Lorsqu'elle travaillait au restaurant des Fitzgerald, Esperanza se faisait directement livrer les produits là-bas, il ne lui restait plus qu'à les cuisiner. Mais depuis qu'elle avait commencé à bosser avec sa soeur, elle se devait d'aller les chercher elle-même. Ce n'était pas quelque chose qui la dérangeait, au contraire, elle adorait acheter ses fruits et légumes, elle était devenue maître dans l'art de les choisir, mais aussi dans celui de la négociation !

L'entreprise de Natalia marchait plutôt bien. Ce n'était que le début bien sûr, mes les choses n'avaient pas trop mal commencées. Les deux femmes ne croulaient pas sous les demandes, mais elles avaient déjà eu à couvrir quelques événements assez intéressants. Esperanza s'impliquait à fond dans ce projet, c'est pourquoi elle était prête, comme chaque fois, à passer du temps sur ce marché si ça devait lui permettre de trouver les meilleurs produits.

Ce matin, Esperanza était partie tôt. Il était à peine 7 heures, les marchands venaient juste d'installer leurs stands, et l'espagnole était déjà là, avec son chariot de mamie, prête à faire des affaires. Si elle venait aussi tôt c'est qu'une grosse journée l'attendait, et si elle voulait que tout soit prêt pour la livraison du déjeuner elle avait plutôt intérêt à ne pas traîner. De toute façon, pour elle, le plus tôt était le mieux, le marché était tellement plus agréable lorsqu'il était vide ! Personne ne la bousculait, elle avait de la place pour son chariot, et elle pouvait prendre le temps de discuter avec les commerçants. ça méritait bien de sacrifier quelques heures de sommeil.

Esperanza était donc là, devant le marchant de tomates, en train de choisir celles qui seront les meilleures pour toutes les bonnes choses qu'elle allait préparer avec sa soeur. Un grand sourire affiché sur le visage, comme d'habitude, elle respirait l'allégresse.

Jorgen n'aime pas la foule et la foule ne l'aime pas. Mais Jorgen aime cuisiner, surtout avec des produits qu'il choisi au marché dès l'ouverture de ce dernier.
Pourquoi? Est bien parce qu'il y a moins de foule et que cela évite de devoir se prendre des regards de travers des voisins.
Il devait être aux alentours de 7h ou 7 h 15 ce jour-là. Jorgen avait mis plus de temps que d'habitude pour se préparer, car il avait dû reprendre une douche avant de sortir.

"Je déteste arriver après 7h sur le marché cela me retarde dans ma journée et je vais devoir rattraper mon retard ailleurs."

Jorgen marcha d'un pas rapide vers le marché avec le premier sac qu'il avait vu avant de sortir de chez lui, un vieux sac en papier que les grossistes donnent. Il ne l'avait pas encore remarqué sinon il aurait fait demi-tour, car le papier n'est pas acceptable aux yeux de Jorgen pour faire des courses s'il vous faut beaucoup de choses, hors Jorgen avait besoin de plusieurs produits frais pour sa cuisine maison.

Jorgen ne fait pas les courses comme vous et moi, ni comme personne au monde je pense. Il fait les courses dans un ordre particulier. On peux dire que cela est un toc, il commence toujours par compter le nombre d'ingrédients sur sa liste, puis il ajoute une variable selon le temps qu'il fait et divise par Pi, il prend les 2 premiers chiffres après la virgule et si cela n'est pas entre un et 26 il recommence. Une fois le chiffre entre un et 26 obtenu, il recherche par ordre alphabétique le marchand qui a la lettre la plus proche du nombre.

Hélas pour lui ce jour-là il tomba sur le poissonnier en premier et il lui falait des crustacés. Pour Jorgen impossible de contourner cette étape, les chiffres ont toujours raison. Il prit donc des bulots 1k250 exactement, car il ne voulait aller en ville plus tard. Après cela la fromagère et ainsi de suite il continua de faire les courses sans jamais dire bonjour aux autres client, certains commerçants avait un hochement de tête et seul le boucher et le fleuriste se voyait dire bonjour.

En moins de 30 minutes Jorgen avait son sac plein de provisions, bien plus que nécessaire pour un homme seul et même pour une famille de quatre enfants.Mais bon toute matière à une masse et toute masse se voit toujours attirée vers le sol et si le fond de votre sac est humide par exemple à cause de fruits de mer, alors il ne vous restera plus qu'à ramper pour ramasser tous vos produits, comme ce pauvre Jorgen, qui se tenait à terre avec ces produits au sol.

Toujours devant l'étale, Esperanza remarqua la présence de Jorgen, et à la seconde même, le contenu du sac de ce dernier se rependit à ses pieds. Elle replongea immédiatement la tête dans ses tomates. Elle culpabilisa aussitôt de s'être ainsi détournée, mais ne leva pas la tête pour autant. Quelque chose l'en empêchait et c'était sans doute le pour des clichés sociaux qui lui soufflaient que Jorgen pouvait avoir un comportement anormal. Sauf que voila, Esperanza était curieuse et le poids des peurs sociales, aussi pesantes soient-elles, ne pouvaient pas ne pas se laisser entraîner par l'engouement de la curiosité. Elle leva un oeil discret sur la scène qui se déroulait quelques mètres plus loin.

Elle pensait que le temps de la diversion offerte par ses tomates aurait suffit pour que Jorgen ramasse des biens, aidés de ceux aux pied de qui les mets avaient roulés, mais on en était bien loin. Jorgen était là, au milieu de l'allée, tout seul. Il paraissait encore plus seul que d'habitude, c'est dire... Autour de lui certains l'ignoraient. Totalement. Ils marchaient presque sur les légumes qui avaient roulés à même le sol, comme s'ils n’existaient pas, comme s'il s'agissait de vieux légumes qui étaient tombes d'une étale et n'appartenaient plus à personne, ceux juste bons pour les chiens. D'autres au contraire le regardaient du coin de l'oeil, avec méfiance, comme s'il allait se lever et les insulter. Une vieille dame se cramponnait à son sac et la marchande polonaise, pourtant si sympathique d'habitude, jetait sur lui un oeil des plus noirs. Esperanza, elle, regardait la scène avec consternation. Elle avait été, quelques instants plus tôt, comme eux, préférant détourner le regard. A présent elle ne voyait plus qu'une chose en Jorgen. Ce n'était pas la "sauvagerie" que pouvaient s'imaginer les autres, non, c'était la solitude. Une solitude tellement présente, qui lui sautait aux yeux tellement fort, qu'elle ne pouvait plus l'ignorer. Elle sentit ses tripes se serrer, son sang bouillonner. Elle reposa ses tomates sur l'étale et sous le regard médusé du marchand elle s'approcha jusqu'à Jorgen. C'était le geste le plus simple du monde et pourtant c'était devenu quelque chose d'impensable, juste parce que Jorgen était quelqu'un de discret, alors même qu'il n'avait jamais rien fait à l'encontre de qui que ce soit dans ce quartier.

Esperanza avait toujours été entre ces deux mondes. Très sociable elle ne manquait jamais de trouver quelqu'un pour sortir ou quoi que ce soit d'autre. Mais elle avait toujours été victime de ce type de solitude qui touche les gens qui connaissent beaucoup de monde mais n'ont absolument personne de réellement proche. Espé avait quitté sa famille très tôt et n'eut avec eux que des contacts très exceptionnels. Elle avait déménagé des dizaines de fois et n'avait donc jamais vraiment eu le temps de s'attacher aux gens. Jusqu'au père de sa fille elle en avait perdu le contact. Elle se sentait donc parfois terriblement seule et n'arrivait pas à croire que les gens ne puissent pas compenser cette solitude par la sociabilisation. Quelqu'un qui est seul ne pouvait pas être bien, elle en était persuadée.

Alors elle avança encore de quelques pas. Elle regarda Jorgen et lui sourit. Puis elle se tourne vers la commerçante.

- Vous auriez un sachet s'il vous plaît ?" Aucune réponse et des yeux de poissons frits qui la regardent. Elle reparti à l'assaut un peu plus sèchement. "Un sachet s'il vous plait !!" La commerçante s'exécuta.

Esperanza se baissa et commença à ramasser les aliments éparpillés. Qu'importe s'il la rejette, qu'importe s'il ne l'accepte pas, qu'importe le regard des autres.


HJ : Désolée pour l'énorme absence ! Et ton rp est super.