Quand Montaine avait précisé à Katarina - sur un ton anodin - qu'elle avait entrainement cet après-midi, l'estonienne avait sérieusement retenu l'information. Depuis quelques temps, elle s'était décidée à aller toucher deux mots à cette Erica, qui semblait vraiment jouer de la naïveté de leur amie commune. Si tant est que cette capitaine des pompon girls considère réellement Montaine comme une amie, et non pas comme un valet.

Postée à la sortie du gymnase, appuyée nonchalamment sur le mur, Katarina vérifiait sa boîte mail sur son smartphone, en attendant que la reine du lycée daigne ce montrer. Elle n'avait eu aucun bon écho d'elle. Cette fille était également une menace pour Sara. Ce genre de personnes détestables et si peu intéressantes, mais qui paradoxalement vous donnait tant envie de la jalouser. Katarina détestait cette trempe, mais ses amies n'étaient pas capables de passer outre. Honnêtement, elle venait sans texte préparé, ne sachant même pas ce qu'elle allait débiter. Erica ne l'écouterait certainement pas, elle devait donc la jouer finement. Mais elle avait plusieurs cordes à son arc et, surtout, n'était pas intimidée par une reine de pacotille dans son château en carton pâte. « Excuse moi, c'est bien toi Erica Daniels ? Je viens pour te parler de Montaine » Katarina avait vu - quelques minutes plus tôt - la principale intéressée quitter les vestiaires, seule. Ce n'était pas plus mal, elle n'approuverait certainement pas que Katarina vienne l'aider.

Le sourire que Erica arborait transpirait l'hypocrisie. Si ça ne tenait qu'à Katarina, elle aurait déjà sorti les griffes tant le comportement de cette fille l'insupportait. Dans d'autres circonstances, si aucune de ses amies n'avaient été victime de l'ouragan Erica, peut-être aurait-elle pu la tolérer. Voire peut-être l'accepter, après tout Erica était un modèle de réussite féminine, à sa manière. Mais elle respectait tellement peu son entourage que, selon Katarina, elle ne méritait pas tout cet aura. L'amitié des autres ne se gagnait pas à coup d'ordres glaciaux et de supériorité affirmée. L'amitié est un échange, mais Erica prenait tout de tout le monde sans rien donner en retour.

« Elle m'a raconté comment tu la traitais parfois, franchement tu ne peux pas la laisser vivre sa vie un petit peu, au lieu de l'utiliser et de jouer de sa naïveté ? » Sara lui avait raconté qu'Erica menait une guerre avec une certaine Renata, que Katarina ne connaissait pas. Quand Montaine lui racontait qu'aujourd'hui elle avait fait ceci pour l'une, alors qu'hier elle avait fait cela pour l'autre, Katarina avait vite fait le calcul : Montaine était un vulgaire pantin perdue au milieu de la guerre que se livraient ces deux filles. Et la pauvre tomberait bien bas, quand la victoire serait déclarée, que ce soit par l'une ou par l'autre. Honnêtement, si elle avait décidé d'aller voir Erica plutôt que l'autre peste, c'est parce que cette dernière avait l'air moins dépravée que l'autre, si on en croyait les rumeurs de Dirty Secret. Alors, peut-être serait-elle plus raisonnable. Katarina restait concentrée, les yeux rivés sur Erica. Elle ne voulait pas fléchir, et montrer un signe de faiblesse que l'autre utiliserait à coup sûr. Sans le vouloir, elle s'était invité dans la bataille. Mais ses amies en valaient la chandelle.

Bien évidemment, la réaction d'Erica ne fut pas celle escomptée. Et dire que, l'année prochaine, ces filles seraient à l'université. Elles étaient pourtant si immatures, toutes, et si obnubilées par leur réputation. Personne ne leur avait peut-être dit que, une fois dans les études supérieures, toute cette réputation si difficilement accumulée s'envolait en fumée. Là-bas, on se fiche de qui est populaire ou non. Si on va à la fac, c'est pour réussir ses études, pas pour savoir qui est le ou la plus connue. Même Sara aurait un choc, l'année prochaine. A croire qu'il régnait au lycée de Magnolia un micro climat qui perdurait cette ambiance malsaine. « Je me prends simplement pour une amie de Montaine, qui est parfois outrée par les récits anodins qu'elle tient parfois. Tu sais, l'année prochaine, à l'université, tu deviendras une fille lambda comme les autres. Tu ferais mieux de t'y habituer dès maintenant, de ne pas pouvoir donner des ordres à tout le monde. »

Mais Erica rebondit de plus belle, avec un pique visant directement Katarina, et quelle attaque ! L'estonienne éclata de rire, tant ses paroles - qui se voulaient pourtant blessantes - n'avaient ni queue ni tête. « Tu es sérieuse ? Mon dieu je pensais que la reine du lycée avait plus de répartie que ça ! Tu ne connais même pas mon mari, ce que tu dis est donc tellement stupide. » Finalement, Erica était plus bête que ce que Katarina avait espéré, et lui faire entendre raison et faire appel à sa docilité n'était déjà plus qu'un lointain souvenir.

Après quelques minutes seulement en compagnie de cette fille, Katarina n'en pouvait déjà plus. Erica se donnait des grands airs, qui ne lui allait même pas. Son attitude même était une blague, et l'Estonienne ne se serait même pas étonné si son interlocutrice avait fini par crier "poisson d'avril", en éclatant de rire. Mais l'intéressée était on ne peut plus sérieux. Elle ne jouait aucun rôle, cette arrogance et ce mépris des autres étaient deux traits de son comportement à part entière. Et elle trouvait ça normal. La blonde soupira, outrée. Elle se croyait si forte pas, au fond, il suffisait juste que les personnes comme Montaine et Sara arrêtent de lui montrer un quelconque intérêt. Que pourrait-elle leur faire, si tout le monde lui accordait enfin l'importance qu'elle méritait, et pas cette aura démesuré ? Mais la loi du lycée était parfois surprenante, et Katarina avait déjà essayé sans succès de raisonner Sara à ce sujet. Peine perdue. Elle devait donc regarder ses amies obéir au doigt et à l'oeil à cette petite reine de papier. « Quel droit ? Celui de te parler ? Désolée, je ne savais pas qu'il fallait demander une dérogation pour parler aux élèves de ce lycée » Car c'est tout ce qu'elle était, une élève de ce lycée, et rien de plus.

Et comme elle aurait voulu pouvoir la renverser de son trône. Mais les remarques comme celles-ci ne l'atteignaient même plus. Erica lui servait des répliques banales, comme elle avait déjà entendu bien des fois. Elle n'était pas plus intelligente que la moyenne, à juger Katarina sur ses origines. Elle ne faisait preuve d'aucune originalité, ne cherchait même pas à lui clouer le bec une fois pour toute. Débutante. « Ton QI ? Tout ce que tu as en face de toi, c'est une de tes voisines, blonde. C'est tout ce que tu peux "voir", en face de toi, comme tu le dis si bien. Après, tu peux effectivement tirer des conclusions hâtives à mon sujet, comme toutes les personnes de ce quartier. Toi qui te penses si bien que tout le monde, tu aurais pu chercher des insultes un peu plus réfléchies. Mais ton QI n'a pas l'air aussi développé que ton égo. » Elle soupira, dégoûtée que sa mission tombe ainsi à l'eau. Elle avait perdu patience, s'était éloignée de sa tactique première pour tomber dans son petit jeu. « Moi, je vois une lycéenne que je pensais plus futée que tout le monde, mais avec un brin de méchanceté et de cynisme que je ne m'expliquais pas. En fait, ton comportement et tes paroles me font comprendre que tu n'es qu'une fille banale et vulgaire. » débita-t-elle, d'une traite. Ça, c'était une réponse cohérente. Mais Erica ne saurait probablement pas en prendre de la graine. Ce dont elle avait envie, là tout de suite, c'était de courir chez Sara, et de l'aider à faire tomber cette reine en carton pâte. « Et pour finir, je ne comprends pas en quoi tu mérites ce titre de reine que tu t'octroies, mais j'ai compris ne t'inquiètes pas : c'est peine perdue de parler avec toi. » Sur ce, elle tourna les talons, prête à quitter les lieux, excédée de ne pas avoir réussi.

Les excuses d'Erica sonnaient bien sûr fausses, aux oreilles de Katarina. Pourtant, l'Estonienne les écouta sans broncher, jusqu'au bout. En réalité, elle décryptait les mots employés par Erica, le sens caché de ses phrases, pour déceler un plan machiavélique habilement dissimulée. Elle était peut-être l'amie de Montaine, mais elle n'était pas née de la dernière pluie. Le revirement d'Erica était la mise en scène la moins crédible au monde, même pas digne d'un vulgaire navet d'Hollywoood. Katarina aurait pu se vexer, que Erica la pense si naïve. Mais elle préférait profiter de ce changement brusque de situation, elle n'était pas maso, et ces fausses excuses pourraient toujours resservir, à l'occasion.

« Ce ... Ce n'est pas grave, je comprends, chacun ses problèmes. » Elle marqua une pause, se retenant de poursuivre. Elle aurait pu épiloguer longuement sur la série de réaction démesurée et si pathétique qu'avait eu Erica, mais il valait mieux laisser la tempête là où elle était, plutôt que la relancer. « Empêcher les gens de se moquer d'elle est peut-être une bonne idée. Mais dans l'intérêt de Montaine, ce qu'il faudrait, c'est d'abord lui apprendre à se respecter elle même, plutôt qu'à se laisser aller ainsi. » Une formule bien polie pour dire que Montaine craquait pour le premier mec venu, et qu'elle était incapable de voir quand on lui mentait. Même si Montaine sortait avec ce garçon depuis quelques temps, elle n'en restait pas moins incroyablement naïve. Et même si le règne de Erica ne durerait certainement pas, nombreuses seront les personnes comme la Daniels qui se succéderont, dans la vie de Montaine, et qui l'utiliseront sans état d'âme. « Ce garçon, avec qui elle est, il est bien ? » Katarina le connaissait peu, et Erica serait donc plus à même de l'en informer, puisque désormais celle-ci s'était calmée, et ne considérait plus la paysanne comme une débile qui montrait ses fesses pour réussir. En apparence du moins.

Devenir une meilleure personne, respectée et reconnue, n'avait rien de frustrant. Katarina n'avait pas une seconde sous entendu que Montaine devait entrer dans les ordres, mais cette Erica ne semblait considérer que les extrèmes, à chaque fois. Rien d'étonnant, venant d'une fille si peu réaliste ou raisonnable. La blonde l'avait finalement compris : elle n'obtiendrait rien de cette lycéenne, qu'elle soupçonnait même de préférer Montaine ainsi. Leur amie commune était dépendante d'Erica, de ses faux conseils, de sa protection de glace. Et elle n'agissait pas du tout dans son intérêt. Erica ne servait que le sien, et bernait Montaine avec des paroles mielleuses. S'en était trop pour Katarina, elle n'obtiendrait rien de cette fille, mais ne s'avouait pas vaincue.

« Qu'importe, alors ... » Elle coupa court à cette discussion qui désormais l'agaçait. Elle aurait tellement donné pour faire tomber cette fille de ce trône qu'elle ne méritait même pas. Et en se moquant d'elle ouvertement tout à l'heure, Erica n'avait fait que encourager cette hantise.

« Montaine a de la chance de t'avoir en fait, alors. Je ne l'aurais pas cru » toutes deux étaient hypocrites au possible, et il n'y avait probablement rien à retenir de cette conversation. A part peut-être une chose : Katarina ne laisserait pas cette fille sévir. Elle pouvait très bien ne pas s'en préoccuper, d'ici quelques mois elle aurait disparu du lycée. Peut-être même qu'elle terminerait son règne en beauté. Mais ses amies ne pouvaient pas continuer à dépendre d'une peste de la sorte. « Bon après-midi, à bientôt peut-être » annonça-t-elle sans prévenir, en guise de départ. Après un bref sourire crispé, elle tourna donc définitivement les talons, pour s'éloigner de cet oiseau de mauvais augure.