- Andreeeew … chuchotait Erica le plus fort possible. Andrew !

Il était 22h30, on était Dimanche et Magnolia dormait -ou du moins somnolait- déjà devant le poste de télévision, ses habitants déprimés de devoir attaquer une nouvelle semaine et d’avoir vu leurs week-end passer aussi vite. Erica s’efforçait de ne pas faire de bruit, mais ne lâchait pas l’affaire. Elle voulait à tout prix parler à Andrew, coûte que coûte.  Son après-midi à l’église lui avait fait le plus grand bien et l’oreille attentive d’Aaron suite à son coup de blues l’avait convaincu. Convaincue d’allé trouver son tortionnaire, non pas pour lui offrir quelques sourires hypocrites et balançait deux-trois piques cinglantes, mais pour parler véritablement. Erica se souvint d’avoir le numéro de téléphone portable d’Andrew, elle sortit son smartphone et lui envoya un texto.  «  Rejoins moi dans ton jardin, c’est urgent » écrit Erica à l’intention de Davies. Elle s’en alla derrière la maison et s’assit sur une chaise du salon de jardin, qui quand elle y posa ses fesses, lui glaça les cuisses. La démarche allait sûrement étonner Andrew pensa Erica, mais elle ne pouvait attendre et plus elle zappait les chaînes de sa TV, plus l’envie d’exprimer ce qu’elle avait sur le cœur la démanger. S’accoudant sur la table, elle blottit son visage contre ses paumes de mains et se demanda si perdre toute dignité à 22h30, un dimanche soir et face à la personne envers qui elle était la plus rancunière, était réellement une bonne idée.

Andrew commençait à stresser sérieusement. Il avait passé la dernière ligne droite, ses examens arrivaient. En fin de semaine, exactement. Il lui restait deux jours devant lui, pour vérifier qu'il avait bien tout ingurgité. Jamais il n'avait été aussi studieux et sérieux, ses livres et cahiers ne le quittaient plus, ses exercices étaient retenus jusqu'au bout des doigts, les chiffres de sa calculatrice s'effaçaient à force d'avoir été utilisés. Il était 22h30, et il relisait une énième fois ses définitions d'économie, dans son lit. C'était du jamais vu. Si, il y a quelques mois, on lui avait décrit la scène, il aurait ri, très fort, et se serait foutu de la gueule de l'inconscient qui affirmait que cela arriverait. Quelle idée apocalyptique. Pourtant, aujourd'hui, Andrew avait bien évolué en un sorte d'étudiant momentanément studieux. Une fois ses examens passés, il reprendrait ses mauvaises (enfin, bonnes) habitudes. C'était son instinct de survie, qui motivaient ses révisions effrénées. Une fois la crise passée, il serait incapable de lire un bouquin de cours un soir dans son lit. Déjà là, il avait du mal à se retenir de le balancer à l'autre bout de la pièce. Seul problème, sa chambre était en bordel. Jeter son livre et il risquait de ne pas le retrouver le lendemain. Tant pis, il devait lire. Son portable sonna alors, probablement Lou qui le sortait de ses révisions. Il sourit d'avance, un sourire qui disparut aussitôt quand il lut le nom du destinataire. Erica. Il ne savait pas trop sur quel pied danser, que signifiait ce sms ? Qu'elle était dans son jardin, et déjà ça, ce n'était pas rassurant. Il l'imaginait déjà en train de taguer sa balançoire au kiri, prise d'une crise frénétique, les yeux en flammes, prête à se venger du traumatisme causé dans l'enfance. Il enfila un pull et un survet, attrapa une bâte de baseball au cas où puis descendit.
« Putain mais Erica tu fais quoi dans mon jardin la nuit ? » Il regarda autour de lui, aucune dégradation. Mais il n'osait pas se rassurer pour autant.

Erica attendait, toujours la tête blottie dans ses mains, qu’Andrew daigne montrer le bout de son nez. Impatiente d’enterrer la hache de guerre, se demandant pourquoi il ne venait pas, elle se sentait prête à lui envoyé un nouveau message et même le harceler littéralement si il ne venait toujours pas. Etant donné la nature de la relation, Andrew pouvait très bien s’imaginer à une blague, qu’est-ce qu’Erica pouvait bien faire dans le jardin des Davies à pareille heure. Elle rangea son portable à sa place lorsqu’elle vit son tortionnaire sortir de sa maison, aucune utilité de lui envoyer un sms un nouveau sms finalement. A l’instant où elle le vit, Erica sentit sa gorge se bloquer et l’incroyable de ce qu’elle voulait faire lui faisait appréhender le moment où elle devrait parler. Si elle était prise d’un dégueuli de mots à la manière de Cady Heron et qu’elle pourrissait Andrew comme une malade atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette, est-ce qu’il faudrait définitivement oublier cette hypothétique réconciliation ? Priant intérieurement un Dieu, qu’elle ne connaissait pas, afin de ne pas rencontrer cette éventuel Gilles qui sommeillait en elle, Erica inspira un grand coup avant de se lancer.

- Je sais que la situation totalement incongrue, mais je te promets que je viens en paix. Andrew, je te hais tellement depuis toutes tes moqueries à mon égard … Je hais le monde entier et je hais ça encore plus, dit-elle les yeux larmoyants. Tu dois me trouver ridicule, mais j’ai besoin que tu saches à quelle point tu m’as fait du mal, que tes mots ont eu un impact sur ma vie...

Cette première approche donna la nausée à Erica, elle se sentit vertigineuse comme si elle n’en avait pas encore dit assez. Finalement, c’était bel et bien un dégueuli sincère qu’elle venait de gerber à Andrew. Comme si elle faisait tomber le masque, qu’elle redescendait du piédestal qui lui servait de carapace et venait trouver Andrew pour de vrai, sans courbettes et piques déguisées en courtoisies.

Il n'était pas tard, pourtant Andrew se sentit subitement fatigué. Peut-être la confrontation avec la nuit déjà tombée. Ah moins qu'il ne devienne tout simplement un petit vieux. Il soupira d'avance, Erica avait peut-être trouvé un concept tellement brillant pour se moquer de lui, qu'elle ne pouvait attendre le lever du jour. Ce qu'elle n'avait jamais compris, depuis son retour, c'est qu'il n'était pas superficiel comme elle. Il n'avait que faire de ses artifices, et jamais il ne la considérerait supérieure pour ses accessoires. La supériorité, c'est un truc qui vient de l'intérieur, c'est du charisme, de la prestance. Tout le monde sait que Erica ressemble à une trainée. Il regrettait presque d'avoir été si odieux avec elle plus petits, car elle aurait pu être sympathique. Après tout, Lily l'était alors qu'elle était rousse, grosse ne pouvait pas être le pire handicap du monde (oh bordel mon pauvre Andrew comment tu penses dans ta tête). Le sort en avait décidé autrement, voilà.

« Que, quoi ? » Il fronça les sourcils. Erica ne venait pas de parler en chinois, pourtant dans la tête d'Andrew, c'était comme tel. Il décrypta un à un les mots du kiri, afin de les comprendre. « D'accord. Euh, voilà, je le sais. » C'était ce qu'elle voulait, non ? Il était au courant, elle était contente, elle pouvait le lâcher. Elle l'ennuyait, il ne comprenait pas pourquoi elle venait ressasser des faits si vieux et insignifiants. Quoi que, à l'entendre, ses moqueries avaient gâché son existence. « Tu veux dire quoi, en fait ? Que à cause de moi t'as fait un régime et que t'es devenue la chef des pompomgirls qui martyrise certaines filles et se fait respecter par tout les ados de ton âge ? Ben ... dis moi merci ! » Quand il faisait le bilan, il ne pouvait pas croire que Erica, la superficialité incarnée, se plaignait de sa condition actuelle.

Andrew ne comprenait fichtrement rien, décidément. Encore une fois, la réaction d'Erica le surprit, il tomba dans une incompréhension totale. Ses yeux s'écarquillèrent et la regardèrent fixement, attendant une explication plausible qui ne vint jamais. S'imaginait-elle vraiment qu'il croirait à ses salades ? Erica qui reniait ses avantages royaux, ça ne se voyait que dans les séries télé, où la méchante devient toute gentille et où ceux qu'elle a martyrisé lui pardonnent de les avoir ridiculisé devant le plus beau mec qui, magie, n'aime plus la méchante mais la gentille. Si la vie d'Erica ressemblait à ces niaiseries, il préférait ne pas être au courant, et couper court à la conversation, au plus vite. Malheureusement, il fondait peu d'espoirs dans un départ rapide de la jeune fille. Il s'appliquait sans le vouloir à répondre à côté de ce qu'elle attendait. Pourtant, il souhaitait plus que tout lui dire les mots qu'elle souhaitait entendre, afin qu'elle déguerpisse, satisfaite. Il n'avait que faire de sa lubie. D'ailleurs, il n'arrivait pas à trouver ce qui motivait son comportement. Elle n'était pas du genre à croire à la rédemption. Une blague, seule explication logique. Il tourna la tête, aucun des amis de la jeune fille ne semblait caché dans un bosquet, en train de filmer la scène où Andrew se ridiculiserait. Néanmoins, il resta sur ses gardes. Elle pouvait très bien avoir placé une mini caméra dans son décolleté. « Ordure ? Mais t'en es une tous les jours toi ! » se défendit-il. Sara lui avait déjà raconté les crasses que Erica faisait subir à Grace, au lycée. Andrew en aurait ri, s'il n'avait pas été obligé de se tenir du côté de la blonde. C'était drôle ... Mais aussi sacrément dégueulasse. Rabaissant, répugnant. Comment cette demoiselle pouvait-elle ensuite lui reprocher d'avoir usé des mêmes humiliations étant petit ? Humiliations bien plus soft, d'ailleurs. Une comparaison à un kiri pouvait être appréciée par des fans du fromage. Tout était relatif. « T'es en train de me dire quoi, que t'aimes pas ta vie superficielle ? A d'autres ! Okay, ne me remercie pas, mais franchement tu veux quoi, des excuses ? Dans ces cas là, t'as une longue liste de personnes auprès desquelles tu dois aller t'excuser, ensuite. » Il était un peu vexé de passer pour le méchant, dans l'affaire, alors qu'au fil des années, ses moqueries n'étaient que légèreté. Erica, elle, sévissait au lycée. Dans cette jungle où chacun cherche à survivre, elle détruisait la réputation, le morale et la santé, des gens qu'elles jugeaient inférieurs à elle. C'est qui, le méchant dans tout ça ?

Il ne pouvait pas croire qu'Erica niait ses responsabilités. Lui, par contre, devait s'excuser ? C'était incroyable. Mais à quoi bon, aucun des deux ne changeraient d'avis. Qu'est-ce qu'il y gagnerait, à s'excuser. Rien du tout. Par contre, Erica semblait sous entendre qu'elle avait besoin de les entendre. Il soupira longuement, n'osant pas la croire, encore. Elle se jouait de lui, c'était obligé. Mais se jouer de lui à vingt trois heures, putain fallait le vouloir. Il se mit à douter de ses convictions, du coup. Peut-être était-elle sincère. Mais la peur de se faire avoir était forte encore. Et puis, boire une bière, c'était bien la preuve qu'elle ne le connaissait pas. « Je bois pas d'alcool, je te rappelle, sauf si tu veux que je replonge » Pour ça, fallait passer plus tôt. Il était sorti gagnant de sa spirale infernale. Il avait retrouvé Lou, retrouvé la vie. Et finalement, ce fut tout ça qui le motivèrent à lui répondre. Si ça pouvait l'aider, il compatissait. Et si c'était une blague vaseuse, tant pis. Après tout, il était au dessus de ça et des jeux enfantins de la jeune fille. Si elle avait besoin de ça pour se sentir vivante, grand bien lui en fasse. La vie, c'était pas ça. « Je suis désolé si je t'ai fait du mal quand on était ptits » Il souffla, ça faisait bizarre. « Tu viens ? » enchaina-t-il. C'était fait, elle avait dit vouloir une bière maintenant, non ? Il regagna la cuisine, Erica sur ses talons. Il ouvrit le frigidaire, il avait enlevé les bières, maintenant qu'il allait mieux, pas besoin de tentation inutile. « Je reviens » Il avait tout mis dans le frigo dans le garage, si un jour, au cas où. Voilà quoi. Il revint rapidement et lui tendit la canette. Il se prit un coca, c'était presque drôle, ce genre situation.« A quoi on trinque ? »

Andrew n'en voulait pas vraiment à Erica d'avoir oublié son alcoolisme. Au contraire, il préférait s'en réjouir, de savoir que cette étiquette n'était pas collée sur son front. Surtout dans ce quartier, où on s'obstinait à définir les gens. Il était l'alcoolo, Alicia fut la commère, l'Evans était frigide et la Cleavers infidèle. Sans mentionner toutes les bitch, putes et autres salopes qui peuplaient ce quartier. Depuis toujours, Andrew aspirait à n'être rien du tout, comme tout le monde ici d'ailleurs. C'est bien pour ça que ses parents l'avaient envoyé en cure à Londres. Pour préserver la pureté du nom Davies, dans une ville où ils ne venaient même plus. Il soupira. En vrai, il avait toujours pensé que Erica aimait colporter ces commérages qui définissaient les gens. Et l'idée qu'elle souffre de ceux qui pullulaient sur son nom n'avait jamais effleuré son esprit. Elle était glaciale, implacable, les critiques rebondissaient sur elle sans aucun effet. « A cette nouvelle amitié ! » renchérit-il avant de se désaltérer. L'une des plus surprenantes amitiés qui soient, d'ailleurs. « Pourquoi t'as ressenti le besoin de venir, genre maintenant en pleine nuit ? » Peut-être était-elle malade, ou prête à déménager du quartier.

Andrew voulait en savoir un peu plus sur tout ça. Sur la grande révélation d'Erica, sur sa métamorphose. Son maquilleur l'avait-il laissé trop longtemps sous l'appareil bizarre qui sert à boucler les cheveux ? Une divinité antique lui était-elle apparue, chargée d'un message ? Pas loin. Quand elle évoqua l'église, il pouffa. « Mais qu'est-ce que tu foutais dans une église ? C'est bien le dernier mois où je t'imaginerai ! » la railla-t-il gentiment. Elle devrait admettre qu'il était dans le vrai. Elle était bien trop diabolique. Il l'imaginait bien, arrêtée à l'entrée par une force mystique, parce qu'elle était un être trop immoral, parce qu'elle avait commis trop de pêchés pour que son âme soit sauvée. Comme les vampires qui ne peuvent entrer dans un lieu sans y être invité.

Il se renfrogna un peu, quand elle lui demanda un service. Sa transformation s'arrêtait donc là. Conciliant, il hocha néanmoins la tête. Il ne souhaitait pas raviver une dispute. Néanmoins il était un peu déçu. A quoi bon venir ici si elle en avait honte ensuite ? « Pourquoi tu ne veux pas que ça se sache ? Je pensais que tu avais changé » Ce n'était pas prononcé sur le ton d'une attaque, il voulait juste savoir, comme ça.

C’est vrai qu’imaginait Erica Daniels dans une église était assez étrange, on pouvait l’intégrer à un bar un peu branché ou l’associer à un évènement de la ville où elle aurait le plaisir de se montrer, sous des angles parfaits de fille rangée. Mais il y avait l’église, la piété, la ferveur d’un côté et de l’autre Erica, l’hypocrisie, les non-dits, la manipulation ainsi que les jeux dangereux. D’ailleurs, c’était pour jouer un rôle qu’elle s’était retrouvait dans cette église, seulement la douce voix d’Aaron l’avait lassé de son jeu et fait craquer.

- Quand je ne suis pas bien, je vais brûler un cierge. Des vestiges de mon éducation ! Mentit-elle le plus naturellement du monde en balayant ses mots d’un geste de la main furtif, pour passer outre de ce détail.

Elle n’allait pas lui dire que ça lui plaisait de se faufiler dans un isoloir pour raconter des insanités à un prêtre confesseur ou de rester des minutes entières sur un banc à faire semblant de prier. Déguisée d’accessoires qu’elle ne mettait jamais, camouflant son vrai visage et rentrant dans la peau de quelqu’un d’autre n’étaient pas quelques choses de communs. Erica commençait à dandiner sa tête dans tous les sens prête à interrompre Andrew, quand il lui parla de changement.

- Je n’ai jamais dit que j’avais changé, j’ai juste fait la paix avec toi mon cher voisin, lui lâcha-t-elle dans un sourire avant de lui donner l’accolade. Toujours avec la jolie Lou ? demanda Erica malicieusement une fois son buste desserrée de celui d’Andrew.