Après m'être fait virer du canapé par mes soeurs, au profit d'une nouvelle série remplie de mecs-trop-hot-dégage-toi-t'es-moche, j'avais quitté la maison ma planche sous le bras. En quête d'en endroit où skater, j'avais fait un petit tour de mon nouveau lieu de vie, persuadé qu'il n'y avait pas de skatepark ici. Quand oh, miracle, j'entendis le doux son des roulements, de la planche qui claque sur le béton. Autant dire que je m'étais jeté sur les rampes en souriant comme un gamin de huit ans. Après une heure à faire des petits flips sans prendre trop de risque, j'avais décidé de m'attaquer à la plus grande rampe du park. De quoi me briser tous les os, je le savais. Mais qu'est ce qui est plus excitant qu'un peu de risques de temps en temps?
Une heure plus tard, je décidais de me poser sur un des bancs. Tout en sortant mon paquet de clopes, je remarquais une petite brune près de moi. Il me semblait l'avoir déjà vu quelques fois, sans pour autant lui avoir parlé. Elle devait certainement habiter près de chez moi. Je ne me voyais pourtant pas aller l'accoster, elle pouvait tout aussi bien être la serveuse du fast-food que je n'arrivais pas à replacer. Foutue mémoire!

Après avoir avalé en vitesse une salade paysanne dans le centre ville, Lucy avait voulu profiter des rares rayons de soleil du week end pour aller se promener dans le parc. Elle y avait trouvé un endroit tranquille, s'était installée sur un banc et avait sortie son livre - Métamorphose en bord de ciel de Mathias Malzieu en langue originale - pour bouquiner un moment. Cependant, ce moment fut de courte durée. Un groupe d'adolescents n'ayant pas plus de 15 ans venait d'envahir les lieux avec leurs cris et leurs rires et leurs gestes brusques. Agacée d'être ainsi troublée, elle rangea son livre et partit en quête d'un lieu plus calme. En marchant dans les rues, elle aperçut derrière de hautes grilles en fer un skate park désert. Elle se décida à y entrer et se posa sur un banc au soleil, un peu en retrait des rampes.
Une dizaine de minutes plus tard, un jeune homme fit son apparition, une planche de skate à la main. Il ne sembla pas la remarquer et partit glisser sur sa planche à roulette. Il se trouvait assez loin d'elle et Lucy ne parvenait pas à voir son visage, elle n'avait donc aucune idée de qui il s'agissait. De temps en temps, elle levait les yeux de son livre et le regardait, ne pouvant s'empêcher de sourire lorsqu'il manquait de tomber.
Une petite heure plus tard, le garçon cessa et vint s'asseoir... à côté d'elle. C'était en fait le seul banc du skate park et il ne semblait même pas avoir remarqué que quelqu'un s'y trouvait déjà. Lucy leva à nouveau le nez vers lui et se figea: c'était Jason... Jason Springs. Le nouveau de Magnolia ! Elle l'avait vu un jour passer devant chez elle alors qu'elle ouvrait la fenêtre de sa chambre. Elle l'avait trouvé... sublime. Physiquement, il représentait à lui seul son idéal masculin: ni trop ni trop petit, blond, les yeux bleus, tatoué, style skateur. C'était peut être exagéré, mais elle avait de suite compris qu'il lui plaisait. C'était donc pour cela qu'elle s'était mise en tête d'en savoir le plus sur lui... sans jamais avoir à lui adresser la parole. Car Lucy avait décidé de ne pas le connaître: un garçon si parfait physiquement ne pourrait que la décevoir à la minutes où il ouvrirait la bouche. Elle l'imaginait bête, sournois et prétentieux. Ainsi donc, le mater oui, mais parler avec lui non. Alors elle avait mené sa petite enquête et était allée jusqu'à le suivre en voiture jusque chez lui. Ensuite, elle était repassé quelques jours plus tard pour connaître son nom et son prénom inscrits sur la boîte aux lettres, avant de mener son enquête sur Facebook.
Mais maintenant qu'il était si proche d'elle, Lucy trouvait la situation pénible. Que faire ? La solution était de s'en aller, et vite ! Elle prit alors son sac, mais fit du même coup maladroitement valdinguer son livre... qui atterrit sur le pied du garçon. C'était bien sa veine !

Flûte, lança-t-elle en fançais. Je suis désolée !

Savourant ma clope, laissant les rayons du soleil chatouiller mon visage. Enfin du soleil, c'était peut être le seul avantage à être venu habiter ici. J'avais enfin quitté la pluie éternelle de sa chère Grande Bretagne au profit du soleil cancéreux des Etats Unis d'Amérique. Jouant à faire rouler ma planche sous mes pieds, plus par réflexe que pur amusement, je sursautais quand je reçus un livre sur l'un d'eux. Lançant un regard plutôt amusé vers la demoiselle qui venait de jurer en français, j'essayais de lui répondre en me souvenant des mots appris de filles rencontrées à la fin de mes concerts à Londres. "Restons polis". Oui bon, j'aurai pu faire mieux, mais il fallait croire que mes neurones explosés à la chaleur avaient littéralement fondu.
Profitant de ce léger silence totalement gênant, je ramassais le livre tombé à mes pieds avant d'en examiner la couverture. Mathias Malzieu, souriant, je lui tendais en me remémorant le titre original d'un de ses livres que j'avais lu. "J'ai bien aimé La mécanique du coeur, même si j'ai mis plusieurs mois à le lire avec un dictionnaire." J'avais comme un besoin de parler; l'inconvénient majeur de quitter une capitale, c'est bien évidemment de se retrouver épris d'un ennui plus que profond. Et c'était à peu près ce que j'expérimentais depuis mon arrivée ici. Alors une conversation, n'importe laquelle, était plus que la bienvenue.

Lucy s'était une fois encore mise dans une situation inconfortable. Elle n'était pas particulièrement maladroite, mais il lui arrivait de tout faire de travers lorsqu'elle était stressée. Et là, pour le coup, elle était stressée. Le blondinet ramassa le livre qu'elle avait fait tomber par terre et en regarda la couverture. D'une voix calme et assurée, ponctuée par un léger accent britannique, il lui fit comprendre qu'il connaissait l'auteur. Il avait déjà lu La Mécanique du coeur, l'oeuvre phare du chanteur de Dionysos. Il lavait même lue en français ! Un sourire fendit le visage de la brune, instantanément plus à l'aise.

Oh ! tu connais cet auteur ! il écrit vraiment bien... mais ça devait être un peu difficile quand on ne parle pas français.

La plume de Mathias Malzieu était sublime, et les histoires empruntes de fantastique. Lucy l'avait fait découvrir à Satine, sa colocataire, qui était tombée amoureuse de La Mécanique. Lucy se leva, épousseta son manteau et tendit la main pour récupérer son livre. Elle fut prise de doute un instant: était ce impoli de couper court et de s'en aller ainsi ? Le garçon avait éveillé sa curiosité: son accent britannique, son goût pour la littérature française, tout la poussait à le questionner.

Tu... tu es nouveau dans le quartier n'est ce pas ?

Après tout, cela faisait quelques semaines qu'elle essayait de récolter des informations sur lui. C'était l'occasion rêvée d'assouvir sa curiosité ! Une fois qu'elle aurait résolu le mystère Jason Springs, elle pourrait l'oublier.

"Bon ok, je l'avoue, j'en ai compris peut être les deux tiers!" Je ricanais un instant avant d'appuyer mon dos sur le dossier du banc, écoutant la jeune femme. Haussant les sourcils, je me tournais vers elle, l'air certainement intrigué. Alors comme ça, elle savait qui j'étais. Après réfléxion, c'était loin de me surprendre. Nous étions dans une petite ville, et il savait les rumeurs vivaces dans ce genre d'endroit. "Jason, Jason Springs". S'il te plait, pas de crise d'hystérie à l'entente de mon nom de famille, pas de supplications pour rencontrer El Padre. S'il te plait. "Et toi, laisse moi deviner, t'as surement un prénom français. Charlotte? Léa?" Il ne m'était pas venu à l'esprit que la jeune femme n'était en réalité pas française. Avec le livre, et le juron, j'étais persuadée qu'elle était native du pays de la bonne nourriture et de la mode. Et puis, qui s'amuserait à essayer d'apprendre une langue aussi complexe que le français. J'avais certes essayé en lisant quelques livres, avant de me rendre compte de l'inutilité de ma démarche. L'anglais n'étant pas la langue la plus parlée au monde pour rien, je n'envisageais pas d'essayer d'apprendre autre chose.

C'était la première fois que Lucy rencontrait un anglophone qui avait lu Mathias Malzieu. En l'occurrence, le blond avec qui elle discutait depuis une dizaine de minutes avait tenté de le lire... Selon lui, il n'en avait pas compris grand chose. Un sourire amusé se forma sur le visage de Lucy: même quelqu'un ayant une maîtrise basique du français aurait du mal à le lire, tant le vocabulaire était excentrique.
Lorsqu'elle supposa qu'il était nouveau, Jason sembla à peine surpris qu'elle le sache. C'est que les nouvelles allaient vite à Magnolia ! Il se présenta à elle, l'informant ainsi d'un nom et d'un prénom qu'elle connaissait déjà... Mais elle ne laissa rien paraître. Elle ne voulait pas que le jeune homme sache qu'elle avait déjà mené son enquête. En effet, elle connaissait nom... mais aussi son adresse, la renommée de son père et quelques petits détails encore. Elle se doutait bien que la plupart des gens poussaient une joyeuse exclamation en entendant le nom de Springs. Tout le monde savait que la star avait emménagé par ici, et le garçon ressemblait à son père, c'était indéniable. Elle se contenta donc d'hocher la tête et souriant. Il tenta alors de deviner son prénom, ce qui fit rire la brune.

Presque ! Je m'appelle Lucy.

Pratique de s'appeler Lucy lorsqu'on est franco-américaine. Elle n'eut même pas besoin de préciser que ses parents étaient américains.

Bienvenue dans le quartier alors !