était dit, elle se rattraperait au prochain tour.

Ah oui, Julian constatait mal ? Il trouvait pourtant avoir tellement bien visé, au cœur de la cible, que personne n'aurait pu faire mieux. La blonde était à totalement à côté de la plaque. Il la sentait vacillante, comme un funambule sur son fil, prête à chuter d'un côté ou de l'autre. Julian aurait pu reconnaître quiconque dans cette situation, puisqu'il vivait ainsi depuis deux ans. Le vide, il l'observait comme un ami désormais. Parfois, il mourrait d'envie de cesser la lutte et de plonger tête la première dans ce noir intense, mais la vie le rappelait à ses responsabilités. Il devait continuellement tenir sur ce fil misérable, et supporter les appels du néant sous ses pieds.
Lorsque Julian avait expliqué qu'il se sentait obligé d'aider ses deux amis, il pensait que Julia utiliserait cette idée pour le confronter à ses réels désirs. Mais elle ne prit pas la perche tendue maladroitement par le King, préférant et de loin remettre en doute son honnêteté. Julian arqua un sourcil, déçu qu'elle ne le pense pas franc. Il ne savait pas mentir pour ce genre de futilités. Il était un bien piètre comédien, et ne s'aventurait jamais sur des chemins trop dangereux. Il préférait d'ailleurs éluder les questions trop personnelles qui pouvaient le mettre dans l'embarras et déranger ses petits trésors. Ses secrets devaient rester bien scellés au plus profond de son âme.

-Je ne te mens pas, Julia, avait-il lâché sans un sourire.

Disparu, le King compatissant et s'efforçant d'être agréable. Julian n'avait pas envie que la Fitzgerald ne le pense pas sincère. Il était son ami, il était son ancien petit-ami, elle le connaissait terriblement bien. Elle n'avait pas le droit de jouer à ça. Le faire passer pour un menteur, un manipulateur ? C'était blessant, et si Julian avait eu un restant de cœur outre que celui réservé à Lucy, il l'aurait certainement senti se briser.

-Je sais qu'il est à côté de la plaque parce qu'il n'aurait jamais dû coucher avec Jaylann ! Je sais pas quelle folie l'a poussé à faire ça mais ça ne lui ressemble pas. Et tu le sais aussi bien que moi ; je suis d'ailleurs certain qu'il doit s'en mordre les doigts et avoir des remords à ne plus savoir qu'en faire !

Arrivait ce que Julian craignait : il avait haussé le ton. Sans s'énerver cependant, juste pour insister sur ce qu'il pensait être la vérité. Il ne voulait pas rivaliser avec l'agressivité de la blonde : il savait qu'elle finirait vainqueur -il ne pouvait gagner qu'avec une lampe à porter de main, ce qui n'était pas le cas. Mais il fallait qu'elle comprenne que l'heure n'était plus aux jeux puérils dans la cour de l'école. Elle allait mal et il le savait. Tenter de le convaincre du contraire ne ferait que titiller son ego. Maintenant, il espérait que la blonde accepte de lui parler, sans hurler ; mais ce n'était pas gagné, surtout après sa dernière réplique.

En venant à ce rendez-vous avec Julian, Julia savait parfaitement qu'ils risquaient de parler de sa rupture avec le meilleur ami du garçon, elle en était consciente mais elle avait tout de même accepté la soirée. À vrai dire, raison n°1, elle mourrait d'envie d'en discuter ou du moins de se tenir au courant sur ce qu'il faisait de ses journées à présent, comment il allait... Faute de pouvoir lui parler en face, chose qu'elle se refusait. De plus Julian était le mieux placé pour lui raconter, mais il était aussi son ami à elle depuis que Dekker avait fait en sorte de les réconcilier et il s'inquiétait pour elle, d'où leur conversation sur le moral de Julia, sujet que la jeune fille voulait justement éviter. Pourtant Julian ne semblait obnubiler que par ça, à peine les deux ex-amants commençaient-ils à parler de la vie amoureuse du King que celui-ci retournait la conversation vers celle de la Fitzgerald. Cette dernière s'en était douté, mais elle ne pensait pas que la discussion partirait dans ce sens. Soudain, alors que Julia feignait de ne pas croire ses paroles, Julian devint subitement froid. Le haussement de ton, l'aigreur dans sa voix, ses mots, tout fit frissonner la blonde. D'un coup, simplement en voyant la réaction de Julian, elle avait l'impression d'être une petite fille qui se faisait disputer après avoir fait une énorme bêtise, que tout était de sa faute et qu'elle décevait tout le monde. Elle aurait bien aimé pouvoir quitter ce café, y laisser la veste, sortir dans l'air glacé de l'hiver sans même tressaillir, et n'en avoir rien à faire de l'avis du monde, celui de Julian y compris, une réaction qu'elle aurait sans doute eu dans d'autres circonstances. Mais cette fois-ci, le fait qu'il s'agisse de Zachary, du mec qu'elle aimait encore même si elle s'obstinait à prétendre le contraire, qu'elle ait affaire à la personne qui le comprenait et le connaissait le mieux, un ami qu'ils avaient en commun, une personne qui pourrait lui tirer les bretelles pour son comportement mais peut-être aussi la guider, qui sait, bien qu'elle n'y croit pas trop, tout ça la clouait sur place. C'était Julian, il la connaissait trop pour qu'elle puisse fuir sans qu'il lui ait tiré quelques vers du nez avant qu'elle ait eu le temps de se défiler. Elle pouvait s'énerver contre lui, lui reprocher toute sorte de choses, il pouvait très bien en faire de même et là, en l'occurrence, il serait à son avantage, il l'était déjà d'ailleurs, parce que chaque mot qu'il prononçait, chaque argument qu'il apportait, la déstabilisait chaque fois un peu plus. Finalement elle n'était peut-être pas si hors d'atteinte qu'elle le pensait.

« Oui ben, tu vois en ce moment j'ai l'impression que tout le monde me cache des choses, mais peut-être que j'ai trop d'imagination. »

Elle refusait de prendre en compte la seconde partie de ce qu'avait dit Julian, même si elle l'avait très bien entendue ; elle n'avait pas envie d'être plus influencée encore qu'elle ne l'était déjà, parce qu'elle savait que s'il continuait elle pouvait craquer d'un moment à l'autre. Elle avait déjà assez de mal à résister à la tentation de lui demander ce qu'il en savait, de comment on se tirait de ce mauvais pas, lui qui n'avait jamais réussi, et qui n'avait même pas voulu d'aide au temps où il était à sa place, ce qu'il pouvait comprendre à une fille au cœur en miettes, à cause d'un gars qui prétendait l'aimer et qui n'en ratait pas une pour aller s'amuser avec d'autres. Qu'est-ce qu'il en savait, si le garçon en question se mordait les doigts, les cheveux, ou la main entière pour ce qu'il avait fait, après tout n'était-il pas le nouvel enchanteur du quartier, celui qui surprenait par ses tours de magies pas si ravissant que ça au final ? Mais elle restait silencieuse, d'ailleurs elle osait à peine regarder Julian dans les yeux, elle se contentait de fixer son verre et d'en plier la paille, dans tous les sens, extériorisant sa détresse par des gestes minimes, qu'elle aurait voulu invisibles.

La réaction de Julia à ses mots rassura outre mesure le garçon. La tempête semblait être évitée. Elle ne présentait aucun symptôme d'une grosse colère à venir, et il ne fallait pas être neurologue pour s'apercevoir que la blonde était sensible à ce que lui disait le jeune homme. Il n'y avait plus qu'à deviner comment elle interprétait ses dires.
Il s'efforçait de rester impassible, attendant la réaction de la Fitzgerald. Il ne voulait pas plus l'acculer, ni trop la brusquer. Mais il sentait leur nervosité commune les démanger et venir interférer dans leur conversation. Le sujet était délicat, et si Julian n'était pas personnellement touché par l'adultère, il avait l'impression d'être un minimum concerné. Tous deux, voire tous trois mais selon une autre variable, étaient ses amis. Et il éprouvait cette chose étrange, l'empathie. Cela le surprit, de reconnaître ce sentiment. Depuis deux ans, il n'avait réussi à penser plus d'une seconde aux autres. Il avait vécu reclus dans son monde de ténèbres, à se soucier uniquement de ses différents soucis personnels, à rouvrir la plaie pour ne jamais l'oublier. Voilà encore l'une des conséquences de sa rencontre avec la Roberts. Il faudrait qu'il pense à la remercier, enfin, fallait-il déjà qu'elle accepte le rendez-vous qu'il lui avait donné à la gare.
Elle avait baissé d'un ton, ce qui fit presque sourire Julian. C'était donc ainsi qu'elle avait interprété ses mots ; de la plus juste manière qui soit. Et elle ne s'en était pas offusquée, jugeant même bon de revenir à une conversation posée. Elle exprima alors sa désagréable sensation d'être trompée sur la marchandise. Elle n'avait pas tort, son sentiment était tout à fait légitime. La personne qui l'aimait le plus sur cette planète était aussi source de bien des malheurs. Mensonge, trahison, elle aurait certainement du mal à faire confiance, à présent. Que ce soit à ce bougre de Zachary Dekker ou même Julian. Le jeune homme aurait voulu consoler la jeune fille, lui assurer que lui, n'irait pas lui mentir, mais ç'aurait été une promesse vaine de sens. Il savait d'ailleurs que Julia méritait mieux que de jolies tournures de phrase ; la vérité était blessante, mais elle lui seyait tellement bien.

-Ton imagination n'a rien à voir là-dedans. Tout le monde te ment, Julia. On passe notre vie à cacher nos problèmes, à embellir nos vies. Toi aussi, moi aussi. Et un jour, tout remonte à la surface.

Evidemment, ces poubelles lestées resteraient dissimulées au fond de l'océan jusqu'à ce qu'une main maligne vienne les aider à émerger. Dirty Secret était celle là. Julian avait éprouvé pour cette inconnue un certain respect, puisqu'elle semblait disposée à mettre au grand jour les secrets de ses voisins hypocrites, et à les faire souffrir au plus haut point. Maintenant qu'il se remettait peu à peu de la mort de sa mère, il commençait à appréhender le blog et à craindre l'apparition d'un article à son nom.

-Mais personnellement, je préfère de loin souffrir avec la vérité qu'être ignorant, et tout apprendre plus tard, surtout pour un sujet si grave.

Julian voulut prendre un air condescendant, mais il n'y parvint pas. Il semblait juste garder sa voix neutre, un peu sèche cependant, comme pour réveiller Julia. Elle souffrait, mais aurait-elle vraiment préféré ne rien savoir, et découvrir tout des années plus tard ?

Julia ne pouvait pas contredire Julian. Ses paroles étaient dures, aussi violentes qu'un coup en pleine poitrine, mais elles étaient vraies. Or s'il y avait bien une chose que la jeune fille détestait, c'était de se voiler la face. Ainsi que le mensonge, bien sûr, mais personne n'échappe au mensonge, même en faisant vœu de vérité rien n’exclut qu'un proche se mette à mentir. C'était exactement ce qui était arrivé à Julia, elle s'était efforcée de ne pas faire ce qu'elle n'aimait pas qu'on lui fasse, autrement dit elle ne prétextait rien, n'inventait rien, se contentait de cacher ce qu'elle ne pouvait dévoiler, se consolant en se disant que ce n'était pas vraiment un mensonge mais seulement de l'omission, et voilà qu'un de ses plus proche ami l'avait trompée, dans tous les sens du terme. Oui tout le monde mentait, tout le monde lui mentait, elle le savait et pourtant, dieu ce que cela pouvait faire mal quand elle s'en rendait une fois de plus compte ! Elle aussi mentait, ou plutôt préférait-elle dire qu'elle cachait des choses ; elle aussi n'avait pas tout dit à tout le monde, même à la personne la plus proche d'elle. Mais elle considérait qu'entre ce qu'il avait fait et ce qui lui était arrivé, il y avait une marge de différence. Aux derniers mots de Julian, elle se contenta de hausser les épaules, comme si elle ignorait que répondre à ça. Elle savait cependant ce qu'elle préférait, être ignorante ou avertie, c'était bien sûr la seconde option, mais elle n'avait pas envie de s'étaler sur la question, de s'expliquer. Ça ne servait à rien, elle n'avait pas eu le choix et avait été mise au courant du pécher, en même temps que tout le quartier d'ailleurs. Il ne faisait aucun doute qu'elle en aurait encore plus voulu à Zachary s'il lui avait caché pendant plus de temps encore ce qu'il avait fait. C'était d'ailleurs ainsi qu'elle en était venue à la conclusion qu'il ne lui aurait rien dit, s'il avait pu, peut-être même n'assumait-il toujours pas : elle était venue le voir, après cette fameuse nuit où elle avait cédé à sa colère et l'avait lâchement largué. Et il n'avait pas bronché, il n'avait jamais été question de Jaylann, c'était juste lui, et elle – Julia. Et pendant des jours, trois bonnes semaines, peut-être plus, il ne lui avait rien dit, pas un seul petit indice n'avait été mis sur son chemin, elle n'avait même pas remarqué une quelconque hésitation sur son visage. Et boum, du jour au lendemain elle apprenait qu'il avait couché avec sa soeur. Et boum, d'une seconde à l'autre il était devant elle, livide, comme s'il commençait tout juste à regretter, et il essayait de s'excuser, et elle essayait de comprendre au-delà de ce que son impulsivité lui soufflait.

« Tu crois qu'il me l'aurait dit ? Si mentir "embellissait sa vie" et que personne, à part lui, ne pouvait me mettre au courant. »

Si elle ne doutait pas de la réelle personnalité de Zachary, elle aurait elle-même répondu oui. Tel qu'elle le connaissait avant toute cette histoire, il était incapable de s'abandonner seul à la culpabilité – si tant est qu'il culpabilisait, ce dont la Fitz n'était pas sûre – et de laisser dans l'ignorance des choses qu'il connaissait les gens qu'il appréciait. Mais Julia n'était à présent plus certaine de rien, à vrai dire tout était mélangé dans sa tête et elle n'arrivait même pas à reprendre un par un les récents évènements pour se repérer dans ce labyrinthe. Aussi, bien qu'elle pensait déjà connaître la réponse, elle questionna Julian. Avec une très légère brutalité dans la voix, presque inexistante, et un étrange calme, plus flagrant, qu'elle ne se connaissait pas. À vrai dire sa réponse était tout à fait calculée, elle voulait voir ce que Julian pouvait dire d'autre de la situation et, bien sûr, un rien pouvait provoquer la colère de Julia, rompre cette sérénité ; tout était excuse à s'énerver et à crier.

La réaction de Julia fit sourire l'égo de Julian, au plus secret de lui-même. En surface, rien ne changea. Il restait immobile, sévère dans son regard, prêt à en découdre si la situation l'y amenait. Le King n'était pas stupide, il savait que peu importaient les explications qu'il pourrait donner à la blonde, ou bien les expériences qu'il serait gré de lui partager, rien dans sa douleur ne changerait. Elle avait été trompée, trahie et humiliée, mise à nue, spectacle imprévu, devant tous les habitants de Magnolia. Le pire dans cette histoire, n'était pas qu'elle l'avait appris d'une autre personne que celle concernée, c'était plutôt que chacun devant son PC avait pu se délecter de cet adultère si bien dissimulé. Si Julian appréciait Dirty Secret et les intentions qui l'animaient, il était déçu qu'elle soit créatrice de tant de pervers. Enfin, créatrice, non, révélatrice plutôt. Car un blog ne pouvait changer une personne, seulement éveiller les véritables vices qui sommeillaient en elle.
Alors, absolument pas dupe, Julian espérait que ses idées feraient leur bout de chemin dans la tête de la Fitzgerald pour, peut-être, que la haine, à défaut du chagrin, la quitte. Elle ne réussirait à rien, en se laissant dévorer par la ire sans la laisser agir, tout comme sa peine ne s'apaiserait jamais si elle gardait le silence sans l'exprimer. Cependant, Julia réussit à tirer profit du seul point faible de la phrase du King. A savoir que certes, elle préférait savoir, mais que le temps avait passé entre les actes et la découverte, et que Zachary n'avait parlé. Il s'était tu, petit enfant qui préfère garder ses échecs pour lui afin de ne pas se faire disputer. Affligeant. Et de son côté, Julian ne pouvait assurer à la blonde que leur ami allait finir par parler.

-Non, je ne pense pas. Zach est quelqu'un de plus protecteur qu'il n'est franc. Enfin, il aurait, et de loin, préféré se taire et te voir sourire innocemment plutôt que tout te dire et te voir pleurer. Je crois que beaucoup ont et feront comme lui mais...

Zachary était tout sauf un salaud, en temps normal. Il était d'ailleurs plus du genre à penser à autrui plutôt qu'à lui-même. Il aimait profondément les gens, et se mettait parfois dans des situations peu reluisantes pour les satisfaire. Entre autres, mentir et risquer son intégrité pour ne pas blesser sa petite-amie. C'était d'une certaine manière ce que Julian passait sa vie à faire. Il se fichait d'être haï, incompris, du moment qu'il ne causait pas de torts à ses proches. C'était son jeu de rôle grandeur nature, il était le méchant, contre tous les autres, si ça pouvait faire gagner ceux qu'il aimait. Alors Julian ne pouvait réellement affirmer qu'il aurait agi différemment. Mais il avait moyen de laisser Julia y croire.

-Ces gens-là ne réalisent pas comme leur relation est basée sur des guimauves. Rien ne tient droit lorsque le mensonge s'immisce. Et d'autant plus qu'en gardant un tel secret, Zachary t'a manqué de respect. Je suis sûr que c'est ça qui te blesse autant que le reste, et malheureusement, je suis sûr aussi qu'il n'y a pas pensé une seule seconde.

Et oui, mentir, c'était trahir. Trahir, c'était cracher sur un autre. Et ça, c'était tout simplement se croire plus important qu'on ne l'est. En dissimulant la nuit passée avec Jaylann, Zachary avait méprisé Julia, et si un jour elle venait à pardonner le geste, pour quelque raison que ce soit, elle n'oublierait jamais. Jusque dans ses os, jusque dans son sang, elle se souviendrait du jour où cet homme pour qui elle avait eu de tendres sentiment l'avait piétinée.

Te voir sourire innocemment plutôt que te voir pleurer. Julian schématisait bien la situation, puisque Zachary n'avait rien dit de lui-même c'était sûrement ça qu'il voulait, manque de bol pour lui Julia ne partageait pas du tout ce point de vue et avait désormais une raison de plus de lui en vouloir à mort. Par ricochet Julian résumait aussi le caractère de Dekker, qu'il connaissait mieux que quiconque, peut-être même mieux que Julia qui ne savait plus comment était Zachary depuis la révélation de DS. Julian le connaissait depuis toujours, ce qu'il disait était donc forcément vrai, alors que Julia ne le connaissait que depuis deux ans à peine, bien qu'elle ait vaguement entendu son nom dans la bouche du King en tant que meilleur ami, le reste s'était fait en soirée. Mais trois ans et une relation amoureuse était-ce assez pour définir la façon d'être de quelqu'un ? Julia le pensait, assurément, mais maintenant elle ne savait plus très bien. Penser que Julian, en tant que meilleur ami, saurait lui dire comment était exactement Zachary aidait la Fitz à croire en ses paroles, qui par leur sens mettait Julian de son côté. Soulagement. Elle n'avait pas envie qu'un conflit, qui d'ailleurs ne concernait qu'elle, les éloigne encore l'un de l'autre, alors qu'ils s'étaient depuis peu réconciliés. Perdue dans ses pensées la jeune fille ne répondit pas, méditant sur ce qu'elle venait d'entendre. En fait, Julian avait tellement raison qu'elle ne savait pas quoi rétorquer. Même pour la préférence de Zachary à la voir sourire avec naïveté plutôt que pleurer, elle ne pouvait le contredire, revoyant le jour où elle avait appris ce qu'il avait fait et où il avait aussitôt débarquer chez elle pour s'expliquer, où ils avaient pleuré tous les deux et où il s'était efforcé de s'excuser, debout, puis à genoux, tremblant, devant elle.

« J'ai frappé Jaylann. »

La phrase était sortie sans qu'elle s'en rende vraiment compte, alors qu'elle repensait au soir où elle l'avait coincée dans une petite rue de Madison Avenue et qu'elle avait finalement laissé sa colère la dépasser. Si elle repensait à elle ce n'était pas seulement parce que sa sœur était désormais liée par les liens charnels à Zachary, mais aussi parce qu'elle remarquait le contraste entre ses retrouvailles avec Dekker, et celles avec sa sœur. Dans les deux cas elle s'était énervée, et avait crié, aussi fort que possible, pour tous les tirer de ce mauvais rêve qui portait le nom de réalité. Mais dans l'un elle s'était mise à pleurer, et dans l'autre à frapper. Comme incapable de faire autre chose que ne pas réussir à cacher sa faiblesse devant le garçon qu'elle aimait. Comme incapable de faire autre chose que ne pas réussir à cacher sa haine devant la fille qu'elle détestait. Les yeux dans le vague Julia semblait partie pour un autre monde, se fichant bien des conséquences de ses mots et de ses actes, oubliant que Julian était toujours face à elle, à l'observer de son regard sévère, prêt à la réprimander. Qu'il le fasse, ça n'enlèverait pas le petit sourire qui était apparu sur le visage de la blonde, ça n'enlèverait pas sa satisfaction de s'être vengée par un coup en pleine figure de celle qui lui avait porté un coup en plein cœur.

« J'ai frappé Jaylann. », lâcha Julia après quelques longues secondes de silence. Julian leva les yeux doucement. Il n'y avait aucune surprise, aucune crainte, aucun doute dans son regard. Il n'était pas de ceux qui s'offusquerait d'un tel aveu, ni même qui ferait tout pour abolir le règne de la colère. La haine l'avait forgé, consumé même, et c'était une force qu'il ne pouvait ignorer. Une force effrayante, si puissante, face à laquelle l'homme s'asservissait volontiers. Julian appartenait à la colère, il lui avait dédiée deux années, et elle l'avait possédé chaque seconde depuis ce jour. Il avait lutté, regrettant les actes que la ire l'obligeait à faire, puis, avait concédé à ses baisers. Julia avait été la victime de cette colère, et la jeune fille lui en avait voulu, elle avait même été effrayée et scandalisée parce que le King était allé bien trop loin. Et puis, finalement, la voilà à son tour contrôlée par la haine. Elle avait frappé Jaylann. Julian n'était pas surpris, pas inquiet, pas ravi non plus. Juste soulagé : il partagerait son fardeau avec la blonde. Les coups qu'il avait donné, les larmes qu'il avait fait couler, les risques qu'il avait pris, elle vivrait la même chose. Et comme en réponse à son horrible découverte, un sourire vint étirer les lèvres de la jeune fille.

-Tu vois ? Demanda-t-il, intéressé, un rictus à peine descriptible, Tu vois comme la colère peut faire du bien ?

Oui, si elle n'avait aucun remords, elle n'avait pas à s'en vouloir. Parfois, donner matière à sa haine, l'exprimer, pouvait procurer un sentiment de puissance et de force totalement jouissif. Julian ne pouvait ignorer ce poison dans ses veines, mais il appréciait néanmoins l'importance dont il se sentait investi. L'effroi dans les yeux de ces gens qui le savaient capable du pire, capable de laisser libre court à sa haine. Ce regard, Julia l'avait eu, avant, mais désormais, elle partageait son podium, en parfait esclave de la colère.

-C'est terrible, hein... mais la haine qui coule dans nos veines doit y rester.

Il n'avait pas laissé à Julia le temps de s'étendre sur combien frapper sa sœur lui avait fait plaisir. Il ne voulait pas la condamner à cela. Parler à voix-haute rendait les choses plus réelles. « J'ai aimé la battre », ces cinq mots pouvaient tuer une innocence. Et Julian aimait trop la blonde pour la risquer à un telle ineptie. Il ne voulait pas qu'elle vive avec cette ombre noire au fond de lui, cette vague silencieuse et bouillonnante. C'était décidé, il n'encouragerait pas Julia à devenir... comme lui. Son sourire disparut à contre-coeur, et une moue frustrée vint prendre sa place. Julian venait de penser à Jaylann. Quand ils s'étaient croisés, ce soir-là, cette trace de sang sur sa joue gonflée. C'était Julia ? C'était Julia qui lui avait fait ça ? La moue se transforma à nouveau en sourire.

Avant, elle ne l'avait dit à personne. Personne n'était au courant, hormis elle, et Jaylann. Et puis peut-être Dirty-Secret, puisque cette bitch savait tout, parait-il. Et puis soudain, comme si elle avait besoin de prouver à Julian et elle-même qu'elle était plus forte que ce qu'il n'y paraissait, elle l'avait dit. J'ai frappé Jaylann. Et elle avait sourit, fière d'elle. C'est ce qu'elle était, elle ne regrettait rien et ne souhaitait pas le moins du monde revenir en arrière pour ne pas amocher ce joli visage d'ange qui lui servait de démoniaque soeur. Mais elle ne l'avait pas fait dans le but de se vanter plus tard. D'ailleurs, elle pensait que Julian allait lui dire que ce n'était pas cool, pas « raisonnable », qu'il y avait d'autres moyens que la violence pour régler cette histoire. Au lieu de quoi, il sourit à son tour, et prit son parti. La colère, ça fait du bien. La haine qui coule dans nos veines doit y rester. Le sourire de Julia s'effaça lentement. Pourquoi devait-il forcément parler comme ça, pourquoi devait-il s'exprimer comme une espèce de poète satanique. Oui, elle était contente d'avoir frappé Jaylann, oui, ça lui avait fait du bien. Non, sa haine envers sa sœur ne disparaitrait jamais, si elle l'avait aimé au début de sa vie, ou du moins apprécié, ce n'était plus le cas aujourd'hui et après ce qu'il s'était passé ça ne risquait pas de l'être un jour. Mais pourquoi Julian devait-il dire des choses pareilles qui lui rappelleraient leur rupture, ne pouvait-il pas la gronder (grondin (a)), ça aurait été plus simple et plus rapide.

« Ouais. Mais dis pas ça comme ça, c'est... »

Flippant. La petite joie de Julia, particulièrement lunatique ce soir-là, avait totalement disparu et elle traduisait maintenant les paroles du King à sa façon. La colère peut faire du bien, c'était comme s'il avait dit : quand j'étais en colère et que je t'ai balancé une lampe à la figure, ça m'a fait du bien. Julian souriait, inconscient des pensées de la blonde, qui passait maintenant à sa seconde phrase qui n'en était pas moins effrayante que la première. La haine coulant dans nos veines doit y rester ; j'ai encore cette rage, qui m'a donné la force de te menacer d'une lampe de chevet. Elle fronça les sourcils, bien sûr que non elle n'y croyait pas, ce n'était pas forcément ce qu'il avait voulu dire et puis le Julian d'aujourd'hui était totalement différent de celui de 2010, une fois encore il avait changé – en bien cette fois-ci. Et puis finalement le doute s’immisça en Julia, qui devait-elle croire ? Les mots de Julian, ou son comportement ? L'un comme l'autre ne disait pas la même chose et pouvait changer toute la donne.

« ... bizarre. »

Elle préférait aller au fond de sa pensée, mais sans utiliser le premier mot qui lui avait traversé l'esprit ; elle ne voulait pas laisser à penser à Julian qu'elle pouvait encore le craindre, ou craindre ce qui était en lui – ce qui n'était pas le cas, elle en était persuadée ; à l'instant présent elle ne doutait pas d'elle-même mais de Julian. Si devant ses paroles, elle se doutait qu'il avait gardé sa rage depuis tout ce temps, elle n'était plus très sûre du comportement à adopter en sa présence.

« Et t'en fais quoi de ta colère, toi ? »

Cash, directe. Elle ne voulait pas y aller par quatre chemins, ça faisait maintenant plusieurs mois qu'ils étaient réconciliés et elle n'avait rien remis sur le tapis, elle n'avait posé aucune question de ce genre pour abreuver sa soif de savoir, mais aujourd'hui la situation était trop étrange pour qu'elle s'empêche de parler. Après tout, après deux ans de silence complet, de regards noirs et fuyants, d'esquives à la moindre possibilité de se croiser, elle n'avait jamais su ce qu'il faisait de ses journées et à vrai dire, n'avait jamais voulu savoir, jusqu'à maintenant. Est-ce qu'il était encore du genre à balancer ses affaires aux visages de ses amis ? Ou plutôt à passer une nuit blanche pour avancer dans son mémoire ?