Mike entra dans sa chambre, posa le bol de céréales qu'il avait à la main, et décrocha le téléphone qu'on pouvait entendre sonner depuis les escaliers. Il avait pris son temps pour répondre, c'est vrai, et la personne à l'autre bout du fil devait être bien patiente. Une voix étouffée lui parvint et il eut du mal à la reconnaître, n'ayant pas eu l'idée de d'abord vérifier qui l'appelait un soir de semaine. Ca semblait être Emily. Non, c'était Emily. Il essaya de savoir ce qu'il se passait, mais elle ne le laissa pas en placer une. Tout ce qu'il comprenait c'était des mots tels que « maison », « peux plus », « craquer », « Naya » et des reniflements, encore et encore. Il finit par couper Emily et, parlant plus fort qu'elle, lui annonça qu'il allait venir chez elle, si du moins elle y était. Puisqu'elle ne protesta pas et préféra raccrocher, il en conclut qu'elle était bien au n°35. Déjà prêt, Mike n'eut qu'à abandonner son bol de Chocapics, crier à la volée qu'il allait chez Emily et enfiler une paire de chaussures. Lui qui avait prévu de passer sa soirée tranquillement assis devant Malcom, ça allait visiblement se passer autrement. En deux temps trois mouvements il était dans la rue, assez inquiet pour marcher d'un pas rapide vers la maison de sa petite amie. Plusieurs fenêtres étaient éclairées, dont celle de la chambre de la Johnson. Au moins il n'aurait pas à parcourir toute la ville pour la retrouver.
Il n'eut pas à attendre longtemps qu'on vienne lui ouvrir, ni même à ce qu'on le fasse entrer, puisqu'Emily le tira à l'intérieur dès qu'elle eut ouvert la porte. Mike se rattrapa de justesse lorsqu'elle lui tomba dans les bras, pris de court. Pas besoin de voir son visage pour deviner qu'elle pleurait.

« 'Mily ? Qu'est-ce qu'il y a ? Je comprends rien, articule... »

Emily ne cessait de sangloter avec la même voix enrouée qu'il avait entendue au téléphone, ne rendant pas la tache facile. « Naya » revenait souvent dans les paroles de la brune, et pour avoir récemment lu le dernier article de Dirty Secret, Mike finit par comprendre où elle voulait en venir. Elle pleurait à cause de la disparition de sa demi-soeur. Ces derniers jours le Huntington n'avait pas eu beaucoup d'occasions pour savoir comment Emily se portait avec toute cette histoire, mais à l'évidence, ça n'allait pas bien. Cependant il se sentait toujours un brin gêné lorsqu'il était question de la fille Freeman, effet secondaire de la rumeur selon laquelle Emily aurait été attirée par celle-ci. Certes, la Johnson avait su le convaincre que ce n'était qu'une mise en scène, mais les problèmes qu'avait apportés ce ragôt restaient encore dans la mémoire de Mike, qui tenterait d'être aussi objectif que possible.

« Y'a quelqu'un chez toi, ou t'es toute seule ? »

Concentré sur les mots mâchés d'Emily, il n'arrivait pas à savoir si son beau-père, sa mère, ou même Jordan étaient présents. Il osa espérer que non, trouvant vache de laisser la jeune fille pleurer alors qu'il était évident qu'elle avait besoin d'une bonne dose de réconfort.

Les nerfs d'Emily venaient juste de craquer ; il ne savait trop quoi était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase, et il se retrouvait maintenant devant sa copine en larmes. La meilleure arme physique de Mike était peut-être ses poings, mais la meilleure façon de le déconcentrer était aussi les pleurs. Et devant la tristesse, Mike avait beau se montrer aussi gentil et compatissant que la situation le lui permettait, il n'en restait pas moins gêné, ne sachant jamais trop quoi faire. C'était malheureusement le cas pour toutes les personnes qu'il connaissait ; Lou, sa mère – les très rares fois où il la surprenait en pleurs et n'était pas assez énervé pour passer son chemin – et aujourd'hui, Emily. Il avait beau la connaître par coeur, savoir que ces larmes avaient bien une raison d'être et qu'il existait donc une solution pour les sécher, il n'en restait pas moins affaibli par cette vue. Le visage bouffi, les joues trempées, ce n'était pas ainsi qu'il aimait voir son amoureuse. Elle n'avait cependant pas besoin de lui avouer avoir besoin d'un repère, de lui plus précisément ; il était là, pour la soutenir.

« T'inquiètes pas. Contente-toi de sécher ces larmes, d'accord ? »

Emily avait aussitôt deviné que Mike n'appréciait pas le sujet "Naya". Elle n'avait pas l'air de vouloir insister, seulement lui demander une aide, mais Mike préférait l'arrêter tout de suite, l'assurant elle de son soutien, s'assurant lui-même de ne pas épiloguer, une fois de plus, sur l'article qui avait fait fureur des mois plus tôt.

« J'vais te faire un chocolat chaud, bouge pas. »

Mike se leva du canapé, se dirigea vers la cuisine plongée dans le noir, alluma les lumières et prépara une boisson réconfortante. Pendant que le chocolat chauffait à la casserole, il fit rapidement le tour du rez-de-chaussé, vérifiant qu'il n'y avait vraiment personne. En passant près du salon, il vit qu'Emily n'avait pas fait un geste, le regard dans le vague. C'était dans ces moments-là qu'il se rendait compte à quel point il aimait sa joie de vivre, qui disparaissait presque totalement durant ses instants de mélancolie. Le faible bruit du cacao qui brûlait sortit Mike de ses pensées et il retourna s'occuper du chocolat chaud. Sa préparation n'avait pris que quelques minutes et il se hâta de rejoindre la jeune fille dans la pièce d'à côté, lui tendant la tasse fumante, soucieux de la laisser seule et sans réconfort.

Mike s'installa dans le canapé et permit à Emily poser sa tête sur son épaule. Ils restèrent silencieux un moment, pendant que la jeune fille buvait son chocolat, le garçon lui laissant du temps avant de s'exprimer, conscient qu'elle allait parler et que c'était le meilleur remède à sa tristesse. Emily finit par s'avouer malheureuse de la situation actuelle de sa famille, suite à la disparition de Naya et tout ce qui suivait ce tragique évènement. Cela faisait maintenant presque deux mois que l'ancienne chearleaders n'avait plus donné signe de vie, évaporée dans la nature après que son téléphone ait été retrouvé chez les Davies, au Nouvel An. N'ayant pas été présent, Mike avait appris la nouvelle par Dirty-Secret, qui s'était dépêchée de raconter cette histoire sur son site, ainsi que par Lou qui avait participé à la fête. La disparition de Naya n'avait visiblement pas bouleversé que sa famille, Mike ayant dû faire face à l'effarement partagé de sa sœur. Cependant, comme toute chose dans ce quartier, l'agitation qui avait animé Magnolia Crescent durant quelques jours avait fini par retomber et la vie avait repris son court. Sauf chez les Freeman-Johnson, bien évidemment, et après sa soeur, c'était sa copine que le Huntington devait rassurer.

« Tu vas gérer tout ça. Et on va retrouver Naya. Et ta mère restera avec Walter. »

Emily s'inquiétait, mais Mike ne voyait aucune raison pour que sa mère et son beau-père se séparent. Au contraire, ils seraient plus forts ensemble et surmonteraient plus facilement cet épreuve à deux. La jeune fille se mettait beaucoup trop de pression, et Mike avait la sensation qu'elle pensait que l'avenir de sa famille reposait sur elle. C'était du moins l'impression que ses paroles lui donnaient. Il passa son bras autour des épaules d'Emily dans un geste rassurant.

« Ne pense pas ça. Et ne te préoccupe pas autant pour ta mère, enfin, tu veux bien faire et c'est bien, je ne dis pas le contraire ! mais à vouloir trop faire tu te fatigues. Et tu finis par péter un plomb. »

Il avait pris la voix la plus douce qu'il puisse faire, essayant de faire passer ses pensées sans vexer la métisse. À ce stade de désespoir, un rien risquait de la contrarier et ce n'était vraiment pas ce que Mike souhaitait. Il tentait juste de lui faire comprendre qu'elle devrait prendre du repos et laisser les affaires de sa famille entre les mains de ses parents.

Mike avait dit le fond de ses pensées avec autant de douceur que possible, chose qu'il avait parfois du mal à faire, et avait craint qu'Emily ne prit mal ses paroles. Heureusement ce ne fut pas le cas, elle se contenta de promettre d'essayer d'arrêter de se mêler des affaires de sa mère, et de le remercier d'être venu. Mike resta silencieux, pensant au fond de lui que c'était totalement normal. Sa copine l'avait appelé en larmes, avait vaguement tenté de lui expliquer pourquoi elle pleurait sans y parvenir ; pour être honnêtement, ça lui avait vraiment fait peur sur le coup. Après tout, après tout ce qui s'était passé dans ce quartier de fous, tous les scénarios étaient désormais possibles. Il resta silencieux, se contentant de penser que lui aussi aurait cent fois plus de mal à continuer d'habiter à Magnolia s'il n'y avait pas Emily. Ils restèrent ainsi assis sur le canapé, sa main passant dans les cheveux de la jeune fille, écoutant les bruits de la rue. Il allait certainement passer la soirée ici, puisqu'il n'y avait personne d'autre dans la maison et qu'il ne s'imaginait pas laissant sa copine seule dans un pareil état. Il sentit son téléphone vibrer dans sa poche mais ne bougea pas, pensant que ce n'était qu'un simple sms. Seulement son portable continua de sonner, lui indiquant clairement à bons coups de vibrations dans la jambe que quelqu'un tentait de l'appeler. Il gesticula pour le sortir de sa poche. Numéro inconnu.

« Désolé, il faut que je réponde. Je reviens. »

Et merde. Il alla dans la cuisine, referma la porte et attendit deux secondes pour être sûr qu'on ne l'entendrait pas, Emily surtout. Il fut même tenter de faire couler l'eau pour couvrir le son de ses paroles, mais se dit qu'il valait mieux éviter, puisqu'il n'était pas chez lui. Il décrocha juste avant que la personne à l'autre bout du fil n'abandonne, écouta le gars sans l'interrompre mais refusa sa demande. Ce soir il était déjà pris, et c'était tout aussi important. Il finit par raccrocher, poussa un soupir et retourna dans le salon.

« T'as pas faim Miloush ? »

s'écria-t-il en repensant à son bol de céréales qu'il avait dû abandonner dans sa chambre. Maintenant il avait bien envie d'une pizza, ou juste de pâtes, il pouvait même cuisiner pour sa belle si ça lui chantait. En tout cas il avait besoin de se mettre quelque chose sous la dent et ça ne ferait aucun mal à Emily si elle en faisait de même. Cette mine rougie par les larmes, ce regard dans le vide, Mike détestait cette tristesse qu'il voyait chez sa copine, malheur qu'elle ne pouvait cacher. Il réfléchissait à une blague à lui sortir, quelque chose de drôle qui la ferait rire, mais il ne trouvait jamais quand il cherchait aussi précipitamment. Alors il se contenta de s'avancer jusqu'à elle, de la prendre par la main et de doucement l'entrainer dans la cuisine. Il la fit asseoir sur une chaise, ouvrit grand le frigo pour que la Johnson puisse elle aussi voir ce qu'il y avait à l'intérieur, et contempla les différents aliments à leur merci avant de jeter un œil à la jeune fille. Dans son cas, il était bien tenter par tout ce qui se trouvait là-dedans.

Répondant à l'appel de son ventre et à la demande d'Emily, Mike se mit à ouvrir tous les placards que la cuisine contenait en quête de tranches de pain pour faire des sandwichs. Après avoir ouvert le placard du haut où étaient rangés les verres et les bols, celui où étaient posés les casseroles et les tiroirs remplis de couverts, il finit par trouver le buffet où étaient cachés les gâteaux et le fameux pain de mie. En deux temps trois mouvements il refermait toutes les portes qu'il avait ouvertes, plongea dans le frigo, en sortit du fromage et du jambon et commença la composition de plusieurs sandwichs. Il jeta un œil à la Johnson lorsque celle-ci lui demanda s'il n'y avait rien de grave, et vit à temps son signe du menton pour comprendre de quoi elle parlait.

« Non non, t'inquiètes. Un truc pour le boulot, c'est réglé. »

Il lui fit un petit sourire pour la rassurer ; certes il était resté évasif mais il doutait que cette affaire l'intéresse vraiment, du moins pas en ce moment. Elle avait autre chose à penser et il ne voulait pas l'inquiéter plus qu'elle ne l'était déjà ; bien sûr que ça l'intéressait, mais ce ne serait pas dans son intérêt de la mettre au courant tout de suite. Il ajouta la touche finale aux sandwichs, sortit des verres et leur servit du Coca, avant de mettre leur casse-croute dans des assiettes et de poser celles-ci sur la table, devant la Johnson.

« Jambon, fromage, le classique. Bon appétit ! »

Il entama son repas et vérifia du coin de l'oeil que la jeune fille faisait de même. Il n'était pas dupe, il voyait bien qu'elle n'avait en réalité pas très envie de manger, mais il n'avait pas franchement envie qu'elle fasse de l’hypoglycémie, ou tombe dans les pommes et qu'il soit forcé de l'amener à l’hôpital alors que toute sa famille avait mieux à faire en ce moment.

« Ça te dit de regarder un film ? Sinon, on parle ? »

Mike avait dans l'idée de changer les pensées d'Emily, mais elle avait peut-être envie de se confier à lui, sur Naya ou sur autre chose, il pouvait tout entendre et ni le film ni la discussion ne ferait de mal à la jeune fille, pas plus que manger ou sortir prendre l'air.

Alors que Mike enchainait sandwichs sur sandwichs, n'ayant pas eu l'occasion d'entamer son bol de céréales qui l'attendait toujours au pied de son lit, Emily touchait à peine à la nourriture. D'un côté, il la comprenait, tout ce qui se passait ces temps-ci devait énormément la perturber alors certaines choses comme la faim ou le sommeil ne devaient pas être au rendez-vous. En faisant un rapide dîner, Mike avait pu voir qu'au moins, les placards n'étaient pas vides, alors si l'envie lui en prenait la Johnson pourrait tout de même avaler une miche de pain ou un petit quelque chose, même s'il était une heure du matin passée. Voyant bien que ni l'un ni l'autre n'avait de sujet à évoquer et que le silence risquait de durer, Mike prit la parole, proposant alors de regarder un film. Il savait à quel point Emily aimait se poser devant une série ou un film, pendant des heures, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, alors il espérait pouvoir la réconforter en lui sortant son film préféré. Mais, étonnemment, la jeune fille préférait discuter plutôt que s'enfermer dans un isoloir – ce qui n'était pas plus mal, au final. Hochant la tête à la suggestion d'Emily, il rangea rapidement la cuisine histoire que personne ne soit accusé d'avoir mis le bazar quand le reste des Johnson rentreraient, puis entraina la métisse dans l'escalier. À l'étage non plus il n'y avait pas âme qui vive, mais il n'allait pas s'en plaindre, ainsi il avait Emily pour lui tout seul (a). Une fois dans sa chambre il la laissa s'installer pendant qu'il refermait la porte, puis vint s'asseoir près d'elle sur le lit. À vrai dire, il lui avait proposé de parler, qu'elle se confie et lui fasse part de tout ce qui la tracassait, mais il ne savait pas exactement de quoi elle voulait parler, hormis de Naya qui n'était pas non plus la grande amie de Mike.

« Et donc, ils ont du nouveau, sur la disparition de Naya ? »

En fait Mike ne savait pas du tout comment aborder le sujet, alors il y allait sans détours. À vrai dire il ne savait pas grand chose de cette histoire, seulement ce que Lou avait bien voulu lui dire, soit pas grand chose parce que, comme tout le reste du quartier, elle ne savait pas grand chose. Des traces de lutte dans la salle de bains des Davies, le téléphone portable de Freeman retrouvé, quelques traces de sang, et c'était tout. Avaient-ils fait des prises d'ADN ? La seule personne qui semblait savoir tout plus que tout le monde était, comme à son habitude, dirty-secret. Mais n'ayant jamais fait confiance à la bloggeuse, Mike ne pouvait se risquer à consoler Emily par les paroles de l'anonyme « elle va bien ne t'en fais pas » sans même savoir si l'inconnue disait vrai. C'était un vrai cercle vicieux, qui croire réellement ?

À la réaction d'Emily, qui se recroquevilla sur elle-même, Mike eut la confirmation qu'il y était allé trop brutalement. Cependant celle-ci, bien que souhaitant changer de sujet, ne refusa pas de lui répondre et avoua sans étonner Mike qu'elle ne savait pas grand chose de la situation. Non, bien sûr, même si sa famille avait un tant soit peu de nouvelles sur l'affaire, Emily faisait bien trop attention à ceux qui l'entouraient pour se permettre de les questionner sur un tel sujet.

« Excuse-moi, je pensais que tu voulais en parler. »

Après tout elle avait dit qu'elle préférait discuter plutôt que regarder un film, alors pour Mike c'était évident ; elle voulait parler de Naya. Mais visiblement ce n'était pas du tout son but, puisqu'elle proposa de dévier le sujet vers lui. À vrai dire il n'avait pas grand chose à lui raconter, ces temps-ci la seule chose qui sortait de sa routine habituelle c'était justement la disparition de la Freeman et le trouble que cela provoquait chez Emily. Nombreuses étaient les fois où elle avouait, en larmes, que cette situation la terrifiait, mais rares étaient celles où elle se confiait réellement. Si Mike pouvait comprendre qu'elle veuille garder tout ceci pour elle, il n'était cependant pas sûr que ce soit une très bonne idée.

« Si tu ne veux pas m'en parler, tu devrais peut-être le faire avec quelqu'un d'autre. T'as vu tes amies récemment ? Nina, Shelby..? »

L'idée qui lui venait en tête risquait de ne pas plaire à la jeune femme, mais il était bien forcé de la lui proposer, qu'elle veuille l'entendre ou non. Cette fois, Mike prenait ses précautions et y allait tout en douceur, ne tenant pas à ce qu'elle se referme sur elle-même comme une huitre au moindre faux pas de sa part. Il espérait qu'au moins, elle comprendrait qu'il n'avait que de bonnes intentions ; avec Naya Freeman au cœur même de leurs discussions, peut-être que ses amies seraient moins gênées que lui de parler de la disparue, ainsi les autres auraient certainement plus de chances de réussir ce qu'il s'efforçait de faire sans succès : aider Emily.

Mike n'aimait pas voir Emily dans cet état. Il assistait, impuissant, à son désespoir et il avait franchement du mal à la comprendre. Il la voyait se mettre dans des états catastrophiques pour une personne qui l'avait toujours détesté et qui d'ailleurs ne s'était pas gênée pour le lui faire savoir. Il l'avait vu de ses propres yeux, il savait que Naya avait toujours été crue avec Emily et le pire c'est que cette dernière ne faisait rien contre ça. Il ne voulait pas trop se mêler des histoires de famille, alors il laissait courir, mais ça ne le rassurait pas de voir de telles animosités dans la famille. Il faut dire que lui, il n'était pas mieux placé, avec toutes les piques qu'il lançait à son beau-père et même à son propre frère. Mais pour le coup, il ne comprenait pas ce qui poussait Emily à être autant bouleversée. Mais il préférait ne rien dire, pour l'instant son rôle c'était juste d'être là, avec elle, et de s'assurer qu'elle aille bien. mieux.

Au fil de la discussion ils finirent par monter dans la chambre. Il était déjà tard, mais Mike ne voyait plus le temps passer ; il ne se sentait même pas fatigué, à vrai dire il pourrait rester debout des heures entières, à faire le pitre pour elle, ou n'importe quoi, absolument tout ce qu'elle voudrait, jusqu'à ce qu'elle s'endorme, ou du moins qu'elle pense à autre chose. C'est sans réfléchir à ce qu'il disait qu'il demanda si l'enquête avançait, mais en entendant Emily bégayer et finalement le rembarrer il se rendit compte qu'il y était aller trop brutalement. Il s'en voulut aussitôt et s'excusa platement, et soudain la réalité lui sauta à la figure : elle n'était pas plus à l'aise que lui pour parler de Naya. Mais il ne tenait pas à ce qu'elle se mure dans le silence, il savait que ça n'aurait rien de positif pour elle, que ce n'était pas le bon chemin à prendre. Doucement, il posa sa suggestion, sachant que s'il s'y prenait mal, comme ça lui était déjà arrivé, elle pourrait prendre la mouche et à partir de là il y aurait peu de chances pour qu'elle accepte de l'écouter. Il savait qu'elle et ses amies formaient un groupe soudé, alors il misa sur ça, même s'il était conscient que les problèmes ne se réglaient pas toujours entre amis. Une vague de soulagement l'envahit lorsque la jeune fille lui répondit le plus naturellement du monde, elle n'avait pas l'air vexée et ça lui fit se souvenir de sa réaction, à lui, lorsqu'on lui avait proposé de parler à quelqu'un. La partie n'était pas encore gagnée, évidemment, mais il savait que ce serait beaucoup plus facile que ça ne l'avait été avec lui-même. Parfois il regrettait de ne pas avoir accepté, mais il ne voyait plus l'intérêt de le faire aujourd'hui ; c'était trop tard. Il se rappelait encore la rage qu'il avait ressentie en lui à la mort de son père, l'injustice, surtout, qu'il pensait pouvoir combattre tout seul, comme un soldat plus courageux que les autres au milieu d'un champ de mines. Jolie illusion, mais ça ne l'avait pas arrêté pour autant et il s'était renfermé, légèrement, lentement, sur lui-même. Il s'était mis à détester une foule de gens et ça ne s'était pas arrangé avec le temps. La seule personne à qui il acceptait de se livrer c'était Lou, sa douce Lou, et encore, il ne lui disait pas tout, il avait ses petits secrets, bien gardés au fond de ses pensées. Aujourd'hui il se disait que ça ne lui aurait rien couté d'essayer, mais avant, la simple idée de consulter un psychologue le répugnait, le vidait de toute dignité.

La voix d'Emily ramena Mike à la réalité ; il se tourna vers elle et à cet instant il serait prêt à faire n'importe quoi pour elle. Il entendit à peine sa question mais il savait déjà ce qu'elle voulait savoir ; il s'y attendait un peu, au fond. Il soupira légèrement et s’aperçut qu'en fait, il ne lui avait jamais parlé de son père. Pourtant ils se disaient tout, mais sans vraiment s'en rendre compte il avait gardé ça pour lui. Prenant un moment pour réfléchir, ses yeux se mirent à courir sur tous les éléments de la pièce et finalement il s'arrêta, le regard dans le vague. Il ne regardait rien en particulier, il pensait, et puis il commença à parler et ça lui demanda un effort. « J'ai rien fait, justement. » si, ce qu'il a fait c'est qu'il a laissé la colère l'envahir et il n'a fait que des conneries, pendant des années. Il savait pertinemment que ce n'était pas comme ça qu'il aiderait sa famille, sa mère avait d'autres chats à fouetter que de s'occuper de son fils qui devenait de plus en plus turbulent mais à vrai dire il n'en avait rien à faire. Totalement borné il n'en faisait qu'à sa tête, et il a bien vu que sa mère ne savait plus quoi faire ; ça l'a même réjouit, de voir qu'elle n'avait plus aucun contrôle sur lui, sur sa vie, qu'il pouvait faire ce que bon lui semblait ; qu'est-ce qu'elle aurait pu faire pour l'en empêcher de toute manière ? Rien. Absolument rien, il avait détruit les liens qui l'emprisonnaient à l'enfance et, quelque part, ça le faisait jubiler. Quelque part c'était aussi sacrément salaud.
Il se reprit. C'était justement ce genre de chute libre qu'il voulait éviter à Emily. « Résultat quand Jérémy se met à parler de mon père, je suis incapable de l'écouter, parce que c'est comme s'il était encore là. Mais il ne l'est pas, je le sais. J'ai tous ces souvenirs en tête mais j'ai l'impression que, si je les dis à voix haute...y'aura plus rien. » il s'arrêta, considérant ses mots, puis jeta un coup d'oeil à Emily. C'était idiot ce qu'il racontait, et pourtant c'était plus fort que lui, il se sentait incapable de raconter la moindre chose à propos de son père. il avait beau en vouloir à Jérémy, parfois, il admirait littéralement cette façon qu'il avait de parler de cet homme avec autant de détachement. Il doutait qu'Emily puisse comprendre mais il le lui disait quand même. Finalement il l'avait trouvé, son psy.

Mike se sentait étrange. Il n'avait jamais vraiment parlé de son père à quique ce soit, du moins pas sérieusement, et il n'avait pas vraiment envie de le faire ce soir, même si c'était à une personne de confiance qu'il avait affaire. Il avait l'impression de vider son sac, enfin, alors qu'il avait toujours tout gardé pour lui. Mais il s'arrêta dans sa lancée, avec le sentiment d'en avoir déjà trop dit, de révéler ce qui, au final, faisait de lui ce qu'il était. Ses paroles n'avaient aucun sens. Pourtant Emily ne le prit pas pour un fou. La jeune fille savait ce que ça pouvait faire de vivre sans père, mais malgré ses efforts pour aider Mike, leur point commun s'arrêtait là. Elle, n'avait jamais connu son père, elle ne savait pas qui il était, ni comment il était. C'était différent. Mike l'avait connu, Mike se souvenait de lui. C'était pire. Du moins c'était comme ça que Mike le voyait. Alors maintenant qu'Emily avait perdu Naya, malgré toutes les crasses qu'elles s'étaient faites, quelque part il comprenait sa réaction. Mais s'il pouvait la consoler, il se sentait incapable de l'aider dans cette épreuve ; il se sentait trop mal placé pour pouvoir lui donner des conseils, pour lui dire quoi faire, alors que lui-même n'avait jamais été capable de faire quoique ce soit, d'en appliquer ne serait-ce qu'un, de conseil. « Ouais mais... » Il n'y avait pas de mais qui tienne. C'était comme ça, c'est tout. Jusqu'à ce qu'il l'accepte, il continuerait d'en vouloir à Jérémy de rendre le souvenir de leur père vivant, et à Paul de prendre la place de ce dernier. Il le savait, parce que c'était plus fort que lui. Il sentait toujours cette rage qui bouillonnait, moins forte, mais toujours présente, quelque part au fond de lui. Mike vivait dans les souvenirs, il se cachait dans les souvenirs.
Il fronça les sourcils alors qu'Emily l'embrassa, et lui rendit son baiser. Quelque part elle l'avait soulagé, par ces quelques mots échangés. Mais il ne voulait pas que ça aille plus loin, c'en était déjà bien assez pour lui. « Ecoute, oublie ça, ok ? » Il n'avait pas franchement envie qu'elle se souvienne de ce qu'il venait de dire. Il était venu pour elle, pour qu'elle se confie à lui. Et non pas l'inverse. « Je suis sûr qu'ils retrouveront Naya. » Il l'embrassa sur le front et remonta un peu plus les couvertures sur les épaules de la jeune fille en se promettant d'être présent pour elle, toutes les fois où ça n'irait pas.