Andrew ne comprenait pas pourquoi Heather sous estimait ainsi le pouvoir de la famille. Elle avait perdu foi dans la valeur la plus essentielle de ce quartier. Il ne comprenait pas ce qu'elle avait pu découvrir de si terrible, ni même ce que cela pouvait concerner. Son frère était homosexuel ? Elin avait cambriolé un magasin ? Nora-Jane avait embrassé un garçon ? Il était dans le flou. Pourtant, même si elle avait en sa connaissance une information qui changerait la face du monde - l'identité de l'idiot qui publiait tous les articles sur eux, ou celle de l'assassin de leur voisine - il ne pouvait se résoudre à imaginer les Hamilton ne pas la soutenir. Même si l'une de ces magouilles concernaient l'un des leurs. Après tout, si chaque être humain a pour but de trouver l'âme soeur, pour ensuite perpétuer sa lignée, vivre, gagner de l'argent, être heureux ... Tout ça pour ses enfants, comment peut-on imaginer qu'il les laisserait tomber ensuite ? Chaque personne vit pour donner vie à son tour, et pour faire en sorte que ses enfants connaissent le bonheur. On a beau dire, souvent, qu'on ne choisit pas sa famille. Mais la famille, ce sont ces personnes qui ne vous laissent jamais tomber quand tous les amis sont déjà partis loin. Il n'était pas particulièrement proche de sa soeur, mais pas une seule fois il ne l'avait abandonnée quand elle n'allait pas bien. Et maintenant, Juliet venait s'occuper de lui à son tour, alors qu'il n'était pas tendre avec elle. La jeune femme revenait chaque jour, parce qu'il était son petit frère, sa famille. « Heather, il n'y a rien d'insurmontable pour vous ... Vous avez vécu le décès de ta soeur, je suis désolé de l'évoquer, mais tu as bien vu dans ce moment là combien ta famille était soudée, non ? Et que peut-il y avoir de pire ? » Il posa sa main sur la sienne, conscient qu'évoquer Tessa n'était pas facile. Mais les Hamilton était probablement les parents les plus protecteurs du quartier. Même si lui n'était pas capable d'aider Heather, il savait que ses parents ne l'abandonneraient pas. Il y croyait dur comme fer, et était déterminé à le faire comprendre à son amie. « Disons que t'es perdue ... Et puis t'es une fille, vous faites souvent n'importe quoi dès que ça devient compliqué » dit-il en rigolant, pour détendre l'atmosphère. Il en avait assez de voir des traits si tristes sur le visage de la jeune fille. Il n'aimait pas ses expressions. Il voulait un sourire, un éclat de rire, n'importe quoi pour le rassurer. « Maintenant, tu devrais rentrer chez toi et tout raconter à tes parents. Ils sauront quoi faire ensuite » Andrew n'avait pas envie de savoir ce qui troublait son amie, si celle-ci n'était pas enclin à en parler. Il avait vécu l'intrusion dans sa vie privée il y a deux ans, quand la vérité sur son séjour à Londres avait éclaté. Alors plus que quiconque il comprenait le besoin d'intimité. Il n'en restait pas moins un ami.

Andrew l'impressionnait. Il croyait plus en sa famille qu'elle. Malgré sa conviction, Heather était certaine qu'ils ne pourraient pas se relever, pas sur ce sujet là. Cela les touchait de trop près. Elle savait qu'elle s'enfonçait petit à petit, qu'elle tombait. Elle avait besoin d'aide mais elle ignorait comment le signaler. Peut-être que son récent comportement était destiné à envoyer des signaux d'alerte à ses proches. Pourtant, chacun était tellement concentré sur sa propre douleur qu'ils étaient incapables de voir ce qu'il se passait autour d'eux. C'est pourquoi Aaron et Heather s'étaient jurés de veiller l'un sur l'autre. Il fut un temps tout du moins. L'obsession de la jeune femme avait duré près d'un an. Pendant tout ce temps, elle s'était perdue. Et c'est que qu'Andrew lui confirma, en ajoutant avec une pointe d'humour que c'était le genre des filles de réagir ainsi. Elle esquissa un sourire. Du Mister Davis tout craché ! Il appuya sa remarque d'un geste affectueux et lui conseilla de rentrer, de tout raconter à ses parents. Elle secoua la tête, consciente que ce n'était pas la réponse qu'il attendait. Mais c'était la seule qu'elle était en mesure de lui donner.

« Je t'assure Andrew. J'aimerais tellement que ce soit plus simple. Tu finiras par savoir et tu comprendras tout. Pourquoi j'en suis là, pourquoi je pouvais rien dire et surtout pas à ma famille »

Heather avait l'impression d'être dans une impasse, coincée dans un cercle vicieux. Elle se leva pour jeter le reste de son menu et se tourna vers son ami

« Ca t'embête de me ramener chez moi ? »

Elle doutant qu'il refuse surtout vu l'état dans lequel elle se trouvait. Elle était loin d'être sobre.

Il n'y comprenait rien, ce qui ne l'aidait pas pour donner de bons conseils avisés à son amie. Cette situation, cette conversation à demi mot l'agaçait. Il respectait le besoin de garder le secret qu'éprouvait Heather, néanmoins le fait qu'elle ne puisse pas se confier à lui l'énervait. C'était le principe même de ce quartier, de tout cacher comme s'il y avait mort d'homme à chaque fois. Cela lui rappelait les paroles de ses parents, au moment même où il était revenu de Londres. C'était clair "sois sage comme une fleur de lys et ne parle pas de ta cure de désintox". Et Andrew connaissait la punition s'il dérogeait à la règle : pain sec, eau froide et lignes à copier à la plume toute la journée sur un pupitre. Ses parents ne rigolaient pas. Le quartier s'en donnaient à coeur joie pour détruire à la hache les réputations des autres. Sans penser à l'l'empreinte indélébile qu'ils laissaient sur ces personnes. Heather semblait déjà bien amochée, alors que rien n'était sorti. Il n'osait pas l'imaginer quand son souci serait public. Mais au moins, sa famille serait enfin au courant ... « Au moins, quand tout le monde sera au courant, je comprendrais comme tu dis, et surtout ta famille pourra enfin te soutenir » dit-il, cherchant un point positif à cet évènement prochain qui semblait l'effrayer. Au moins, elle sortirait de cette impasse. Le chemin serait rude, mais au final, elle en avait besoin pour s'en remettre. Il l'imita et débarassa son plateau, après avoir avalé ses quelques frites restantes. « Pas de souci, c'est pas comme si on habitait très très loin ! » dit-il en souriant. « C'est quoi ton numéro exact ? » demanda-t-il en sortant, pour évaluer si Heather ne se trouvait pas à l'autre bout de la rue, par rapport à sa maison à lui. Ils prirent le chemin du quartier.

Heather se sentait idiote. Elle ne parlait qu'à demi-mot, incapable d'ajouter quoique ce soit. Andrew continua sur sa lancée et lui affirma qu'une fois ce secret rendu public, tout irait pour le mieux. Elle n'en était pas certaine. Les choses risquaient de se compliquer énormément. Sa famille serait détruite suite à ces révélations, et en même temps, ses parents pourraient enfin comprendre qu'ils n'étaient pas responsables de la mort de leur fille. Heather lui demanda s'il pouvait la ramener chez elle. Après cette soirée, elle n'avait qu'une envie, dormir et oublier. Elle en paierait certainement le prix demain matin. Andrew acquiesça et elle suivit à l'extérieur. Elle viendrait chercher sa voiture plus tard. Tant pis.

« C'est le numéro 19. On a quand même 9 maisons d'écart hein »

Tous deux prirent la direction de Magnolia. Lorsqu'elle était partie de chez elle plus tôt, elle n'aurait jamais pensé que cela se finirait ainsi. Arrivée au numéro 19, elle s'arrêta devant la porte puis prit son ami dans ses bras. Même si leur rencontre était parfaitement fortuite, elle était contente d'être tombée sur lui.

« Merci d'avoir été là Andrew, ça signifie beaucoup pour moi. Il faudra qu'on en reparle quand la vérité aura éclatée. Enfin, si tu veux bien sûr. » Heather le laissa respirer « Merci encore et bonne nuit. »

Elle lui fit un signe de main et rentra chez elle.

Qu'importe les 9 maisons qui séparaient les leurs, Andrew insista pour raccompagner Heather jusqu'à chez elle. Il n'avait pas oublié l'état dans lequel il l'avait trouvé, et par là la fragilité qui la définissait. Physique et psychologique. Il ne pourrait pas être rassuré à moins de la voir effectivement passer le pas de chez elle, en sécurité. Ils ne furent pas très bavards sur le chemin, la fatigue les rendaient certainement silencieux. Mine de rien, cette soirée avait été riche en rebondissements. Andrew n'en avait pas tout saisi, mais il avait découvert une Heather insoupçonnée.

« J'suis là dès que t'as besoin » lui promit-il alors qu'ils s'arrêtaient devant sa maison. « Passe une bonne nuit, et n'oublie pas de boire à fond avant de dormir, tu me remercieras demain » Il lui fit un clin d'oeil avec ce conseil d'alcoolique. L'eau avait l'effet de réduire la gueule de bois qui découlaient des lendemains de soirée. A l'époque, il avait pris le temps de garder un tas de bouteilles d'eau au pied de son lit. Les substances qu'il additionnait à l'alcool l'empêchant souvent de dormir, il en profitait pour boire de l'eau, et évitait ainsi le sentiment de désèchement qui naissait au réveil. Par contre, pour les maux de tête, il ne pouvait rien faire. Une fois Heather disparue dans sa maison, il rebroussa chemin pour rejoindre sa maison, y rentra et alla se coucher rapidement.