Installée dans la salle de garde des infirmiers, Leona remplissait les rapports de la journée dans les différents dossiers des patients dont elle s’était occupée aujourd’hui. Une fois n’est pas coutume, il n’y avait rien eu d’important à signaler. Les différentes visites et opérations s’étaient bien passées ; signe que la jeune chirurgienne avait repris son travail normalement. Même si les images qui lui hantaient l’esprit revenaient encore ponctuellement, surtout la nuit, elles s’étaient estompées au fil des jours. La jeune anglaise attrapa son café posé sur le bureau et le termina ; Leona était en mode caféine pour bien rester éveillée. Elle avait été surmenée de travail dernièrement et n’avait pas vraiment pris le temps de se reposer. Mais elle préférait les sessions de travail tardives, lorsque les couloirs de l’hôpital étaient vides et calmes, elle parvenait à mieux se concentrer. La jeune femme en avait besoin en ce moment pour tenter d’oublier ce qui s’était passé deux semaines plus tôt. Des tensions inattendues étaient apparues entre Wyatt et elle. Depuis, elle n’avait plus eu de nouvelles. Il lui avait clairement fait comprendre qu’il voulait mettre des distances entre eux. Elle n’était pas aveugle au point de ne pas avoir compris qu’il souhaitait se détacher d’elle, mais elle ne pensait pas qu’il instaurerait un silence radio aussi long. Leona n’avait pas l’intention de reprendre contact ; elle lui avait tendu suffisamment de perches. Et s’il était parti à nouveau ? La jeune chirurgienne préférait croire qu’il aurait au moins eu la décence de la prévenir au vu de leur amitié. Le problème était bien là : leur amitié leur fermait les yeux. Au cours des sentiments, résident toujours un zeste de sacrifice. Par amour, il nous faut mentir pour protéger, se trahir soi-même pour l'autre. Etre épris d'un coeur battant au même rythme que le sien ne facilitait en rien l’éloignement. Depuis cette soirée, Leona avait beaucoup réfléchi sur ce qu’elle avait ressenti. La seule conclusion qui lui était apparue est qu’on ne peut pas lutter contre les sentiments. Et elle n’était plus certaine de pouvoir les cacher longtemps. Mais la situation était bien trop compliquée de par leur situation respective ; la jeune anglaise ne devait plus s’autoriser à y penser. Les parois asymétriques de son esprit l'encombraient, la poussant dans une nouvelle direction, loin des mœurs factices et des amours sans fond. Elle entendit une présence entrer dans la pièce et sa voix inonder ses oreilles. Il était revenu et se tenait debout près de la porte, appuyé contre le mur. Leona ne croyait pas au hasard. Elle se tourna vers lui, ses yeux se noyèrent dans les siens, l'air cessa d'affluer dans ses poumons, tout en elle demeura en suspens durant de longues secondes, les sensations étranges qui pulsèrent dans ses veines s'intensifièrent. Dans un complexe étrange, propre à tout un chacun, elle s’était sentie devenir marionnette de ce qu’elle ressentait, tandis qu’elle prenait pleinement conscience de son incidence sur elle. Le nœud d’inquiétude qui lui avait enserré l’estomac ces derniers jours se dénoua finalement pour laisser place à un sentiment d’allégresse déguisée. « Encore à t’inquiéter pour moi ? » Répondit-elle en haussant les épaules et en ne laissant transparaître aucune émotion. Mais elle ne parvint pas à retenir un petit sourire sur son visage, comme à chaque fois qu’il était là. « Ce travail, il faut bien que quelqu’un le fasse. » Ajouta-t-elle ensuite. Ses paroles pouvaient laisser entendre qu’elle n’avait pas le choix, mais ce n’était pas du tout le cas. Elle aimait ce qu’elle faisait, même si les horaires étaient souvent contraignants. Elle rassembla alors ses pensées et une question émergea silencieusement dans sa tête. Que faisait-il ici, à deux heures du matin qui plus est ?

Leona se rendit rapidement compte que quelque chose clochait. La façon dont Wyatt se tenait contre la porte lui sembla soudain étrange. Il s’avança alors dans la pièce en titubant et ferma la porte derrière lui. La jeune chirurgienne arqua un sourcil étonné, lorsqu’elle comprit rapidement la situation. En un instant, elle oublia ce qui s’était passé la dernière fois entre eux et s’approcha de Wyatt qui grimaçait de douleur. Il lui expliqua brièvement qu’il avait besoin d’elle immédiatement. Joignant le geste à la parole, il écarta sa veste et dévoila une blessure qu’elle reconnut immédiatement. Il avait été blessé par balle à la suite d’un dérapage ; elle préféra ne pas demander le pourquoi du comment, qu’elle devinait aisément. Etait-ce la raison de son silence de ces derniers jours ? L’inquiétude amicale s’estompa pour laisser place à la chirurgienne qui sommeillait en elle, il fallait agir vite, il avait l’air de perdre pas mal de sang. « Laisse-moi regarder. » Dit-elle en s’approchant de Wyatt et en l’aidant à retirer sa veste et son t-shirt pour examiner d’un peu plus près la gravité de la blessure. La jeune femme étudia la plaie ; la balle avait laissé un trou profond et s’était sans aucun doute logée à l’intérieur. Elle allait devoir intervenir pour vérifier les dommages causés par l’onde de choc et surtout retirer le projectile du corps de son ami. « L’idéal serait de t’endormir complètement. » Souffla-t-elle alors, mais elle connaissait sa situation délicate et savait qu’il en était hors de question, ils ne devaient pas se faire prendre. Personne ne pouvait savoir qu’il s’était fait touché par balle, sinon la police s’en mêlerait comme à chaque fois qu’une personne était admise à l’hôpital pour ce genre de blessures. Il y avait toujours une enquête sur les circonstances, sauf que dans le cas présent, elle devrait le faire discrètement, c’est-à-dire dans cette pièce et non dans une salle d’opération fréquentée par les différents médecins en cas d’urgence la nuit. Ils poseraient trop de questions gênantes. Leona prit de quoi appuyer sur la blessure et demanda à Wyatt de compresser en attendant son retour pour retenir un maximum la perte de sang. Elle devait aller chercher le matériel nécessaire pour retirer la balle. « Appuie très fort, je reviens. » Dit-elle. Ce n’était pas le moment de perdre son sang-froid ; elle en avait vu bien d’autre, et lui aussi, mais le fait qu’il s’agisse de son ami la perturbait plus qu’elle n’aurait bien voulu l’admettre. Dans quelle situation s’était-il encore mis ? Allait-il prendre de tels risques longtemps encore ? Et s’il devait partir à nouveau ? Un millier de questions se bousculaient dans sa tête, mais ce n’était pas le moment d’y penser. La jeune anglaise prenait elle-même beaucoup de risques pour son travail en le soignant « clandestinement », mais elle s’en fichait royalement, le plus important était Wyatt. Elle revint quelques instants plus tard dans la salle de garde et ferma la porte derrière elle. Il y avait une seconde pièce derrière pourvue d’un lit d’hôpital, elle invita Wyatt à y aller. Il pourrait s’y allonger pendant qu’elle tenterait d’extirper la balle. « Tu ne veux toujours pas m’expliquer comment tu t’es fait ça ? » Demanda-t-elle alors qu’elle endormissait près de la partie touchée pour calmer la douleur du commercial. Pas que ça l’intéressait vraiment à vrai dire, enfin si, mais c’était surtout une façon détournée de lui occuper l’esprit. Soudain, le bip de Leona résonna dans la pièce. Elle retint sa respiration. Ce n’était vraiment pas le bon moment. La jeune chirurgienne ne pouvait pas s’occuper de deux urgences à la fois. Son choix était fait. Elle éteignit la sonnerie et commença à désinfecter la blessure de Wyatt. « Ça pourrait être un peu douloureux. » Dit-elle alors en guise d’avertissement.

La balle avait bien frappé Wyatt et s’était sans aucun doute logée profondément dans le corps du commercial. Leona pouvait l’affirmer rien qu’en observant la blessure ; l’arme utilisée pour lui tirer dessus n’était pas pour effleurer, mais bien destinée à tuer. Il aurait pu avoir beaucoup moins de chance ce soir, mais à première vue, rien ne semblait indiquer qu’un organe vital ait été touché. La jeune chirurgienne devrait le vérifier en retirant la balle. Ils partirent donc s’installer dans la pièce arrière pour qu’elle puisse commencer l’intervention. Elle endormit son ami localement et désinfecta la blessure, ce qui arracha un soupir de douleur de la part de Wyatt. Il avait préféré rester conscient au cas où on les découvrirait. La jeune anglaise voulut en savoir plus sur ce qui s’était passé, mais il n’avait visiblement pas l’intention de l’impliquer davantage. Il précisa simplement qu’il ne se l’était pas fait tout seul, mais elle ne parvenait pas à rire pour le moment. Le bip de la jeune anglaise retentit soudainement dans la pièce. Leona coupa la sonnerie et se concentra sur son ami qui l’encouragea cependant à aller voir la raison de cet appel. « Une urgence à la fois. Je ne serais pas capable de me concentrer sur autre chose en sachant que tu es ici entrain de te vider de ton sang. Quelqu’un d’autre y répondra bien. » Rétorqua-t-elle bien décidée à ne pas bouger d’ici avant d’avoir terminé. Cela ne servait à rien d’aller voir alors qu’elle ne pourrait pas penser à autre chose que Wyatt. Un autre médecin disponible prendrait sa place ; c’était souvent au premier qui répondait. Elle prit le matériel stérilisé, lorsque son ami continua de parler pour s’excuser de son comportement une quinzaine de jours plus tôt. Leona n’écouta que d’une oreille, ce n’était pas vraiment le moment de parler de ce genre de choses, mais il semblait vouloir les dire pour faire abstraction du reste. Elle se reconcentra sur sa blessure. « Essaie de ne pas bouger. » Recommanda-t-elle alors en commençant à inciser près de la plaie et en écartant un peu pour pouvoir chercher après la balle. Elle essayait d’être la plus délicate possible, mais elle devait faire vite. Au vu du sang qui coulait, la balle pouvait s’être placée aussi bien dans la chair que dans un muscle. Leona inséra la pointe dans la blessure pour essayer de déloger la balle, mais elle ne la trouva pas au bord. Elle devait s’être enfoncée plus loin. La jeune femme tenta de se concentrer un peu plus, mais elle avait du mal à penser à autre chose qu’aux soupirs douloureux de son ami. Soudain, au moment le plus mal choisi, les images qui la hantaient depuis des mois revinrent une nouvelle fois dans sa tête. Ce jour où il était venu la chercher. Leona tenta de les chasser de son esprit, mais chaque instant revenait, comme si c’était hier. A des milliers de kilomètres de leur première rencontre, elle avait en ce moment l’impression de revivre la même situation à Magnolia. Elle prit une inspiration et essaya de se reconcentrer, mais elle redoutait de ne pas être capable de terminer l’opération dans de bonnes conditions. Elle était entrain de se laisser complètement dépasser par les événements passés, lorsque le regard de son ami la ramena à la réalité. La jeune chirurgienne sentit soudain quelque chose de plus dur au bout de l’instrument. « Je la sens. » Indiqua-t-elle aussitôt. Ce qui était déjà bon signe. Restait encore à la retirer délicatement, or la main de Leona tremblait de plus en plus.

Pourquoi le destin les liait-il à chaque fois qu’ils étaient à un tournant critique de leur vie ? Leona se rendit compte que non seulement la situation actuelle la remettait quelques mois en arrière, mais aussi qu’elle en était l’exact opposé. La jeune anglaise n’était plus celle qui jouait sa vie, mais qui tentait de sortir Wyatt d’une situation délicate. Était-ce un signe que leurs vies respectives ne faisaient d’ors et déjà plus que s’additionner, mais qu’elles se composaient littéralement l’une dans l’autre au fur et mesure des moments qu’ils passaient ensemble ? Existences entrecroisées qui liaient leurs destins d’une seule et même façon. La jeune chirurgienne sortit de ses pensées et se rattacha à la voix du commercial. Sa main tremblait de plus en plus ; elle devait en reprendre le contrôle pour éviter de le blesser davantage avec la pince. Leona sentit alors un petit objet dur au bout de l’instrument : la balle était logée profondément dans la plaie mais pas hors d’atteinte. Elle releva les yeux vers Wyatt qui posa sa main sur la sienne pour l’encourager à continuer. La jeune femme s’en voulait de perdre le contrôle dans un moment aussi délicat, elle savait très bien qu’elle aurait pu lui éviter certaines douleurs uniquement causées par sa distraction. Elle s’excusa du regard, prit une grande inspiration et se calma quelque peu en écoutant le jeune Cleavers. Leona se rendit compte que ces deux dernières semaines sans lui avaient été étranges ; elle avait essayé de comprendre ses réactions et de se convaincre qu’elle ne lui en avait pas voulu de s’éloigner d’elle pendant autant de temps sans aucune raison valable. Mais en vérité, elle en avait été quelque peu blessée et s’était rendu compte qu’elle tenait beaucoup plus à lui qu’elle n’aurait dû. Si l’absence et la distance d’une personne éteignait souvent les sentiments de l’autre, il n’en avait rien été pour Leona. Cela n’avait fait que lui ouvrir davantage les yeux, mais elle s’était aussi persuadée de ne rien en dire. Elle se refusait de s’attacher outre mesure, sachant que des situations comme aujourd’hui pourrait se reproduire à l’avenir, au point qu’elle en perdait quasiment ses moyens... Mais elle avait surtout peur de le perdre lui. La jeune chirurgienne se concentra pour ouvrir la pince et attraper la balle. Elle sentit Wyatt avoir de plus en plus de mal à garder conscience, ce qui la recadra aussitôt dans la difficulté de l’opération. Elle retrouva un contrôle sûr de sa main et parvint à bien bloquer le projectile dans l’instrument. Leona le retira ensuite très doucement de la plaie, en évitant soigneusement les parois du ventre. Au bout de quelques secondes qui lui parurent une éternité, elle sortit enfin la balle du corps de son ami. Elle la déposa dans le récipient à côté d’elle et prit aussitôt de quoi le recoudre. « C’est bientôt fini. Reste avec moi. » Souffla-t-elle pour le rassurer. Soudain, alors qu’elle commençait à refermer la blessure de Wyatt, elle entendit quelqu’un essayer d’entrer dans la salle de garde… dont la porte était heureusement verrouillée.

Leona était entrain de commencer à recoudre Wyatt lorsqu’on frappa à la porte de la salle de garde. La jeune femme posa son regard dans celui de son ami ; si elle n’allait pas ouvrir, ils ne pourraient pas rester cachés bien longtemps. Elle détestait cette situation délicate et aurait bien envoyé le monde au diable pour ne pas le laisser dans cet état, mais il lui conseilla d’y aller. Plus vite elle se débarrasserait d’eux, plus vite ce serait réglé. La jeune chirurgienne déposa les ustensiles à côté d’elle, puis sortit de la pièce arrière où elle changea rapidement de blouse pour cacher le sang sur elle et se dirigea ensuite vers l’avant pour aller ouvrir à ses collègues. « Leona, bon sang, où étais-tu passée ? » L’apostropha un infirmier qu’elle fréquentait souvent depuis qu’elle travaillait ici. La jeune anglaise s’entendait habituellement bien avec lui et ne l’avait jamais vu d’humeur désagréable, mais elle avait toujours répondu présente avant aujourd’hui. « Et pourquoi as-tu verrouillé cette porte ? » Elle adopta un regard innocent et étonné. « Je ferme depuis ce vol de médicament qui a eu lieu l’autre jour, au cas où ils reviendraient ; on n’est jamais trop prudent. » Répondit-elle. Des toxicomanes, du moins le soupçonnait-on, étaient venus dérober plein de médicaments à l’hôpital un soir où Leona n’était pas de garde, depuis elle faisait attention. « Mais tu me cherchais ? » Reprit-elle alors. « Tu n’as pas entendu ton bip ? » S’exclama-t-il. Leona s’apprêtait à répondre, mais il la devança. « C’est bon, le docteur Miller a pris la relève, mais on t’a cherché partout. ». La jeune mima un nouvel air surpris. « Tu es sûr ? En tout cas, le bip n’a pas sonné, il doit y avoir un dysfonctionnement. Je l’apporterais demain au service technique. » Mentit-elle. Ce n’était pas dans ses habitudes de le faire ; pourtant la jeune femme s’en sortait plutôt bien dans le rôle. La gravité et l’urgence de la situation lui imposait de jouer finement… en priant pour que l’infirmer ne rentre pas dans la salle de garde au risque de voir le sang partout. Leona avait essayé d’en essuyer la plupart avant d’ouvrir, mais elle n’avait pas pu le faire attendre plus longtemps. « Léo, tu es sûre que ça va, tu es aussi blanche que si tu venais de voir un fantôme. » Lâcha-t-il soudainement. La jeune anglaise profita de l’occasion pour faire semblant qu’elle n’était pas dans son assiette. « C’est vrai ? Justement, je ne me sentais pas très bien. » Admit-elle. L’infirmier observa les joues creusées sous les yeux de la jeune chirurgienne. « C’est bon, prends ta nuit. Tu as été surmenée ces derniers jours et tu vas tomber en épuisement si tu continues. Je le mettrai dans le rapport tout à l’heure. Il faut d’abord que je retourne aux services des urgences. » Conclut-il alors. Il lui fit un petit signe et s’éloigna enfin de la salle de garde. Leona referma la porte et poussa un petit soupir. Il avait eu l’air de gober ses explications sans grande difficulté ; il fallait dire qu’elle était plus que crédible dans le rôle de la fille épuisée nerveusement, puisque c’était bien le cas, après tous les évènements survenus cette soirée. Mais ce n’était pas le moment de se relâcher. La jeune femme retourna rapidement auprès de Wyatt pour reprendre là où elle s’était arrêtée. « C’est bon, j’ai réussi à les éloigner pour le moment. » Résuma-t-elle la situation. Elle eut ensuite une nouvelle idée. « Quand j’aurais terminé, on retournera chez moi. Ma sœur et mon neveu sont absents ce soir. Normalement, tu ne devrais plus bouger, mais on ne pourra pas rester ici. » Expliqua-t-elle. Mieux valait donc qu’il reste avec elle la nuit au cas où la blessure se rouvrirait ou que des complications surgiraient. La jeune femme termina de recoudre le commercial et coupa le fil. Elle nettoya le sang et appliqua ensuite un pansement assez solide pour que la blessure ne transperce pas. « C’est fini. Je vais vite nettoyer tout ça, ensuite tu t’appuieras sur moi pour qu’on parte d’ici. » Dit-elle en joignant le geste à la parole. Avoir parlé à l’infirmier avait remis les pendules à l’heure dans sa tête. Leona avait retrouvé tout son sang-froid et agissait rapidement pour leur éviter de nouveaux ennuis. Complètement sonné par la douleur et la perte du sang, Wyatt était à demi-conscient ; il fallait absolument qu’il tienne encore le coup quelques instants. Leona entreprit donc d’effacer leurs traces en essuyant le sang un peu partout dans les deux pièces.

Leona termina rapidement l’intervention et proposa à Wyatt de retourner avec elle. Il ne pouvait pas rester ici ni se promener dans la rue tout seul au risque de sombrer dans l’inconscience, ou pire, de se faire rattraper par celui qui lui avait tiré dessus. La jeune chirurgienne apposa ensuite un pansement sur la blessure de son ami et revint ensuite pour calmer sa douleur grâce à une seringue de morphine. Wyatt pourrait sûrement mieux se déplacer de cette façon, même s’il était évident qu’il était au bout de ses ressources. La jeune femme ne l’avait jamais vu défaillir ; au contraire, ces derniers mois, il avait plutôt représenté la force sur laquelle elle s’était reposée… un peu trop peut-être. Mais les événements de cette soirée lui avaient fait prendre conscience à quel point il n’était pas invincible, surtout pas dans son métier. Une fois la seringue vide, Leona s’éloigna de nouveau de lui pour effacer toutes traces de leur venue. Elle nettoya rapidement la salle, puis emballa les vêtements tâchés qu’elle mettrait à laver chez elle. Elle aida ensuite Wyatt à enfiler sa veste et à le laisser prendre appui sur son épaule. Ils croisèrent une ou deux personnes dans les couloirs, mais ils ne se firent heureusement pas arrêter. La jeune chirurgienne espérait ne pas se faire reconnaître avant la sortie, sinon les questions fuseraient sur son compagnon chancelant. Ils prirent l’ascenseur et débouchèrent sur le parking où était garée la voiture de Rebecca. Leona empruntait parfois le véhicule de sa sœur lorsqu’elle était de garde la nuit. Rentrer à pieds n’était évidemment une option dans un quartier calme seulement en apparence. Personne n’oubliait qu’un meurtrier en liberté rôdait toujours dans la ville, sans parler des toxicomanes qui étaient venus voler l’hôpital quelques jours plus tôt. La jeune anglaise l’aida à s’installer sur le siège passager, puis prit place derrière le volant pour les ramener chez sa sœur et elle. Leona était soulagée, selon elle, le plus dur était fait. Ils avaient quitté l’hôpital en toute sécurité, ne restait qu’à attendre cette nuit et espérer qu’aucune complication ne surviendrait. Wyatt avait certes perdu beaucoup de sang, mais il avait eu le bon sens de venir directement à l’hôpital, ce qui réduisait considérablement les chances d’infection ou autres problèmes liés à l’impact de la balle qui n’avait pas eu le temps de se déplacer dans le ventre du jeune Cleavers. Une fois chez elle, Leona le laissa s’installer dans le canapé tandis qu’elle partit préparer sa chambre et surtout se laver les mains et se changer après avoir eu tout ce sang sur elle. Elle sortit les vêtements des sacs et mit le tout à lessiver pour ne pas laisser le temps au sang de sécher complètement sur les vêtements. Elle redescendit ensuite quelques minutes plus tard près de Wyatt, s’assit dans le fauteuil en face et le regardait silencieusement alors qu’il avait les yeux fermés. Leona ne se l’avouait qu’à moitié, mais elle avait eu très peur pour lui ce soir, même si la blessure n’était pas mortelle, elle aurait pu avoir de lourdes conséquences. L’avait-il entendue arriver ou non, elle n’en savait rien, toujours est-il qu’elle plongea son regard dans le sien, ne sachant trop quoi ajouter à cette soirée décidément bien inattendue. Elle ramena ses jambes contre elle pour se réchauffer ; le chauffage était resté éteint toute la journée en l’absence de sa sœur. Au bout de quelques secondes, elle se leva et partit s’asseoir à côté de lui. « Ne refais jamais ça. » Souffla-t-elle alors d’une voix douce. Mais c’était comme lui demander à elle d’arrêter son propre travail, autant dire la plus grande part de sa vie. Impossible. Il ne pourrait pas arrêter. Elle baissa les yeux sur la blessure ; le sang n’avait pas l’air de transpercer le pansement, ce qui était déjà une bonne chose. Á cet instant, elle était tout à fait capable de dire qu’il comptait bien plus que son propre travail, car n’avait-elle pas été prête ce soir à risquer de tout perdre du moment qu’elle pouvait le soigner ? Comme lui, l’avait fait pour elle… en Afrique.

Devant le miroir, Leona remarqua son visage fatigué et son teint livide. Elle avait eu très peur ce soir, non pas de retirer la balle du corps de Wyatt, mais de perdre le contrôle. La jeune chirurgienne se rinça les mains et le visage et songea à sa sœur qui était absente. Si Rebecca avait été là, elle n’aurait pas refusé de l’aider à l’abriter, mais Leona était bien contente de ne pas devoir l’impliquer. Elle devinait que la famille du commercial ne devait rien savoir de ses activités extérieures. La jeune femme ne s’attarda pas plus longtemps, et une fois qu’elle eut terminé de tout ranger, elle le rejoignit dans le salon. Elle regarda son ami assoupi dans le canapé et ne bougea pas avant qu’il ne sente sa présence et n’ouvre de nouveau les yeux. L’instinct qu’il avait acquis au cours des années s’était forgé solidement pour être en mesure d’encore relever une présence silencieuse à côté de lui dans son état. Leona aurait voulu que les dangers qui s’immisçaient entre eux se dissipent, mais elle savait que c’était impossible. Elle gardait à l’esprit ce qu’elle avait ressenti quelques instants plus tôt et n’arrivait pas à effacer l’appréhension. La jeune chirurgienne s’inquiétait pour lui ; certes, ce soir, elle avait été là, mais la prochaine fois, il n’aurait peut-être pas autant de chance. « Tu es arrivé à temps aujourd’hui, mais je ne serais peut-être pas toujours là. » Répondit-elle en guise de protestation. Pas qu’elle n’était pas capable de revivre cette situation, mais elle préférait l’éviter. Leona l’aida ensuite à se redresser dans le canapé, puis à se relever ; mieux valait monter se reposer. Ils quittèrent le salon tant bien que mal pour rejoindre la chambre de la jeune anglaise. Il s’allongea dans le lit et son visage marqué de douleur retrouva une expression un peu plus sereine. La jeune femme écouta alors le refrain qu’il lui répétait depuis quelques temps déjà : celui qui lui compliquait la vie. Il n’allait pas encore recommencer comme deux semaines auparavant ? Elle se demanda alors s’il serait venu la revoir de sitôt s’il n’avait pas été touché par balles, lui qui s’était tant évertué à mettre de la distance entre eux. Ce n’était pas le moment d’en discuter. Il la remercia cependant pour les risques qu’elle avait pris ; ce qu’elle voulait surtout c’était que lui n’en prenne plus, mais elle avait bien conscience que c’était inenvisageable. « Chacun son tour pour veiller sur l’autre. » Lâcha-t-elle en souriant. Leona sentait la fatigue l’envahir, mais elle n’avait aucune envie de dormir. Elle préférait rester éveillée encore quelques temps au cas où… La jeune chirurgienne se glissa tout de même sous les couvertures et sentit la chaleur de la peau de son ami contre elle. Elle éteignit les lumières et posa sa tête contre son oreiller. La même confusion qui avait régné dans son esprit deux semaines plus tôt ne s’était toujours pas envolée, si ce n’était pour devenir plus omniprésente encore. Elle s’était déjà trop attachée et ne pouvait pas faire machine arrière. Elle avait l’impression d’entendre son propre cœur battre bruyamment dans l’obscurité, mais ce n’était que son imagination qui lui jouait des tours. Elle se rapprocha alors de lui. « Beaucoup de choses ont changé depuis que tu es entré dans ma vie. » Souffla-t-elle dans son oreille ne sachant pas s’il l’entendrait ou non. Mieux valait peut-être qu’il soit déjà endormi. Leona déposa un baiser sur sa joue et lui souhaita bonne nuit. En dessous de la couverture, elle glissa sa main dans la sienne et posa de nouveau sa tête contre son oreiller. A sa respiration, on pouvait entendre qu’elle ne dormirait pas de sitôt.

Leona n’était pas revenue en tant que la même personne depuis son voyage en Afrique. Quelque chose en elle avait changé, comme si elle avait laissé une part d’elle-même à des milliers de kilomètres de Magnolia. Pourtant, en présence de Wyatt, la jeune anglaise avait l’impression de se retrouver entière à nouveau. Sa réserve de vie était à quelques mètres d’elle, l’oxygène dont elle avait tant besoin pour mener une vie normale dans ce quartier où personne ne savait et où elle aurait sans doute étouffé. Ecorchée à vif par ses souvenirs, Leona se sentait revivre en présence du jeune commercial. Réalité cruelle que de se rendre compte qu’une personne a pris tellement de place dans votre vie qu’elle était à la fois devenue le soleil et la nuit de votre existence, qu’elle en était aussi bien le pilier que le bourreau. Leona s’était beaucoup attachée à lui au cours des dernières semaines ; il l’avait remise sur le droit chemin, elle s’était retrouvée, mais son absence prolongée l’avait replongée quelques mois en arrière. Cette soirée n’illustrait que la complexité et la dangerosité que toute relation envisagée engendrerait entre eux. La jeune chirurgienne avait de plus en plus de mal à taire les élans confus de son cœur, car à présent, elle connaissait la valeur de sa vie dans la sienne, et les sentiments grandissants qu’elle portait à Wyatt était devenu le fil conducteur de son existence. Mais les contes de fée n'existaient pas, seules les brides de bonheur qu'ils délivraient pouvaient être considérées comme réelles. Elle profitait de ces rares moments imprévisibles où ils passaient du temps ensemble, parce qu’elle savait qu’un jour viendrait où il devrait repartir. A quoi bon se faire du mal inutilement ? Elle était encore bien trop fragile. Pourtant, les sentiments amoureux ne sont pas tels qu’on l'imagine. Magnifique promesse, étourdissante sensation, source de bonheur ; c'était ainsi qu'on les dépeint, comme un cadeau précieux et rarissime. Et ce mensonge éhonté parcourait le globe, on le contait, les yeux brillaient d'envie, avec un soupçon de jalousie sur le coeur. Mais lorsqu’ils étaient inenvisageables, ils n'avaient rien de magnifique, ils vous démembraient intérieurement et enflammaient votre coeur jusqu'à ce qu'il n'en reste rien. Ce sentiment changeait votre vie, mais il pouvait aussi détruire à petits feux, et l'humanité souillée et aveuglé par l'effervescence de leur sens en folie le vénérait. Leona ne pensait pas de la même façon ; elle avait naïvement espérer y échapper, mais quand on signe le contrat, on n’en a même pas conscience, on y est tellement engagé qu’un jour où l’autre on se retrouve à même le sol de son appartement, le cœur en lambeau, une gueule de bois à ne plus se souvenir de son nom et des émotions qui nous parcourent. Mais la jeune chirurgienne ne voulait pas fuir pas toutes ces possibilités. Alors quand Wyatt espéra que sa vie n’était pas moins bien qu’avant, elle eut envie de le contredire, mais quelque chose au fond d’elle la retenait. Ce n’était pas la peur de le lui faire comprendre, car jusqu’à présent, la jeune anglaise n’avait jamais rien laissé transparaître, mais c’était plutôt celle de perdre leur amitié qui l’en empêchait. Et si Wyatt agissait aussi bizarrement que la dernière fois ? Ce n’était ni le lieu ni le moment d’en parler. Il devait se reposer. Elle sortit de ses pensées, tandis qu’il lui expliqua que sa vie avait beaucoup changé aussi et qu’il souhaitait y compter Leona dedans. La jeune chirurgienne esquissa un sourire dans le noir ; ironique de penser que cette nuit, sa vie ne se conjuguait plus qu’avec la sienne en toile de fond. Ils avaient énormément risqué l’un pour l’autre et traversé nombre de moments difficiles. Pourtant, aucun d’eux n’était prêt à faire tomber la barrière de leurs pensées. Il tenta de se rapprocher d’elle pour lui rendre son baiser, mais il n'y parvint que succinctement. Sa blessure au ventre le tirait encore trop. Leona sentit ses lèvres sur son épaule découverte et frissonna légèrement à ce contact. « Tu ne sais pas aller plus loin, mais je peux me rapprocher. » Répondit-elle alors en souriant, sur la même note d’humour qu’il tentait d’user pour la dérider depuis qu’ils étaient chez elle. Elle s’approcha à son tour, mais se retrouva un peu au-dessus de lui, à quelques centimètres seulement de son visage. Visages qui s’attiraient inexorablement, comme des aimants, si proches qu’elle sentait sa respiration se mêler à la sienne, quand soudain, elle détourna la tête lorsqu’elle entendit un soupir douloureux. Déconcentrée pendant un instant, elle s’était légèrement appuyée contre lui et avait oublié la blessure, ce qui avait entraîné un mauvais mouvement. « Désolée. » Dit-elle en s’éloignant aussitôt, cassant du même coup ce qui avait failli arriver. Leona n’avait plus les pensées claires entre la fatigue, le stress et l’épuisement. Facile d’essayer de nier la vérité, plus difficile de s’en convaincre vraiment.

Dès qu’elle entendit son soupir de douleur, Leona s’éloigna aussitôt de lui. La jeune chirurgienne avait failli commettre l’irréparable et s’était reprise juste à temps grâce au rappel de la blessure de son ami. Pas qu’elle n’avait pas envie de l’embrasser, au contraire, mais elle gardait l’appréhension que les choses changent beaucoup trop en eux. Aussitôt remis de sa blessure, il partirait de nouveau sans donner de nouvelles. Elle n’était pas dupe ; ce qui s’était passé en Afrique était une habitude pour lui. Elle se détourna donc pour reprendre sa place, sauf que Wyatt la retint pourtant par le poignet et lui demanda de rester près de lui. Leona hésita quelques instants ; elle n’était pas certaine de la suite des événements, elle avait envie d’écouter son instinct qui lui criait qu’il était inutile de nier l’évidence. Elle se blottit finalement contre lui et sentit la chaleur de son corps contre le sien sans parvenir à fermer les yeux pour autant. Plusieurs questions trottaient dans sa tête. « Est-ce que… tu sais déjà quand tu devras repartir ? » Souffla-t-elle dans le silence de la nuit. Il connaissait peut-être déjà la réponse, alors autant qu’elle se prépare dès maintenant à la date fatidique et qu’elle se fasse un raison. Elle pensa aux mots que Wyatt venait de prononcer. Rester avec lui. La situation ne dépendait pas vraiment d’elle, même s’il ne lui demandait qu’à cet instant, la jeune femme n’avait pas envie de revivre ce sentiment de vide qu’elle avait ressenti ces deux dernières semaines. Ce n’était pas elle qui était partie et lui avait tourné le dos. Dans un accès de colère, qui sait s’il ne pourrait pas recommencer ? Leur première et dernière sortie ensemble avait été un fiasco, pour des raisons que Leona devinait seulement aujourd’hui. « Parce que je te demanderais aussi de rester. » Confia-t-elle ensuite. La jeune femme descendit sa main dans le lit pour la glisser dans la sienne. Au bout de quelques instants, elle entendit la respiration de Wyatt devenir plus régulière, signe qu’il rejoignait les bras de Morphée. Leona attendit quelques instants, peu d’humeur à dormir et à retrouver ses cauchemars nocturnes. Elle n’avait pas envie de réveiller Wyatt en ouvrant les yeux en sursaut au milieu de la nuit. Sa présence avait le don de la rassurer et de l’apaiser, mais elle ne voulait pas prendre le risque de replonger quelques mois plus tôt. Sa sœur se réveillait souvent en plein milieu de la nuit pour venir la rejoindre ; mais Leona essayait un maximum d’éviter le sommeil profond quand quelqu’un d’autre était avec elle. Les images s’étaient espacées au cours des dernières semaines, mais n’avaient pas encore totalement disparus. Elle se détacha donc du commercial après être certaine qu’il s’était endormi et quitta silencieusement la chambre pour aller s’occuper. Elle retira la lessive de la machine et mit à étendre le linge désormais propre. Le sang avait totalement disparu, comme si cette soirée n’avait pas eu lieu. Elle partit ensuite dans le salon ; la nuit était déjà bien avancée quand Wyatt était venu la trouver à l’hôpital et le matin ne tarderait plus à se lever. La jeune chirurgienne mit de l’eau à bouillir et la versa dans une tasse en y ajoutant un sachet de thé. Elle s’emmitoufla dans une couverture et partit ensuite s’asseoir dans un des fauteuils laissant le temps s’égrener. Leona attrapa son téléphone et lut les messages que Rebecca lui avait envoyé durant son absence. Elle esquissa un sourire en se souvenant de l’encouragement que sa sœur lui avait donné de sortir et de s’amuser un peu plus quelques semaines plus tôt. La jeune chirurgienne était beaucoup trop investie dans son travail, selon elle. Si elle savait… Sa petite sœur n’était plus totalement indifférente au charme du jeune commercial, les sentiments devenaient de plus en plus évidents. Tomber amoureux n’était-il la plus violente expression de vie que nous connaissions ? Soudain, Leona sortit de ses pensées. Un bruit venait de se faire entendre.

Leona lui avait demandé de rester s’il devait repartir à nouveau. Elle avait l’impression que ses mots avaient laissé entendre l’aveu sous-entendu de son attachement pour lui. Mais la jeune femme n’avait pas envie de le voir quitter Magnolia à l’improviste. Au cours des deux dernières semaines, il s’était absenté sans donner de nouvelles. Elle comprenait que la plus grande discrétion lui était imposée sur ses déplacements, mais ce n’était pas comme si elle n’était pas au courant. Depuis qu’ils étaient revenus d’Afrique, la jeune chirurgienne avait l’impression qu’il l’avait prise sous sa protection et la préservait de plein de choses. Elle était encore fragilisée par ce qui s’était passé là-bas certes, mais elle pouvait encaisser beaucoup plus. Peu de personnes aurait été capable de réagir aussi promptement qu’elle ce soir dans une situation critique. Leurs rôles avaient été inversés aujourd’hui et c’était à son tour de veiller sur lui. Ses cauchemars n’étaient qu’une infime épreuve après ce qu’ils avaient traversé. Wyatt lui avait donné de la force à bien des égards, la force de reprendre le cours normal de sa vie avec lui en toile de fond. Elle n’accepterait pas de le laisser repartir sans mot dire, comme si cela ne lui importait pas, parce que ce serait faux. Leona n’était pas capable de vivre dans le mensonge comme lui semblait pouvoir le faire de par sa profession, ni de cacher ce qu’elle pensait vraiment. Le jeune Cleavers ne pouvait pourtant pas encore prévoir son prochain départ, il vivait au jour le jour dans l’attente imprévisible de son destin. Leona posa sa tête contre lui et se tut. Au bout d’un moment, une fois qu’elle fut certaine qu’il s’était endormi, elle souleva le drap pour sortir du lit et quitter la chambre pour vaquer à ses occupations. Elle finit par se poser dans le salon, une tasse de thé et son téléphone à la main pour lire les messages de sa sœur partie pour le week-end. Aussi fatiguée qu’elle pouvait l’être, la jeune chirurgienne ne se sentait pas d’humeur à dormir ; elle n’avait pas envie de risquer de se réveiller en sursaut une fois de plus. Bonjour les cernes le lendemain. Quand Rebecca était là, c’était différent. Sa sœur lui tenait souvent compagnie le soir jusqu’à ce qu’elle se force à dormir ; du coup, Leona essayait d’y aller plus tôt pour ne pas que son aînée reste trop tard. Des discussions nocturnes animées avaient souvent lieu entre les deux sœurs. Récemment, un peu avant le soir où le jeune commercial s’était disputé avec elle, la jeune chirurgienne avait sauté le pas et avait raconté à Rebecca ce qui s’était passé quelques mois plus tôt. C’était sans doute depuis lors que les images dans sa tête s’étaient espacées. Elle avait su en parler pour la première fois à quelqu’un qui n’avait pas été là avec eux, quelqu’un au regard extérieur. Sa sœur avait su trouvé les mots, comme toujours. C’était comme si un déblocage avait eu lieu dans la tête de Leona, un déblocage suffisamment important pour laisser de la place à d’autres pensées dans sa tête, comme celles de son attachement pour Wyatt. Soudain, elle entendit un bruit à l’étage, puis son nom crié dans le silence de la nuit. Son manque de sommeil l’avait-il fait rêver ou Wyatt s’était-il réveillé en sursaut ? La jeune femme déposa ses affaires sur la table basse devant elle et monta aussitôt les escaliers. « Wyatt ? Qu’est ce qui se passe ? » Demanda-t-elle d’une voix inquiète en entrant dans la chambre et en allumant la lumière. Elle le retrouva sur le sol de sa chambre, à moitié sonné. Il avait dû tomber en voulant sortir du lit. Il semblait avoir un regard mi-surpris, mi-effrayé. Elle se pencha vers lui pour l’aider à se relever et à s’asseoir sur le lit. « Ça va ? Tu as fait un mauvais rêve ? » S’enquit-elle ensuite. La jeune anglaise n’était apparemment pas la seule à être victime de mauvais cauchemars la nuit, du moins si elle reconnaissait bien là l’état de son ami en sueur qui démontrait une montée d’adrénaline durant son sommeil. Elle jeta au passage un regard discret à sa blessure, mais le pansement semblait avoir heureusement bien tenu.

Et si Rebecca avait décidé de rentrer plus tôt à la maison ? Et si Clyde se pointait à l’improviste au milieu de la nuit ? La jeune chirurgienne se posait soudainement ces questions alors qu’elle venait de remonter dans sa chambre. Elle n’avait pas envisagé cette possibilité plus tôt, dans l’urgence du moment, car il fallait dégager son ami de l’hôpital, mais elle espérait que ce ne serait pas le cas. Sa sœur semblait toujours à des kilomètres d’ici, mais son neveu ne donnait jamais signe de vie. Elle essayait d’anticiper les questions qu’il pourrait lui poser s’il débarquait, mais vu l’heure, elle ne pensait pas vraiment qu’il rentrerait. Rebecca en revanche serait sûrement ravie de voir sa petite sœur ramener quelqu’un, surtout un aussi bel homme que son ami, mais elle se demanderait sûrement pourquoi il avait reçu une balle dans le corps. Leona s’amusait à l’imaginer lui poser toutes ces questions, mais heureusement, cela n’arriverait pas vraiment. Soudain, elle sortit de ses pensées et remonta dans sa chambre après avoir entendu un bruit sourd. Leona avait découvert Wyatt sur le sol et avait entendu sa respiration saccadée, signe évident du mauvais rêve qu’il venait de faire. La jeune femme aida le commercial à s’asseoir dans le lit, mais il s’allongea aussitôt pour retrouver ses esprits et reprendre une respiration normale. Il semblait soulagé de la voir, mais la jeune chirurgienne n’en comprenait pas encore la raison. Wyatt lui attrapa la main pour qu’elle reste une nouvelle fois près de lui. Elle plongea son regard dans le sien lorsqu’il se redressa. Il avait apparemment crû la perdre dans son rêve. « Me perdre ? Mais que voudrais-tu qu’il m’arrive ? Ce n’est pas moi qui cours après les dangers. » Répondit-elle en souriant. Il ne fallait pas inverser la situation. Son rêve n’était qu’un mauvais cauchemar à oublier aussitôt. Mais le jeune Cleavers garda un air sérieux et déposa son autre main sur sa joue comme pour la rapprocher de lui. Elle ne s’attendit pas à ce qui suivit. Il lui avoua qu’il ressentait plus que de l’amitié pour elle, ce qui expliquait son comportement quelques jours auparavant et le sentiment de jalousie qu’il avait dégagé. Au début, Leona ne répondit pas. Elle ne savait pas vraiment comment prendre cette révélation. Partagée entre l’envie d’y croire ou non, elle avait eu envie d’entendre ces mots, mais Wyatt était fatigué et elle aussi. Ils se laissaient sans doute aller à dire des choses qu’ils n’auraient peut-être pas dites dans d’autres circonstances. Mais elle ne commit pas l’erreur indélicate de le lui faire remarquer. S’engager sur ce terrain aurait été prendre le risque de passer à côté de ce qu’elle savait sincère. Leona sentait au fond d’elle qu’il y avait quelque chose de bien plus fort entre eux, depuis le début. Ils commençaient juste à ouvrir les yeux et Wyatt était le premier à y avoir posé des mots. Leona ne savait pas quoi répondre sur le moment. Elle se contenta de suivre son instinct… et ce que son cœur lui disait. Elle posa une main sur la joue du jeune commercial et déposa ses lèvres sur les siennes. Sans aucune hésitation. Le goût de ses lèvres sur les siennes avait cette saveur d'éternité, de rêve stupide et merveilleux. Elle la sentit remonter de son ventre, dont les entrailles nouées la faisaient frissonner. Lentement, elle progressa dans son organisme, se faufilant dans ces veines trop étroite pour la contenir, la petite boule de bonheur ne cessa pas son chemin, elle progressa jusqu'à ce qu'elle entende enfin le son apaisant de son coeur dur. Leona se détacha lentement de lui et se mordit la lèvre inférieure. Elle n’avait plus besoin de poser de mots sur ce qu’elle ressentait.

Leona se sentait soudainement plus légère, elle était à la fois contente et soulagée que Wyatt ait brisé cette barrière entre eux. Elle avait mal vécu les dernières semaines de leur amitié, parce que pour elle, elle ne doutait plus de ressentir quelque chose de plus fort et de différent. Mais elle avait eu peur de s’engager sur un terrain délicat et de le voir prendre ses distances si elle s’attachait trop à lui. Il pouvait aussi partir à n’importe quel moment par obligation professionnelle, ce que Leona redoutait tout le temps. Pourtant, n’avait-elle pas eu davantage d’appréhension aujourd’hui qu’il lui arrive quelque chose de grave à cause de ses blessures sans qu’il ne sache ce qu’elle ressentait pour lui ? La question pouvait se poser, car la jeune femme ne regrettait absolument pas ce qui venait de se passer. Elle se détacha du commercial et plongea son regard dans le sien. Wyatt ne savait plus vraiment quoi ajouter et préféra orienter la conversation sur les raisons de son comportement quelques jours plus tôt. Il avait essayé de la rendre jalouse et l’aveuglement de Leona, qui ne voyait rien du tout, l’avait sans doute rendu plus impulsif encore. Elle comprenait mieux les réactions étonnantes qu’il avait eues vis-à-vis d’elle et la prise distance qu’il avait prise ensuite. Une pensée continuait à s’imposer dans sa tête. S’il n’avait pas été blessé et s’il n’avait pas dû venir la trouver pour s’en sortir, le dénouement aurait-il été le même ? Elle n’en était pas certaine ; mais quand on se tient sur le fil de la vie tel un funambule en équilibre précaire comme l’avait fait Wyatt aujourd’hui, des prises de consciences surgissaient souvent dans les moments les plus inattendus et nous encourageait à des actes que nous n’aurions autrement pas pu faire. « C’est oublié. » Souffla-t-elle pour le rassurer une bonne fois pour toutes quant à cette histoire. Il continua de la regarder et commenta alors sa mine affreuse, normal pour quelqu’un qui n’avait pas dormi depuis quasiment vingt-quatre heures. La jeune femme n’était pourtant toujours pas d’humeur à fermer les yeux et lorsqu’il lui conseilla de se reposer, elle secoua la tête. « Plus tard peut-être. » Répondit-elle en s’apprêtant à se lever de nouveau. Mais à son regard, elle comprit qu’il ne lui laissait pas vraiment le choix à vrai dire. La fatigue sur son visage était trop évidente, d’ailleurs la jeune femme n’avait même plus la force de protester. Elle s’installa donc contre lui dans le lit et tenta de fermer les yeux. Elle parvint finalement à s’endormir durant environ trois heures avant de se réveiller à nouveau. Leona n’arrivait jamais à dormir très longtemps, mais elle se sentait déjà mieux. La matinée était déjà bien avancée et elle devait se lever pour aller se préparer. Elle devrait reprendre du service à l’hôpital dans peu de temps. Elle se leva donc sans bruit et se rendit dans la salle de bains. Après une douche rapide, elle enfila une tenue pour aller travailler et retourna ensuite dans la chambre où elle trouva Wyatt éveiller. « Je dois passer vite fait à l’hôpital. » Prévint-elle en prenant son téléphone et en allumant le biper. « Tu peux rester la journée ici, Rebecca ne rentre pas avant ce soir. Je referais le pansement quand je reviendrais, puis j’imagine que tu devras rentrer ? Tes proches risquent de s’inquiéter. » Expliqua-t-elle ensuite. Le commercial avait encore besoin de se reposer et le moins de mouvements possibles était le plus recommandé... du moins tant qu’il le pouvait. Il faudrait inventer une histoire plausible par rapport à sa blessure. Leona s’apprêtait à partir à l’hôpital, lorsqu’un doute s’installa en elle. Et si en son absence, un problème survenait ? « Tu es sûr qu’il ne va pas chercher à te retrouver ? » Demanda-t-elle en s’asseyant près de lui. « Celui qui t’a fait ça. » Elle avait compris qu’elle ne devait pas s’en mêler, mais pour le coup, elle était impliquée dans cette histoire et elle s’inquiétait pour lui.