Après un long silence, après que Carl ai bu un bon quart de ce qui restait dans la bouteille, Carl entendit les tuiles craquer légèrement. Julia venait sûrement de se lever, et allait sans doute essayer de le faire sortir de son mutisme. Par une vanne, par des cris, par une proposition de jeu d'alcool couillon. Mais alors que Carl n'aurait pas été choqué de l'entendre parler d'un écureuil rose fumeur d'herbe, ce qui sortit de la bouche de la Fitzgerald le cloua sur place -bon, il était déjà pas en train de bouger, mais bref-. Elle s'excusait. Julia Fitzgerald s'excusait. La probabilité que cela arrive était égale à celle du Spencer, c'est-à-dire jamais. Sur ce point-là, parmi tant d'autres, les deux amis étaient pareils. Ne jamais s'excuser, prendre tout à la légère, ou s'en foutre, vivre à la carpe diem, selon leurs lois, engueuler les gens quand ils font chier, mais jamais laisser les autres leur marcher sur les pieds. Jamais être soumis. Car s'excuser, c'était une manière de se rabaisser, d'avouer que l'autre avait raison, que l'on a eu tort. Et ça, c'était impensable. Que Julia s'excuse devant Carl ce soir démontrait bien que, soit Julia se rendait compte qu'elle avait réellement dépassé les bornes, soit le Spencer se trouvait dans un état si lamentable que la Fitz voulait le faire réagir. Peut-être que c'était même ces deux à la fois. Quoiqu'il en soit, Carl resta muet. Ce n'était pas avec un désolé -même par Julia- que ça allait arranger les choses. Il n'avait qu'une envie : rester sur le toit, comme ça, toute la nuit, en silence. Il aurait bien passé toute sa vie comme ça. Mais c'était pas bon, ce n'était pas comme ça que cela arrangerait les choses. Il fallait qu'il surpasse ces sentiments, mais c'était bien plus facile à dire qu'à faire.

Julia devait penser la même chose, car elle s'expliqua, ou tout du moins tenta de la faire. Elle n'avait pas pensé à ce qu'elle disait, elle était désolée, ils pouvaient parler d'autre chose, et blah et blah, et blah. Toujours les mêmes rengaines d'excuses. Carl joua avec la bouteille en fixant le sol. Un long moment s'écoula avant qu'il ne se décide à parler. « T'sais que ça fait trois fois en une soirée quand même. Tu le fait exprès ou quoi.. » fit-il finalement, toujours avec une petite voix. Il ne s'énervait pas, n'en voyant pas l'utilité, trop crevé pour le faire aussi, de toute façon. « Mais le coup du cache-cache, c'était vraiment un coup de pute. » rajouta-t-il. Encore, quand ils étaient passé devant chez les Freeman-Johnson, ce n'avait pas été la faute de Julia. Ils étaient passé devant, personne n'avait rien dit, mais l'avait pensé fortement, sans aucun doute. Mais comment Julia avait-elle pu disparaître sans prévenir, alors qu'elle savait très bien que Carl était encore sensible à la disparition de son amie ? Vraiment, il fallait qu'elle apprenne à réfléchir. Si l'alcool excusait certaines choses, celle-là n'en faisait pas partie. Ceci dit, Carl était quand même tiraillé de deux côtés, car c'était quand même la fête de la blonde, elle avait bien le droit de se cacher si elle voulait. Ce n'était pas à lui de faire sa loi dans une fête réservé au plaisir de sa pote. Mais une part de lui en voulait à la Fitz, malgré tout. Il déboucha de nouveau la bouteille et se reprit à boire. Quitte à oublier cette soirée, autant passer par les bons moyens.

Ne l'entendant pas prononcer un mot, ni même bouger d'un pouce, Julia crut qu'il lui faisait vraiment la gueule et que même ses excuses, habituellement inexistantes, n'avaient servi à rien. Ce serait quand même bête qu'il ne réagisse pas alors qu'elle le lui avait clairement dit : elle était désolée. Et puis merde, il ne pouvait pas lui faire la tête comme ça pour deux-trois mots sur Naya quand même ? Où était passé le Carl invincible qu'on ne pouvait jamais blesser ni physiquement ni mentalement ? Où qu'il soit il n'était en tout cas pas là. Foutue Freeman, à tourner autour de Carl elle l'avait rendu barge, et voilà à quoi il en était rendu aujourd'hui (oui c'est Julia qui dit ça). Quoiqu'il en soit il semblait décidé à l'ignorer et à garder la bouteille de vodka pour lui. Shit alors. Immobile, la Fitz attendit qu'il se manifeste – elle lui avait déjà présenté ses excuses, ce qui était un grand exploit venant d'elle, elle ne pouvait pas faire plus. Il finit par céder et ouvrir la bouche, assurant que ça faisait trois fois qu'elle lui faisait un coup par derrière. Trois fois ? Faut lâcher la vodka copain.

« Hé, comment ça trois fois ? »

Quand elle lui avait répondu brutalement en utilisant Naya pour lui faire comprendre que ça ne lui plaisait pas beaucoup qu'il se mette à parler de Dekker, ça comptait comme une fois, pas comme trois ! Carl poursuivit, toujours de sa petite voix qui criait haut et fort qu'il était blessé, ajoutant que l'idée du cache-cache n'avait pas été cool du tout... Les pièces du puzzle se mirent à leur place et Julia fit le lien entre la partie de cache-cache et Naya. Maintenant qu'elle y pensait, Carl avait lui aussi crié quand il avait ouvert l'armoire et s'était retrouvé nez à nez avec une tête blonde.

« Aaaaaaah! Non sérieusement tu pensais à Naya quand je me suis cachée ? C'était pas le but, et c'était même pas drôle pour le coup. Et, ça fait deux fois là, pas trois. »

Certes, l'idée venait d'elle, certes, elle était partie se cacher la première, certes ce n'était pas très malin de jouer à ce jeu après la disparition d'une de leurs voisines, certes certes certes. Mais il n'empêche qu'elle n'avait pas non plus passé un moment très agréable, cachée dans une armoire très sombre, trop sombre, au milieu des mites et autres trucs certainement très dégueulasses qui pouvaient y habiter. Sans compter qu'elle s'était persuadée pendant vingt bonnes minutes de la présence d'un assassin derrière elle. Alors si Carl pensait qu'elle était fière de toutes ses petites idées pour le perturber, il se mettait le doigt dans l'oeil.

Qu'est-ce qu'elle avait, l'autre, à faire des chichis pour deux ou trois choses ? Ca changeait quoi, au faits, hein ? Julia avait la meilleure manière au monde de changer de sujet tout en restant appuyée sur des détails débiles. « Oui bon ça va, deux ou trois, ça change rien, fait pas chier. » déclara-t-il alors. « Tu sais très bien que j'étais proche de Naya, pourquoi t'as eu besoin de remettre ça sur le tapis, hein ? » C'était peut-être l'alcool qui lui montait à la tête, mais en tout cas, Carl avait décidé de parler, finalement. Ou plutôt gueuler, d'ailleurs. Il posa -enfin- la bouteille contre l'une des tuiles et se tourna vers la Fitzgerald. Après un petit moment de silence, yeux dans les yeux, il reprit. « Sérieusement, pourquoi t'as eu besoin de faire ça ? Tu sais à quoi j'ai pensé, quand t'as disparu tout à l'heure ? Non, non, tu sais pas, parce que c'est fun de se cacher et jouer aux gamins. Mais putain, j'en ai marre que personne ne considère ce que je ressens ! C'est ta soirée, je sais, mais je m'en fous de la gâcher, d'façon c'que je prévois ça se déroule jamais comme prévu. » Certes, Carl imposait cette façade de lui comme étant un dragueur, un fêtard, un mec qui était intouchable et qui se foutait de tout. Mais au fond, n'était-ce pas seulement une barrière ? Récemment il avait comprit qu'il y avait beaucoup plus de choses qui se passait dans sa tête qu'il ne le croyait, et ça lui faisait peur. Ouais non, pas la peur de gamin, mais celle qui fait réaliser qu'il faut, peut-être, commencer à arrêter de se voiler la face et se montrer comme on l'était. Mais Carl ne pouvait pas tout simplement montrer aux gens qu'il avait encore une âme d'enfant et qu'au fond de lui se cachait de profonds sentiments. Il ne pouvait pas. Pourquoi ? Parce que s'il révélait tout ça, ce ne serait plus Carl. Et il finirait par s'éloigner de tous ses amis. Ouais, au fond, il était juste perdu. Perdu dans ses relations, dans ses pensées, dans ses ressentis. Perdu dans sa vie. Peut-être que c'était pas plus mal. Peut-être que c'était le moment où il était sensé prendre conscience de ses actes, prendre en main sa vie, ou tout simplement grandir. Mais c'était dur. Il n'était pas prêt à quitter sa vie d'adolescent. Mais pourtant, il le faudrait bien un jour ou l'autre. Le Spencer était dans cette phase d'entre-deux, entre adolescence et adulte, et sûrement qu'il n'était pas le seul dans son cas. On passe tous par une phase où l'on se doit réaliser qu'on est plus un enfant. Seulement pour Carl, tout lui arrivait en même temps et il ne savait plus rien gérer. Au point qu'il en faisait encore plus des conneries.

« Je sais pas si tu comprends ce que je ressens. » fit-il alors. « Moi-même je crois que je le sais pas. Mais ce que je sais, c'est qu'au jour de l'an, quand j'ai regardé dans cette salle de bain, quand j'ai entendu que Naya était partie, je me suis effondré. J'savais pas que ça allait m'atteindre autant, ça m'est juste tombé sur le coin de la gueule. » Il prit une grande inspiration avant de continuer, ne sachant pas trop pourquoi tout d'un coup il racontait ça à la Fitz. « Et je me suis sentit coupable. Et on m'a fait sentir coupable. Parce que je l'avait laissée. Je l'ai laissée pour aller jouer à un jeu débile, et voilà les conséquences. » Carl prit un moment de silence pour éviter que tous ses ressentis remontent avec ses paroles. Ce n'était pas le moment. Une fois avec Ginny, ça suffisait. « A partir de là, j'sais pas, je suis perdu quoi. La moindre chose que je fais, je ne me reconnais plus. Quand quelqu'un dit le nom de Naya, je me retourne, espérant la voir au tournant de la rue. Et je sais pas ce que c'est Julia, je sais pas pourquoi je réagis comme ça. » termina-t-il. Voilà, c'était dit. Et encore, ce n'était qu'une fraction minime de toute ce qui se passait dans sa tête, malheureusement.. Ce que Carl souhaitait maintenant, c'était que la Fitz ne se foute pas de sa gueule, et pour une fois, essaye de comprendre comment il ressentait vraiment les choses, au lieu de tout prendre à la légère. Elle en était capable, il le savait. A voir maintenant ce qu'elle déciderait de faire, c'était entièrement entre ses mains.

Il n'y avait rien à redire, en matière de gaffes Julia était douée. À vrai dire elle ne savait pas comment elle avait eu cette idée de cache-cache, c'était venu d'un coup, sans qu'elle y réfléchisse vraiment. L'alcool peut-être. Ou l'herbe. Ou les deux. Quoiqu'il en soit, quand elle avait vu que Carl était à fond dans son délire de monter sur le toit, elle avait trouvé ça amusant de le laisser là et d'aller se planquer. Après tout, ils étaient pile au bon endroit pour se faire quelques petites frayeurs ; il n'y avait pas mieux que la maison n°9 pour ce genre de choses. Enfin, bien sûr, au départ, Julia n'avait pas dans l'idée de faire peur à Carl; simplement de l'embêter un peu en le forçant à fouiller toute la maison pour la trouver. Mais leur petit jeu était allé bien plus loin qu'elle ne l'espérait, peut-être même un peu trop loin. Et finalement ils se retrouvaient là, assis sur le toit, à se prendre la tête parce qu'il avait eu le malheur d'évoquer le mauvais sujet et qu'elle avait eu le malheur de choisir le mauvais jeu. En vérité c'était surtout Carl qui en faisait tout un pataquès (dédicace à Lily et Carl, aka le 9 Juin-Bercy <33), tandis que Julia essayait simplement de lui faire comprendre qu'elle n'avait pas eu pour but de le blesser. Oui elle savait qu'il était proche de Naya, ce n'était pas comme s'il était resté discret sur cette relation, mais en l'occurrence il l'accusait à tort et à travers. Primo elle n'avait pas pensé une seconde à la Freeman en allant se cacher, et puis ça faisait un bon paquet de minutes que c'était passé, ils pouvaient oublier, non ? Deuzio sa réplique « du nouveau avec Naya » n'était que la réponse à la question complètement stupide de Carl. Julia considérait donc qu'il s'énervait sur elle sans véritable raison, puisqu'il était lui aussi fautif, l'ayant provoqué, même si ce n'était pas forcément voulu. Son petit air de légèreté disparut aussi vite qu'il était apparu et elle redevint totalement sérieuse, n'appréciant pas de se faire engueuler ainsi. Mais la Fitz n'avait pas besoin de grand chose pour être déconcerter, et cette fois ce furent les yeux de Carl, plantés dans les siens, qui la déconcentrèrent. Ce n'était plus des yeux de petit fou prêt à faire la fête qu'il avait, c'était des yeux de...de quelque chose que la blonde avait rarement, pour ne pas dire jamais, vu chez lui. Elle resta muette, sans plus rien à protester, alors qu'au fond d'elle elle était persuadée que c'était le moment ou jamais de dire quelque chose. Mais quoi ? Qu'est-ce qu'elle pouvait dire, alors qu'elle était là, en face de ce regard, et qu'elle prenait peu à peu conscience de ce qui se tramait dans la tête de Spencer ? Rien, elle ne trouvait tout simplement rien. Mais Carl, lui, avait besoin d'exprimer quelque chose qui attendait depuis trop longtemps et il se remit à lui crier dessus, gueulant que ce n'était pas ainsi qu'il pensait que la soirée allait se passer. Julia non plus, ne pensait pas que ça allait prendre cette tournure. À vrai dire la disparition de Naya lui était totalement sortie de la tête, alors qu'elle hantait littéralement Spencer, le rendait captif de ses propres pensées. Le désespoir se lisait sur son visage et s'entendait dans ses paroles, à milles lieux du Carl narquois et hors d'atteinte que Julia avait l'habitude de côtoyer. Il se posait des questions, il lui demandait des réponses. Mais elle n'en avait pas. Elle ne savait pas ce que c'était, Ca, elle n'était pas dans sa tête, elle ne savait pas non plus où était Naya ni ce qui lui était arrivé. Elle n'avait rien à dire à Carl pour le réconforter, d'ailleurs elle n'avait jamais trouvé les bonnes paroles pour consoler les gens.

« Merde Carl, tu me fais quoi là ? »

C'est tout ce qui voulait bien sortir. Mais elle sentait à l'avance que ça n'allait pas lui plaire, alors elle chercha autre chose à lui dire. Il voulait la vérité ? Alors elle ne pouvait pas se contenter de lui dire qu'il n'y était pour rien, qu'il se prenait la tête inutilement. C'était faux. Elle n'en était pas totalement sûre, mais s'il était restée avec Naya ce soir-là, peut-être qu'elle n'aurait pas disparu. Des centaines de scénarios étaient possibles, il aurait pu disparaître avec elle, se mettre K.O par les kidnappeurs, ou mieux: la sauver, mais elle était certaine que si Naya n'avait pas été seule, les choses auraient pris une tournure différente.

« Tu sais bien que ça n'y changera rien, pourquoi tu t'infliges ça ? On était tous ensemble avant qu'elle disparaisse, j'aurais pu renverser mon verre sur elle et me prendre la tête avec elle, elle aurait peut-être pas été enlevée. Quelqu'un aurait pu crier plus fort qu'il y avait une bagarre, elle y serait peut-être allée au lieu de se foutre je sais pas où. Mais c'est pas en culpabilisant que tu vas la faire revenir. »

Elle avait envie de lui dire, franchement, qu'il ne pouvait pas faire le gamin, qu'il ne pouvait pas se laisser prendre de court, qu'il devait essayer de rattraper la situation au lieu de risquer de l'empirer. Même si ça lui faisait peur, même si c'était douloureux, il devait être fort. Pour Naya, pour sa famille, parce qu'il ne pouvait faire autre chose que se remettre de cette disparition. Parce qu'il n'avait que ça à faire, en attendant d'en savoir plus.

Pourquoi Carl venait-il de tout balancer d'un coup ? Il ne savait pas. Peut-être que ça faisait trop longtemps que c'était enfoui et que Julia avait déclenché l'averse. Il se sentait captif dans ses pensées, à un tel point qu'il ne se reconnaissait plus. Et il en avait franchement marre. Il voulait que tout redevienne comme avant, qu'il redevienne ce Carl insouciant, fêtard et dragueur. Mais non, il n'y arrivait plus. Et réaliser qu'il n'était pas maître de ses pensées, c'était encore pire. Mais quel dieu avait décidé de faire la création d'un cerveau pareil ? Il faudrait que Carl se trouve quelque chose de plus fort sur quoi se concentrer, une passion, une fille, même ses cours, n'importe quoi. Quelque chose qui le réveillerait. Mais rien ne paraissait se peaufiner à l'horizon. Si ce n'est un cortège d'ambulances qui venait de passer, accompagnées du bruit violent et répétitif de la sirène, sans doute en train d'amener quelconque grand-parents atteint d'une attaque cardiaque. Ce n'était plus quelque chose qui lui faisait de la peine. Depuis qu'il était en médecine, et même depuis tout petit, il avait appris à avoir une différents approche de la mort. Cela finit bien par arriver un jour ou l'autre, alors bon, pas de quoi en faire tout un cinéma. Ceci dit, cela ne l'empêchait pas de vouloir sauver des vies. Ou pas, d'ailleurs. Il ne savait pas encore s'il voulait sauver des humains, des animaux, ou bien les disséquer. Une bonne réflexion à faire, un de ces quatre. Bref.

Julia parut choquée de voir un tel Carl apparaître devant elle. Il n'aurait pas été étonnée qu'elle lui sorte un ''mais qui êtes-vous et qu'avez-vous fait à Carl Spencer'', tellement il se rendait compte du changement qui venait de s'opérer. Carl, parler de ses sentiments ? C'était comme demander à une loutre de voler. Il ne prit pas ma remarque de Julia au mot, il la connaissait trop bien pour savoir que c'était juste sa manière de réagir à une situation choquante. Comme si le Spencer venait de lui sortir une grosse blague. Mais non. C'est alors que Julia commença à consoler son ami. Oui, consoler. Entre Carl qui parle de ses sentiments et Julia qui réconforte, même un extra-terrestre aurait parut bien normal. C'était quoi, la pleine lune ? Quoi qu'il en soit, il fut content de voir que la Fitz démontrait un tant soit peu d'intérêt pour ce qu'il racontait. Il lui sourit mais ne répondit pas, ne sachant de toute façon pas trop quoi répondre. Il ferma les yeux, soupira et passa ses mains sur son visage avant se se remettre en position allongée, les yeux fixant le ciel noir. « C'est plus fort que moi. » murmura-t-il alors. Il mit ses mains derrière la tête et se remit à regarder le ciel, laissant dériver son regard sur les étoiles, ses pensées flottant dans cet univers sombre. Il ne savait plus comment sortir de là.

Julia devina la réponse de Carl plus qu'elle ne l'entendit, et elle comprit, en le voyant s'allonger et prendre ses aises, qu'elle avait perdu l'attention qu'il lui octroyait depuis quelques minutes. Si, l'instant d'avant, Spencer lui criait dessus comme rarement elle l'avait vu faire, la clouant littéralement sur place tant il déchainait sa rage sur elle, il n'en était plus rien désormais. Le calme après la tempête. Si elle avait réagi en gueulant à son tour, comme elle en avait d'abord eu l'envie en l'entendant, ils seraient sûrement encore en train de se bagarrer inutilement sur des choses dont ils n'étaient ni l'un ni l'autre responsables, du moins pas entièrement. Maintenant qu'elle avait perdu la concentration du garçon, elle ne savait plus quoi ajouter. Arrête de faire le gamin Carl, on sait très bien toi comme moi que tu n'as plus l'âge de te comporter comme ça? Mais ce serait admettre qu'il y avait des codes d'attitude, et ce serait contraire à ses principes. Et puis ce n'est pas comme si elle était mieux placée pour lui donner des conseils, alors peut-être qu'il valait mieux qu'elle la boucle, pour une fois. Julia soupira devant leurs comportements respectifs qui n'étaient pas les leurs habituellement ; elle se retourna vivement et s'étira de tout son long pour attraper la bouteille de vodka qu'ils avaient emportée avec eux. Elle s'approcha ensuite du bord du toit, laissa tomber ses jambes dans le vide. Elle aimait cette sensation d'appesanteur, être à deux doigts de tomber mais contrôler cette chute, pouvoir l'empêcher. Elle ne supportait pas de ne pas avoir le contrôle, ça la faisait se sentir impuissante, toute petite. Elle avala une gorgée d'alcool, les yeux fermés, profitant simplement de l'air frais de la nuit qui la faisait frissonner à chaque brise. Puisque Carl ne disait rien, elle imaginait qu'il voulait être seul, un peu, dans ses pensées. Ce n'était pas plus mal d'ailleurs, ça lui évitait d'avoir à lui sortir des phrases bidons pour le consoler, ou du moins pour tenter de sauver les quelques restes d'ambiance pour le moins minables qu'ils avaient dors et déjà perdues. Elle n'avait même pas envie de s'enfumer plus la tête ; cette discussion lui avait laissé un goût amer dans la bouche, que ni la clope ni l'alcool ne pouvaient effacer.

Elle rouvrit les yeux, pencha la tête en arrière et regarda les étoiles, simplement. Elle aimait bien faire ça, de temps en temps. Ça la rendait un peu plus lucide quand elle était déjà bien adns les vapes, comme à l'instant présent. Elle se mit à chercher la grande et la petite étoile, son jeu préféré avec les astres qui s'amusaient souvent à la taquiner en se cachant si bien dans l'immensité du ciel et de ses petites lumières, qu'elle avait peine à les retrouver, dans tout ce bazar céleste. D'ailleurs elle n'avait jamais retenu la différence entre les deux constellations. Mais ce soir, elle en était sûre, ce n'était ni de sa faute si elle ne les retrouvait pas, ni une farce des astres, et elle maudit celui qui avait oublié d'éteindre les lumières de la ville à une heure si avancée de la nuit – du matin. Elle cligna des paupières et se frotta les yeux en bâillant, se sentant dériver vers le sommeil dû à l'heure tardive. En se retournant vers Carl, elle constata qu'il avait lui aussi la tête dans les étoiles ; elle essaya d'attirer son attention et finit par lui donner des coups dans la jambe avec la bouteille, vide. Elle tendit le bras au-dessus du vide ; il n'y avait que ses mains qui empêchaient la bouteille de tomber, il n'y avait qu'elle pour contrôler cette chute. Elle lâcha prise, et une seconde plus tard on entendit le verre se briser quelques mètres plus bas, et les buissons s'agiter, signe qu'elle venait de déranger quelques bêtes cachées là-dessous. Julia ne fit aucun commentaire, elle avait juste eu envie de faire ça, de sentir le contrôle dans ses doigts. Elle se sentait étrange, à la fois fatiguée et agacée de tout ce que Carl et elle venaient de se dire et, plus tôt, d'avaler ; c'était sûrement le signe qu'elle avait eu sa dose pour la soirée. Maintenant elle avait juste envie de décuver, de s'allonger sur le matelas le plus confortable qu'elle pourrait trouver et de ne plus penser ni à cette discussion, ni à tout ce à quoi ça l'avait amené à penser.

Elle se redressa et se tourna vers Carl. « merci pour la soirée. » elle ne lui demandait pas de la ramener, pour une fois elle avait envie de rentrer seule, malgré l'heure tardive. De toute manière, ce n'était pas comme s'ils s'étaient beaucoup éloignés de sa maison. Elle pensa à un truc, hésita à le dire tout le temps qu'elle s'approchait de la trappe. Arrivée à la hauteur de la sortie, elle passa lentement les jambes par le trou, se rendit compte qu'il y avait une table en dessous, s'en réjouit. Elle se tourna vers le garçon, qui n'avait pas bougé, s'en fichant un peu qu'elle se casse ou quoi. Finalement, elle se décida à dire son truc et lança « fais pas trop de conneries, d'accord ? » en guise d'avertissement. Elle le connaissait, et à vrai dire elle ne tenait pas trop à ce qu'il suive la route de la bouteille de vodka, ou fasse une quelconque bêtise de ce genre. Elle se laissa glisser par la trappe en s'accrochant fermement aux bords ; elle ne sentit pas la table sous ses pieds, encore trop petite pour l'atteindre, mais il ne restait que quelques centimètres alors elle se laissa tomber sans préambules. Elle soupira ; l'escalade, ça n'était pas franchement son truc.