Rien n’est facile. Je l’ai toujours su. J’ai également toujours su comment agir dans les situations difficiles, comment gérer les choses, aider les autres. Je croyais avoir surmonté l’impossible avec le contexte dans lequel Hope est née. Je croyais que plus rien ne pourrait me freiner, que j’étais devenue plus forte. Me voilà pourtant, de nouveau, face à un mur qui semble indestructible. Avec les événements de cet été, le séjour de Jay à l’hôpital, le psychologue pour Hope, le retour aux études, la vie en famille, mon petit ami, etc, je n’avais pas trouvé le temps de parler avec Jay d’un sujet très important : le dernier article de Dirty Secret dans lequel il est mentionné que Jay a tué son ex petite amie.

Me voilà devant la maison familiale. Je reviens avec des courses et le bouquet de fleurs hebdomadaire qui servira de centre de table dans la salle à manger. Hope qui vient de passer du temps avec sa tante me fait un grand sourire et de grand signe par la fenêtre. Je lui souris, n’ayant pas de main de libre pour la saluer, et j’entre dans la maison. Ma sœur me fait un résumé de ce que Hope a fait, Hope en rajoute avec des mots qu’elle prononce presque parfaitement. J’ai envie de rire, mais j’ai aussi envie de pleurer. Je cache sans difficulté ma tristesse, parce que ces dernières années, je suis devenue une maitresse dans l’art de camoufler ses sentiments. Camilla ne voit donc rien, Hope non plus.

Je vais à la cuisine et je vide le sac d’épicerie. Ensuite, je mets les fleurs dans un vase et je souris légèrement. Un bouquet de fleur a toujours représenté pour moi le bonheur, la beauté. Je me rends cependant compte que ce bouquet là est particulier. Sans même m’en être rendue compte, j’ai acheté un bouquet avec un tournesol à l’intérieur. Symbole du soleil, je me souviens en avoir apporté à Jay alors qu’il était inconscient à l’hôpital, question de mettre de la chaleur et du soleil dans sa chambre, dans sa vie. J’ai fait cela malgré la nouvelle, malgré l’article.

Pendant que Hope dessine un peu n’importe comment sur une feuille, je nettoie un peu, question de faire ma part dans la maison. Quand Hope termine son dessin, elle vient me le montrer. Je lui demande ce que c’est, elle me répond que c’est son père. Je lui souris au lieu de soupirer mon mal. Elle me dit qu’elle veut l’offrir à son père. Je ne peux pas lui refuser cela.

Malgré mes occupations, je n’avais pu m’empêcher de réfléchir à la question. Je savais bien que Jay ne ferait jamais de mal à Hope. Il n’y avait aucun doute à avoir là-dessus. Malgré tout, j’avais cette insécurité qui m’empêchait de la laisser seule avec lui. En même temps, je ne la laisserais pas seule avec lui, même s’il était innocent de tout crime. Étant aphone, j’aurais peur que quelque chose arrive et qu’il ne puisse pas appeler les urgences. Malgré cela, je savais que ma peur de les laisser seuls était justifiée. Pourtant, je m’en voulais. Même si Jay et moi n’en avions pas vraiment parlé – par lâcheté de ma part peut-être – je savais qu’il avait des doutes. Il n’était pas idiot.

« Maman. Quand je vois papa ? » Perdue dans mes pensées, je reviens sur terre en sentant Hope agripper ma robe pour attirer mon intention. Je répète alors ses paroles dans ma tête pour mieux les entendre, mieux réaliser qu’elle me pose une question. « Euh… je ne sais pas. Je peux l’appeler maintenant si tu veux. » L’éclat dans les yeux de Hope et sa joie hystérique me font rire. Je lui dis de ramasser ses crayons et d’aller mettre ses bottes. Depuis une semaine, elle met toute Pendant ce temps, je vais prendre mon téléphone dans mon sac et envoie un sms à Jay : « Ta fille te réclame. On peut passer te voir ? » Une fois sa réponse reçue, je me prépare à mon tour. Juste avant de partir, je décide d’apporter le tournesol du bouquet sur la table, laissant le reste du bouquet dans le vase.

Un moment plus tard, je suis devant chez Jay. Je cogne à la porte. Je tiens la main de ma fille et je porte son sac de l’autre main tandis que Hope tiens le tournesol. Quand son père ouvre la porte, je vois Hope lui faire un grand sourire et lui sauter dans les bras en prenant la peine de lui dire dans une mauvaise syntaxe pourtant compréhensible que la fleur est pour lui, qu’elle a aussi un dessin pour lui, et ainsi que toutes les choses qu’elle a fait dans la journée. Elle lui raconte aussi ce que j’ai fait, pour être certaine qu’il ne manque aucun détail, bien que la fin de son récit soit plus incompréhensible que le début. J’ai envie de rire à la voir s’essouffler ainsi. Une fois entrée, je dépose le sac et laisse Jay débarrasser Hope de ses vêtements d’hiver. De mon côté, j’enlève également mon manteau, chapeau, foulard et gants avant de reposer mon regard sur Jay. « Ça va ? » demandai-je aimablement. Malgré mes incessantes réflexions, j’ai de l’affection pour lui et je m’inquiète constamment sur sa situation. En attendant, je pose mon regard sur ma fille pour replacer ses cheveux, petite habitude qui m’embête moi-même, en reprenant la parole. « J’ai acheté un bouquet de fleur aujourd’hui. J’ai pensé que le tournesol pourrait te faire plaisir. »