Ginerva n'avait malheureusement pas eu la possibilité d'aller à la place du marché à Noël. Mais, fort heureusement, le marché de Noël a eu tellement de succès que les organisateurs ont décidé de l'ouvrir quelques fois par semaine pour faire profiter les habitants de la ville. Évidemment, toutes les décorations et activités en lien avec Noël avaient disparus, mais il restait le plus intéressant: les manèges! Ainsi que les stands de nourriture. Cette journée-là, la rouquine avait congé et s'était mise en tête d'en profiter pour aller faire un tour à la place du marché accompagnée de Lucy. Cette dernière était incapable de refuser toutes les propositions de sortie de Ginny, ce qui la retardait encore plus dans ses tâches. Mais qu'importe, Wainwright voulait s'amuser et tant pis pour les tâches que Margareth faisait faire à Roberts, au pire des cas elle l'aiderait un peu. Et puis la température commençait à être plus clémente, il fallait en profiter! Ginerva réussit ainsi à convaincre Lucy de la suivre et elles se dirigèrent vers la place du marché. Une fois arrivées, Ginny ressemblait à une gamine de huit ans: s'émerveillant à chaque manège qu'elle voyait, voulant goûter à tout, trimballant Lucy partout comme une vulgaire poupée. Cette dernière réussit à calmer la rouquine surexcitée et lui proposa les autos tamponneuses. Les yeux de Ginny s'illuminèrent aussitôt: Lucy allait-elle croire que la rouquine refuserait? Elles se ruèrent vers les autos tamponneuses et après quelques minutes de joie à foncer sur tout le monde - spécialement Lucy, c'était sa cible! -, Ginny se calma un peu. Ce jeu lui avait permis de se défouler et lui avait donné faim. Lucy et elle se dirigèrent donc vers les stands à nourriture, mais Ginerva fonça sur quelqu'un en chemin et au moment de s'excuser, elle figea.
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Carl Spencer.

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Bien sûr, elle l'avait croisée lors de la fête du Nouvel An, ce qui avait atténué la tension entre eux, mais ils n'avaient jamais eu de véritable conversation sur ce qui s'était passé entre eux, adolescents. Ce qui arrangeait fort bien la rouquine. À l'époque, Carl tentait inépuisablement de connaître le fin mot de l'histoire, mais Ginerva n'avait jamais osé lui avouer. Lui avouer qu'en fait, elle l'aimait. Alors ils en étaient restés là. Mais Ginny savait que Carl voulait toujours connaître la vérité.

Et incapable de l'affronter, Ginerva baissa le regard, contourna son ancien ami et se dirigea vers Lucy, qui n'avait pas remarqué l'altercation et qui était déjà loin.

Main dans les poches, clope au bec. Carl marchait dans les rues de Magnolia, pensif. Il avait soudainement eu besoin de passer du temps seul, pour réfléchir à tant de choses. Enfin, surtout une. Naya. Cela faisait maintenant un peu plus de deux mois que son amie avait disparue, et son absence provoquait une douleur cuisante chez Carl. Déjà quand elle était partie en voyage, cela avait été dur, et ne pas savoir quand elle reviendrait était horrible. Mais là, peut-être même qu'elle ne reviendrait jamais. Il s'était réveillé ce matin, l'esprit encore flou après avoir rêvé de la Freeman dans un rêve totalement loufoque, et s'était dit qu'il fallait absolument qu'il lui raconte. Mais la réalité le frappa en plein visage. Son amie n'était plus là. Il avait alors refermé les yeux, histoire de la voir, encore et encore. Mais rien. Il ne voyait plus rien. Rageur et triste à la fois, il s'était donc habillé à la va-vite et avait déboulé dehors, ne prenant que son paquet de clope et sa conscience avec lui. Il ne savait pas où il allait, il ne savait pas ce qu'il faisait. Carl ne faisait que penser, penser comment il aurait pu agir différemment, les paroles de Jesse encore profondément ancrées dans sa mémoire. C'est de ta faute ! Il se l'était tellement dit et redit, qu'il y pensait vraiment. C'était de sa faute. S'il avait passé la soirée avec elle sur la terrasse, rien de tout cela ne serait arrivé, et Naya serait encore parmi eux. S'il n'avait pas proposé ce jeu d'alcool débile, elle serait là. Vivante, souriante, pleine de vie. Il se tournait la soirée en boucle dans la tête. Tout paraissait pourtant tellement normal !

Carl avançait aléatoirement dans les rues de la ville, déboulant tout à coup sur la place du marché, qui commençait à se remplir. Les manèges de Noël étaient restés, et deux fois par semaine, cela amenait beaucoup de familles. Il n'y prêta pas attention, marchant les yeux rivés au sol, les mains dans les poches. Il faisait un peu peur à voir, et qui le croiserait remarquerait sans doute son air déprimer. Et Carl Spencer déprimé, cela n'arrivait jamais. Il croisait donc les doigts pour ne rencontrer personne et poursuivre ses pensées en paix. Mais raté, un choc brutal le ramena la réalité. Un truc roux venait de lui foncer dessus. Enervé, Carl releva la tête pour jurer. « Put..- » Mais il s'arrêta en plein milieu, découvrant le visage du fautif. Ou de la fautive, plutôt. Ginerva Wainwright. Il poursuivit son juron dans sa tête, car Ginerva n'était pas la meilleure personne à croiser en ce moment. Il ne s'étaient pas parlés depuis des années, pour des raisons inconnues de Carl. Tous les trois avec Jérémy faisaient les quatre cent coups ensemble en primaire, et BIM, voilà que d'un coup au Collège, Ginny s'éloigna du Spencer, qui ne comprit rien. Il avait tenté de lui parler, mais elle ne répondait jamais. Encore un autre regret du Spencer, qui avait toujours été blessé que la rousse s'éloigne de lui ainsi. Il ne pensait pas avoir fait quelque chose pourtant. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui était peut-être le moment de s'expliquer, puisque le hasard venait de faire son œuvre. Ou pas. La jolie rousse contourna Carl sans un mot et continua son chemin la tête basse. Carl fut choqué qu'elle se comporte ainsi. Ok, ils ne se parlaient plus, mais un ''bonjour'' ou ''pardon'' ne la tuerait pas. Il fit donc volte-face, luttant quand même contre son envie d'oublier cette rencontre et de finir ses divagations personnelles. « Bah alors, dis pas pardon surtout. » Non il n'allait pas faire son gentil. D'une part parce qu'il n'avait pas le moral à ça, et d'autre part, la rousse avait des explications à fournir. Le Spencer jeta sa cigarette et croisa les bras, attendant que Ginny se retourne..

Dans l'esprit de Ginerva, le fait de contourner Carl et se taire en regardant le sol suffirait à la rendre invisible aux yeux de son ancien ami. Mais évidemment, ça ne fonctionnait pas comme ça. La voix assez irritée de Spencer se fit entendre dans son dos. Ce ne furent pas ses paroles qui choquèrent Ginny, mais le ton de sa voix. Depuis quand il parlait ainsi aux autres? La rouquine l'a toujours connu d'un naturel gentil et fêtard. À la place du marché, son attitude détonnait de la foule qui profitait des attractions. Ginny soupira, elle n'avait visiblement pas le choix de lui parler. Elle se retourna et fut de nouveau surprise: il fumait!? Il a dû commencer ça à l'époque où Ginny avait cessé de lui parler. Ça devait être pour lui donner un air bad boy, quelque chose du genre. Beurk. L'odeur de la cigarette a toujours dégoûtée la rouquine. Et l'air frustré de Carl ne l'aidait pas à vouloir lui répondre gentiment, comme elle le faisait d'habitude. Dire qu'il y a une dizaine d'années, Ginny le considérait comme un de ses plus proches amis. Les choses changeaient, il fallait croire.

"D'accord, j'te dirais pas pardon alors." La rouquine lui fit un sourire sarcastique et croisa les bras. "Ce n'est pas parce que tu déprimes que tu dois être brusque et méchant avec tout le monde, Carl!"

Ginny ne lui en voulait pas pour son air bête; elle lui en voulait de lui avoir parlé. Maintenant, elle allait être prise avec un Carl déprimé à qui elle ne devait surtout pas demander pourquoi il se sentait aussi mal. La rouquine détestait le voir ainsi, la seule chose qu'elle aurait envie de faire, là, maintenant, était de lui sauter dans les bras et le réconforter. Mais Wainwright ne le ferait pas: un câlin après des années d'ignorance et de silence n'était pas suffisant pour faire la paix. Il fallait discuter, après le câlin. Et c'était cette partie que Ginny craignait.

Les deux jeunes gens avaient l'air assez bêtes, tous les deux face à l'autre en croisant les bras. Carl manqua de rire, mais encore une fois, son état ne lui permettait pas. Ginny s'était donc bien retournée, mais avait répondu de manière sèche à Carl. Oulah, mais qui-êtes vous et qu'avez-vous fait à Ginerva Wainwright ? Il ne la reconnaissait pas. Faut dire qu'un bon nombre d'années avaient passées, et Carl aussi n'était sûrement pas le même aux yeux de la rousse. Surtout dans la déprime du jour, c'était loin d'être le Carl Spencer du Collège. Mais ce n'était pas pour autant qu'il allait laisser la rousse, ou quelqu'un lui parler comme ça. Il resta dans la même position, défia Ginny du regard et répliqua du même ton. « Ah, t'es drôle toi. Tu crois que je vais te sauter dans les bras ? Et d'où tu te permets de me dire que je suis déprimé ? Laisse mes pensées tranquille. » Carl ne voulait pas parler à Ginny, de un, mais il ne voulait surtout par lui parler de Naya et de ses problèmes. Fut un temps où certes il lui aurait dit, mais ce n'était plus le cas maintenant.

La situation semblait irréelle. Deux adulescents en train de se chamailler sévère dans un parc plein d'enfants. Au fond, Carl savait qu'il n'aurait peut-être pas du l'agresser comme ça, même s'il n'aimait pas qu'on lui passe devant allègrement en l'évitant. Ginny n'avait rien à remettre sur Carl, c'était de sa faute si le Spencer lui parlait ainsi. Ok, ils avaient eu des différences au Collège, que Carl voulait toujours connaître d'ailleurs, mais bousculer quelqu'un, le regarder puis s'éloigner en courant sans rien dire, pas très poli. Même un inconnu aurait fait mieux. Carl décida d'envoyer une autre vanne à la rousse, histoire qu'elle sente bien que tout était de sa faute. « Et d'ailleurs, t'étais pas partie de Magnolia ? Ah non, pardoon, c'est vrai, tu t'es juste éloignée de moi. » fit-il d'un air ironique. Il n'avait pas digéré toute cette histoire, et restait rancunier. Très rancunier.

Si seulement Carl n'avait pas foutu le nez dehors aujourd'hui. Ou était parti prendre l'air ailleurs. La campagne, ça ne lui avait pas tenté? C'est un endroit calme où il est facile de se détendre et de penser à autre chose. Et où il n'aurait pas croisé Ginny. Mais à la place, il est venu se promener dans le quartier, où tout le monde verrait sa tête de déprimé alors qu'il ne voulait parler à personne. Pour une fois, Carl Spencer ressemblait aux morts qu'il côtoyait tous les jours. Oui, il faisait peur. Mais ça n'empêchait pas la rouquine de vouloir lui faire un câlin. C'était plutôt les paroles de Carl et leur relation compliquée qui tenait Ginerva à distance.

"C'est pas très intelligent de ta part, te promener à Magnolia avec une tête de déprimé! T'avais besoin d'un peu de sympathie, alors tu es allé en chercher dans la rue? Tu sais aussi bien que moi qu'ici personne ne se mêle de ses affaires, alors je vais pas me gêner!"

La rouquine faisait une piètre méchante. Ce n'était pas dans sa nature, alors c'était un peu normal. Mais avec Carl, elle continuerait, car c'était mieux que de devoir parler de ce qui s'était passé avant. Et tant pis pour leur ancienne amitié, même si elle avait été sympathique lors du Nouvel An. Ce n'était pas la même situation: jour de fête, pas de risque de parler de sujets trop sérieux. D'ailleurs, Carl parla du Sujet-dont-Ginny-ne-voulait-pas-parler, soit son brusque changement d'attitude face à Spencer. Wainwright ne put s'empêcher de rougir et de baisser les yeux en se mordillant les lèvres, un court instant. Cependant, elle se ressaisit et le défia du regard.

"Ha-ha, hilarant. Mais je n'étais pas la seule, alors ça doit être toi le problème. Cesser de blâmer toujours les autres, tu sais comment faire?"

D'après ce que Ginny savait, Lou s'est également éloignée de Carl. Aaron aussi. Et il devait y avoir d'autres personnes aussi. Spencer avait si radicalement changé entre son enfance et son adolescence, ça expliquait bien des amitiés perdues. Mais Ginerva avait eu d'autres raisons. Qu'elle tairait au principal intéressé, évidemment. Pendant combien de temps? Aussi longtemps qu'elle le pourra, en espérant que ce soit pour toujours.

"C'était bien sympathique, mais j'ai mieux à faire, alors tu peux continuer de déprimer tranquille, adieu!"

Ginny, prendre la fuite? Jamais. Sauf aujourd'hui, parce que c'était Carl Spencer. Et qu'elle le connaissait trop bien pour ne pas ignorer le fait qu'il était rancunier. Alors, elle lui tourna le dos et marcha en direction de Lucy, qui devait se demander où elle était passée.

Carl le savait, leur petit jeu allait durer longtemps. Il se connaissaient que de trop, et pourtant là Carl ne reconnaissait pas la Ginerva qu'il avait devant lui. Une Ginny énervé, sarcastique, ironique. Mais où était passée à gentille Ginny bisounours, qui ne faisait de mal à personne ? Carl se rappelait bien, la Wainwright avait toujours été celle, depuis leur rencontre il y avait maintenant presque douze ans, vers qui il allait quand il avait besoin de réconfort. Et inconsciemment aujourd'hui, ses pas l'avaient guidés jusqu'à elle. Le Spencer n'était pas blessé qu'elle lui réponde ainsi, il savait qu'il l'avait cherché, et il était content de voir que la rousse s'était enfin assumée, qu'elle pensait par elle-même, défendant ses idées. Ce n'était pas qu'elle était soumise aux autres avant, mais elle avait toujours été un brin naïve, toujours avec le sourire aux lèvres. Cependant, son état actuel ne lui permettait pas de faire ce compliment à la jeune femme, surtout avec l'évolution de la conversation.

« Qu'est-ce que t'insinues Ginny ? T'as une question à poser ? Tourne pas autour du pot. » En réalité, il savait très bien qu'elle voulait savoir ce qui causait sa tête morbide de déprimé. Comme toujours, elle était concernée par le malheur des autres et n'aimait pas les voir tristes. Mais Carl voulait qu'elle lui dise en face, il voulait qu'elle dise la vérité, qu'elle s'explique. Il fut tenté de reprendre une cigarette en attendant, mais il avait remarqué le nez froncé de la jeune femme déjà tout à l'heure, et il en avait déduit qu'elle n'aimait pas l'odeur. Le Spencer s'y était habitué, surtout qu'en soirée, l'odeur de la clope était omniprésente.

Se sentant soudain fatigué, et frustré, il décida de s'asseoir. Oui, à même le sol. Il s'en foutait de ce que les autres pensaient, il avait besoin de s'asseoir, il n'y avait pas de banc, ok, il s'asseyerait par-terre. Pendant qu'il descendait d'un étage, Ginerva lui lança en plein fouet la remarque à propos de ses autres amis d'enfances perdus. Blâmer les autres ? Qu'est-ce qu'elle en savait ? De plus, entre eux deux, il y avait de quoi blâmer Ginny, qui était entièrement la cause de leur éloignement. C'était elle qui avait mit fin à leur amitié. Elle qui ne le regardait plus. Elle qui ne lui parlait plus. Des tentatives de la part du Spencer ? Il y en avait eu. Pourtant, la Wainwright restait muette. Alors qu'elle ne vienne pas lui mettre tout sur le dos maintenant. « Tu dis n'importe quoi Ginny. Regarde-toi dans un miroir et redis ces paroles, ce sera plus approprié. » répondit-Carl d'un air blasé. Il en avait marre que tout le monde le voie si mal, que tout le monde le blâme pour blâmer les autres.

Alors que les membres de Carl se sentaient tout à coup mieux en ne faisant aucun effort, hé oui le Spencer était habitué à buller dans sa chambre sans faire de sport, Ginny, elle, avaient apparemment de la force dans les jambes, puisqu'elle décida de repartir en lui lançant une dernière réplique cinglante. Carl soupira, en passant une main dans ses cheveux. Ils n'iraient pas loin comme ça. Mais il venait de s'asseoir et n'allait sûrement pas se lever pour retenir Ginny. Carl décida donc de tenter autre chose. « J'te courirais pas après, Wainwright, j'te préviens. Une fois mais pas deux. » Et il posa ses mains à plat derrière lui pour le soutenir, attendant que la rousse revienne. Maintenant qu'il avait découvert son nouveau côté, il se doutait qu'elle ne pourrait pas résister à lui renvoyer la balle.

Ce que la rouquine insinuait? C'était pourtant évident, non? Il n'allait pas bien, ça se voyait dans son visage. Pourtant, Carl semblait toujours nier que quelque chose n'allait pas, et Ginny se doutait que ce n'était pas seulement leur histoire. Ça semblait plus profond, plus déprimant. Et Spencer gardait tout ça intérieurement. La rouquine savait qu'en gardant certaines choses pour soi, ça ne faisait que te bouffer de l'intérieur et te détruire à petit feu. Elle ne souhaitait ça à personne. Pas même à Carl. Ginerva soupira. S'il voulait garder ça pour lui, tant pis, c'était son problème. La rouquine resta donc silencieuse, se mordant même la langue pour s'empêcher de parler. Dans le fond, ça lui faisait mal de voir son ancien ami dans cet état. Devant le silence de Ginny, Carl s'assied sur le sol. Pardon? En pleine foule? Wainwright aurait éclaté de rire dans une autre situation. Ce qu'elle pouvait s'ennuyer de son amitié avec Carl, des fois. Malheureusement, ils avaient grandi. Les choses avaient changé. Et Ginny se mit à blâmer Carl pour ça. Évidemment. Tous deux savaient très bien qui était la cause de leur éloignement, mais la rouquine refusait d'en parler. Ce fut Carl qui fut donc chargé de le lui rappeler. De façon assez dure, merci. Ça n'en prenait pas plus à Ginerva pour rebrousser chemin et aller se changer les idées auprès de Lucy. Être loin de Carl lui permettrait de se déresponsabiliser sur ce qui s'était passé des années plus tôt, même si ce n'était pas ainsi que tout se réglerait. Mais à peine la rouquine eut le temps de faire quelques pas que les paroles de Carl la stoppèrent sur-le-champ. Wainwright. Spencer a commencé à l'appeler Wainwright le jour où elle a commencé à l'ignorer. Depuis ce premier jour, elle avait détesté qu'on l'appelle ainsi, lui rappelant la lâcheté dont elle avait fait preuve. Et voilà que 'Wainwright' réapparaissait aujourd'hui. Coïncidence? Preuve qu'aujourd'hui devait être le dernier jour de silence? Ginerva croyait au hasard, mais le fait que Carl l'appelle ainsi n'était en rien une coïncidence. Seulement, elle avait senti que son ancien ami était sérieux. Un autre pas et aucun retour en arrière ne serait possible pour leur amitié. Inconsciemment, ce n'était pas ce que la rouquine voulait. Elle se tourna donc vers Spencer, toujours assis sur le sol, et se rapprocha à un mètre de ce dernier. Et soupira.

"C'est bon, tu as gagné. Félicitations. Je répond à toutes les questions que tu veux. À une condition." Ginerva s'assied sur le sol et planta ses yeux dans ceux de Spencer. "Tu m'expliques la raison de ton air déprimé d'abord." La rouquine détestait l'impression de le dominer et de devoir baisser la tête pour le regarder, alors elle avait pris l'initiative de le rejoindre au sol, même si elle ignorait s'il le prendrait mal ou s'il la laisserait faire.

Si on avait dit à Carl, à l'époque où il était meilleur ami avec Ginny, qu'un jour il lui parlerait sur ce ton, jamais il ne l'aurait cru. Personne ne l'aurait cru d'ailleurs. Ils étaient soudés comme les doigts de la main, et rien ne paraissaient pouvoir un jour les séparer. Seulement voilà. Bim. D'un coup au Collège, un jour aussi normal que les autres, la rousse ne vint pas le voir, la rousse ne lui parla pas. De toute la journée. Carl s'était alors dit que c'était peut-être cette période du mois où les filles ont des sautes d'humeur. Mais quand elle dura une semaine, puis deux semaines, le Spencer s'était posé des questions. Même Jérémy ne connaissait pas la réponse. Ginny s'était tout simplement éloignée, comme un bateau qui part en mer. Seulement ce bateau-là n'avait pas l'air de vouloir revenir. La rousse avait continué sa vie comme si Carl n'y avait jamais participé, et même les regards qu'ils croisaient parfois avec la rousse étaient vides, dénués de toute amitié. Le Spencer, qui avait alors treize ans à peine, avait été blessé de ce changement d'attitude. Dans les couloirs, ce n'était plus le trio Jérécarlinny. Plus rien n'était comme avant, il manquait cette pièce du puzzle qui les réunissait. Carl la voyait rire avec ses nouveaux amis, Zain, Mitchie et même Lou – oui il s'était renseigné – et voulait rire avec eux, retrouver la Ginny qu'il adorait. Mais non. Au bout d'un moment, Carl s'était fait une raison, et il ne chercha plus à la contacter. Elle le voulait hors de sa vie, très bien. Elle l'était.

Avec le temps, Carl ne l'avait malgré tout pas oubliée. En même temps, dans une ville aussi petite que Magnolia, il était obligée de la croiser de temps à autre. Dans ces moments rares, Carl espérait qu'elle soit redevenue comme avant, qu'elle vienne s'expliquer ou s'excuser. Mais non, ce même regard froid et distant lui revenait en pleine face. Et finalement, Carl avait fini, non pas par la détester, mais par ne plus l'accepter, essayer de l'oublier même. C'est pourquoi la rencontre qu'il avait eu avec elle aujourd'hui avait été si brusque. Pile quand il avait décidé de ne plus penser à elle, elle apparaissait. Alors si en plus le Spencer était dans un état sombre, qu'elle vienne pas se plaindre si il lui parlait méchamment.

Finalement, Ginerva ne répondit pas à sa question. C'est bien, se dit Carl, elle ne reviendra pas sur le sujet. Il s'assit alors par-terre, fatigué, en attendant que la Wainwright revienne à la raison. Il savait de surcroît que son (ex)amie n'aimait pas être fâchée avec les gens, et ne supportait pas ne pas savoir ce qu'ils avaient derrière la tête. Pour la faire revenir, Carl lança une pique qui fit son effet. Sans le vouloir il l'avait appelée par son nom de famille. C'était sorti tout seul. L'appeler comme ça démontrait vraiment leur détachement, leur lien rompu. Quand Carl appelait Elias de Sheirman, c'était normal, tout comme lui l'appelait Spencer. Mais adressé à une fille, ça perdait sa banalité. C'était... sobre. Vide. Dénué de sentiment. Plat. Carl n'alla pas jusqu'à penser que c'était comme Ginny, car il ne le pensait pas. Cependant, son manque d'affection envers lui le blessait, et l'avait toujours blessé, sans qu'il le montre. Mais qu'allait-il faire ? Pleurer comme un bébé que Gin' redevienne son amie ? Ha, bien sûr. Ce n'était pas le genre de Carl et ça ne le serait jamais.

Ceci dit, cela eut de l'effet puisque la rousse marqua un temps d'arrêt et se retourna avant de s'arrêter de nouveau face à Carl. Il leva la tête face à Ginny en esquissant un petit sourire malicieux tandis que celle-ci soupirait. Mais au lieu de lui balancer une autre réplique cinglante, la Wainwright se résigna, mais sous conditions. Bien sûr, se dit Carl, il avait oublié le soudain changement de caractère de la rousse. Il devait s'expliquer, hm ? La blague. Carl regarda ensuite d'un air amusé la rousse se laisser tomber au sol face à lui. Cela lui fit tout drôle. La situation lui rappelait tellement leurs journées assises dans leurs cabanes dans la forêt à se faire à manger et jouer les aventuriers. Carl s'était même prit une branche dans la figure ce jour-là, lorsque la rousse avait fait un faux mouvement. C'était malgré tout le bon temps, et même si les deux jeunes n'étaient plus en âge de faire des cabanes, Carl regrettait amèrement l'éloignement de Ginny, avec qui il aurait pu passer des années formidables. Ceci le fit revenir à la réalité, moins agréable.

Toujours les yeux dans ceux de Ginny, Carl haussa les épaules. « Non. » Et pourquoi ce serait à lui de commencer ? « Tu crois que je vais commencer à raconter mes problèmes personnels à une fille qui m'a ignorée pendant dix ans ? » Carl soupira et changea de position afin de mettre ses bras devant lui. « C'est à toi de t'expliquer Ginny, tout de suite. Moi j'ai rien à te dire avant ça. »

Assise face à Carl, Ginny attendait qu'il lui explique d'abord son air déprimé. Qu'elle le veuille ou non, cet état l'inquiétait davantage qu'elle aurait pu le croire. Carl Spencer déprimé était quelque chose d'impossible, et pourtant. Mais la réponse de son ancien ami laissa Ginny sans voix. Pardon? Elle devrait commencer? Cette simple idée l'immobilisa et l'empêcha de respirer quelques instants. Non, impossible. L'idée même de devoir mettre des mots sur ce qu'il s'était passé lui était insupportable. Impensable. Et puis, elle ne saurait pas par quoi commencer. Même dans la mémoire de la rouquine, c'était vague. Mais limpide à la fois. Comment expliquer cette impression, ce sentiment qui l'avait soudainement envahie un jour sans disparaître totalement?

Au début, tout était si simple. Ils étaient des enfants. À l'époque, les seules préoccupations quotidiennes était de savoir ce qu'il y avait dans leur boîte à repas de midi et avec qui ils allaient jouer durant la récréation. Mais même Ginny n'avait pas eu ce dernier questionnement: Carl Spencer et Jeremy Huntington. Tous les jours, à la récréation, ils se rejoignaient et faisaient les fous. Bien sûr, la rouquine avait d'autres amis avec qui elle jouait souvent, mais ces trois-là étaient disons inséparables. Jérécarlinny, qu'ils s'étaient surnommés. Amis à la vie à la mort, qu'ils s'étaient promis. Si seulement. S'ils avaient eu douze ans pour le reste de leur existence, leur promesse aurait été tenue. Mais ça ne fonctionnait pas comme ça. Pourtant, la mère de Ginny l'avait bien avertie: "Arrête de jouer avec des garçons, tu es une adolescente maintenant, tu vas les aimer et ils vont te briser le coeur!". Mais Ginny n'écoutait jamais sa mère. En tout cas, elle faisait semblant: elle haussait la tête et disait "Oui, maman!". Mais le lendemain, la rouquine retournait jouer avec ses éternels amis. Mais depuis quelques années, un nouvel ami avait fait son apparition: Cameron Cooper. Il y avait une certaine tension entre Jeremy et lui déjà à l'époque, mais Ginerva ne le voyait pas. Elle ne voyait que les jolis yeux de Cameron, avec qui elle a échangé son premier baiser. Leur histoire avait duré, quoi, deux semaines tout au plus? C'était ça, les histoires de coeur des enfants. C'était innocent et sincère. Un jour je t'aime, l'autre jour je ne t'aime plus. La belle vie.

Tout se compliqua à treize ans. Ginny n'aurait jamais pensé que ce jour-là, tout changerait à ce point. La rouquine allait tranquillement rejoindre ses amis de toujours, puis cessa de marcher. De respirer. D'exister, durant un minime instant. Son coeur manqua un battement. Il n'y avait que Carl Spencer, au loin, rigolant, qui existait. Il était beau. Depuis le temps qu'elle traînait avec lui, ce n'était que ce jour-là qu'elle l'a réalisé. Elle sut que Carl n'était maintenant plus son ami. Il était devenu plus que ça. Soudainement, elle n'avait plus envie de jouer avec Carl. Elle voulait se blottir dans ses bras, l'embrasser. L'aimer. Et cette pensée l'effraya. Ginerva ne voulait pas. Ne pouvait pas. Elle rebroussa alors chemin et partit. Loin. Loin de ce sentiment qui sortait de nulle part et qui lui faisait mal rien qu'à y penser. La rouquine avait passé la journée seule, à réfléchir à ce qu'elle ressentait. Et décida que le meilleur moyen de ne plus y penser était de le fuir. Fuir Carl Spencer l'empêcherait de l'aimer, non? C'était logique. Alors c'est ce qu'elle fit.

Et ça fonctionna. Ginny avait passé à autre chose, s'est mise à aimer Zain Richardson et elle le vivait bien. Mais ça ne l'empêcha pas de fuir Carl quand même. Au cas où. Et si le fait de le revoir allait rallumer quelque chose de profond? Non, elle ne voulait pas prendre le risque. Et puis, Spencer avait changé. Il était devenu plus arrogant, plus fêtard et sociable que Ginny. Ils ne côtoyaient plus les mêmes personnes. Tous deux avaient évolués dans des chemins différents, c'était normal. Et pourtant, il y avait certains jours où la rouquine regrettait d'avoir perdu Carl l'ami.

Mais comment lui expliquer? Ginerva était toujours incapable de dire quoi que ce soit. Ça faisait des années, mais elle avait toujours peur de lui en parler. Mais au point où elle en était, Ginny n'avait plus le choix. Elle avait décidé de le rejoindre, qu'elle assume. La rouquine soupira et regarda le sol.

"Je ne sais pas trop comment t'expliquer, en fait... j'ai oublié..." Ginny se tut quelques instants en soupirant une seconde fois. Elle mentait et elle savait bien que Carl savait qu'elle mentait. Elle sentait son regard la transpercer. "Bah pour faire une histoire courte, disons que... hum... bah je t'aimais..." Voilà. C'était sorti. Ginerva recommença à respirer normalement et osa lever les yeux vers Carl. "À toi maintenant!" Parce que la pianiste n'avait rien de plus à rajouter sur ce sujet. Et ne voulait pas en dire davantage.

Les deux jeunes avaient l'air encore plus malins qu'avant, assis par-terre à même le sol sur une place remplie d'enfants et de manèges. C'était comme s'ils avaient remontés le temps, qu'il s'était retrouvés à dix ans, jouant aux billes sur les plaques d'égout. Sauf que non. Le temps n'était plus à l'amitié ni aux petits conversations puériles. Carl avait l'esprit tourné vers Naya, et Ginny vers un Carl déprimé dont elle ne savait la raison. Elle tenta de lui faire cracher le morceau mais il refusa net, lâchant à la rousse qu'elle devait expliquer d'abord son comportement. Pourquoi Carl parlerait-il de ce qui le troublait à une personne qui était devenue une inconnue ? Surtout que Carl n'en avait encore parlé à personne. Il s'enfonçait dans sa déprime sans que personne soit au courant, ni même Cameron, Julia ou Scarlett. Personne.Et ça aurait continué ainsi si la rousse ne lui était pas tombée dessus.

Et quand Ginny lui avoua, certes dans un petit marmonnement, la raison tant cherchée par Carl, il resta sur. le. cul. Et heureusement qu'il était assis d'ailleurs. La réponse de Ginny le déstabilisa complètement, il ne savait plus où se foutre. Il avait imaginé tant de scénarios possibles pour l'éloignement de la Wainwright, mais cette raison là n'y avait jamais figuré. Pourquoi y aurait-il pensé ? Leur relation avait toujours été purement amicale et Carl n'aurait jamais douté que Ginny avait des sentiments. Son cœur avait loupé un battement, et il ne savait pas pourquoi. Il eut tout à coup très chaud et s'il avait eu une tendance à rougir il serait devenu rouge écarlate. Comment ça ? Carl Spencer, être déstabilisé par une femme ? Autant dire que c'était rare. Très rare. Carl lui-même ne savait pas ce qui lui arrivait. Il n'arrivait pas à prononcer un son, trop choqué par ce qu'avait annoncé la rousse. Il regardait dans les yeux de Ginny sans la regarder. Il clignait des yeux lentement, dans le vague, le flou total. La nouvelle était tombée comme une avalanche. Carl ne comprenait pas pourquoi ça l'affectait autant. Se pourrait-il que... Non, Carl se refusa à l'idée. Et puis sa relation avec Gabrielle était trop importante pour qu'il la foute en l'air. Il avait trop fait d'effort pour la garder qu'il n'allait pas l'abandonner pour une autre. Seulement voilà. Le cœur a ses raisons que la raison ignore. Et la raison du Spencer était bien déboussolée. Pourquoi il restait pétrifié ? Aucune idée. A ce qu'il en savait, il n'avait jamais pensé à Ginny en tant que... femme. C'était pour lui une amie mais comme un pote, un fille avec qui il pouvait dire n'importe quoi sans qu'elle ai des petites réflexions de fillette. Certes, Carl et Jérémy adoraient la taquiner quand elle sortait des petites phrases bien féminines, mais le Spencer l'avait toujours vu avec les yeux d'un ami. Il était au courant de ce qui s'était passé avec Jérémy et elle, mais même avec ça, non, Ginny restait Ginny. Et maintenant qu'il venait d'apprendre qu'elle avait eu des sentiments pour lui, tout changeait. Sa vision de la rousse venait de radicalement changer. Ce n'était plus son pote, c'était une femme. Ce n'était plus un ami, c'était... une fille. Tout bonnement une fille avec qui il avait partagé tant de bons moments. Carl était perdu dans ses pensées qui s'agitaient sans organisation précise. Tellement de choses se bousculaient dans sa tête qu'il en oublia même la présence de l'intéressée. Comment maintenant la regarder en face sans y penser ? Comment lui parler sans être troubler ? Comment lui faire un câlin, geste normal qui virait en geste ambigu ? Il se savait que penser. Cela rajoutait dans ses pensées de déprimé des pensées encore plus complexes, encore plus sombres. Putain.

« Euuh... » Ce fut le seul mot – ou plutôt onomatopée- que Carl arriva à articuler. Déjà qu'il n'arrivait pas à parler à Ginny de Naya au début, comment pouvait-il le faire maintenant, après ce qu'elle venait de lui avouer ? La conversation avait viré au gênant et Carl ne savait pas quoi faire pour briser la glace. Il avait l'impression que s'ils en restaient là c'était foutu pour qu'ils se reparlent un jour normalement. Il devait surpasser cette nouvelle pour avancer. Mais le cœur de Carl en décidait autrement. D'où ça lui sortait de tels sentiments ? Il était tiraillé entre s'enfuir en courant ou tout balancer à Ginny maintenant. Finalement, il se leva. « Bon. J'ai besoin de prendre l'air. » Puis il réalisa qu'il était déjà dehors, donc se reprit. « 'fin faut que je marche là. » Il passa sa main sur son front puis fourra ses deux mains dans ses poches en fermant les yeux et en prenant une grande inspiration. Puis il commença à marcher vers la première direction qui s'offrait à lui. N'entendant pas des pas derrière lui, il se retourna et s'adressa à la rousse. « Bah alors, tu viens pas ? » Il avait besoin de marcher pour mettre au clair ses idées. Il avait besoin de marcher pour digérer la nouvelle. Mais il avait surtout besoin de quelqu'un qui serait là pour l'écouter quand le moment sera venu pour lui de sortir ce qu'il avait sur le cœur à propos de Naya. Et pour l'instant, il n'y avait que la Wainwright de présente. Et de toute façon, si elle voulait satisfaire sa curiosité par rapport à l'état de Carl, elle était bien obligée.

En voyant l'expression de Carl, Ginny sut. Elle sut aussitôt que leur relation venait de changer, même si elle avait déjà changé depuis l'éloignement de la rouquine. C'était d'ailleurs une des craintes de la Ginerva adolescente: perdre une amitié de longue date à cause de sentiments. Pourtant, c'est ce qui est arrivé avec la solution de la rousse. Mais un espoir subsistait quand même: celui de retrouver l'ancien Carl et de ne jamais revenir sur la question de l'éloignement. Si seulement. Mais Spencer était rancunier et curieux, il fallait s'y attendre. Dorénavant, la Ginny d'autrefois venait de disparaître dans l'esprit de Carl. Sa plus grande crainte concernant leur amitié s'était éteinte dès que Wainwright prononça les mots magiques. Je t'aimais. Cette phrase, conjuguée à n'importe quel temps de verbe, avait le don de tout changer, dans le positif comme dans le négatif. Un coup d'éclat au visage de n'importe qui. Un désherbant d'amitié plus qu'efficace. Avec cette phrase, aucun retour en arrière possible: c'était dit. Ginerva ignorait toujours si sa relation avec Carl allait changer positivement ou négativement: après tout, ça excusait une absence de dix ans. Mais elle n'osa poser la question: le regard vide de Carl en disait long sur son questionnement intérieur. Son questionnement, la rouquine l'a vécu lorsqu'elle s'est découverte des sentiments pour l'homme face à elle. Durant une semaine, elle s'était plus ou moins éloignée de tout le monde, ne parlant de sa situation à peu de personnes. Elle ne s'était confiée qu'à Balthazar, le seul homme disponible de la maison. Et du haut de ses onze ans, il ne devait pas comprendre grand-chose de ce que vivait sa grande soeur, mais il la soutenait. Et c'était tout ce dont Ginerva avait besoin. De l'écoute et du soutien. Sauf qu'elle ne pourrait pas jouer ce rôle avec Carl, car elle était la principale intéressée dans cette histoire. La pianiste attendit donc la réaction de Spencer.

Après un moment de silence, ce dernier sortit un mot qui n'en était pas un de sa bouche et se leva. Sur le coup, la rouquine fut étonnée. Il partait, là, maintenant? Il proclama qu'il avait besoin d'air. Devant l'incompréhension de Ginerva, il ajouta qu'il devait marcher. Et il partit. Ok, il partait vraiment. Ginny n'en croyait pas ses yeux. Et ne savait trop comment réagir: le suivre, rester là, rejoindre Lucy? Il avait besoin de réfléchir, c'était normal. Mais désirait-il l'avoir à ses côtés? Rien de moins sûr. Déjà que la rouquine venait d'empirer son air de déprimé! Interdite, Wainwright regarda son ancien ami partir en direction opposée. Puis, elle le regarda se tourner vers elle. Et lui demander ce qu'elle foutait. Ginny aimerait bien le savoir, ce qu'elle foutait. Au moins, Carl venait de clarifier les choses: il la voulait à ses côtés. Comme quoi il la voulait encore dans sa vie malgré la terrible révélation. Ginerva se leva et rejoignit rapidement Carl, au cas où il changerait d'idée. Puis elle se demanda quoi lui dire. Même si elle savait qu'elle n'avait rien à dire. Devoir attendre que Carl se démêle la langue de lui-même. Ne pas le pousser. Ginny connaissait désormais son rôle: l'oreille attentive. Celle qu'elle a toujours été pour Carl avant son changement d'attitude. Bien qu'elle savait que ce geste pourrait être mal-interprété, c'était ce qu'elle faisait toujours lorsque son ancien ami n'allait pas bien, à l'époque. C'était un réflexe. Alors, ne pouvant s'en empêcher, Ginerva prit la main de Carl en marchant et lui flatta la dos de la main avec son pouce, pour l'encourager à se confier.

Comme avant.

Même si ça ne serait jamais comme avant.

Aux paroles de Carl, la rousse fit une mine étonnée avant de vite le rejoindre. Il esquissa un petit sourire en coin, mais son cœur n'y était pas. Il se retourna et marcha en direction d'où ses pieds le mèneraient. Il ne savait plus rien de sa vie. Il y avait comme un grand gouffre noir qui venait de se former, un tornade qui était venue brouiller ses pensées.Tout ce qu'il savait, c'est qu'il ne voulait pas être seul. Carl avait besoin de quelqu'un près de lui, quelqu'un à qui se raccrocher si ses pensées l'emmenaient au fond de l'abîme. Et même si la présence de Ginerva n'était qu'une coïncidence, le Spencer savait que c'était elle dont il avait besoin, elle qui avait toujours su l'écouter, le consoler, et maintenant il savait, l'aimer. En proie à de profondes réflexions sur son passé, Carl sentit tout à coup la main froide de Ginny se glisser dans la sienne, caressant le dos de sa main comme pour le rassurer. Comme pour lui dire que tout irait bien, qu'il pouvait lui faire confiance. Comme avant. Ce petit geste en disait long sur les pensées de Ginny. Il retrouvait la Ginny qu'il avait connu il y a dix ans, la Ginny toujours préoccupée par le malheur des autres. Mais pas la préoccupation malsaine comme certains peuvent avoir afin de créer un quelconque prestige. Non, la préoccupation de la rousse était vraie, spontanée. Son amie faisait ressentir par ses gestes et ses regards qu'on pouvait lui faire confiance. Pas besoin de mots. Sa main glissée dans celle de Carl lui donna tout à coup des frissons, et l'envie d'exploser en larmes se fit ressentir. C'était trop à supporter. Trop de nouvelles d'un coup, trop de pensées, trop de désespoir. Le Spencer ne s'en sortait plus. Chaque sortie de secours qu'il croyait passer ne menait à rien. Il était enfoncé dans un cercle vicieux qui l'obligeait à réfléchir. Réfléchir à ce qu'il avait fait, à ce qu'il aurait du faire, ce qu'il n'avait pas du faire. Ses yeux s'embuèrent, et vivement il retira sa main de celle de Ginny, la fourrant sans sa poche en reniflant. Pour ne pas faire paraître ses larmes, Carl fit une expression de -fausse- joie en regardant la rousse. « Tu veux de la barbe-à-papa ? » demanda-t-il alors, passant au coin du stand qui se trouvait là. Carl essayait de tout faire pour sortir de ses idées, de tout faire pour repousser le moment d l'aveu. Mais il devait s'y résigner, il n 'y arriverait pas longtemps.

Il tendit la barbe-à-papa à Ginny pour qu'elle puisse en attraper un morceau. Puis il reprit sa marche silencieuse, attrapant de temps un temps un morceau de sucre rose qui fondait sous sa langue. Au moins, cela lui donnait quelque chose de différent à penser. La Wainwright restait avec cet air interrogatif sur le visage. Cela ne devait vraiment pas être facile pour elle de ne rien dire, restant les bras ballants à attendre la confession de Carl, qui peut-être n'arriverait jamais. Le flots de pensées sombres virent renflouer sa mémoire, comme la mauvaise herbe malgré le désherbant. Cela ne s'arrêterait-il donc jamais ? Apercevant un banc non loin, Carl s'y dirigea, histoire cette fois de ne pas s'asseoir par-terre. Il passa le béton de bonbon rose à Ginny, qui devait être en train de se remplir la bouche pour s'empêcher de parler. Carl appréciait son geste. Elle respectait le fait que le Spencer veuille choisir le moment où il parlerait. Si on le poussait, cela ne le ferait que le repousser. Si elle s'était refusée à parler depuis que Carl s'était levé, c'est qu'elle avait compris que cette fois, ses mots ne serviraient à rien. Seuls ses gestes attentionnés montraient au Spencer qu'elle était là, que quelqu'un était à ses côtés pour le soutenir.

Carl prit sa tête entre ses mains en posant ses coudes sur ses genoux pliés. Une boule se formait dans son ventre et les frissons revenaient. Sa gorge se serrait. Non, il ne voulait pas. Il ne voulait pas pleurer. Mais il ne pouvait rien y faire, la première larme apparut au coin de sa paupière. Un sanglot secoua le corps de Carl, qui ne put plus résister. Il était fatigué, las de toutes ses pensées qui l'oppressaient et le faisait douter de ses actions. Pris par une pulsion soudaine, il leva la tête et tourna vers la rousse son regard larmoyant. « Gin'.. » Un nouveau sanglot fit redoubler les larmes qui à présent coulaient sans répit sur les joues de Carl. « ..Je ne sais plus quoi faire.. » Il ne se contrôlait plus. Il luttait contre les larmes en vain, et elles coulaient sans relâche à travers ses yeux tristes. Carl n'avait pas pleuré depuis longtemps, et encore moins devant une fille. Mais là, tout de suite, la rousse redevenait ce qu'elle avait toujours été. Son amie.

Après réflexion, c'était le désespoir dans les yeux de Carl qui avait persuadé Ginerva de lui reparler. N'eut été de ça, elle aurait continué son chemin sans se retourner. Seulement, Spencer avait besoin d'aide. Son regard l'implorait. Au bord du gouffre, les gens réagissaient de façon impulsive. Après tout, personne ne connait vraiment les intentions de quelqu'un jusqu'à ce que ce dernier les réalise. C'est le résultat de certaines tueries dans les écoles. Le résultat des suicides. Ces personnes appellent à l'aide, mais personne ne les entend. Mais ces personnes qui n'entendent pas les appels à l'aide ne voient pas vraiment ce qui se passe. Ils ne veulent pas le voir. Carl Spencer était au bord du gouffre. Ginny savait qu'il n'allait pas se suicider ou faire du mal à d'autres personnes, mais elle devait l'aider. Et au diable les anciens sentiments, l'éloignement de dix ans. Carl avait d'abord été un ami, durant une période de sa vie. Alors elle lui prit la main. Pour le réconforter, surtout. Mais aussi pour se réconforter: la rouquine craignait que les paroles qu'elle avait prononcées plus tôt n'aient rendu ce geste ambigu. Elle craignait qu'une froideur s'installe entre Carl et elle, même si c'était en quelque sorte la faute de Ginny si une froideur existait. Sa faute d'être tombée amoureuse d'un bon ami. Sa faute de s'être éloignée sans raison. Et maintenant, c'était de sa faute si Carl a retiré sa main de celle de Ginny pour aller dans sa poche. Ce geste serra le coeur de la rouquine: ça venait de confirmer sa pire crainte. Et pour couronner le tout, Carl proposa une barbe à papa à la pianiste. Troublée, la pianiste ne remarqua pas la larme de Carl qui peinait à couler le long de sa joue. Elle prit cette proposition comme un changement de sujet après un rejet douloureux. Sans qu'elle n'ait eu le temps de refuser la nourriture, Carl était parti la chercher. Et merde.

Maintenant, Ginny était triste. Désolée que ça se soit passé comme ça. Mais elle ne parla toujours pas. De un, Carl avait besoin de tout le silence nécessaire pour amasser son courage et oser dire ce qui le tracassait. Et de deux, Ginny ne voulait pas subir un second rejet. Une confirmation que quelque chose s'était définitivement brisé entre eux. Après un moment de marche, Carl lui donna sa barbe à papa et alla s'échouer sur un banc. Elle n'avait pas faim. Lorsqu'elle était avec Lucy, oui. Mais entre-temps, son ventre s'était noué et elle sentait qu'une seule bouchée de la sucrerie la ferait vomir. Ginerva donna alors la barbe à papa au premier gamin qui passait et s'installa à côté de Carl sur le banc. Ce dernier semblait brisé. Son corps était épuisé de lutter contre lui-même, et ça se voyait. Son ami cessa enfin de regarder le trottoir et tourna la tête vers elle. Entendre son nom avec tant de désespoir dans la voix fit mal à la rouquine. Et son coeur se serra en voyant les larmes couler sur le beau visage de Carl. Elle ne l'avait jamais vu pleurer. Enfin, de cette façon. Les gamins pleuraient, certes, mais pour des blessures physiques minimes, pour des caprices stupides. Pas pour une âme brisée. Et l'âme de Carl semblait détruite. Ginny n'avait malheureusement pas le pouvoir de guérir son âme; si seulement elle était un industrieux des âmes, un être capable de recoller l'âme morceau par morceau pour la remettre indemne. Carl lui avoua qu'il ne savait plus quoi faire. Avait-il dépassé le stade du bord du gouffre pour y sauter à pieds joints? La rouquine espérait que non. Sachant que son geste pourrait être refusé par Carl, Ginerva prit le risque de lui faire un câlin. Mais pas ses habituels câlins joyeux où elle sautait sur tous ses amis dès qu'elle les voyait. Wainwright s'approcha de Carl et posa sa main gauche sur son épaule gauche pour le rapprocher. Puis, elle emmena Carl à poser sa tête sur l'épaule de la rouquine et se mit à flatter doucement son bras. Ce n'était pas pour le brusquer, mais plutôt pour qu'il puisse se reposer sur quelqu'un.

"Libères que ce que tu as refoulé, Carl. C'est la seule chose à faire..."

Libérer le poids qu'il avait sur les épaules depuis ce qui semblait être un bon moment était la meilleure chose à faire. C'était mieux pour trouver une solution aux problèmes qui le rongeait.

Carl n'aimait pas ce genre de situation. Pourtant, pleurer était une chose normale, mais un vieux préjugé racontait que les garçons ne devaient pas pleurer, et encore moins pour des histoires de cœur. En plus Carl, qui s'était forgé cette réputation de badass dragueur sans relâche, lui, pleurer ? Cela en ferait rire plus d'un, et il les voyaient déjà se moquer. Il savait que Ginny n'était pas du genre à le raconter à ses amis, mais tellement de choses dans le quartier se savaient sans que la source soit identifiée. Le Spencer se doutait alors que ses pleurs seraient bientôt sus par tous le quartier et il appréhendait les remarques. Il pourrait toujours le nier, remarque. Quoi qu'il en soit, cette préoccupation se rajoutait à celles de Carl et son cerveau commençait à déborder de pensées indésirables. Le sentiment était étrange, et le Spencer avait même du mal à exprimer vraiment ce qui lui pesait sur le cœur. Tant de choses, tant d'histoires qui s'accumulaient, tellement qu'il était impossible de tout énumérer.

Son regard croisa celui de la rousse. Ils s'observèrent un moment et Carl cru déceler une tristesse dans les yeux de Ginny. Mais pas la même que Carl, non. Cette tristesse-là Carl l'avait déjà vu, il la connaissait bien. C'était quand Ginny ne savait pas quoi faire pour réconforter l'autre et faire sécher ses larmes. Elle paraissait tellement perdue elle aussi. Le Spencer ouvrit alors la bouche et avoua à la Wainwright qu'il ne savait plus quoi faire. Il n'avait pas su dire autre chose. C'était les seules paroles qui acceptaient de sortir, les seules qui se mettaient en ordre. Tout le reste n'était qu'un brouillon, un capharnaüm pas possible dont Carl ne voyait pas d'issue. Ses pensées étaient comme un bol de spaghetti. Un fil se suivait puis s'arrêtait, entre coupé d'un autre puis stoppé. L'adolescent voulait démêler ce bol mais les mots restaient coincés dans sa gorge. La rousse lui posa alors la main sur l'épaule et amena doucement Carl contre elle. Il ferma les yeux et fit un sourire triste. Il aurait voulu avoir la force de reculer, de repousser cette fille qui l'avait lâchement abandonné dix ans plus tôt. Mais l'aveu de la rousse avait tout changé. C'était comme si le Spencer avait reçu un choc électrique. Sa rancoeur avait disparu pour ne laisser place qu'à une foule de questions et sentiments que Carl ne connaissait pas. Ou plutôt si mais il avait peur de découvrir qu'ils étaient vraiment ce qu'il pensait. Elle l'avait aimé, maintenant il le savait. Mais la question était plutôt : est-ce qu'il l'avait aimé ? Et surtout est-ce qu'il l'aimait encore ? L'amour n'avait jamais été quelque chose de défini pour Carl, et il ne savait vraiment pas quand il était amoureux ou pas. L'amour, c'était quoi exactement ? Peut-être que la façon dont l'étudiant voyait Ginny depuis tant d'années, la raison pourquoi il lui en voulait autant c'était parce qu'il l'avait aimé et qu'il ne l'avait pas encore découvert ? Son front se posa contre l'épaule de Ginny, ses yeux toujours fermés et les sourcils froncés. Comment sortir de cet abîme ? Heureusement le geste de Gin' le calma. Aussitôt il se sentit comme en sécurité, auprès de celle qui l'avait toujours soutenu. Et il se sentait bizarre. Un peu de gêne, ou de honte peut-être. Ce genre de situation ne lui était jamais arrivé auparavant, ou tout du moins pas quand il était adolescent, et il se sentait honteux de se retrouver comme un enfant dans les bras de sa mère. Mais d'un autre côté, le Spencer s'en était toujours foutu de l'avis des autres, alors cela ne semblait pas être ça. Non, un autre sentiment habitait son corps, un picotement nouveau qu'il ne connaissait pas.

« J'peux pas.. » dit-il alors finalement, ravalant ses sanglots, toujours calé contre la rousse. Pour l'instant il ne pouvait pas lui expliquer. Il n'y arrivait pas. Carl avait entouré ses bras autour de la jeune fille qui paraissait tout frêle. Cela faisait bien longtemps qu'il ne l'avait non seulement pas vue, mais pas enlacée. Cependant, ce câlin là n'était pas comme les autres. Alors que ceux qu'ils faisaient quand ils étaient enfants semblaient anodins, celui-là ne l'était pas. Etait-ce à cause de la révélation de Ginerva ? Est-ce qu'ils n'arriveraient pas à surpasser cette gêne ? Pourtant, Carl se sentait..bien. Le plus gros des larmes était passé et il se sentait mieux. La boule dans sa gorge était encore présente, cependant. Déterminée à y rester. Finalement Carl se dégagea doucement de l'emprise de la rousse. Il s'y sentait bien mais il fallait revenir à la normale, redevenir comme avant. Ou tout du moins essayer. Il se râcla la gorge et recula sa tête de l'épaule de la rousse, essayant de remettre ses idées en place afin de trouver quelque chose à dire. Mais son visage se retrouva tout près de celui de Ginny et il s'arrêta, troublé. Ses yeux encore embués de larmes se plongèrent dans le bleu de ceux de la Wainwright, tellement qu'il ne pouvait plus s'en défaire. Leurs souffles se mêlèrent et ils restèrent un moment à se regarder, face à face, se demandant ce qui se passait. Du côté de Carl, il ne pensait plus. Il paraissait perdu dans les yeux de la rousse, le cœur battant. Mais que lui arrivait-il ?

Carl, penché sur l'épaule de la rouquine, semblait porter le poids du monde. L'accumulation de ses problèmes, sans doute. Mais les garder ne lui servirait à rien, à part s'écrouler sous le poids de ses misères. Ginny tentait, à coups de caresses et de réconfort, de l'aider à s'en départir. Mais Carl était un homme, après tout. Certes, il pleurait, mais ça n'empêchait en rien qu'il avait un certain orgueil. Dommage. La rouquine ne pourra pas le forcer à se délier la langue, après tout. Mais elle faisait ce qu'elle pouvait. Et être aussi proche de Spencer lui rappela leurs innombrables moments passés ensemble, dans la joie comme dans la peine. Mais surtout dans la joie. Un moment comme celui qui se déroulait présentement était rare dans leur jeunesse, là où joie, bonne humeur et bisounours régnaient constamment. La joie d'être enfant. Sans soucis, sans questionnements. Présentement, tous deux étaient loin de l'enfance; pensifs, réfléchissant à mille et une choses. Ce qui se tramait dans la tête de Carl Spencer? Ginny n'en avait aucune idée. Mais dans celle de la rouquine, un tas de questions vinrent la troubler. S'éloigner de Carl pour éviter d'avoir des sentiments à son égard était une bonne idée, certes, mais que serait-il arrivé si elle avait assumé ses sentiments? Les avait révélés au principal intéressé? La rouquine ne s'était jamais vraiment posée la question, préférant ne pas le savoir. Rester dans l'ignorance, pour toujours et à jamais. Mais avec Spencer à ses côtés, collé contre elle, elle se mit à douter de la pertinence de son choix. Et si elle avait assumé? Et si elle lui avait dit dès le premier jour? Pourtant, ce n'était pas le genre de Ginny de douter ou de regretter certains actes. Plutôt l'absence d'actes, dans le cas présent. Mais jeune, la rouquine n'avait pas cette impulsivité qui la caractérise aujourd'hui. Et l'attirance ainsi que l'amour avaient été maintes fois des sujets tabous dans sa maison, à l'époque. Elle en avait peur. L'inconnu. Alors qu'aujourd'hui, l'inconnu avait quelque chose d'excitant. Auraient-ils pu être un couple, jeunes? Carl & Ginny. Carlinny. Auraient-ils été ensemble, encore aujourd'hui? Au vu du caractère volage de Carl, elle ne croyait pas. Alors c'était peut-être le destin? S'éloigner pour mieux se retrouver. La rouquine croyait au destin sans pour autant être naïve. Était-ce cela? Aucune idée.

Les paroles de Carl finissent par sortir Ginny de ses pensées. Il ne pouvait pas lui expliquer. Mais il ne pouvait ou il ne voulait pas? Différence majeure. Ginny allait lui poser la question mais c'est alors qu'il se détacha de son étreinte. La rouquine en fut quelque peu déçue, elle devait l'avouer - sa chaleur corporelle lui avait manqué -, mais elle le laissa faire. Ginerva ne pouvait certainement pas le retenir éternellement! Elle tourna la tête vers Spencer pour voir s'il allait mieux, puis s'immobilisa. Ils étaient près. Trop près. La pianiste avait la soudaine impression de se retrouver sous un gui. Le malaise de se sentir obligée de l'embrasser en moins. Mais l'absence de malaise n'empêchait pas Ginny de se trouver dans une situation délicate. L'occasion se présentait, l'envie y était, pourtant... Ginerva était perdue. Alors qu'elle venait de rompre leur séparation de dix ans, allait-elle risquer une nouvelle séparation? Wainwright décida d'oser - elle avait raté une occasion dix ans plus tôt, pas question de rater celle-ci! - et rapprocha ses lèvres de celles de Spencer pour y déposer un baiser. Un frisson lui parcourut le dos alors que les secondes s'écoulaient. Pourtant, la rouquine n'avait pas l'impression que le temps passait. Il avait cessé, le temps que leurs lèvres se touchent. Ginerva finit par reculer et son visage prit une couleur légèrement rouge. Elle ne savait plus quoi dire, quoi faire après un tel geste. La pianiste resta donc immobile, un baobab au milieu de l'Afrique. Puis elle regarda son ami dans les yeux. "Au moins, tu as arrêté de pleurer." Ou comment gâcher un moment si magique en sept mots.

Comme la situation se présentait, c'était évident qu'ils s'embrasseraient. Ceci dit, si cela avait été deux heures plus tôt, Carl se serait sûrement écarté en souriant. Mais l'aveu de Ginny avait tellement chamboulé ses pensées et sa vie qu'il se mit à douter. Proche du visage de la Wainwright, il admirait ses taches de rousseur et ses grands yeux bleus. Peut-être qu'il n'aurait pas eu le courage de l'embrasser si elle ne l'avait pas fait. Carl en fut d'ailleurs étonné. Comment la rousse avait-elle acquis tant de confiance en elle et de courage ? La mini-Ginny n'existait plus. C'était maintenant une jeune femme, et le Spencer avait encore du mal à le réaliser. Le temps de leur enfance était finie depuis bien longtemps mais il avait l'impression que c'était hier. Qu'hier ils avaient joué ensembles dans la neige, qu'ils s'était câliné quand l'un pleurait. Mais non, dix années d'éloignement s'en étaient suivies, et ils se retrouvaient à présent, peut-être pas comme avant, mais en bonne voie. Cela dit, légèrement différemment.. Quand la rousse posa ses lèvres sur celles de Carl celui-ci se laissa faire puis lui rendit le baiser, passant la main sur la nuque de Ginerva tout en fermant les yeux, exerçant une pression supplémentaire sur les lèvres de la rouquine. Il ressentit de drôles de frissons parcourir son corps et crut même que Ginerva les ressentit également. C'était comme s'ils rafistolaient lien depuis trop longtemps brisé. Le Spencer sut à ce moment-là qu'il devait tout faire pour retrouver son amitié avec Ginny, qu'il redeviennent complices, comme avant. Carl avait trop longtemps délaissé ses amis d'enfance. Aaron, Lou, Nate, même Jérémy.. En pensant à ce dernier, un nom lui vint en tête. Jérécarlinny. Le surnom qu'ils s'étaient donné tous les trois,, à l'époque, quand ils étaient inséparables. Que s'était-il passé depuis ? Ils avaient tout simplement grandi.

La Wainwright se recula alors, mettant fin au baiser. Carl rouvrit les yeux et sourit, voyant qu'elle rougissait. Hop là, moment gênant. Carl allait dire quelque chose, il ne savait même pas quoi, mais Ginny prit la parole avant lui. Et ce qui sortit de sa bouche étonna le Spencer. Il resta un moment en suspend, puis explosa de rire. Il aurait peut-être du s'énerver, et d'habitude il l'aurait fait, ce genre de phrase n'était pas du tout approprié pour ce genre de situation. Mais décidément, aujourd'hui il n'était plus lui-même. Et ses paroles lui faisait tellement penser à la rousse quand elle était enfant, toujours à dire ce qu'elle pensait sans tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. La voir s'exclamer ainsi fit donc rire Carl, qui n'était pas tout dans l'ambiance de rire cinq minutes auparavant. Quand il s'arrêta de rire, il essuya la larme de rire cette fois, reprit son souffle et se retourna vers la rousse. Il resta un petit moment à la regarder encore, puis sourit. « C'est bon de te retrouver Ginny. »

Maintenant il se sentait mieux, maintenant il pourrait éventuellement parler de ce qui le traficotait. Mais il avait peur de retomber dans cet abîme sans fond, et préféra donc passer à autre chose. « Merci pour tout à l'heure au fait. Je te raconterais peut-être un jour, là je préfère ne pas y penser.. » Mine de rien, la rousse l'avait suivie, l'avait écoutée et lui avait permis de surpasser sa tristesse pour laisser place au rire. Il retrouvait son amie de toujours, et il l'excusait pour son éloignement, même s'il aurait préféré qu'elle lui dise avant au lieu de parti lâchement. Carl se mit en tailleur sur le banc et soupira. « Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ? » lui demanda-t-il en regardant au loin le manège tourné. « On aurait pu le faire marcher. » Oui, Carl conjugua son verbe au passé. Car malgré leur baiser d'il y a peu, ils ne pourraient pas se mettre ensembles, ou tout du moins, vraiment pas tout de suite. Par son temps au passé, il cherchait donc à voir si la Wainwright était d'accord avec lui, ne voulant pas non plus la blesser. Ce que Carl avait ressenti récemment envers la rousse n'était peut-être tout simplement l'émotion de leurs retrouvailles et de l'aveu de Ginerva qui avait remit en questions de nombreuses choses. Quoi qu'il en soit, pour l'instant, il valait mieux rester amis.

Ginerva ne s'était pas attendue à l'embrasser ainsi. Mais niveau mecs, elle avait commencé à s'affirmer, à oser. Il y a eu Zain au début. Il était romantique, il était doux. Il prenait son temps avec la rouquine, qui peu à peu s'était sentie à l'aise dans les bras d'un homme - enfin, d'un adolescent, à l'époque. Après trois ans de relation, la rouquine avait prit plus de confiance envers les hommes. Mais elle n'était pas allée vers Carl. Ginny se serait mal vu intercepter Spencer dans la rue "hey Carl, ça fait un moment que je ne t'ai pas parlé, mais en fait je t'aime bien. on s'embrasse?" Pour Ginerva, Carl faisait partie du passé, inutile de revenir sur le sujet. Puis, il y eut Maxim. À son arrivée, le voisin avait plu à Ginny. Mais la rouquine invisible, ordinaire, avait bien vu que Daniels était inaccessible: il avait les filles qu'il voulait, était extraverti, sûr de lui. Certes, il s'avéra qu'il n'était pas aussi inaccessible que la rouquine aurait pu le croire, mais ce n'était jamais allé plus loin. Et voilà qu'aujourd'hui, Carl était revenu dans le décor. Ginny avait eu le courage de lui avouer ses anciens sentiments et avait fini par oser l'embrasser.

Le contact de ses lèvres lui donna un frisson à travers la colonne vertébrale. Et sentir la main de Spencer au niveau de sa nuque, chaleur inattendue, la fit sourire intérieurement. Carl semblait apprécier tout autant qu'elle le moment. Elle finit néanmoins par mettre fin à leur baiser de... retrouvailles? On pouvait dire ça comme ça. Et devant le silence qui s'était installé entre les deux jeunes, la seconde fille Wainwright lança les pires mots dans la situation. Non mais sérieusement. Le silence aurait été mieux que ça! Mais les mots étaient sortis de sa bouche avant qu'elle ne puisse le regretter. Instinctivement, Ginny porta la main à sa bouche, mais la retira dès qu'elle vit l'effet de ses mots sur Carl. Il... riait!? Devant le rire expressif de Carl, la rouquine ne put s'empêcher de rire à ses côtés. Ce qu'ils pouvaient avoir l'air cons sur le moment! Ils rirent un moment, puis Carl lui dit que sa présence lui faisait du bien. La rouquine cessa de rire et regarda son (ancien-retrouvé?) ami en lui lançant un sourire réconfortant. Ça lui avait fait du bien de le retrouver également, même si elle ne lui dit pas sur le coup, car aussitôt Spencer parla du sujet qui intéressait Ginny depuis le début: pourquoi cette déprime? Elle ne le saurait malheureusement pas aujourd'hui. Quoique c’était mieux ainsi : ils finissaient leurs retrouvailles sur une bonne note, et non sur des pleurs et de mauvais souvenirs. Ginny hocha donc la tête, approuvant la décision de Carl – il semblait plus serein qu’au début et ça enchantait la rouquine qui l’avait aidé comme elle le pouvait – et poussa un léger ricanement en écoutant Carl lui demander pourquoi elle avait attendue. Après tout, Spencer était en droit de savoir, c’était lui le principal concerné. Mais sa dernière phrase étonna Wainwright : ça aurait pu fonctionner? Elle n’y croyait pas du tout. La rouquine regarda à son tour le joli manège que Carl fixait.

« La gêne, le manque de confiance, la certitude que de toute façon, ça ne mènerait à rien... tu sais ce que c’est, tu es déjà tombé amoureux. Mais la différence majeure, c’est que tu es un gars. Tu t’en fiches bien de te faire rembarrer, au pire tu oublies et tu en pinces pour une autre. Mais c’était la première fois que je ressentais ça, c’était bizarre et je ne voulais en parler à personne. Surtout pas à ma famille, tu sais comment elle est... J’ai cru que le meilleur moyen d’oublier était la fuite, mais ça n’a évidemment pas fonctionné avant quelques années. Et tu crois vraiment qu’il y aurait pu avoir quelque chose entre nous? On était amis, c’est tout. Je ne me voyais pas briser notre amitié pour une histoire de cœur, même si c’est ce que j’ai fait au final et je m’en excuse. » La rouquine esquissa un léger sourire. « On était bien à l’époque de Jérécarlinny, non? » Ginny savait pertinemment que Carl n’avait pas oublié : ces moments étaient tout simplement inoubliables. « Sans les problèmes d’adolescents, les chicanes, les amours. Lorsque tout ce qui importait était de bien diviser toutes les friandises pour que chacun ait une part égale! Le bon temps... » La rouquine soupira en se remémorant certains de leurs meilleurs coups. Ce qu’ils avaient pu en faire, des conneries! « Tu parles encore à Jerem’? » Aux dernières nouvelles, non. Mais Ginny avait quand même un peu d’espoir que Carl lui avoue le contraire, qu’ils puissent faire des vraies retrouvailles.

Parfois, et même souvent, on retient des choses. On les enferme au plus profond de nous-mêmes, et on se dit qu'on va l'oublier. Que la petite boîte dans laquelle c'est enfermé, elle est fermée à clé pour toujours. Et ça marche, pour un temps. Et puis on accumule d'autres choses, on vit, on rencontre d'autres personnes, on finit par l'oublier, tout en sachant que c'est quand même au fond de nous. On absorbe tout ce qui se passe autour de nous, se convaincant que tout va enterrer cette chose que l'on veut oublier. Comme si on mettait une boîte dans un trou, espérant que ce que l'on va vivre après recouvrira cette boite de terre, l'enfouissant à jamais dans les profondeurs du monde. Et on l'oublie. On vit, le temps passe, les événement s'enchaînent. Et puis un jour, la boite remonte. Il suffit d'une remarque, d'une rencontre ou d'un souvenir, et comme par magie tout remonte à la surface. Violemment, ou pas. Certains le prennent bien, car depuis le temps ce n'est plus une chose à laquelle on se soucie. D'autres le prennent mal, font des choses inconscientes, violentes et regrettables. Et d'autres enfin, comme Carl, se le prennent en pleine face et tout ce dont on a enfoui nous donne envie de pleurer, de hurler, de relâcher enfin cette pression. Comme si on avait contenu cette boite au fond de nous-mêmes mais qu'on a toujours eu envie de la faire sortir. Et une fois sortie, c'est le chamboulement, le mélange d'émotions ingérables qui prennent vie, sans contrôle. Carl avait essayé d'enfouir ses sentiments pour Naya, cacher le fait que sa disparition l'affectait beaucoup plus que les autres, ne pas le montrer et le gérer tout seul. Mais le laps de temps était encore trop court et la petite boite ne s'étaient pas encore totalement recouverte. Et il a fallu Ginny pour tout dévoiler. Aurait-ce été la même chose si cela avait été Julia ou Elias ? Cameron ? On ne pourra jamais le savoir. Quoi qu'il en soit, chez Carl, la boite de Naya était remontée en même temps que celle de Ginny et la frustration de leur éloignement, et cela avait fortement contribué au désarroi du Spencer. Certains le traiteraient de pleurnichard, il s'en foutait. Au moins il avait résolu un de ses problèmes, et avait retrouvée une amie.

Certes, les deux jeunes venaient de s'embrasser. Mais le rire qui s'en suivit scella leur retrouvailles et leur amitié retrouvée. Et Carl le considéra comme une réussite et même une fierté. Récemment il avait réglé beaucoup de choses qui perturbait son esprit depuis longtemps. Que ce soit avec Lou, Julia et maintenant Ginerva, sa vie le menait à bien, et il était fier. Il s'en vanterait presque. Mais ce n'était pas le genre de choses qu'un badass déclare, non. Les badass, c'était les sorties, les beuveries et les conneries, tout simplement. Entre eux il n'y avait jamais vraiment d'intellectuel, en fait. Ils se retrouvaient pour s'amuser, point barre. Tout en regardant le manège en face de lui, Carl demanda alors à la rousse pourquoi elle ne lui disait que maintenant. Elle émit un petit rire puis un silence fut suivit de près par sa voix douce. Et Carl était d'accord avec ce qu'elle disait. Le fait d'être un mec, qu'ils aient été juste amis, bref, il acquiesça en silence, même s'il savait que tout les mecs n'étaient pas forcément insensibles au fait de se faire rembarrer. Mais il voyait où elle voulait en venir et ce la suffisait, pas besoin de partir dans d'autres discussions. « Ouais, on était bien. » répondit-il à la question de la rousse. Cette époque-là était l'une des plus joyeuses dans la vie de Carl, et cela lui manquait un peu. Ginny lui demanda s'il voyait toujours Jeremy, exactement la chose à laquelle il était en train de penser. Leur trio d'enfance s'était brisé il y a bien longtemps, et depuis Carl n'avait pas passé de temps avec le Huntington. Ils n'avaient rien l'un contre l'autre, mais leur amitié s'était un peu effacée après l'éloignement de la rousse. Comme si c'était elle qui les réunissaient. « Non, pas vraiment. Et toi ? » répondit-il. Il n'avait pas envie de s'étaler sur les raisons du comment du pourquoi. Il avait assez donné pour une soirée. Mais au fond, il espérait que les trois jeunes pourraient se réunir ensemble un jour. Comme avant.

Jérécarlinny. Leur fameux trio. Ce qu'ils en avaient fait, des conneries! La rouquine en riait encore lorsqu'elle y repensait. Des conneries de mecs, surtout. Et ça ne dérangeait aucunement Ginny de ne pas avoir eu une jeunesse typiquement féminine: les fleurs dans les cheveux (roses, violettes ou margerites, qu'importe, aucune ne devait orner sa chevelure de feu) et les poupées, très peu pour elle. Heureusement que Carl & Jeremy étaient présents pour mettre de l'action dans son enfance! Certes, sa mère conservatrice lui offrait toujours quelques jouets réservés aux filles, mais déjà un hectogramme de ces objets, c'était trop. Vive la boue et les bagarres! Et avec ces deux-là comme meilleurs amis, elle était servie. Mais tout avait commencé à changer avec l'arrivée de Cameron dans le quartier. Carl & Ginerva s'étaient bien entendus avec lui - même que la rouquine l'avait embrassée une ou deux fois -, mais avec Jeremy, c'était différent. Jeremy que Ginny avait également embrassé quelques années plus tard, dans un de ses habituels élans impulsifs. Puis leur trio se brisa officiellement dès l'instant où la pianiste tomba amoureuse de Carl. Les deux jeunes ne se parlant plus, difficile de former un trio. Et avec Jeremy qui n'appréciait pas trop le meilleur ami de Spencer, le gouffre qui les séparait s'agrandissait. Mais la rouquine espérait quand même que les deux garçons aient recommencé à se parler. Cet espoir mourut dès l'instant où Carl confirma ses craintes: ils ne se parlaient plus. Ginny posa ses yeux au sol; dire que c'était en partie de sa faute. Si ce n'était de son soudain éloignement, peut-être qu'ils seraient encore ce fameux trio.

"Oui, je lui parle de temps en temps. Mais ce n'est plus comme avant..." La rouquine leva les yeux vers Carl. "À moins qu'on essaie." Parler de cette possibilité donna aussitôt de l'espoir à la jeune femme, qui avait retrouvé son énorme sourire. "Oh! Des retrouvailles, ça te dit? Ça fait tellement longtemps, je suis sûre que Jeremy serait d'accord! Ça serait vraiment bien!" Les yeux de Ginny s'illuminèrent à cette idée. Elle allait en rajouter - préciser que cette initiative était la meilleure idée du monde -, mais on venait de crier son prénom. La rouquine tourna la tête et vit Lucy, au loin, deux sucreries en main. Hé merde! Elle l'avait complètement oubliée! "Je dois filer, mais on s'en reparle! J'habite toujours dans la même maison, alors tu sais où me trouver!" Ginerva fit un câlin rapide à son ami retrouvé et courut en direction de sa colocataire. Cette dernière allait lui taper sur les doigts et lui poser une tonne de questions, c'était certain!

Ce n'était plus comme avant. La phrase qui résumait leur histoire. A tous les trois. Carl fit un petit sourire triste, face à cette réalité poignante. Cela lui manquait, leurs sorties et leurs délires, leurs soirées de films ou leurs jeux dans la neige. Il se radossa contre le banc en soupirant. Ginny dit alors qu'ils pourraient essayer. Le Spencer leva ses yeux vers elle. « Tu crois ? » Il n'attendait pas de réponse, et d'ailleurs elle ne lui en donna pas. « J'ai l'impression que c'est pas pour aujourd'hui, les retrouvailles.. » Carl venait à peine de se réconcilier avec son amie et avait encore du mal à s'y habituer. Quand à Jérémy, il ne le voyait plus, et les deux jeunes devaient avoir des vies bien différentes.. Mais la rousse n'était pas de cet avis. Elle s'exclama à grande voix que ce serait une excellente idée. Carl sourit en voyant l'enthousiasme de son amie. Elle n'avait vraiment pas changée. Cela avait toujours été elle qui les poussait, lui et Jerem, à faire des sorties. Et son enthousiasme était réellement toujours communicatif. La rousse réussissait à leur faire presque n'importe quoi, et c'en était troublant. Elle paraissait retournée en enfance, avec ses yeux ronds qui suppliaient Carl d'accepter. Ce dernier la regarda un moment dans les yeux puis rit aux éclats. « Ca marche Gonnie, j'essayerais de parler à Jérémy. » Puis une voix cria le prénom de la Wainwright au loin, et tous deux se tournèrent vers l'origine de la voix. C'était l'amie avec qui Ginny était auparavant, et qu'elle avait un peu abandonné. Ginny lui promit qu'ils allaient se reparler puis dit qu'elle devait filer. « Vas-y, je t'ai retenue assez longtemps. » lui dit-il en souriant. Elle l'enlaça puis elle courut en direction de Lucy, qui allait sûrement lui demander où elle était passée.

Balançant sa tête en arrière contre le banc, Carl regarda le ciel. De gros nuages gris s’amoncelaient, signe d'une prochaine pluie. Il ferma les yeux et expira doucement. Que d'émotions pour une soirée.. Mais c'était pas plus mal. Cela lui avait permis de sortir de ses idées à propos de Naya, et lui donnait un nouvel espoir quant à leur retrouvailles avec Jérémy. Jérécarlinny. Il fallait qu'ils se refassent une soirée. Rien que tous les trois, devant un film et des pop corn. Carl sourit à cette idée, puis sentit de fines gouttes de pluie parsemer son visage. Le Spencer ouvrit les yeux puis se releva, enfonça ses mains dans ses poches et repartit en direction de la maison. Seul.

There's an old voice in my head
that's holding me back
Well tell her that I miss our little talks.

Soon it will all be over, buried with our past
We used to play outside when we were young
and full of life and full of love.
♥