Leona soupira un bon coup dans la salle de repos des médecins. Sa matinée chargée venait de se terminer et elle pouvait enfin souffler quelques minutes avant de reprendre un service plus léger cet après-midi. Les opérations se déroulaient souvent en début de journées tandis que l’après-midi consistait principalement en consultation. La jeune chirurgienne regarda sa montre. Il lui restait quelques minutes avant son passage dans la chambre d’un patient qu’elle avait opéré quelques jours plus tôt, mais qui n’en avait malheureusement plus pour très longtemps. Leona continuait tout de même à venir le voir quotidiennement pour surveiller l’évolution de l’état de son patient. Elle ne lâchait jamais l’affaire. Il s’agissait d’un prisonnier plutôt âgé et très malade que la police continuait de surveiller comme des chiens de garde alors qu’il n’était pas bien méchant. Cette histoire fendait un peu le cœur de la jeune femme qui ne savait pas vraiment quoi faire de plus pour empêcher une fin aussi triste. Leona termina son café et se lava ensuite les mains avant de se diriger vers la chambre du patient en question. Le policier à l’entrée semblait contrarié, mais elle ne s’attarda pas à ce détail. « Bonjour Monsieur Ander... » Commença-t-elle avant de s'interrompre d'un coup. Elle entra dans la pièce et découvrit alors Rachel, l’autre médecin qui s’occupait de Monsieur Andersen, sur le point de faire une grosse bêtise. Leona remarqua les menottes du vieil homme détachées, sans doute un geste de la part de l’agent posté devant l’entrée, mais aussi la source de gros problèmes pour sa collègue et amie. Qu’avait-elle donc dans la tête ? « Rachel ?! Mais qu’est-ce que tu fais ? » S’exclama-t-elle d’une voix pas trop élevée pour ne pas attirer l’attention du policier. Comprenant les intentions de son amie, elle s’approcha d’elle. « Est-ce que je peux te parler une minute à l’extérieur ? » Lui demanda-t-elle avant qu’elle ne commette l’irréparable. Si Rachel voulait s’entêter, Leona ne l’empêcherait pas de se lancer. Mais elle voulait être bien sûre que la maman Richardson était consciente de tout ce que cela impliquerait avant de la laisser faire.

Spoiler:

Quand elle devina les intentions de Rachel, Leona invita sa collègue et amie à discuter une minute à l’extérieur avec elle. Son but n’était pas du tout de la gronder ni de lui reprocher quoique ce soit, la jeune chirurgienne admirait au contraire la décision de la maman Richardson, mais elle voulait être bien certaine qu’elle était consciente de ce que son initiative impliquerait. Rachel accepta donc de la suivre dans le couloir, mais avant que Leona ne puisse ouvrir la bouche, elle lui signifia qu’elle savait pertinemment bien ce qu’elle faisait. La jeune anglaise entraîna son interlocutrice un peu plus loin, histoire que le policier n’entende pas leur conversation. « Tu m’en vois rassurée. Je voulais justement t’en parler. Et crois-le ou non, mais j’y ai réfléchi ce matin et je suis d’accord avec toi. Je pense aussi qu’il faut faire quelque chose pour lui, on ne peut pas le laisser mourir dans de telles conditions. Mais il faut bien se dire qu’une fois qu’on y met les pieds, on ne pourra pas faire marche arrière. » Rappela-t-elle. Elle y avait beaucoup pensé pendant sa pause, et si quelques jours auparavant, Leona avait quelques réticences à se lancer, ce n’était plus le cas aujourd’hui. Monsieur Andersen rêvait de revoir une dernière fois certains endroits avant sa mort, en particulier la mer. Il y a quelques jours, la jeune chirurgienne avait refusé à Rachel qu’il sorte, partageant encore l’espoir d’une amélioration de son état après l’opération, et le bouger aurait signé son arrêt de mort. Mais il ne faisait désormais plus aucun doute qu’il pousserait bientôt son dernier soupir. Elle ne voyait donc plus d’oppositions à ce plan si ce n’était les conséquences pour Rachel ensuite. « Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ? » Lui demanda alors Leona, désormais partante. Sa complice lui demanda de distraire le policier pendant qu’elle s’occuperait de sortir le patient. « Très bien, mais fait vite, je ne pourrais pas retenir son attention très longtemps. » Acquiesça la jeune chirurgienne avant de partir vers la réserve de médicaments un peu plus loin, une idée derrière la tête, tandis que Rachel retournait dans la chambre du détenu. Elle prit une foule de boîte de médicaments dans ses bras tandis qu’elle marcha jusqu’au policier quasiment surchargée. À ce moment-là, elle fit exprès de tout laisser tomber et se pencha pour tout ramasser. Dans un geste de galanterie propre à la gente masculine, l’agent se baissa aussitôt pour l’aider, dos à la chambre d’où devait sortir le patient. Leona devait faire vite. Elle le gratifia de son plus beau sourire et lui demanda s’il pouvait l’aider à tout porter dans une pièce au bout du couloir. Le policier se demanda un instant pourquoi la jeune chirurgienne n’avait pas tout pris sur un chariot roulant ou demander l’assistance d’une infirmière, mais il préféra songer, toujours typiquement par égo masculin, que Leona tentait maladroitement de le séduire. Rien que cette pensée aurait repoussé la jeune anglaise si elle avait pu lire ce qui se passait dans la tête de l’agent Il hésita un instant, car il ne pouvait pas quitter son poste, mais ce n’était pas comme si le détenu était seul puisque Rachel était justement entrain de l’examiner dans la chambre. Il accepta donc d’emboîter le pas à Leona, cette jeune femme au sourire si charmant, dans la pièce au bout du couloir et l’aida à porter les médicaments. La jeune chirurgienne lança un regard en arrière et remarqua que Rachel profitait de ce moment d’éloignement pour s’esquiver avec le patient. Une fois qu’ils furent dans la pièce, Leona continua son jeu de rôle et se confondit en remerciement devant le policier. Elle songea à Wyatt qui n’approuverait certainement pas cette prise de risque, mais disons qu’il comprendrait sûrement ses raisons. La jeune femme quitta ensuite la chambre en compagnie du policier qui souriait béatement et qui partit rejoindre son poste tandis qu’elle se glissa dans l’ascenseur le plus proche avant que les portes ne se ferment. Le plan était qu’elle rejoigne Rachel dans les escaliers quelques étages plus bas, là où peu de personnes risquaient de les remarquer. Les deux amies devaient faire vite si elles ne voulaient pas que le policier se rende trop vite compte du stratagème dont il avait été victime et si elles ne voulaient pas se faire repérer avant d’avoir quitté l’hôpital.

Oui, Leona avait finalement craqué et s’était laissée embarquée dans cette histoire, en sachant très bien que les conséquences seraient sans appel. Renvoi de l’hôpital certainement, problèmes avec la justice ensuite. Le dernier souhait d’un mourant condamné valait-il ce prix ? Sans doute. La jeune chirurgienne tentait de ne pas faire de différences. Elle s’occupait d’habitude plutôt des enfants, mais son patient – et celui de Rachel – pousserait bientôt son dernier soupir, attaché lamentablement à un lit d’hôpital, une situation inacceptable dans leur moralité et leur éthique de médecin. La jeune femme n’hésita donc pas à aider Rachel, elle attira l’attention du policier pendant que sa collègue sortait le prisonnier en douce. Une fois certaine que son amie avait pu s’enfuir par l’ascenseur, Leona arrêta son petit jeu tandis que le policier répondait à ses avances. Elle se détestait d’être obligée d’en arriver là au fond d’elle, mais elle n’avait pas trouvé d’autres moyens. Après un dernier sourire échangé avec l’agent, la jeune chirurgienne descendit par les escaliers jusqu’au point de rendez-vous où l’attendait une Rachel reconnaissante. Leona s’empressa alors d’aider sa collègue à installer le patient dans la voiture avant que celle-ci ne se retourne et la remercie une nouvelle fois de sa complicité. La jeune anglaise hésita un instant à accompagner Rachel dans ce ‘périple’. En effet, le policier pourrait tout au plus la soupçonner d’avoir fait diversion, mais il ne pourrait rien prouver. Elle pouvait encore  renoncer aux pires  conséquences et faire machine arrière. Leona était extrêmement partagée entre partager les problèmes avec Rachel et renoncer à tous ceux dont elle s’occupait, en particulier les enfants. La jeune chirurgienne ne voulait pas laisser la maman Richardson y aller toute seule, cependant des opérations l’attendaient encore et elle ne pouvait pas tout abandonner pour ce patient dont s’occupait déjà Rachel. Elle se contenta donc d’acquiescer quand celle-ci lui promit de l’appeler. « Ne t’en fais pas pour moi. Je vais rester ici pour essayer de couvrir tes arrières le temps que tu y arrives. Au moindre problème, tu n’hésites pas à me contacter. » Lui répondit-elle d’un regard encourageant. « Ce que tu fais pour M. Andersen, c’est vraiment… admirable. Bonne chance ! » Lui souhaita-t-elle ensuite en serrant à son tour ses mains dans les siennes. Leona salua ensuite le mourant une dernière fois. Il ne survivrait certainement pas assez longtemps pour revenir de ce dernier voyage. Elle laissa ensuite Rachel s’installer dans la voiture et les regarda démarrer.

Leona n’en revenait pas qu’elles l’avaient vraiment fait. La jeune chirurgienne avait aidé Rachel à sortir le mourant de l’hôpital pour que celui-ci puisse profiter de ces derniers instants de vie près de cette mer qu’il souhaitait tant admirer une dernière fois. La jeune anglaise espérait que Rachel ne rencontrerait pas trop d’ennuis au moment de lui faire signe pour le départ, mais alors que la voiture s’éloignait à l’horizon, le policier qui s’occupait de garder le patient surgit à l’entrée du parking. Leona était quasiment prise sur le fait. Il regarda la voiture s’éloigner dans premier temps avant de la remarquer. Elle profita de cette distraction pour s’éloigner dans le couloir, mais quand celui-ci s’en aperçut, il la rattrapa et lui empoigna violemment le bras pour la retourner contre lui. « Et vous là ! Arrêtez-vous ! Ce n’est pas vous qui avez utilisé les médicaments à transporter comme moyen pour me distraire pendant que votre collègue sortait le patient ?! » S’emporta-t-il contre elle. Leona se retourna pour lui faire face sans trembler. Sa force de caractère avait bien grandi ces derniers temps, surtout depuis qu’elle avait rencontré Wyatt. Elle avait tellement dû affronter ces derniers mois qu’une petite peccadille de policier ne lui faisait pas peur. « Veuillez me lâcher. » Demanda-t-elle d’abord d’un ton calme. « Vous m’avez aidé et je vous en remercie, mais je ne vous ai jamais demandé de quitter votre poste. » Lui rappela-t-elle ensuite à son bon souvenir. « Espèce de garce ! Tu crois que je n’ai pas compris ton jeu ? Tu vas me dire où ils vont ou je vais t’emmener au poste illico… » Lui parla-t-il d’une voix menaçante et colérique. Ouch, il était méconnaissable quand il s’emportait. Comme quoi, même s’il l’avait aidée, cela n’empêchait pas qu’il cachait quand même bien de mauvais traits de caractère. Les yeux de la jeune chirurgienne s’embrasèrent. Elle était bien gentille et tout ce qu’on voulait, mais elle ne se laisserait pas marcher sur les pieds. « Je vous ai demandé de me lâcher et je ne me répèterais pas. Vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez. Quand ce sera le cas, vous pourrez revenir me voir. En attendant, je ne suis pas certaine que vos supérieurs aimeraient apprendre que vous avez relâché votre surveillance. » Dit-elle fermement, bien déterminée à se défendre. Heureusement, l’agent finit par la lâcher, se rendant compte qu’il avait fait une erreur dans son travail et qu’elle était en position de le mettre plus mal à l’aise qu’il ne pourrait le faire. Leona était tranquille pour le moment, elle avait réussi à se débarrasser de lui, mais elle l’entendit alors appeler une voiture de renfort au commissariat pour communiquer ce qui venait de se passer. Rachel devait faire vite, sinon elle n’y arriverait pas à temps. Leona partit se réfugier dans les escaliers et sortit son téléphone de sa poche pour envoyer un message à son amie et savoir ce qu’il en était. Avait-elle eu le temps nécessaire pour parvenir à emmener Mr Andersen vers son dernier souhait ? Ce déplacement allait sans doute lui coûter ses dernières forces de vie.

Leona s’inquiétait. Assise dans les escaliers, elle attendait seule depuis un moment qui lui parût une éternité. La jeune chirurgienne avait du travail qui l’attendait et des consultations de contrôle à effectuer sur certains de ses patients, mais elle avait pris quelques heures de pause ‘d’urgence’ dans son après-midi, bien incapable de penser à autre chose qu’à Rachel et au patient mourant. La jeune anglaise se rongeait les sangs et se demandait si ceux-ci avaient pu arriver à temps à la mer. Soudain, la sonnerie de son téléphone la sortit de sa rêverie. Mais avant que Leona ne puisse répondre, la messagerie se déclencha automatiquement. Maudit appareil ! La jeune femme composa fébrilement le numéro pour écouter sa boîte et entendit la voix triste mais rassurante de son amie. Rachel lui expliquait qu’elle était sur le chemin du retour et que Leona n’avait pas à s’inquiéter davantage. Elle la remerciait avant de lui confier que tout s’était bien passé. Le cœur de la jeune chirurgienne se serra quelque peu en entendant ce message, mais elle était néanmoins soulagée. Elle rangea ensuite son téléphone dans sa poche et se leva pour retourner dans la salle de ‘pause’ en attendant l’arrivée de Rachel. Leona s’occupa l’esprit en remplissant quelques dossiers de patients qu’elle avait vu dans la matinée, mais elle n’arrivait pas à se concentrer. Au bout de quelques minutes, la jeune chirurgienne décida de quitter les lieux et elle descendit près de l’entrée arrière de l’hôpital en attendant le retour de son amie. Celle-ci ne tarda pas à arriver et lorsqu’elles se croisèrent, elles s’éloignèrent toutes les deux dans un coin discret. Il ne faudrait pas longtemps pour que les policiers (enfin surtout le policier que Leona avait distrait) apprennent que Rachel était rentrée à l’hôpital et l’emmènent au poste. La mère Richardson lui résuma alors brièvement ce qui s’était passé. Monsieur Andersen les remerciait toutes les deux et avait poussé son dernier soupir dans un instant heureux, c’était l’essentiel. « Oui j’ai bien reçu ton message, et ne t’en fais pas, c’est tout à fait normal de t’avoir aidé. Monsieur Andersen ne méritait pas le triste sort qui l’attendait, et c’est vraiment toi qui as été très courageuse de l’emmener alors que… » Répondit Leona avant de suspendre sa phrase sans vouloir penser aux conséquences. Rachel risquait au mieux de se faire virer par l’hôpital, au pire d’être retenue au poste pour entrave à la justice ou quelque chose dans ce goût-là. À vrai dire, Leona ne connaissait pas très bien tout ce jargon juridique, elle n’avait jamais eu vent d’un tel événement dans l’hôpital et espérait juste que son amie médecin n’aurait pas trop d’ennuis. « Si tu as encore besoin de moi pour quoique ce soit d’autre, je serais là. » Ajouta la jeune chirurgienne pour soutenir Rachel jusqu’au bout. Elle n’était pas obligée d’affronter toute cette histoire seule. Les policiers n’allaient certainement plus tarder à arriver.

Leona espérait que Rachel n’aurait pas trop d’ennuis après cette histoire. Après tout, qu’avait-elle vraiment fait de mal si ce n’était répondre au dernier souhait d’un mourant ? Le médecin n’avait pas relâché n’importe qui dans la nature, elle l’avait accompagné jusqu’à son dernier souffle pour lui offrir un dernier moment plus digne que celui de rester attaché à son lit de mort. La jeune chirurgienne admirait le courage et la force tranquille que dégageait son amie. Elle lui promit d’être là pour elle et de tout faire pour que Rachel n’ait pas à subir des répercussions trop lourdes de la part de l’hôpital. La maman Richardson lui sourit et lui confia qu’elle avait seulement fait son devoir. Elle lui recommanda ensuite d’effacer tous les messages qu’elles s’étaient échangés pour ne pas que Leona se fasse prendre elle aussi. La jeune femme acquiesça volontiers, même si ce n’était pas son genre de se cacher et de laisser à Rachel porter seule toute la responsabilité, elle était d’accord pour une fois. La jeune femme pensait à ses patients, principalement des enfants, dont elle était bien incapable d’arrêter de s’occuper malgré ce qu’elles avaient fait. Leona serra Rachel dans ses bras, elle était désemparée par les larmes de son amie, devant les trois policiers qui venaient d’arriver. « Courage, ils comprendront peut-être si tu leur expliques tout. Et si tu as besoin de moi à n’importe quel moment pour t’appuyer, n’hésites surtout pas à m’appeler. » Lui renouvela-t-elle son soutien avant le départ de Rachel dans son bureau. Leona s’éloigna ensuite du couloir où elles discutaient et retourna dans le service pédiatrique, bien trop peu concentrée sur son travail après ce qui venait de se passer. Elle ignorait encore quelles seraient les conséquences, mais elle espérait juste que les sanctions ne seraient pas trop lourdes pour son amie.

SUJET TERMINÉ