Depuis que lui et Lou avaient renoué, Andrew vivait sur un petit nuage. Le ciel était moins gris, la vie était moins morose. Il restait modéré, incité par Lou - toujours plus responsable que lui - qui n'avait pas tort en lui disant d'aller doucement. Il ne voulait pas s'emporter comme avant, la chute fut trop rude pour souhaiter la revivre une nouvelle fois. Mais il se sentait revivre depuis qu'il l'avait retrouvée, et il avait toujours eu des réactions trop exagérées.
Afin d'y aller doucement, ils avaient donc décidé d'un commun accord de ne pas passer tous les jours de toutes les semaines ensemble, de garder du temps chacun de son côté. Alors aujourd'hui, Andrew allait à la fac, avec des gens de sa classe, les malchanceux qui n'avaient pas obtenu leurs examens du premier coup. Andrew avait découvert ses piteux résultats sans grande surprise, à part pour certaines notes qui s'avérèrent au dessus de ses espérances. Sur le chemin de la fac, il s'arrêta au gordon coffee pour prendre un café et des sucreries à emporter. Chaque chose en son temps, il n'avait pas encore renoué avec sa cuisine. Celle-ci lui reprochait de l'avoir abandonnée si longtemps, Andrew était encore trop mal à l'aise. Il choisit un cappuccino, et une douzaine de doonuts. Autant prendre un peu de plaisir dans le calvaire qui l'attendait. Il allait sortir, quand il remarqua Annie à une table. Il ne lui avait pas parlé depuis ... il fut choqué de ne pas se souvenir. Regardant l'heure, il décida qu'il avait suffisamment de temps devant lui pour en perdre un peu avec son ex. « Salut, qu'est-ce que tu fais là toute seule ? » lui demanda-t-il en s'approchant, armé d'un sourire sur les lèvres en guise de signe de paix. Il ne savait même pas s'ils étaient en guerre ou non. « Un doonut ? » il lui tendit la boîte, poli. Il n'osait pas s'asseoir. Connaissant Annie, elle attendait sûrement un mec pour qui la place était déjà réservée.

Annie n'y allait pas de main morte. Après sa réplique cinglante, Andrew avait envie de se recroqueviller dans sa coquille d'escargot. Il avait honte, pas d'avoir été ainsi cinglé par Annie. Honte d'être venu lui parler en s'imaginant qu'ils pourraient avoir une conversation normale. C'était Annie, wesh. Elle avait toujours ses pinces aiguisées tel un crabe, prête à pincer à vif quiconque baisserait sa garde (si tu as des réclamations à faire à propos des références animalières, accuse les mots). Il se demanda un instant s'il ne s'agissait pas de rancune, après sa fuite de connard de première. Mais après trois ans, Annie devait l'avoir certainement pardonné. A en croire les rumeurs, elle avait été bien occupé avec un O'Connard. Alors pouvait-elle sérieusement lui en vouloir, encore, parce qu'il s'était enfui à Londres, et qu'il était revenu comme si de rien était, sans ramener un aucun souvenir ? Leur relation avait été absurde dès le début, surprenante. Il ne regrettait rien, Andrew avait un faible qu'il ne s'expliquait toujours pas pour les filles un peu franches et cinglantes. Mais il n'était pas celui qui lui passerait la bague au doigt. Même s'il s'agissait d'un bel émeraude. Ils n'avaient jamais essayé de devenir amis, Andrew avait simplement pensé qu'il n'était peut-être pas trop tard. « Toi seule dans un lieu public, même pour boire un café, c'est vraiment rare ! » expliqua-t-il sans considérer son pique. Elle même sembla se détendre, puisqu'elle accepta finalement un doonut. Il s'assit avec elle, puis déclina le serveur qui lui demandait s'il souhaitait quelque chose en plus. Il avait déjà beaucoup à boire et manger pour l'instant. Il aurait bien pris un jus de banane ou une pâtisserie supplémentaire, mais il préférait rester raisonnable. Il avait tout le temps pour ça, si jamais Annie et lui passaient l'après-midi au café à parler. Grosse blague. « Ouais, j'ai perdu ma recette » répliqua-t-il d'abord. Mais après une bouchée dans son gâteau, il choisit d'être franc. « Ça fait un bail que j'ai pas cuisiné, genre, plusieurs mois. Donc ça me fait bizarre de m'y remettre, j'ai un peu du mal. Tout ne peut pas redevenir comme avant, tu vois ? » Il savait qu'Annie avait entendu son histoire avec Lou. Il espérait qu'elle garderait sa langue de vipère rangée pour ce sujet. C'était encore sensible.

Il éclata de rire, Annie n'avait pas changé dans sa façon de s'exprimer. Elle était unique et particulière, elle était elle quoi. « T'as qu'à écrire un blog je pourrai être au courant comme ça ! » Il n'allait pas la prier de lui raconter. Si elle le souhaitait, elle pourrait le faire, mais en aucun cas Andrew ne la supplierait. Sa vie ne l'intéressait pas à ce point là. Surtout si c'était pour entendre qu'elle avait trompé A avec B et C, mais que C était ami avec A et que D la draguait depuis un moment mais que E la saoulait. Il doutait même que l'alphabet soit suffisant pour énumérer ses histoires (a). Il garda pour lui cette théorie, n'étant pas de nature méchant comme Annie. Mais elle, par contre, ne se fit pas prier. Alors qu'il fut honnête avec elle sur ce souci qui le préoccupait, elle en profita pour aiguiser son arme et le lui planter à sang. Il soupira, les piques de Mademoiselle McCormick ne l'atteignaient plus. Il se calmait en se répétant combien elle était seule, avec ses lettres de l'alphabet dont elle ne retenait probablement pas les prénoms. Sinon, pourquoi tant de méchanceté. Il avait été bien mauvais, du temps où il se sentait seul et malheureux. Maintenant, des réponses comme celles-ci lui passaient au dessus de la tête. « Ouais, c'est pour ça » Elle avait raison, après tout. Elle ne savait simplement pas s'exprimer avec douceur. Ou plutôt, elle ne le souhaitait pas. Il doutait qu'elle lui tienne encore rigueur de sa rupture dégueulasse. Elle était largement passée à autre chose. C'était juste Annie. Il se demandait si elle était capable de parler normalement avec le peu de gens auxquels elle tenait vraiment, Scarlett par exemple. Il lui poserait la question, un jour. Naturellement, sa réaction le dégoûtait un peu. Il s'était toujours imaginé qu'ils seraient plus ou moins amis, ils avaient passé du bon temps ensemble, au lycée. Mais cette fille qu'il avait devant lui n'était définitivement plus la même. « Oui, on est à nouveau ensemble, tu devines bien. Elle va mieux ... Et moi aussi, si ça t'intéresse. » Elle n'avait même pas demandé si lui allait mieux. Elle se foutait de lui. Et sa question sur Lou était simplement parce qu'elle ne la supportait pas. Le sentiment était réciproque, Lou ne voulait pas entendre parler d'elle. Andrew soupira de déception, il avait envie de partir et de la laisser, maintenant, regrettant même de lui avoir adressé la parole. « Et toi, tu vas bien alors ? » C'était probablement son dernier essai, avant d'abandonner.

Il avait peut-être prononcé la formule magique sans le savoir. En tout cas Annie baissait les armes. Elle arrêtait de lui répondre à l'aide de répliques cinglantes pour laisser place à la sincérité. Du moins Andrew l'espérait. Il ne fit aucune remarque sur ce revirement, il n'était pas assez fou pour réveiller la bête à nouveau. « Oui, parler c'est bien aussi. » Alors, il l'écouta, tout en buvant sa boisson. Tant pis s'il avait pris à emporter, il aimait bien changer ses plans, encore plus quand les nouveaux retardaient ses révisions de rattrapage. « Oh, j'ai eu ma période d'hibernation aussi » confia-t-il en rigolant. « J'ai tellement bien hiberné que je ne suis pas allé passer mes exams ... résultat je suis bon pour la deuxième session » ajouta-t-il, peu fier. A l'époque, il n'en avait eu rien à foutre. Maintenant qu'il était avec Lou à nouveau, elle avait trouvé les mots pour le remotiver, et il ressentait de la honte en pensant à ça. Il n'avait pas simplement eu des piteuses, non, il ne s'était carrément pas pointé le jour de l'examen. Ce n'était pas un manque de volonté : à l'époque, il n'en avait plus du tout, de volonté. Niveau zéro, voire moins, si c'est possible. Et même si les arguments de Lou tournaient énormément autour de ses parents qui risquaient de refaire surface, du sale quart d'heure qu'Andrew passerait s'ils revenaient à Magnolia, le jeune homme s'en trouva remotivé. Mais même s'il parlait de cet épisode en riant, il flippait, grave, et ne se trouverait rassuré que lorsqu'il serait certain d'avoir réussi les prochains. Qui arrivaient bien trop vite, soit dit en passant. Heureusement, il avait Lou, il pouvait compter sur elle. Annie n'avait pas cette chance dans sa vie. « Heathcliff ? » demanda-t-il afin d'être certain. Il ne s'était pas tenu exactement au courant de la vie amoureuse de son ex. Il avait simplement entendu parlé - et vu - que ces deux là étaient ensemble. Mais connaissant Annie, il était possible qu'elle soit déjà passé à autre chose. « Oh, c'est pas si grave, un O'Connard de perdu, dix bons mecs de retrouvés ! » Il parodiait le vieil adage. Oh, comme il aurait voulu que sa soeur perde son propre O'Connard, pour finir avec un bon mec. Mais le sort de Juliet semblait scellé. Si Annie pouvait encore en être sauvée, elle devait saisir cette chance. Mais Andrew avait conscience qu'un tel conseil ne l'aiderait pas à aller mieux. Tout comme sa soeur, elle était certainement éprise de ce charme o'conellien imcompréhensible. « Et pourquoi, ça va foirer ? » demanda-t-il, curieux.

Andrew n'aurait pas cru que Annie se sentirait autant préoccuper par son comportement. Il la regardait interloqué, comme si elle venait de consommer du vinaigre balsamique hallucinogène. Lou l'avait déjà culpabilisé, pourtant elle ne lui avait pas tenu de grand sermon. Ce n'était pas son genre. Mais il avait lu dans les yeux de sa copine combien elle était déçue. C'était encore pire. Annie, elle, mettait des mots sur les sentiments. Pour la seconde fois depuis qu'il avait eu ses résultats, il était envahi de honte et de regrets. Ces dernières mois, il avait commis bien des erreurs qu'il aurait souhaité effacer. Mais revenir en arrière était impossible. Aux dernières nouvelles, il n'existait aucun pont interdimentionnel permettant de retourner dans le passé. « Oh bah, je sais pas si tu te souviens, mais je kiffe pas spécialement mes études. » En terminale, alors qu'ils étaient encore ensemble, Annie avait dû le calmer plus d'une fois, après les éternelles engueulades qu'il tenait avec ses parents. Ceux-ci avaient finalement gagné, il était parti dans la finance. A son grand désespoir. Les chiffres ne l'avaient jamais branché. Il n'avait rien contre, et heureusement il avait hérité de son père des prédispositions mathématiques. Malheureusement, il rêvait de créativité et de grand air, pas d'un bureau au 36ème étage d'une grande tour. « Alors forcément, déjà que c''est pas folichon, comme j'étais vraiment pas motivé dans la vie à ce moment là, j'ai préféré sécher. » Logique et simple. Débile, peut-être, mais sa réflexion était réfléchie. Il y avait passé au moins ... deux grosses minutes, avant de prendre sa décision.

Mais au moins, il n'était pas le seul à être dans la merde. Si pour lui, sa vie sentimentale retrouvait la paix, celle d'Annie était plus mouvementée que jamais. Il avait entendu dire que pendant un moment, Heathcliff avait joué l'indécis, entre Annie et la cousine des VV. Désormais, c'était à Annie d'avoir le popotin entre deux chaises. « Mais, pourquoi tu vas lui dire ? Vous êtes censés vous remettre ensemble, c'est pas encore fait. Il n'est pas obligé de connaître toutes tes aventures qui se passent avant ? » Certes, l'honnêteté voudrait qu'elle le lui dise, mais le méritait-il vraiment ? « C'est pas comme s'il avait été, lui, un modèle de petit ami dans le passé ... Tant que tu te décides à ne plus aller voir Sean, moi je dis où est le mal d'avoir pris du bon temps avant de t'enfermer avec O'Conell ! » Andrew ne connaissait pas particulièrement Sean. Il en savait surtout qu'il était le grand frère de Zain, et que ce dernier vivait souvent dans l'ombre de son frère. Pour ce que Zain lui avait raconter, Andrew pouvait effectivement imaginer, qu'il s'accordait bien avec Annie ... Mais Heathcliff aussi. « Du coup, si je comprends bien, Heathcliff t'as choisi toi, et pas l'autre là, la cousine de Rose et Nina ? »