Cela devait faire un an et demi que nos parents avaient quittés la ville. Le temps passait à une vitesse hallucinante, si bien que je ne me rendais même plus compte des mois qui s'étaient écoulés depuis que j'étais devenue la responsable de mon frère et de ma soeur. J'avais honte, depuis tout ce temps, les Albright n'avaient pas fait beaucoup de soirées ensembles, soit parce que je travaillais, soit parce que nous vaquions chacun à nos occupations personnelles. Il m'était arrivé de passer quelques moments avec Ali à faire du skate devant la maison, ou à m'essayer aux jeux vidéos pour faire plaisir à Lynn, mais nous allions rarement au cinéma, au restaurant ou faire des trucs sympa comme le bowling, du karting et d'autres trucs du genre. Je ne devais pas être drôle comme soeur en y repensant bien... Quoi qu'il en soit, ce soir, nous avions décidé de manger en famille au fast food. Pour l'occasion, je m'étais habillé décontracté, mais pas trop non plus : je ne voulais pas faire honte à Lynn et Ali si, par hasard, nous croisions des amis à eux.

Après être arrivés au fast food, nous nous sommes assis à une table, et par curiosité, je n'ai pu m'empêcher de regarder autour de moi. Quelques mois auparavant, j'étais ici, avec Julia, à essayer de lui trouver un boulot pour qu'elle puisse s'échapper de l'emprise de ses parents. J'eus un sourire. Moi, Harper Albright, ouvreuse et plongeuse, j'avais donné des conseils à une fille telle que Julia Fitzgerald. Comme quoi, tout pouvait arriver un jour. Un serveur arriva et je commendai un Ice tea. Je laissais mes deux petits commender à leur tour et bus une gorgée en regardant au dehors. Je manquais de m'étouffer lorsque Lynn nous demanda pourquoi les parents étaient partis. Je jetais un regard à Ali, qui me regarda aussi et déglutis. Je m'appuyais sur la table. " Euhm... Ils nous ont fuit, sans raison. Je ne vois aucune autre explication, Lynn." Comment pouvais-je expliquer à une adolescente de seize ans, souvent innocente, que ses parents ne l'aimaient pas assez pour attendre encore une petite dizaine d'année qu'elle prenne son envol et qu'elle quitte le foyer familial? Comment lui expliquer qu'ils étaient partis sans se retourner en nous faisant croire à Ali et moi qu'ils reviendrait dans quelques temps? Comment lui expliquer de quelle manière j'ai compris, en regardant les jours défiler sur le calendrier de la cuisine, qu'ils ne reviendraient probablement jamais? Je compris alors pourquoi nos soirées en famille étaient si rares. J'avais peur de ces questions, j'avais peur d'être confronté aux larmes de ma soeur, aux remarques teinté de sarcasmes destinées à cacher sa tristesse. Je regardais par la fenêtre en espérant que ma soeur ne se mette jamais à pleurer à cause de ces deux abrutis qui nous ont abandonnés...

La perspective de passer un peu de temps avec ses soeurs avait ravivé quelque chose en Alistair. Il ne le montrait pas tellement, comme tout adolescent mâle qui se respecte, mais il aimait ses soeurs. Il n'était pas un monstre, et l'unité familiale avait sacrément souffert ces derniers temps. Un dîner en famille, ou ce qu'il en restait, ne pouvait qu'être positif.
La petite troupe des Albright se mit donc en route peu après qu'il soit rentré du travail, dans un silence confortable. Ils n'avaient jamais été très bavards entre eux. Suivant quelques mètres derrière (il restait un être indépendant, tout de même, il ne fallait pas pousser mémé dans les orties), il entra à la suite de Lynn et Harper dans le fast-food. Se ruant sur la banquette comme s'il avait encore 4 ans, ce que certains affirmaient parfois avec force, il se mit tout de suite à observer son environnement, par réflexe. Personne de connu à l'horizon, malgré le staff du restaurant. Bien.
Se détendant, il finit par s'emparer de la carte, confortablement installé sur son coussin. Un confort qui s'interrompit brutalement lorsque Lynn, manifestement en quête de réponses existentielles, décida de mettre l'absence de leurs parents sur le tapis. Prudent, Alistair observa Harper par-dessus sa carte, ne laissant dépasser que ses yeux et ses boucles. Concrètement, son regard devait ressembler à celui d'un chevreuil confronté aux phares d'une voiture lancée à pleine vitesse. Pauvre Bambi.
Harper finit par obéir à son devoir de grande soeur, comme d'habitude, et contourna plus ou moins habilement la question. Alistair se creusa les méninges pour y ajouter une pointe d'humour, qui sonnait horriblement faux.

"Maman t'avait bien dit que si tu ne rangeais pas ta chambre, elle finirait par partir !"

Non, après réflexion, c'était même franchement cruel. Il se reprit aussitôt, ajoutant:

"Non mais, ils finiront bien par revenir. Ils n'ont pas le choix après tout."

Etant décidément incapable d'améliorer d'un iota le climat de la conversation, le frisé préféra se replonger dans son choix cornélien entre wings de poulet, nachos et burger.

"Oui Lynn, c'est des cons, égoïstes et irresponsables." Je me rendis compte après seulement que ma phrase était emplie de haine, non seulement dans les mots, mais aussi dans la manière avec laquelle je les avais prononcé. Je préférais ne pas m'attarder sur ce sujet, et je crois que c'était notre cas à tous. Cela faisait toujours mal de penser ou de parler de ça, alors la plupart du temps, on se taisait à ce sujet. Je regardai Alistair, qui avait le nez plongé dans le menu. Pour ma part, je ne savais pas encore ce que j'allais manger. Je regardais la carte et m'etonnais de voir qu'ils faisaient des kebabs. Le fast-food avait évolué pendant mon absence. Je décidais donc de suivre mon envie et refermais le menu, décidée. Lorsque le serveur arriva, je lui demandais donc un kebab et laissais mon frère choisir, car ma soeur avait déjà choisit et Alistair avait toujours le nez plongé dans le menu. Il finit par refermer d'un coup sec le menu, le tendit au serveur et annonça sa commande. J'écoutais ensuite Alistair se moquer de Lynn et levais les yeux au ciel avec agacement. Cet enfant et ses boucles brunes avait vraiment un humour pourri, et il était mon frère. J'appuyais mon coude sur la table et posais mon menton dans la paume de ma main.

Je rêvassais, je pensais à Clyde lorsque ma soeur me sortit de mes pensées en nous demandant si nous aussi ça nous faisait du bien de sortir en famille. De son avis, je hochais la tête en leur souriant mais ne dis rien de plus. Être tous les trois au restaurant me rappelait l'époque où nous y allions avec nos parents. J'avais donc un poids sur le coeur à partager ce moment juste avec eux deux. Même si le plaisir n'en était pas moins absent. Je regardais de nouveau par la fenêtre lorsque je me rendis compte que je ne leur avais pas dit ce qui allait changer, et ce que j'avais fait pendant mon voyage à Toronto. En souriant, je m'avançais vers eux et leur dis : "Quand j'étais à Toronto, j'ai fais du mannequinat. On va pouvoir redécorer tout le bas, on verra plus tard pour l'étage." C'était une grande nouvelle, depuis qu'on attendait de pouvoir rendre notre maison plus jolie, on avait enfin l'opportunité de s'en occuper. Je venais de leur annoncer lorsque nos plats arrivèrent. Comme une gamine, je me mis à sauter doucement sur ma chambre, en salivant devant mon kebab. Cela faisait tellement longtemps que je n'en avais pas mangé.

(Désolée du retard )

Harper avait l'air un peu bougon, un peu ailleurs. L'arrivée de son kebab lui étira légèrement le coin des lèvres, et elle s'avança pour leur annoncer qu'ils allaient pouvoir mettre un peu de beurre dans les épinards. Alistair laissa son regard dériver sur la salle, un peu perturbé à l'idée que sa soeur avait fait du mannequinat sans leur dire. Ce n'était pas la première fois qu'elle ne leur disait pas tout, elle avait sa vie, Lynn et lui lui devaient bien ça après tout. Il haussa les épaules et se reconcentra sur la conversation.

"Ouais, on a bien besoin d'une table dans la salle à manger, c'est un peu la honte quand du monde débarque."

Il enfourna trois nachos dégoulinant de sauce d'un coup, sans se soucier du regard horrifié de la vieille de la table d'à côté. Cela leur faisait du bien d'être là, tous les trois. Après tout, c'était tout ce qu'il leur restait. Ils étaient leur seul famille, à chacun.

"Alors Lynn ?" Il s'essuya les doigts avec une serviette, retournant à son passe-temps favori. "Ca fait longtemps qu'on n'a pas vu Andrew à la maison ? Tu as quelqu'un d'autre en vue ?"

Il prit quelques nachos, attendant la réponse avec curiosité.

"Lynn, quand tu es mannequin, tu gagnes pleins de frics. On aura pas besoin de se limiter. On va faire de la chambre des parents une chambre d'ami aussi." Pourquoi garder leur chambre telle qu'elle, comme un musée, alors qu'ils ne reviendront jamais? J'avais déjà tout prévu lors de mon voyage à Toronto. J'allais donc abandonner mon travail de serveuse de steak pour attraper avec Cinzia Jordan, dans l'agence de mannequinat. Ce qui était déjà plus intéressant, et bien mieux payé. Je comptais six mois avant de pouvoir redécorer l'étage. Fière de moi, je piquais dans mon kebab, et regardais Alistair manger de la sauce aux nachos, et non pas des nachos à la sauce, avec dégoût. Lynn quant à elle, paraissait dans ses pensées. Lorsque j'entendis Alistair provoquer notre soeur, je soupirai, car je savais d'avance que Lynn allait répondre niaisement à cette question. Je regardais Lynn avec insistance et soupirais de nouveau lorsque j'entendis sa réponse. "C'est sa copine, c'est normal. Ils ont falli avoir un enfant ensembles, ne l'oublie pas. L'amour passe avant l'amitié, ce n'est pas pour autant que tu ne compte plus. Et dans le pire des cas où tu serais amoureuse de lui... Si tu sors avec lui un jour, je te renie." Je lançais un regard noir à Alistair, comme pour lui dire que ce n'était pas une bonne idée de lancer le sujet "Andrew le plus gros débile du quartier". Je soupirais et continuais de manger mon Kebab.

L'idée me vint alors de questionner mon frère sur ses dernières - ou premières - aventures amoureuses. Je voulais savoir quelle drôle de fille aurait le courage de supporter un gros lourdingue comme lui, et l'idée de savoir qu'il s'intéressait à la gente féminine me rassurait, lui toujours fourré avec Balt. Je commençais à avoir des doutes sur l'orientation sexuelle de ce dernier. "Bon, Ali, dis moi tout. As-tu une copine? Quelqu'un en vue? Je veux me préparer à recevoir du monde." Je lançais un clin d'oeil à Lynn, comme pour lui dire que je la vengeais. J'avais conscience d'être la suivante sur la liste, mais après tout, il fallait bien qu'ils sachent un jour les raisons de mon long départ à Toronto.



Spoiler:

Le frisé sourit malgré lui en entendant Lynn parler d'économies et de prix bas. Il se doutait qu'Harper avait du récolter un petit pactole; après tout, c'était sa soeur, et elle avait toujours été la plus belle du quartier aux yeux de tous ses copains d'école. La question de la chambre de leurs parents lui fit toutefois froncer les sourcils. Tout en touillant la sauce avec un nacho, il exprima le fond de sa pensée, mal à l'aise pour la première fois depuis longtemps.

"C'est... pas un peu tôt pour tout rénover ? Enfin. Je sais bien qu'ils ne vont sans doute pas revenir mais... On pourrait laisser ça à plus tard ?"

Il laissa son nacho baigner dans la sauce, l'estomac soudainement noué. Les dires de Lynn lui offrirent cependant rapidement une distraction.

"L'amour ne passe pas toujours avant l'amitié. Enfin, pour les mecs, je trouve que c'est même plutôt l'inverse, la plupart du temps. Moi je dis, quelqu'un qui laisse tomber ses potes pour sa copine, c'est un gros con. Enfin. Il y a des circonstances, comme tu dis, ils ont failli avoir un bébé, c'est sérieux et tout, mais en général, quand tu sors avec une fille depuis trois jours, ça sert à rien de tout envoyer balader comme si t'allais te marier à Vegas à la fin de la semaine."

Relevant les yeux de son assiette qu'il contemplait avec dépit, cherchant comment il allait avaler tout ça sans fin, il se retrouva coincé par le regard pas trop trop content de Harper, qui en profita pour se venger de Lynn et d'elle-même en l'interrogeant sur sa vie amoureuse. Bingo Albright, t'aurais du apprendre à tenir ta langue.

"Jeeeeee..." Et m*rde, il avait hésité. Vite, une stratégie, une parade, une diversion, n'importe quoi. "... n'ai personne en vue pour le moment qui mériterait qu'on transforme notre maison en hôtel, en tout cas."

Minable. De toutes les conversations gênantes auxquelles il avait réussi à échapper, celle-ci n'était décidément pas une réussite.

A ma grande surprise, Alistair ne parut pas enthousiaste face à mon projet de rénover la chambre de nos parents. Je ne voyais pas l'intérêt de se faire du mal et de laisser cette pièce ainsi alors que nous savions que nos parents ne reviendraient jamais. Je mangeais une nouvelle bouchée de mon kebab et regardais mon petit frère avec un sourire triste : "Ils ne reviendront pas, on doit tourner la page... On doit commencer notre vie à nous, et je pense que rénover cette chambre nous aidera à avancer." De toute manière, ma décision était prise, et je ne devais pas attendre leur accord pour nous faire avancer. Cette décision, je l'avais prit seule, car je savais que nos avis seraient partagés. Cela me brisait le coeur de retirer le seul souvenir qui nous restait de nos parents à Alistair et Lynn, mais d'un autre côté, j'étais convaincu qu'eux avait effacé, enlevé, jeté, brûlé tout souvenir de nous trois. "Je suis désolée... ma décision est prise." Comme pour me faire pardonner, je m'approchais de mon frère, pris sa tête pleine de boucles entre les mains et l'embrassais sur le front. Les blesser n'était pas mon but, au contraire, je voulais que cette famille avance et évolue.

"Nan bien sûr, tu as raison Ali, mais elle ne peut pas lui demander d'être présent comme avant..." J'ignorais les remarques de Lynn et continuais de manger, m'intéressant aux histoires amoureuses d'Alistair. Je vis bien qu'il mentait et qu'il voulait nous cacher des choses, mais je respectai son choix. Si déjà il était amoureux ou au moins attiré par quelqu'un, cela était une bonne nouvelle. Cela allait lui changer les idées, et peut-être même faire du bien à cette relation avec Balt qui entraîne le jeune rouquin dans des galères pas possibles, et tout cela à cause de mon petit frère. Comme je m'y attendais d'un certain côté, Lynn me questionna à propos de mes propres histoires d'amour. Je posais mon kebab, m'essuyais la bouche et les regardais d'un air grave. "J'ai été avec Cody Montgomery, mais c'est fini. Pour l'instant je n'ai personne en vue et je ne compte pas refaire les mêmes erreurs." Cody avait l'âge d'Alistair, voilà donc les raisons de ma réticence à m'engager avec lui. Mais j'avais cédé et j'avais laissé cet adolescent obsédé me draguer, mais j'en avais souffert par la suite, et voulant repartir sur de bonnes bases, j'étais partie. Je levais les yeux vers eux, honteuse de ma faiblesse. J'avais soudain l'appétit coupé.

Le geste d'Harper fit sourire le frisé. Malgré sa présence constante auprès d'eux, la jeune femme ne montrait pas souvent de tels signes d'affection. Il préféra se concentrer sur cette démonstration, plutôt que sur les projets futurs. Il gérerait ça plus tard, lorsque cela deviendrait concret, lorsque que l'évidence se présenterait face à lui. Lui qui était si débrouillard en primaire avait peu à peu laissé place à une technique, éviter tout ce qui pouvait le toucher de près, en se concentrant sur des bêtises qui l'éloignaient de ses problèmes réels. Mais s'ils redécoraient la maison, il allait peut-être pouvoir y passer un peu plus de temps, finalement.
Toujours est-il qu'il ne se dégagea pas sous le baiser de sa soeur, comme il l'aurait fait il y a quelques mois. Il sourit juste et retourna à ses nachos, alors que Lynn commençait à asticoter Harper. Enfin, asticoter, à la manière de Lynn, à petits pas silencieux de souris timide.
Une souris qui finalement, arrivait tout de même à provoquer des révélations détonnantes.

"CODY MONTGOMERY ?! Mais mais mais... MAIS IL A MON AGE !"

Horrifié, Ali repoussa ses nachos, qui avaient décidément bien du mal à se faire aimer ce soir.

"Brr... Un beau-frère qui aurait mon âge... c'est louche quand même !"

Déterminé à ne pas froisser sa soeur tout de même, il préféra repartir sur son terrain préféré. L'embêter.

"Tu es sûûûûre de n'avoir personne en vue ? Pas un petit prétendant ? Un tout petit mini ?"

Alistair ne se dégagea pas son mon geste d'affection et je souris alors, heureuse de voir que mon petit frère ne rejetait pas cette marque de tendresse si peu courante entre nous. Mais ce petit moment de bien être s'envola rapidement lorsque j'entendis ma soeur dire d'un ton sec et énervé que c'était moi qui décidais. Je la regardais de travers et repoussais mon assiette, soudainement dégoûtée. Si j'avais su qu'elle se comporterait ainsi, je n'aurai peut-être pas fait autant de sacrifices. Mais la réaction d'Alistair me rendit alors honteuse, et je baissais la tête. En sortant avec Cody, j'avais justement peur de la réaction de mon frère par rapport à l'âge de ce dernier. Je soupirais et répondis d'un ton las et honteux : "J'ai fais une erreur... Je me suis laissée avoir par les avances miteuses d'un adolescent..." Je soupirais et ne lançais pas même un regard à Lynn. Alistair tenta de pousser les informations un peu plus loin et me questionna sur mes fréquentations actuelles. Je secouais la tête, et ajoutais : "J'ai rencontré quelqu'un à Toronto, mais c'est aussi fini... Clyde Ainsworth me tourne autour, mais je m'en fiche." Je me mordis la lèvre. Non, je ne m'en fichais pas, et j'étais attiré par lui. Mais les rumeurs que j'avais entendu à son égard ne me donnait pas envie d'en savoir plus. De toute manière, mes préoccupations actuelles étaient loin de concerner ma vie sentimentale.
J'apportais mon verre à mes lèvres et manquais de m'étouffer lorsque j'entendis ma soeur. Je posais mon verre sur la table avec brutalité et me tournais avec elle. "T'es stupide ou tu le fais exprès Lynn? Ah non. Pardon. Ta vie ne se résume qu'à tes jeux vidéos et Andrew. Cody est ton voisin depuis que tu es née. Tu t'en souviens? Holly, Gabrielle, Daniel et Cody. La maison juste à côté de la nôtre." Mon ton s'était fait dure et énervée. Je soupirais et lançais un regard désespéré et dépassée à mon petit frère qui regardait Lynn avec une drôle d'expression. Je passais la main dans mes cheveux et grignotais les frites qui restaient dans mon assiette. Tout d'un coup, j'avais à nouveau faim. Il fallait que je fasse passer cette frustration.

Repoussant sa corbeille de nachos désormais vide, le frisé s'empara de la carte pour jeter un oeil aux desserts. Puisqu'Harper avait l'air d'avoir mis de l'argent de côté, elle ne se formaliserait pas s'il prenait une glace. Ou il soudoierait la serveuse. Haussant un sourcil mais ne quittant pas la carte des yeux, il prêta une oreille au ton de plus en plus piquant employé entre ses deux soeurs. Ce n'était pas la première fois qu'elles se disputaient, ni la dernière. Celui lui avait même offert une diversion plus d'une fois pour s'en aller discrètement après une énième bêtise.

"Le problème de Cody n'est pas forcément son âge, c'est la maturité qui va avec."

Même lui, Alistair Albright, canaille entre toutes les canailles, le trouvait un peu trop mariole, bien qu'ils aient le même âge. Reportant son attention sur Harper, il ferma la carte et la reposa entre le sel et le poivre.

"Dis donc les frites, c'est conseillé pour la carrière de mannequin ?" fit-il remarquer avec un sourire en coin.

Alpaguant la serveuse, il commanda un banana split et réussit à négocier un double supplément chantilly et le numéro de la jolie blonde. Il posa ensuite sa tête entre ses mains, les coudes sur la table, et fixa intensément sa jeune soeur, principalement pour la mettre mal à l'aise.

"Bon alors Lynn ? Quels sont tes grands projets, à toi ?"

Spoiler:

Alistair n'avait jamais vraiment eu de conversation sérieuse avec sa soeur, à part peut-être le choix des croquettes du lapin-nain quand il avait 8 ans. Ce n'était déjà pas un sujet qu'il abordait souvent avec Harper, alors Lynn... Il tendait de toute manière à s'échapper de tout sujet sérieux dès qu'il en avait la possibilité.
Mais puisqu'on y était, et qu'il y avait un besoin urgent de désamorcer la situation, autant en profiter. C'est qu'après quelques années à vivre avec deux filles, et un petit bout de temps à vivre UNIQUEMENT avec elles, il commençait à maîtriser l'art de la diplomatie. La 3e Guerre Mondiale, il la plierait en deux jours.

"L'informatique ?" Cela ne le surprenait pas vraiment. Enfin. C'était à peu près la seule chose qu'il savait de la vie privée de sa soeur, c'est qu'elle avait tout le temps le nez collé à son ordi. Cela avait du sens, et si elle était douée, c'était déjà pas mal.

"Et tu as trouvé un endroit où prendre des cours ?"

Dépliant sa serviette de table, il adressa un sourire aguicheur à la serveuse et jeta un regard appréciateur au banana split qu'elle venait de poser sur la table. S'emparant de sa cuiller, il entreprit d'attaquer le dessert, tout en jetant un oeil interrogateur à Harper. Cela risquait de faire beaucoup de projets pour leur portefeuille.

Il fallait réellement calmer le jeu car ce repas en famille tournait en pugilat. Je soufflais et posais mes couverts, soigneusement, sur le rebord de mon assiette. Je réfléchissais, j'en avais assez de voir ma famille détruite de cette manière, mais je ne savais comment faire pour arranger les choses. Je ne répondis donc pas à Lynn et regardais par la fenêtre, comme si quelque chose de très intéressant retenait mon attention. A cet instant, je n'avais qu'une envie, c'était d'aller courir sur la plage, me lâcher et retrouver cette sensation de liberté que je ressentais auparavant. Avant que nos parents changent. Mais nous ne pouvions revenir en arrière, surtout moi. J'étais l'adulte de la famille, je devais me montrer mature et responsable.

J'attrapais mon verre et l'amenais à mes lèvres. Mais les paroles de Lynn me surprirent à tel point que je manquais de m'étouffer. J'essayais de reprendre mes esprit et de retrouver ma respiration, mais je n'y parvenais pas. Lynn à la fac? Ainsi, l'informatique était réellement un projet pour elle. Et c'était tant mieux. Ainsi, étais-je la seule à ne pas être allée à la fac, alors que j'avais été la seule susceptible d'y aller lorsque nos parents étaient encore là. Je voulais y aller, c'était le commancement d'un rêve. Je baissais les yeux. Le mannequinat, ce n'était pas mal non plus. Ali ne parut pas surpris, mais je ne pus m'empêcher de regarder Lynn avec de gros yeux. Je finis par m'adosser à ma chaise et rétorquais : "C'est très bien. Je suis fière de toi."

Je lui adressais un petit sourire et jetais un coup d'oeil à Alistair. Les choses commençaient à aller mieux. Bien mieux.

HS : Désolée pour cet immense retard... Ma prépa me prend tout mon temps :'(