Leona avait un mauvais pressentiment qui ne la quittait pas. La jeune femme avait essayé de l’enfouir et de rester sourde à la petite voix au fond d’elle. Pourquoi son intuition n’était-elle pas comme une lampe de poche qu’elle pouvait éteindre et rallumer à volonté ? Les piles de ses craintes ne s’usaient pas et s’obstinaient à s’immiscer dans son esprit. Etait-ce son inquiétude pour Wyatt liée à cette affaire qui s’était passée une semaine plutôt ? Même si le jeune commercial essayait de la tenir éloignée de cette histoire en lui en disant le moins possible, Leona y était mêlée jusqu’au cou. Ils n’étaient plus en Afrique au cœur de dangers pressants pour leur vie. Elle n’avait pas besoin qu’il la protège comme un vase de porcelaine sur le point de se briser au moindre coup, certes elle était encore mentalement fragile, mais la jeune chirurgienne retrouvait tout sa force de caractère depuis peu ; en l’occurrence, Wyatt était celui qui avait besoin de soins. Quelques jours plus tôt, alors que la situation était plutôt critique, il lui avait avoué ressentir quelque chose pour elle. Sur le moment, Leona n’avait pas réfléchi et l’avait embrassé pour lui montrer qu’elle ressentait la même chose, mais elle avait ensuite pensé que c’était un coup de tête, ils n’avaient pas considérés les conséquences. Non seulement ils se mettaient tous les deux en danger, mais ils y exposaient également ceux qui les entouraient. Etait-elle vraiment prête à s’engager dans ce genre de relation ? Avait-elle bien tout considéré ou était-elle égoïste d’écouter ses sentiments sans réfléchir à ce qui pouvait en découler ? Pour le moment, Leona n’en avait pas vraiment reparlé à Wyatt se contentant de soigner sa blessure du mieux qu’elle pouvait. Les nouvelles n’étaient pas bonnes pour autant, car les jours passaient, mais celui qui l’avait attaqué n’avait toujours pas été retrouvé. La jeune chirurgienne venait de terminer sa journée de travail et repassa chez elle pour se changer et prendre quelques affaires pour s’occuper de son… ‘ami’. Rebecca commençait à se poser des questions sur ses petites escapades en soirée ; Leona n’avait pas envie de lui mentir mais lui donna comme excuse qu’elle voyait quelqu’un en ce moment, ce qui n’était pas tout à fait inexact en soi. Elle monta donc dans la voiture de sa sœur et conduisit jusqu’à l’hôtel où logeait Wyatt. Elle se rendit à l’intérieur et monta dans sa chambre en frappant le nombre de coups qu’ils avaient décidé ensemble sur la porte pour qu’il puisse la reconnaître. Le commercial vint lui ouvrir et l’accueillit en l’embrassant avant de la faire entrer. Leona constata qu’il n’était pas « seul », mais son « invité » ne traina pas et prit congé aussitôt. Wyatt referma la porte avant de lui expliquer qu’il s’agissait d’une sorte de collègue qui n’aimait pas les civils… et qu’il devrait sans doute prendre exemple sur lui, même s’il était content de la voir. Il la rapprocha de lui et plongea son regard dans le sien. « Je vois. » Répondit-elle un peu froidement et en se détachant de lui. Elle ne prenait pas mal ses paroles, mais plutôt le fait d’être étrangement d’accord avec ces propos, ce qu’elle ne voulait pas du tout reconnaître. Oui, il était dangereux de le voir. Et alors ? Ce n’était ni le lieu ni le moment d’en discuter. Leona n’avait pas envie que des tensions apparaissent si elle se montrait hésitante. « Tu as eu des nouvelles de lui alors ? » S’informa-t-elle alors en sachant déjà qu’il ne lui en dirait que la moitié au mieux. Enfin, elle était avant tout venue pour vérifier sa blessure. « Comment te sens-tu aujourd’hui ? » Demanda-t-elle ensuite sur le ton d’un médecin qui s’adresse à son patient, en s’avançant dans la chambre avant de se retourner vers lui en attendant qu’il vienne s’installer pour qu’elle puisse regarder comment sa plaie avait évolué.

Leona invita Wyatt à s’installer sur le lit, tandis qu’il lui apprenait les dernières nouvelles, c’est-à-dire pas grand-chose, puisque l’homme qui lui avait tiré dessus n’avait toujours pas été retrouvé. La jeune femme acquiesça et attendit qu’il s’allonge pour vérifier l’état de sa blessure. Elle lui demanda s’il se sentait mieux depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. La plaie ne s’était pas infectée malgré les conditions délicates dans lesquelles Leona avait dû opérer, ce qui était plutôt bon signe après une semaine. La blessure avait bien évolué et se refermait petit à petit, même s’il faudrait encore un peu de temps pour que Wyatt soit complètement rétabli. Le jeune commercial lui expliqua qu’il reprenait des forces ; elle le voyait en effet aller mieux de jour en jour et ne craignait qu’il ne se décide lui-même à régler cette histoire s’il jugeait être assez en forme pour le faire. Il releva son t-shirt et laissa à la jeune chirurgienne le soin d’examiner son ventre. Elle s’occupa de retirer le pansement qui ne nécessitait plus de faire le tour complet de son torse, mais devait simplement être posé sur la partie touchée. Elle regarda que rien ne s’était infecté. La blessure se refermait bien, même s’il lui resterait sans doute une petite cicatrice laissée par l’impact de la balle dans son corps. Il brisa de nouveau le silence, devinant sans doute le malaise de sa légère distance aujourd’hui. Selon lui, elle n’était pas forcée de s’occuper de lui en priorité si elle avait d’autres chats patients à fouetter. Wyatt ne voulait pas devenir une obligation pour elle. Était-ce vraiment l’impression qu’il avait d’elle en ce moment ? La jeune femme se concentra sur la plaie quelques instants avant de retirer délicatement le pansement pour lui en faire un nouveau. Pourtant, elle avait bien entendu les paroles du jeune Cleavers. « Pourquoi tu me dis des choses pareilles ? Ce n’est pas ça ! » Souffla-t-elle. Le moment n’était pas vraiment le mieux choisi pour avoir cette discussion, mais ils ne pouvaient pas vraiment se voir à tous les coins de rue pour en parler. Après tout ce qu’il avait fait pour elle, Leona pouvait bien lui rendre la pareille. Et elle était loin de le faire par obligation. Bien sûr, il y avait les sentiments qu’elle avait pour lui qui la poussait à s’inquiéter, c’était normal. Mais la jeune chirurgienne le considérait aussi comme un patient qu’elle se devait de soigner. « Je m’inquiète pour toi et pour ceux qui nous entourent. Mais est-ce que ce n’est pas prendre trop de risques ? » Questionna-t-elle plus pour elle-même que pour lui dans le fond. Elle précisa un peu plus la portée de ses inquiétudes. « Ce que je veux dire, c’est que j’ai l’impression d’être égoïste, de ne penser qu’au moment où, en fin de journée, je pourrais te retrouver alors que… que tout pourrait basculer par nos imprudences. » Ce qu’elle venait de lui avouer était assez… fort pour elle. Elle termina alors d’appliquer le nouveau pansement et rabattit le t-shirt de Wyatt sur son ventre. « Ta blessure se referme bien, d’ici quelques jours, tu pourras reprendre le cours normal de tes activités… en faisant doucement et très attention, bien entendu. Par contre, il faudra attendre encore un peu pour reprendre du ‘service’. » Il pourrait faire les petits trucs normaux d’une journée, mais pas reprendre son travail directement, bien trop violent physiquement. Elle rangea ensuite ses affaires et s’assit à côté de lui dans le lit. Son diagnostic de médecin étant terminé, elle pouvait redevenir la simple Leona, pas la chirurgienne en service. « Tu es inquiet, je le vois bien, cette histoire aurait dû être réglée depuis longtemps. Pourquoi me tiens-tu à l’écart ? Je sais que tu ne me dis pas tout et ça m’ennuie. Je n’ai plus besoin d’être protégée de ton monde, j’ai accepté de m’y plonger depuis… L’Afrique. » Elle posa une main sur son visage et plongea son regard dans le sien. Leona ne pourrait pas trop s’attarder ce soir, mais elle avait envie de profiter de ces quelques minutes avec lui. Cette discussion était pourtant nécessaire.

Après ce qu’ils avaient traversé, on pouvait se demander pourquoi Leona s’inquiétait tant des risques. La situation actuelle n’était pas pareille qu’en Afrique, car cette fois, sa famille pouvait être touchée. La jeune chirurgienne s’occupa de la blessure de Wyatt tout en lui faisant part de ses inquiétudes. Il avait déjà tenté de la rassurer à ce propos la dernière fois, mais elle ne se voilait pas la face. Plus les jours passaient sans retrouver celui qui lui avait tiré dessus, plus il avait de chances de remonter jusqu’à lui. Leona se mordit la lèvre inférieure, nouveau signe d’inquiétude pour elle. La jeune femme s’en voulut soudainement d’en avoir parlé à Wyatt qui se faisait déjà suffisamment un sang d’encre avec cette histoire sans qu’elle en rajoute. Elle devait simplement attendre que ce mauvais moment passe, mais Leona n’était pas le genre de personne à laisser les choses se faire sans y avoir son mot à dire. Elle tentait le plus possible de ne pas se laisser gouverner par le cours des événements, préférant davantage prendre le taureau par les cornes. Dans le cas présent, il était difficile pour elle de rester là à ne rien faire et d’avoir l’impression de se sentir impuissante tandis que d’autres essayaient de s’en occuper à leur place. Pourtant, Wyatt devait avoir autant de mal qu’elle à accepter cette situation, alors qu’il devait faire le moins de mouvements brusques possibles à cause de sa blessure. Leona réalisait aussi que ce n’était pas la première ni la dernière fois que ce genre de choses arrivaient. Si elle acceptait ses sentiments pour Wyatt, elle devrait aussi accepter cet aspect de sa vie. Elle était tout à fait prête à le faire, mais pas au prix de mettre sa sœur et son neveu en danger, par égoïsme personnel vis-à-vis de ce qu’elle ressentait pour le jeune commercial. Après avoir soigné sa blessure et lui avoir expliqué ce qui lui préoccupait l’esprit, la jeune femme s’assit à côté de Wyatt et plongea son regard dans le sien. Ses beaux yeux clairs l’attiraient comme des aimants. Leona n’avait pas besoin d’être rassurée ; elle savait ce qu’il lui dirait. Elle se demandait juste en ce moment si elle serait capable de prendre la bonne décision. Pour le moment, la jeune chirurgienne avait simplement envie de profiter de ce moment avec le jeune commercial. Wyatt tenta néanmoins d’apaiser une nouvelle fois son esprit en lui expliquant qu’il essayait de la préserver et qu’il avait le sentiment de l’obliger à entrer dans son monde. Leona n’était pas d’accord ; il ne l’avait pas forcée à ressentir quelque chose pour lui jusqu’à preuve du contraire. Comme elle l’avait deviné, Wyatt fulminait de devoir rester à rien faire, mais elle préférait de loin le savoir ici qu’à courir après le danger dans son état. Il se redressa alors à sa hauteur et s’assit à côté de la jeune femme. Il redoutait lui aussi que le tireur remonte jusqu’à eux, mais n’arrivait pas à se résoudre à ce qu’elle s’éloigne de lui. Il lui avoua alors que leurs familles étaient actuellement sous surveillance, ce qui ne surprit pas vraiment Leona qui l’avait à peu près deviné depuis un jour ou deux, ce qui la rassurait déjà davantage. Elle ne voyait pas trop quoi ajouter à ce qu’il venait de lui dire ; il ne servait à rien de ressasser la question dans tous les sens. A part attendre la suite des événements, ils ne pouvaient rien faire d’autre. Leona avait la vague impression de replonger dans l’horreur de l’Afrique ; tout ce qui n’était qu’à l’état de mauvais souvenir en elle avait l’insidieuse mauvaise habitude de vouloir refaire surface. La jeune femme chassa les pensées dans sa tête, depuis peu, elle arrivait à mieux contrôler le fil de ses idées. Elle tut l’inquiétude au fond d’elle et prit une grande inspiration. Elle s’était beaucoup attachée à lui au cours des derniers mois, mais elle se devait aussi d’être sincère avec lui. Elle ne savait pas encore ce qu’elle ferait, une fois cette affaire terminée. « Je suis désolée de t’ennuyer avec ça, c’est sans doute la dernière chose dont tu as besoin en ce moment. » Dit-elle alors en se levant. Elle s’avança vers la fenêtre et profita de la vue de la chambre d’hôtel sur la rue principale du quartier de Magnolia. « Mais pour être sincère, je ne sais pas où cette histoire va nous mener quand elle sera terminée. » Ajouta-t-elle alors. Le métier de Wyatt n’était pas le seul aspect qui entrait en ligne de compte, elle s’était toujours beaucoup trop concentrée sur son propre travail, et se sentait depuis peu le besoin de s’en éloigner et de le mettre de côté pour se rapprocher de lui. Une chose qui ne lui était jamais arrivée auparavant.

Le regard de Leona se perdit dans le vide tandis qu’elle écoutait Wyatt. Il avait raison. Il n’y avait rien de plus à dire ni à promettre. Elle ne pouvait pas lui demander de renoncer à ce qu’il était, comme elle ne pouvait pas arrêter ce qu’elle faisait. Les deux jeunes gens avaient déjà eu cette conversation quelques jours plus tôt. La jeune chirurgienne avait simplement eu le besoin d’exprimer une nouvelle fois ses inquiétudes. Mais rien n’y changeait. Il ne l’impliquerait pas davantage ; il s’était convaincu qu’apposer des limites à son monde la protégerait davantage. L’adage ne disait-il pas que ce qui était ignoré ne pouvait pas faire de mal ? Leona n’avait pas envie d’insister ni de l’entendre s’excuser. Pourquoi ? Parce qu’ils s’étaient découverts des sentiments imprévus l’un pour l’autre et qu’ils ne pouvaient plus y résister ? Il n’y avait pas de raisons. Elle savait dans quoi elle s’embarquait si elle acceptait de s’engager plus loin dans cette histoire, elle avait juste besoin d’encore un peu de temps pour réfléchir. C’était ce qu’elle voulait au fond d’elle, mais Leona ne pouvait pas se permettre d’y impliquer son entourage qui n’avait rien demandé. Elle se laissait le temps de considérer les risques et les conséquences de ses choix. Même pour des sentiments, Leona ne pouvait pas se permettre d’agir dans l’impulsivité. Il lui était interdit de ne penser qu’à elle dans cette situation bien complexe. Pourtant, à force de ne jamais lâcher prise sur le cours de sa vie, la jeune chirurgienne pouvait passer à côté de plein de choses. Wyatt la sortit de sa rêverie en lui disant que la décision lui revenait. La réponse, elle la connaissait déjà, mais Leona préférait la retarder et attendre de voir. « Je ne te demande pas d’abandonner ni tes convictions, ni ce que tu fais. Je les ai acceptées depuis longtemps. Je leur dois même la vie ! » Rappela-t-elle comme si c’était évident. « J’essaie juste de me poser les bonnes questions avant de… de ne plus pouvoir faire machine arrière. » Tenta-t-elle d’expliquer. Mais elle avait l’impression d’être floue dans ses propos. Sa tête était un véritable capharnaüm en ce moment. Elle savait que c’était déjà trop tard et qu’elle s’était déjà trop attachée. Ces derniers jours, elle avait passé plus de temps avec lui, moments qui n’avaient fait que confirmer ce sentiment. Leona s’éloigna alors de la fenêtre et se dirigea vers lui en le voyant manipuler son arme. Elle fit une légère moue, accompagnée d’un sourire en coin. « Tu ne devrais pas jouer avec ça. » Dit-elle en souriant et en la lui ôtant doucement des mains. Elle avait déjà eu l’occasion d’en tenir une fois pour se protéger, mais la jeune chirurgienne n’avait jamais eu le besoin de s’en servir. Ce serait en totale contradiction avec ses convictions. Son métier était de sauver les gens, pas de les tuer. Elle déposa l’arme sur la commode de la chambre avant d’entrer dans la salle de bains pour se laver les mains après avoir soigné Wyatt. Leona détacha ensuite ses cheveux pour les replacer. Soudain, elle entendit un bruit étouffé dans la pièce à côté. Son esprit lui jouait-il des tours ou la porte de la chambre venait-elle de s’ouvrir ? Leona entendit alors une voix qui lui était inconnue. La jeune chirurgienne ne fit pas un bruit et attendit. C’était peut-être un collègue de Wyatt, auquel cas, ils ne voudraient pas être dérangés. Sauf s’il s’agissait de tout autre chose… Elle plongea son regard dans le miroir devant elle et se figea devant l’expression étrangement calme qu’elle affichait.

Leona entendit la porte s’ouvrir et décida de rester quelques instants de plus dans la salle de bain. Une des personnes de contact de Wyatt venait probablement le voir pour lui parler de l’affaire, à moins que ce ne soit son collègue qui était venu lui apporter des nouvelles. La jeune femme ne fit pas un bruit et se contenta d’attendre lorsqu’elle entendit des voix s’élever dans la pièce. Elle tendit l’oreille et écouta plus attentivement. La jeune chirurgienne ne reconnut pas celui qui s’adressait à Wyatt. Elle le sentait tendu dans sa voix. Elle décida alors d’approcher son oreille contre la porte pour mieux entendre ce qui se disait. Le mauvais pressentiment qui lui était apparu en venant ici monta de nouveau en elle. Depuis l’Afrique, c’était comme si Leona avait développé un instinct beaucoup plus intuitif qu’avant. Elle pouvait sentir le danger. La jeune femme perçut quelques bribes de la conversation. « … Abrutis… remonté… trois ans… ordre. » Elle soupira et n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait. Son réflexe naturel aurait été d’ouvrir la porte et de vérifier tout simplement ce dont il s’agissait, mais ses jambes la bloquaient à l’intérieur. Ce n’était pas la peur qui la paralysait, loin de là, mais la petite voix qui lui insufflait de rester sur le qui-vive. Leona se sentait ridicule en ce moment à croire à tort ce qui n’était sans doute qu’une rencontre entre deux collègues ; rien ne lui laissait supposer le contraire. Pas même les bribes de conversation qu’elle venait d’entendre. La jeune chirurgienne posa sa main sur la poignée et entrouvrit la porte, lorsqu’elle suspendit son geste. Elle aperçut Wyatt en très mauvaise posture. Le cauchemar recommençait. Son cœur s’accéléra instantanément ; que devait-elle faire ? Sortir au risque de signaler sa présence et d’empirer la situation ou se terrer dans la salle de bains et regarder impuissante ce qui allait inévitablement se passer ? Leona réfléchit à toute allure. Pour le moment, l’autre ne se doutait pas qu’elle était là, ce qui pouvait encore créer un élément de surprise. La discussion reprit ; elle tendit de nouveau l’oreille et entendit quasiment toute la phrase du tireur qui tenait le commercial en joue. Leur rencontre remontait à quelques temps ; Wyatt l’avait laissé filé, et aujourd’hui, l’individu lui voulait la peau pour cette histoire obscure. Ensuite, tout s’accéléra. Le jeune Cleavers se jeta sur l’autre qui lui tira dessus mais le manqua de peu. Il parvint à faire tomber l’arme de son attaquant et ils en vinrent aux mains. Mais l’autre profita de la blessure de Wyatt pour donner un coup dedans et le mettre à genoux. Leona ne se posa plus de questions. Elle aperçut l’arme de son ami à quelques pas devant elle ; pendant l’échange de coups, elle avait été propulsée à portée de la jeune femme. Elle ouvrit discrètement la porte et se pencha pour attraper l’arme tandis que l’autre homme assenait un coup de poing dans la tête de Wyatt. Dans le feu de l’action, il pointa son arme sur lui et le menaça une nouvelle fois sans remarquer la présence d’une autre personne. « Lâchez cette arme ! » Ordonna-t-elle en pointant la sienne sur lui. Le tireur releva les yeux vers elle, surpris par ce revirement inattendu. Leona tentait de garder le contrôle d’elle-même, mais sa main tremblait légèrement, un détail qui n’échappa pas à l’œil aguerri de l’autre. L’homme de métier était en mesure de déterminer dans le regard de quelqu’un s’il était capable ou non de tirer. Il la jaugea quelques instants avant de se convaincre qu’elle ne le ferait pas et au pire qu’elle ne pourrait pas le toucher. « Tu n’oseras pas. » La nargua-t-il dans un rictus, avant de se reconcentrer sur Wyatt. La jeune chirurgienne vit le doigt de l’homme commencer à appuyer sur la détente. Le coup partit tout seul. Une balle en pleine tête. Leona venait de descendre le tireur sans hésiter un instant ; sa main tout à fait en contrôle. Il avait mal interprété son regard. Si chez la plupart des gens, leur force était un moyen de cacher leurs faiblesses, chez la jeune femme, c’était tout l’inverse. Son apparente fragilité n’était qu’un masque qui cachait mieux encore la force qu’elle avait développé au cours de ces derniers mois. Tous ceux qui l’entouraient l’ignoraient, mais depuis son retour d’Afrique, Leona n’était pas restée en reste. Elle avait pris des cours de tirs et de self-défense pour pouvoir au mieux appréhender ce genre de situations si elles se réitéraient. Elle avait eu raison. Le tueur n’avait pas pris un autre élément en compte : la force des sentiments qu’elle ressentait pour Wyatt dépassait toutes ses peurs. Elle devenait inébranlable quand les circonstances l’exigeaient. Leona aurait pu lu tirer dans le bras ou la jambe pour le blesser, mais ils n’auraient eu de cesse de menacer leur vie. C’était fini, une bonne fois pour toutes. La jeune chirurgienne jeta l’arme par terre et se dirigea vers le jeune Cleavers qu’elle aida à se redresser avant de le prendre dans ses bras en frissonnant légèrement. « J’ai tellement eu peur pour toi. » Souffla-t-elle. L’adrénaline retomba d’un coup, même si cette histoire n’était pas encore tout à fait terminée. Elle se rendit compte qu’elle venait de prendre la vie d’un homme sans sourciller… Elle dont le métier était de sauver des vies en avait ôté une. Elle refoula la violence du choc en elle qui n’était que remis à plus tard pour le moment et ferma les yeux en serrant un peu plus Wyatt contre elle. Sa décision était prise. Leona ne pouvait plus faire machine arrière.

Leona jeta l’arme par terre comme si elle lui brûlait les doigts après avoir tiré sur l’homme. Inquiète pour Wyatt, elle ne se rendait pas encore compte qu’elle venait de tuer quelqu’un. Prendre une vie. C’était quelque chose qui vous marquait tellement au fond de vous que vous ne pouviez plus jamais être la même personne. La jeune chirurgienne refoula le nœud puissant qui se forma en elle et se concentra plutôt sur son ami. Elle l’aida à se redresser et le prit dans ses bras. Leona avait tellement eu peur pour lui que son corps en tremblait. Elle avait crû le perdre quelques secondes plus tôt. Wyatt lui murmura à l’oreille que tout était désormais terminé ; s’il avait raison sur la forme, l’homme ne leur causerait plus de soucis d’inquiétude et n’était plus une menace, il avait tort sur le fond. La jeune femme se prendrait une immense claque en pleine face quand elle réaliserait ce qu’elle venait de faire ; une nouvelle plaie béante à son esprit déjà fragilisé par les mauvais souvenirs d’Afrique. Ce n’en était encore qu’au début pour Leona. Il plongea son regard dans le sien et l’embrassa tendrement. La sensation de froideur qui s’écoulait en elle depuis quelques mois s’évanouit en une fraction de seconde. Ses souvenirs qui lui abîmaient son bonheur et la détruisait au quotidien s’étaient envolés avec l’arrivée de Wyatt dans sa vie. Ses sentiments la reconstruisaient jour après jour, il était devenu un acteur de douceur et de force dans l’indispensabilité de Leona de l’aimer inconditionnellement. La jeune femme se détacha de lui et acquiesça lorsqu’il lui conseilla de partir et d’emmener ses affaires. Le bruit de l’arme avait certainement été entendu et allait rameuter le personnel de l’hôtel ou même la police. Tout devait disparaître dans les plus brefs délais. Effacer les traces d’une existence aussi vite était quelque chose d’inconcevable pour la jeune chirurgienne. Ne venait-elle pas de prendre une vie ? Personne ne s’inquiéterait-il de savoir ce qui était arrivé ? Y avait-il des gens qui attendaient cet homme à la fin de la journée ? Une famille ? Leona réalisait tout doucement ce qu’elle venait de faire, mais se concentrait sur la voix de Wyatt pour rester aussi détachée que possible pour le moment. Elle devait partir le temps qu’il règle tout avec son collègue : faire disparaître le corps et rendre des comptes à ses supérieurs ; il la rejoindrait plus tard. Il avait raison la concernant. Elle ne pouvait déjà plus supporter la vue de ce corps à qui elle venait d’arracher la vie. Elle se détourna de lui et rassembla les affaires présentes dans la chambre. Elle entendit le jeune Cleavers aider son collègue à reprendre conscience. Elle sentait la boule au fond d’elle devenir plus brûlante. Il était temps qu’elle parte. « Rejoins-moi dès que tu as fini ici. » Souffla-t-elle à Wyatt en passant près de lui. Elle s’éloigna alors aussi vite et lança un dernier regard vers le corps inerte à côté d’elle. Leona ferma les yeux et s’imprégna de cette image indélébile dans sa tête. Elle sortit de la chambre et de l’hôtel, et rangea les affaires prises dans la voiture de sa sœur. Elle monta ensuite derrière le volant et prit la route. Elle alluma la radio pour essayer de ne penser à rien ; la musique avait ce pouvoir de l’emmener ailleurs. La jeune femme arrêta ensuite la voiture devant chez elle et attendit quelques instants. Devait-elle rentrer et risquer de croiser sa sœur ou son neveu ? Hors de question. Ils n’étaient peut-être pas encore endormis. C’était une erreur de vouloir revenir ici et de risquer de les exposer, même si toute menace de danger avait désormais disparus… Grâce à elle… Mais elle ne s’en excusait pas pour autant le geste. Leona resta ainsi quelques minutes dans la voiture. Ses mains tremblaient et son regard s’embuait. Sa gorge la brûlait. Les larmes coulèrent toutes seules sur ses joues. Elle venait de tuer quelqu’un, de prendre une vie. Leona revécut mille fois la scène dans sa tête. Aurait-elle pu faire autrement au risque de perdre Wyatt ? Elle s’imagina seulement blesser le tireur ou l’avertir en tirant à côté, mais il n’aurait eu de cesse de les chercher et de les traquer. Elle avait choisi la solution qui lui était apparue la plus simple sur le moment, elle s’en voulait mais ne pouvait pas regretter. Elle entendit alors quelqu’un frapper sur la vitre. Etait-elle restée si longtemps à l’intérieur de la voiture ? Wyatt était arrivé. La jeune chirurgienne frotta ses yeux vite fait, elle n’avait pas envie qu’il remarque qu’elle avait encore une fois craqué, et descendit. Elle devait sortir prendre l’air et essayer d’oublier ce qui venait de se passer. Plus facile à dire qu’à faire.

Leona avait toujours la tête posée contre le volant. Des milliers de pensées se bousculaient dans sa tête. Elle avait l’impression de sentir le sang de sa victime couler sur ses mains et de revivre sans cesse la scène. La jeune chirurgienne n’avait pas eu le temps de se poser les bonnes questions sur le moment ; elle avait dû agir sans réfléchir au risque de perdre… l’homme qu’elle aimait. Les larmes coulèrent sur ses joues comme pour évacuer le trop plein d’adrénaline qu’elle venait de ressentir. Elle se sentait vidée et complètement à bouts. Cette soirée la renvoyait de nouveau quelques mois en arrière et lui rappelait incontestablement les mauvais souvenirs qu’elle avait réussi à enfouir ces derniers temps. Leona détestait ce sentiment de défaillance qui la traversait, mais elle n’arrivait plus à contrôler les émotions qu’elle avait passées sous silence depuis quelques temps. La jeune femme imagina cet homme avoir une famille, des gens qui attendaient son retour. Ne pratiquait-il pas le même métier que Wyatt qui pouvait lui aussi être amené à se retrouver dans une situation semblable ? Devoir exécuter les ordres et les suivre à la lettre. La jeune chirurgienne ne pouvait pas concevoir de vivre dans l’inquiétude constante de le perdre ni de vivre de cette façon. Elle se devait pourtant de l’accepter si elle ne voulait pas que le commercial quitte Magnolia sous peu. Leona essayait de se convaincre qu’elle allait beaucoup mieux, ce qui était le cas en un sens, surtout grâce à la présence de Wyatt dans sa vie. Mais n’était-il pas paradoxal de penser qu’il était aussi la partie qui lui rappelait tout ce qu’elle cherchait à oublier présentement ? La jeune femme releva la tête et frotta ses yeux légèrement rougis. Cette situation ne correspondait pas tellement à l’image que l’on pouvait avoir d’elle. Elle devait être bien plus forte que ça et n’avait pas à regretter son choix. Elle préférait mille fois savoir Wyatt en vie qu’à nouveau blessé ou pire si elle avait manqué de réaction sur le moment. Leona cherchait à se convaincre du bien-fondé de ses actes, mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Elle n’avait pas du tout été préparée à ce genre de dérapage. Elle sortit de la voiture lorsqu’elle entendit quelqu’un frapper sur la vitre. Ce devait être le jeune Cleavers qui était venu la rejoindre rapidement. La jeune anglaise le rejoignit sur le trottoir devant chez elle. Wyatt ouvrit la porte et s’empara du sac qui contenait ses affaires. Leona espérait que Rebecca dorme à poings fermés si elle était là ; elle n’avait pas la force nécessaire ni l’apparence adéquate pour faire comme si rien ne s’était passé ce soir. Et si son aînée remarquait qu’elle avait craqué, elle ne se priverait pas pour l’assener de questions. Elle se souvint alors que Rebecca était partie passer la soirée (et probablement la nuit) chez Daren. Quelle bonne idée pour le coup. Wyatt l’accompagna jusqu’à l’entrée de la maison où toutes les lumières étaient éteintes depuis longtemps. Leona ouvrit la porte et s’introduit à l’intérieur avant d’être approchée par le jeune Cleavers qui tenta une nouvelle fois de la rassurer en lui disant qu’il aurait voulu l’empêcher d’en arriver là. « Ce n’est rien, d’accord ? » Répondit-elle aussitôt. Elle n’en pensait pas un mot, mais elle n’avait pas envie qu’il s’inquiète encore pour elle. Elle devait simplement encaisser. « On ne peut plus revenir en arrière de toute façon. Je ne l’aurais pas laissé te… » Leona cherchait le bon mot. Blesser ? Tuer ? Elle baissa les yeux alors qu’il la prenait dans ses bras. Elle avait l’impression d’entendre son cœur battre à vive allure. « Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? » Demanda-t-elle ensuite posément.

Leona avait envie de chasser les pensées qui lui envahissaient la tête. Les images de la scène défilaient sans cesse devant ses yeux qu’elle se refusait de fermer pour éviter de revivre le moment. Elle préférait tenter d’oublier et ne pas s’y attarder. La jeune chirurgienne n’était pas en mesure de remonter le temps et de revenir sur son geste, pas plus qu’elle ne l’était de le regretter Cet homme n’aurait pas hésité une seconde à enlever leur vie à Wyatt et elle. Il aurait peut-être même été capable de pousser le vice jusqu’à leurs familles après les avoir retrouvés. Leona comprenait beaucoup mieux la situation que traversait le commercial au quotidien, les risques qu’il prenait et la distance respectueuse qu’il gardait avec tous ceux de son entourage… excepté depuis sa rencontre avec elle. La jeune anglaise essayait de se trouver des raisons valables à son acte, mais aucune d’entre elles n’enlevait le poids qui s’alourdissait dans son ventre. Dans les bras de Wyatt, Leona tenta de changer de sujet en lui demandant ce qui se passerait à partir de maintenant. Elle avait déjà vu des films qui traitaient d’affaires de ce genre, mais n’avait jamais cru que la fiction se transposerait dans la réalité de sa vie et ne savait pas trop comment fonctionnait ces choses-là concrètement. Leona voyait bien que le jeune Cleavers essayait de la sortir de l’apparente indifférence derrière laquelle elle préférait se cacher. Elle lisait l’incompréhension et les doutes qui s’imprégnaient dans ses yeux. Mais elle n’avait pas envie de répondre à ses questions pour le moment. Wyatt lui expliqua que l’affaire serait simplement « classée », comme si en tirant sur cet homme, Leona avait effacé tout ce qui concernait sa vie. Elle se mordit les lèvres et retint le nœud dans sa gorge serrée. Le commercial ajouta qu’il n’y avait désormais plus rien à craindre et qu’ils pourraient désormais reprendre le cours de leur vie. Elle hocha la tête silencieuse, mais Wyatt revint à nouveau à la charge. Il voulait qu’elle s’ouvre à lui pour connaître son ressenti. Elle secoua la tête. Les mots ne sortiraient pas de sa bouche ; elle n’arrivait pas à les exprimer. C’était comme mettre une réalité à ce qu’elle avait fait. Elle se refusait encore de l’accepter. « Que veux-tu que je te dise de plus ? Oui, j’ai pris une vie, mais je n’ai pas envie d’en parler. Il n’y a rien à dire de plus. » Souffla-t-elle d’une voix légèrement tendue. Elle n’en revenait pas d’avoir prononcé ces paroles. C’était horrible. Elle prit une inspiration et parvint à calmer l’émotion vive qui la traversait. La jeune femme ne voulait plus qu’il passe son temps à s’inquiéter pour elle comme il l’avait déjà fait depuis bien trop longtemps durant ces derniers mois. Leona se détacha de lui et plongea son regard dans le sien. Une question lui trottait dans la tête depuis quelques minutes. Une question qui pourrait lui apporter les réponses qu’elle attendait. « Qu’est-ce que tu as ressenti toi la première fois que ça t'est arrivé ? » Demanda-t-elle d’une voix étrangement posée. C’était le genre de question auquel il serait le seul à pouvoir répondre. Ce qui rendait la situation de Leona encore plus difficile était le fait de ne pouvoir en parler à personne d’autre que lui et de devoir le cacher à sa famille. La jeune femme ne pouvait pas se permettre d’y mêler Rebecca, et même dans le cas où elle aurait pu le faire et où les conseils de sa sœur l’auraient certainement rassurée, elle ne l’aurait pas fait, pour ne pas lui ajouter de nouvelles inquiétudes en plus de celles qu’elle endurait déjà avec son neveu. Wyatt était une personne à part entière dans sa vie et occupait une place que nul autre ne pourrait remplacer.

Leona avait bien conscience de ce qui s’était passé dans cette chambre d’hôtel. Elle avait pris la vie d’un homme sans sourciller par peur pour Wyatt et ses proches. Pourtant, elle refoulait la réalité de son acte qu’elle refusait à accepter aussi facilement sous peine de se perdre un peu plus encore. La jeune femme ne restait pas insensible à ce qu’elle avait fait ; elle se sentait terriblement mal de l’intérieur depuis quelques minutes et n’arrivait pas à chasser les images de la scène qui défilaient sans discontinuer dans sa tête. Elle préférait rester aussi détachée que possible et renvoyait une attitude dangereusement calme devant le jeune Cleavers, parce qu’elle ne voulait pas l’inquiéter davantage. Cette histoire était terminée. Le choc de Leona passerait sans doute après quelques jours, du moins tentait-elle de s’en persuader. Elle avait l’impression d’avoir vécu l’horreur en Afrique, mais cette affaire n’avait rien de comparable. La jeune chirurgienne en était l’auteur plutôt que la simple spectatrice ; elle n’était pas restée impuissante comme elle l’avait été quelques mois auparavant, pourtant cette pensée ne la consolait pas vraiment. Elle se détacha de Wyatt et plongea son regard dans le sien. Une question trottait dans sa tête depuis quelques minutes. Qu’avait-il ressenti lui lors de sa première fois ? Leona ne montrait rien en apparence, mais une foule de sentiments se bousculait au fond d’elle. Elle les taisait pour ne pas sombrer et craquer une nouvelle fois. N’était-elle pas plus forte qu’avant ? Pas autant qu’elle l’avait espéré. La jeune anglaise en était ébranlée. Elle avait l’impression que plus rien ne serait jamais pareil. Wyatt prit une profonde inspiration et l’emmena alors s’asseoir dans le divan pour lui raconter ce qui s’était passé pour lui et ce qu’il avait ressenti. Il glissa ses mains dans celles de la jeune femme et baissa les yeux comme s’il ne pouvait affronter son regard durant ce moment. Leona l’écouta sans l’interrompre lui expliquer qu’il était encore jeune à l’époque. Il avait été envoyé en mission pour rechercher un homme dangereux pour la population et l’avait retrouvé au bout d’une semaine. Wyatt avait alors pointé son arme sur lui et l’autre avait tenté de défendre sa vie en lui proposant de l’argent. Le jeune Cleavers ne l’avait évidemment pas écouté et avait simplement respecté les ordres en tirant sur un l’homme… désarmé. Leona lui lança un regard étonné, troublée par sa révélation, même si elle ne devrait pourtant pas être aussi surprise. C’était… ce qu’il avait toujours fait. Elle avait déjà du mal à accepter son propre geste, mais vivre consciemment en sachant ce que Wyatt faisait quotidiennement… Elle n’était pas sûre de s’en sentir capable. La jeune anglaise eut l’impression de ressentir un coup supplémentaire lorsqu’il lui avoua qu’il n’avait absolument rien ressenti. Comment c’était possible ? Elle avait la sensation d’avoir brisé quelque chose en elle à la minute où elle avait tiré, mais lui n’avait absolument eu aucun remord en abattant un homme ‘sans-défense’ ? Leona retira brusquement ses mains de celles de Wyatt. Qui était ou avait été cette homme froid devant elle ? Elle ne le reconnaissait pas. Il n’avait pas pu être comme ça. Voulait-il vraiment qu’elle ne ressente rien pour devenir aussi indifférente que lui au moment de prendre une vie ? « Tu as abattu un homme sans défense et tu n’as rien ressenti ? » Reprit-elle ses mots. Elle ne défendait pas l’autre homme qui était sans doute un mécréant de la pire espèce qui ne méritait pas de vivre en liberté, Wyatt ne prenait pas la vie de n’importe qui, mais qui lui avait donné le droit de vie ou de mort ? « Je ne comprends pas. Pourquoi ne pas l’avoir simplement arrêté ? C’est ça ce que tu fais ? Suivre aveuglément les ordres sans te poser de question sur ce qui peut être fait ou non ? » Elle ne comprenait pas pourquoi ses supérieurs ne l’avaient pas fait enfermer. Ce n’était effectivement pas pareil. Il avait eu le choix, pas elle. L’autre avait tenu Wyatt en joue et elle l’avait d’abord averti de lâcher son arme avant de tirer… Mais ce n’avait pas été le cas dans la situation du jeune Cleavers. Il se sentait impuissant pour elle, mais dans le cas présent, il ne pourrait pas l’aider. Elle devait traverser et surmonter cette épreuve toute seule. « Ne t’en fais pas pour moi, ça passera. » Dit-elle alors en se levant. Elle avait besoin de se détacher et de prendre ses distances. Leona s’était tellement inquiétée pour lui ces derniers jours qu’elle en avait oublié tout le reste. Elle s’était imaginé mille scénarios mais n’aurait jamais pu deviner le déroulement survenu un peu plus tôt. La jeune chirurgienne se dirigea dans la cuisine pour se laver les mains. Ce n’était que psychologique, car elle avait l’impression de sentir le sang de sa victime couler le long de ses paumes. Elle ouvrit le robinet et frotta ses mains sous l’eau, mais la sensation ne disparaissait pas. Leona les sécha et serra les dents. Dans le fond, elle reprochait à Wyatt ce qu’elle-même aurait voulu être capable de ressentir. Une indifférence totale à la situation. La jeune chirurgienne regarda ses mains trembler de nouveau. Elle prit une inspiration et tenta de se calmer une bonne fois pour toutes. « Qu’est-ce que j’ai fait… » Murmura-t-elle à voix basse sans se rendre compte qu’elle n’était plus seule.

Leona avait comme un blocage soudain. Elle était tout à fait consciente de ce que Wyatt faisait, mais l’entendre lui raconter cette histoire d’un air aussi détaché la dérangeait quelque peu. La jeune chirurgienne n’était pas en mesure d’être aussi indifférente d’avoir pris une vie. Elle n’arrivait plus à écouter la suite. Les images revenaient de nouveau dans sa tête et elle se leva pour se rendre dans la cuisine. Elle avait l’impression d’avoir le sang de sa victime qui coulait sur les mains, une sensation qui était loin d’être agréable. Leona n’avait évidemment pas peur du sang, il serait bien temps qu’elle change de métier dans le cas contraire, mais c’était toujours pour rendre la vie de quelqu’un meilleure et non la lui voler. Bien sûr, certaines opérations avaient déjà mal tourné ou n’avaient pas apporté l’effet escompté, mais la jeune anglaise avait toujours essayé de faire de son mieux. Voir le sourire des patients rétablis, surtout des enfants puisqu’elle s’occupait d’eux principalement, valait tout l’or du monde. Comment pourrait-elle encore se regarder dans la glace après ce qu’elle venait de faire ? Leona se sentait terriblement mal en ce moment, elle avait fait une chose horrible. Ses mains la brûlaient et les passer sous l’eau n’avait rien changé. Elle se les sécha et entendit alors Wyatt s’approcher derrière elle pour tenter de s’expliquer. La jeune chirurgienne ne le fuyait pas, mais une soudaine barrière s’était installée en elle, une barrière qu’elle n’arrivait pas à franchir au moment-même. Elle se retrouvait quelques mois en arrière ; après l’Afrique, elle s’était laissée glisser dans son mutisme, préférant ignorer ce qui s’était passé plutôt que d’en parler ouvertement, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que c’était beaucoup mieux. Wyatt avait probablement entendu ce qu’elle venait de dire, pourtant, elle n’avait pas envie de s’ouvrir ce soir. Elle se tourna vers lui alors qu’il lui expliquait qu’il n’était pas du tout comme elle pouvait le penser. Il n’était pas celui qui écoutait aveuglément les ordres sans réfléchir – du moins il ne l’avait plus fait depuis ce jour-là-. C’était comme s’il tenait absolument à changer cette image qu’elle était entrain de se faire. Mais Leona n’avait pas oublié qui était Wyatt, cet ami présent et attentionné – et bien plus- qu’il avait été ces derniers mois pour elle. Ne lui devait-elle pas la vie parce qu’il était venu la chercher ? Elle était la mieux placée pour ne pas avoir le droit de désapprouver ses missions, ni ce qu’elle faisait. C’était parfois nécessaire… sauf que le vivre au jour le jour était beaucoup difficile qu’elle ne l’avait cru au premier abord. Etait-elle prête à s’engager dans une histoire bien trop compliquée pour eux ? Son cœur, lui, l’était. Wyatt lui rappela alors qu’elle avait agi au mieux, sinon il ne serait plus là pour en parler. Leona plongea son regard dans le sien. Elle n’avait pas oublié ce qu’elle avait ressenti quand elle avait crû le perdre. La jeune anglaise avait alors contrôlé sa peur une fraction de seconde pour viser parfaitement le tireur. Même si elle continuait de se poser un millier de questions sur cette relation étrange, et qu’elle était prête à tout remettre en doute à cause de ce qui venait de se passer et ce qu’il lui avait raconté quelques minutes plus tôt, elle connaissait déjà la réponse. Elle ne pouvait plus faire machine arrière. Elle écouta alors les derniers mots prononcer par Wyatt. Ne plus cacher ce qu’elle ressentait ? Elle n’avait rien à ajouter à propos de l’épisode dans l’hôtel. Mais Leona avait bien remarqué qu’il n’osait plus l’approcher à cause de ses réactions sur la défensive. Elle n’avait pourtant pas changé d’avis sur ses sentiments. Elle combla donc la distance en eux, prit délicatement son visage entre ses mains et l’embrassa tendrement pour répondre à l’envie soudaine qui la traversait. La jeune chirurgienne aurait voulu que cet instant ne cesse jamais et resta ainsi quelques temps. Mais tout s’accumula dans sa tête lorsqu’elle se détacha de lui. « Tu ne devrais pas t’accrocher à une ombre. » Souffla-t-elle alors sachant qu’elle ne serait plus jamais la même quand elle se réveillerait le lendemain matin et se rendrait vraiment compte de ce qu’elle avait fait. Elle était comme abîmée et un tel poids ne pourrait rien apporter de bon dans l’existence déjà morcelée d’un homme habitué à la solitude. Pourquoi nier l’évidence ? Leona avait crû aller mieux depuis un petit temps, mais en vérité, elle gardait tout en elle. Elle baissa les yeux et posa sa tête contre lui après ces mots. Tout était tellement compliqué.

Leona entendait le cœur de son ami battre violemment dans sa poitrine après avoir prononcé des paroles d’une réalité froide. Après ce qu’elle venait de faire, la jeune chirurgienne se voyait sombrer plus encore vers une personne qu’elle n’était pas. Les récents événements l’avaient tellement changée qu’elle ne se reconnaissait plus. Sa famille et son travail lui gardaient les pieds sur terre et lui donnaient un semblant de stabilité dans sa santé mentale devenue fragile. Wyatt était également devenu un des piliers de sa vie, celui sur lequel elle s’était trop reposée ces derniers temps. Mais la jeune anglaise avait l’impression que ce lien qui les unissait si étroitement la glissait dans une double vie ; une qui entrait en conflit avec celle qu’elle vivait à Magnolia. Pourtant, Leona ne pouvait se résoudre à laisser Wyatt repartir. Au début, elle avait cru qu’il s’agissait d’une dépendance capricieuse de sa part à leur amitié, mais elle avait bien compris qu’il n’en était rien. La jeune chirurgienne s’était attachée davantage depuis peu et avait ouvert les yeux sur ce qu’elle ressentait vraiment pour lui. L’histoire qu’il lui avait raconté quelques minutes plus tôt lui avait démontré qu’elle ne connaissait pas encore tout de lui et qu’elle n’aimerait peut-être pas tout de ce qu’elle découvrirait de son passé. Mais Wyatt n’était pas un monstre – loin de là. Il agissait par nécessité et jaugeait ce qu’il devait faire selon la situation. Son travail était différent de celui de Leona, mais en un sens, ne faisaient-ils pas la même chose, à savoir sauver des vies ? Le sien était juste… un peu plus risqué. La jeune femme comprenait très bien les raisons pour lesquelles elle ne pourrait pas lui demander d’arrêter ce qu’il faisait, comme elle serait incapable d’arrêter d’être chirurgienne. C’était dans leur peau, ils étaient faits pour cela. Leona hésitait à propos de leur histoire pour différentes autres raisons. La première –et non des moindres- était les risques qu’elle faisait encourir à sa famille. Est-ce que cela se reproduirait souvent ? Devrait-elle être constamment sur les gardes pour ses proches et elle parce qu’elle avait l’égoïsme de laisser libre cours à ses sentiments pour Wyatt ? Elle n’avait pas vraiment la réponse à cette question. Pendant une fraction de seconde, elle avait envisagé quitter cette maison pour les préserver du danger, mais elle n’avait jamais vécu avec eux avant d’arriver quelques mois plus tôt. Toutes ces années volées où elle n’avait pas eu la chance de connaître sa sœur et son neveu… Elle ne pouvait pas partir. Pas maintenant. La seconde raison était la personne qu’elle était entrain de devenir et ce qu’elle était capable de faire. Elle avait pris la vie d’un homme aujourd’hui. Qu’est-ce qui allait se passer ensuite ? Leona essayait de se poser des limites et de ne pas songer à ce qui les attendait parce qu’aucun d’eux n’était capable de le prédire. A quoi bon s’imaginer maints scénarios hypothétiques ? Il y avait bien d’autres raisons, de moindre importance, mais face à ces questions qu’elle n’arrivait pas à répondre, la jeune chirurgienne avait du mal à taire ses doutes sans remettre en cause ce qu’elle ressentait pour lui. En allant le voir à l’hôtel ce soir, elle était tellement persuadée de ses choix… Mais c’était avant d’avoir pris la vie de l’autre homme. Pourtant, la peur de perdre Wyatt n’avait fait que renforcer son envie d’être avec lui. Et malgré ces petites voix qui la mettaient en garde dans sa tête, elle ne voyait pas vraiment ce qui pouvait l’empêcher de concilier les deux avec la plus grande prudence – se plonger dans cette double vie avec lui. Après ce qu’ils avaient traversé, elle ne pouvait pas se permettre de douter de ça. Elle écouta cependant Wyatt lui dire qu’il avait fait de sa vie un cauchemar ces derniers temps et qu’il n’osait pas imaginer la suite. Comment pouvait-il dire ça ? Leona n’était pas de cet avis. Elle avait accepté de s’y plonger ; ce n’était pas pour reculer, malgré cet aperçu déplaisant d’aujourd’hui. « Comment peux-tu dire ça ? Je ne serais même plus là sans toi. » S’exclama-t-elle en relevant la tête pour le regarder. Elle ne serait probablement plus de ce monde s’il n’était pas venu la chercher. Il prétendait avoir fait de sa vie un cauchemar alors qu’il était celui qui la tirait vers le haut ces derniers mois ? Non-sens ! « Depuis l’Afrique, je ne suis plus la même, c’est vrai, et je ne le serais plus tout à fait, mais ça n’a rien avoir avec toi. Au contraire, tu es celui qui m’a le plus ramené à ce que j’étais avant. » Protesta-t-elle de nouveau pour tenter de lui expliquer l’effet bénéfique qu’il avait dans sa vie. « Mais comme toi, je ne préfère pas imaginer la suite ; ce qui est fait est fait. Prenons chaque jour comme il vient. » Souffla-t-elle ensuite. A chaque jour suffisait sa peine non ? Ils n’avaient pas besoin de penser à ceux à venir. De toute façon, Leona ne pouvait pas se résoudre à changer d’avis ; pas alors qu’elle était tombée amoureuse de lui. Ce qui n'était plus à remettre en question.

Leona ne pouvait pas s’opposer aux arguments de Wyatt, puisqu’elle-même hésitait encore sur la bonne décision à adopter. La réponse résonnait au fond d’elle et lui demandait de suivre sa raison et de couper cours à tout attachement trop prononcé, mais c’était déjà trop tard. La jeune chirurgienne avait déjà mis en sourdine cette petite voix qui lui intimait de se tenir loin de ce monde. Leona n’avait pas peur de l’affronter ; elle souhaitait juste autant que possible ne pas y impliquer ses proches comme dans cette affaire inquiétante aujourd’hui. Pour le moment, elle ne voyait pas comment associer les deux sans prendre de risques, mais la vie n’est-elle pas ainsi faite qu’il faut parfois savoir surmonter ses doutes pour aller de l’avant ? Leona n’avait plus envie de se laisser ronger par les peurs qui la dominaient depuis quelques semaines. La seule présence de Wyatt lui faisait oublier ce qui voulait la rendre folle, parce que ses sentiments prenaient le dessus lorsqu’il était avec elle. La jeune anglaise ne pouvait pas l’imaginer partir à l’autre bout du monde ; autre problème qui se plaçait entre eux. Pourtant, elle comprenait parfaitement qu’elle n’était pas en droit de lui demander de renoncer à ses principes, ni à ce qu’il était. Quant à Wyatt, il pensait en ce moment-même être la raison de ses problèmes, mais il n’en était rien. Leona luttait depuis quelques temps contre ses démons intérieurs et ce qui s’était passé aujourd’hui ne ferait que se rajouter à ce qu’elle refoulait déjà. La jeune femme n’aimait pas le voir se sentir coupable et impuissant pour elle ; elle n’était plus cette personne fragile et sans défense qu’il avait rencontrée en Afrique. Cette expérience lui avait permis de changer et de devenir plus forte. La jeune chirurgienne se sentait capable de passer outre son geste… pour le moment. Il ne devait plus s’inquiéter pour elle. Leona plongea son regard dans celui de Wyatt lorsqu’il caressa sa joue. Peu importait leurs doutes et leurs questions, la seule chose dont elle était certaine était ses sentiments pour celui qui se tenait devant elle. Rien d’autre n’était plus important. Ils étaient ensemble pour un certain temps, et elle n’avait pas envie de le passer à ressasser toutes les raisons qui ne pourraient pas fonctionner entre eux. La jeune femme soutint son regard et attendit qu’il poursuive, sentant qu’il s’apprêtait à ajouter quelque chose. Wyatt lui avoua alors qu’il avait l’impression de pouvoir avoir une vie comme les autres en sa présence – ou presque. Ils s’apportaient chacun un côté différent qui les complétait somme toute assez bien. Leona ne répondit rien et laissa le commercial déposer ses lèvres sur les siennes. Elle profita de chaque seconde de ce moment de tendresse mêlant son souffle au sien. Ce baiser n’avait rien avoir avec les précédents ; il s’accompagnait d’une douce intensité qui ne laissait que peu de doutes sur ce qu’ils ressentaient en ce moment-même. La jeune chirurgienne déposa alors sa main sur la nuque de Wyatt et lui rendit son baiser un peu plus passionnément. Elle oublia tout ce qui l’entourait et se rapprocha un peu plus de lui en réponse à une impulsion. Soudain, la sonnerie du téléphone du commercial retentit. Oups. N'était-ce pas la deuxième ou troisième fois déjà ? Leona interrompit le moment et se détacha de lui pour le laisser répondre. C’était sûrement son collègue qui l’appelait pour lui donner des nouvelles ou ses supérieurs pour lui en demander. Elle s’éloigna pour ne pas se mêler davantage à cette histoire et retourna dans le salon. Ses mains ne tremblaient plus.