Lynn avait beau être assez grande maintenant, sa grande soeur avait encore un peu de mal à la laisser seule. Elle risquait de s'ennuyer, certes, mais finalement les adolescents avaient peut-être tout autant besoin que les enfants d'être surveillés. Summer comprenait donc très bien ses doutes, et après tout comme Lynn était très gentille elle ne voyait aucun inconvénient à passer la soirée avec elle -au contraire.
Aussi la rouquine se prépara-t-elle à une soirée baby-sitting qui serait plutôt du teen-sitting. En fait, elle se contenterait de passer la soirée avec Lynn; elles pourraient s'amuser, regarder un film... sa seule mission était de vérifier qu'elle ne fuguerait pas ou n'irait pas se coucher à deux heures du matin. Quand elle arriva chez les Albright, Lynn ne tarda pas à lui ouvrir. « Coucou ma belle! ça va très bien et toi? » Lorsque Lynn la laissa entrer, elles allèrent toutes les deux dans le salon, où la jeune fille l'interrogea sur le programme de la soirée. Summer retint un léger rire en l'entendant proposer d'aller jouer dans sa chambre; la pauvre! elle n'allait quand même pas lui refuser un film comme si elle avait six ans! Souriant d'un air bienveillant, miss Andrews acquiesça. « Pizza, c'est parfait! on peut les commander maintenant si tu veux, comme ça elles arriveront juste à l'heure pour le repas! » proposa la jeune femme avant de ne répondre à l'inquiétude de son amie. « Et pour le film c'est une super idée! Tu ne vas pas aller dans ta chambre voyons, on le regardera ensemble. Tu sais déjà ce que tu veux voir? » demanda Summer d'un ton qui se voulait rassurant. Cela dit, en y réfléchissant, Lynn voulait peut-être aussi prendre son indépendance, quelque part, et ne pas avoir sa "nounou" dans les pattes. Aussi se reprit-elle, d'un ton doux: « Enfin, sauf si tu préfères rester seule, je comprendrais il n'y a pas de problème. »

Définitivement, Summer n'était plus la nounou d'il y a quelques années; pour autant, elle refuser de passer de la nounou-flic qui vérifiait que l'enfant prenait bien son fluor à celui de la surveillante un peu pénible qui faisait si peu confiance à sa petite protégée qu'elle lui soumettrait un éthylotest. Sans aller jusque là, elle voulait surtout ne pas instaurer de règles strictes alors même que ce n'était plus vraiment le but de sa venue. Harper le savait aussi très bien, Lynn était une grande fille; peut-être était-il nécessaire de la surveiller un peu -les adolescents, de nos jours... si elle avait eu la maison pour elle, une fête géante s'y serait peut-être déroulée, qui sait!-, mais il n'était certainement pas obligatoire de l'enfermer dans sa chambre. Fut-ce pour "jouer". Après tout, le fait d'être dans le salon ou dans la chambre ne changeait pas grand chose, à moins de ne disposer d'une chambre antiatomique (antiatomique, sérieusement?)... d'autant que si elles étaient toutes les deux dans le salon, elles pourraient discuter comme de vraies amies.

« Alors je prendrai une Espagnole! » pizza devant un film... la belle vie! En attendant d'entendre glapir la sonnerie de la porte qui signifierait que les pizzas étaient arrivées, il faudrait choisir ledit film. « Parfait! Je te laisse le choisir, tout me va. » Affirma-t-elle à peu près sûre de ce qu'elle avançait. Après tout le film serait peut-être prétexte à la discussion, de fait elle n'avait pas trop à s'inquiéter de ne devoir endurer la diffusion de ce qu'on appelait communément un navet. En attendant, la rouquine était vraiment ravie à l'idée de pouvoir parler à Lynn, et elle fut plus enchantée encore en constatant qu'elles avaient la même idée de la manière dont elles parleraient: en amie. Summer aurait catégoriquement refusé que la petit Albright la considère simplement comme une nounou -ça l'aurait fait se sentir vieille qui plus est- et elle était donc particulièrement partisane de l'idée de pouvoir lui parler comme ça une amie. « C'est parfait! D'ailleurs... c'est toi qui va commencer à me parler de toi. » Affirma Summer dans un sourire bienveillant. Elle voulait en savoir un peu plus sur Lynn étant donné qu'elles n'avaient pas vraiment eu de conversation sérieuse depuis que la petite fille lui avait parlé de son mariage futur avec son doudou -elle avait alors quatre ans, autant dire que les choses avaient dû changer. « Comment se passent les cours? Les amis? Les amours? Je veux tout savoir! » riant légèrement de sa propre curiosité, Summer voulait aussi par là lui faire savoir qu'elle était libre de ne répondre qu'aux questions qui ne l'embarrassaient pas. Elles n'étaient là que pour discuter; elles ne discuteraient que de choses dont elles souhaitaient toutes les deux parler.

« Eh oui ça existe! Le pire, c'est que c'est délicieux. » Affirma la rouquine au sujet de son choix de pizza. Lorsque Lynn choisit un film d'horreur, Summer songea qu'elle avait bien grandi; elle n'était plus vraiment la petite fille à qui elle faisait des toasts et qu'il fallait débarbouiller après son goûter. Non, elle regardait des films que même miss Andrews avait un peu peur de regarder, pour être honnête. « En fait, si, j'ai un peu peur, mais je suppose que ça ira si on est deux! » Relativement peu convaincue, elle se disait qu'elle pourrait toujours fermer les yeux si ça devenait trop difficile de regarder la télé sans être certaine de faire des cauchemars la nuit suivante.

Souriant d'un air amusé quand la jeune fille rappela qu'elles se connaissaient depuis son plus jeune âge, Summer écouta attentivement ce qu'elle lui disait sur sa vie actuelle -qui était bien l'objet premier de sa question. « Tu as déjà des idées de ce que tu veux faire pour l'année prochaine ou c'est encore le flou total? » S'enquit la secrétaire d'un ton bienveillant. « Hm oui j'ai entendu parler de Andrew. Tu devrais lui en parler si tu as le sentiment qu'il s'éloigne de toi, je suis sûre que ce n'est pas conscient. » Conseilla la rouquine, se mettant à la place de son amie: il n'y avait rien d'agréable à sentir un ami proche s'éloigner parce qu'il était trop occupé ailleurs. Mieux valait essayer de prévenir ce mal que de le guérir, et donc avoir une conversation avec mister Davies pouvait être utile pour la petite Albright.

En entendant le nom de Lorenzo, Summer tiqua. Il lui semblait que ça faisait déjà des siècles qu'il était parti de la maison pour louer une chambre d’hôtel, des siècles qu'ils avaient décidé de mettre un terme à leur vie commune... des siècles, et ils ne l'avaient toujours pas fait. Pourtant déjà la rouquine pensait-elle à quelqu'un d'autre... très, très fort. « Pas... vraiment. En fait nous avons décidé de divorcer. » Affirma miss Andrews d'un air un peu résigné quoique nostalgique. « ça fait déjà un petit moment, pour être honnête. C'est ce qui devait arriver tôt ou tard, je pense... »

Summer était ravie que Lynn lui ait proposé de manger des pizzas. Elle ne se sentait pas vraiment d'attaque pour faire de la grande cuisine et n'avait pas vraiment envie de sortir, fut-ce au restaurant vietnamien du coin -et d'ailleurs, finalement, ç'aurait été un gâchis de pétrole... et Summer n'aimait pas la cuisine épissée, alors autant dire qu'il était totalement plus raisonnable et logique de commander des pizzas. D'ailleurs, la petite Albright demandait à ce qu'elle lui fasse goûter la sienne. « Oui bien sûr, sans problème! » De toute façon, miss Andrews se doutait bien qu'elle n'allait pas manger toute sa pizza toute seule -autant donc en faire profiter son amie.

Cette dernière envisageait pour la suite de regarder un film d'horreur... chose avec laquelle Summer n'était pas très à l'aise. Elle se voyait déjà sur le canapé dans une pièce plongée dans le noir, ne laissant se différencier l'auditoire de noctules que par la lumière vive qui provenait de la télé et leur brûlait la rétine de ses images pourtant sombres. Elle aurait probablement préféré se comporter à la manière d'un preux chevalier sans peurs et sans craintes qui chevauchait à travers contrées pour sauver le monde, mais, définitivement, la rouquine était plutôt du genre à serrer un coussin contre elle en se cachant à moitié les yeux devant un film effrayant. Il était peut-être plus facile d'en regarder un enveloppée dans des bras rassurants, mais la secrétaire ferait avec la présence seule de Lynn. Pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un film où le scénario stipule que les amis du héros se transforment en monstre sans nom sans crier garde... En tout cas, il était déjà rassurant de savoir que Lynn aussi avait besoin de compagnie pour oser regarder ce genre de production. « Ah, tu me rassures! J'ai l'impression que les jeunes de nos jours trouvent ça normal... moi ça me terrorise. » Confia-t-elle, réalisant à peine qu'elle avait l'air d'une grand-mère en parlant de la sorte. Elle n'était pas si vieille que ça, après tout.

Avant de ne passer aux choses terrifiantes, donc, Summer parlait de son avenir à la jeune fille... ce qui au fond pouvait être tout aussi terrifiant. « Je pense que c'est une très bonne idée! En plus on trouve encore assez facilement du travail dans cette branche, alors si ça te plait, fonce! » S’enthousiasma-t-elle plus pour faire savoir qu'elle l'avait écoutée que pour la conseiller à proprement parlé. Summer se doutait que ça pourrait toucher à l'informatique, mais elle était tout de même ravie d'entendre de sa bouche qu'elle allait suivre son rêve.
La rouquine était ravie de pouvoir discuter avec Lynn qui, définitivement, avait bien grandi désormais. Elle avait une affection toute particulière pour les Albright, et quelque part les voir peu à peu s'épanouir dans leurs vies respectives la comblait de joie. Leur épanouissement pourtant était parfois tacheté de quelques encombres, mais les jeunes femmes savaient qu'elles trouveraient toujours en elle une oreille attentive -c'est ainsi que Lynn se confiait à elle en ce qui concernait Andrew. « Je vois... Peut-être que ce n'est qu'une question de temps -je te le souhaite! »

En sachant que Lynn était au lycée, Summer était quasi réticente à l'idée de parler de sa vie personnelle. Cela dit, elle faisait assez confiance à la jeune fille pour envisager qu'elle ne répète pas tout ce qu'elle lui dirait. Aussi s'efforça-t-elle de voir en elle non pas une élève mais une amie: Lynn était honnête de son côté puisqu'elle avouait avoir entendu des rumeurs qui couraient. ça n'étonnait qu'à moitié Summer. « Ah... eh bien elles sont fondées malheureusement. » Acquiesçant d'un air un peu résigné, Summer força un sourire. « Par contre, n'en parle pas trop autour de toi, s'il te plait... ça ne regarde pas nos élèves, et ce sera plus facile à gérer pour nous si ça ne devient pas le scoop du siècle! » Riant très légèrement, la rouquine posa un regard bienveillant sur Lynn, convaincue qu'elle ne le répéterait pas. Après tout, elle était digne de confiance.

Souriant pour signifier à son amie qu'elle serait ravie de lui donner un bout de sa pizza, Summer constata de fait qu'elle ne la considérait plus vraiment comme une enfant qu'elle devait garder mais bien comme une adolescente à qui elle tenait compagnie. Quelque part, elle l'avait vue grandir, d'une certaine manière. Elle devait avouer que ce sentiment était gratifiant, même de loin: elle avait déjà remarqué avec ses élèves qu'elle avait tendance à avoir un pincement au cœur protecteur en les voyant s'épanouir dans leur vie de jeunes adultes, et ce même depuis derrière les vitres d'un bureau de secrétaire.

En attendant, comme les enfants grandissaient, il arrivait que certains se prennent au jeu des films d'horreur... attrait que Summer ne concevait que très modérément. D'ailleurs elle confia ses craintes à Lynn. « De toute façon la moitié d'entre eux doit déjà prétendre ne pas avoir peur alors que c'est totalement faux... En fait, on est juste courageuses d'assumer qu'on ne l'est pas, CQFD! » D'un air faussement sûr d'elle, Summer acquiesça pour appuyer ses propos malgré le sourire en coin qui traduisait son amusement. Elle était certaine que certaines personnes considéraient comme inacceptable de se montrer peureux face à des films qui, pourtant, étaient précisément conçus pour faire peur -alors ou était le mal à admettre qu'ils y parvenaient?

Elles se soutiendraient donc dans cette épreuve. En parlant des études que Lynn envisageait, Summer eut à nouveau l'impression de la voir grandir à vue d’œil. Elle quitta son sourire attendri à l'évocation seule de Lorenzo, comme si, quelque part, il était un "détail" qu'elle omettait de temps à autres pour se rassurer. « Il a raison, c'est une bonne idée. » ... et de l'indifférence repasser à une forme de tendresse qu'elle n'expliquait que par le temps et les épreuves passés ensemble. Pas toujours main dans la main, mais au moins ensemble. En l'occurrence, le fait qu'il était de bon conseil pour ses élèves n'avait aucun rapport avec leur mariage et la rouquine savait donc instinctivement faire la part des choses: Lynn devait penser à son avenir.

D'ailleurs, la jeune fille avait une vie plutôt chargée: elle était en effet également préoccupée par des problèmes amicaux vis-à-vis de Andrew. Quoiqu'elle ne connaissait que relativement peu la situation, Summer entendait lui donner espoir. « C'est vrai, tu as sûrement raison, en prenant vos distances vous apprendrez peut-être à mieux vous retrouver par la suite: c'est l'avantage de l'amitié! » Il leur était "autorisé" de ne plus être très proches un temps sans pour autant perdre leur complicité lorsqu'ils se retrouveraient, ce qui était un avantage considérable.

Comme il semblait logique qu'elle le fasse, la conversation se porta sur le divorce imminent de Summer et Lorenzo. Sujet que la rouquine devait aborder fréquemment ces derniers temps, au point qu'elle parvenait relativement habilement à y faire face avec une sérénité certaine. Pourtant, elle ne pouvait nier ce petit élan de nostalgie insoupçonnée qui apparaissait discrètement en entendant dire qu'ils allaient bien ensemble. « C'est gentil... » affirma-t-elle avec un sourire bienveillant. En attendant, même si elle confirmait, Summer demandait à Lynn de ne pas trop ébruiter l'affaire... malheureusement pour elle, le bruit courait déjà -et à toute allure, qui plus est. C'est ce que lui rappela Lynn, glaçant légèrement son sang. « Oh. Je vois. On devait s'y attendre, hein. Pourtant ce n'est si intéressant que ça. » Elle disait ça mais comprenait tout à fait l'engouement des adolescents pour le remake des feux de l'amour qui se tournait secrètement en salle des profs -elle aurait été pareil à leur âge, curieuse comme elle était. « Enfin en tout cas, si on te pose des questions, je ne t'ai rien dit... ça évitera au moins de leur donner du grain à moudre. »

Elles furent interrompues par l'arrivée du livreur de pizzas, un peu en retard au demeurant mais dont la gueule d'ange le rendait immédiatement étrangement pardonnable. Les jeunes femmes prirent les pizzas, payèrent, et purent passer à table. « Tu veux qu'on mette le film maintenant ou après manger? » s'enquit la rouquine, désireuse de laisse Lynn choisir le déroulement de sa soirée.

Summer était ravie de se découvrir de nouveaux points communs avec Lynn, notamment en ce qui concernait leurs avis sur les films d'horreur. Ils divergeaient quelque peu dans la mesure où la rouquine n'en avait pas regardé depuis deux bonnes décennies (pour vous dire, la dernière fois qu'elle avait regardé un film chez quelqu'un -Peter- elle avait opté pour Despicable Me), mais au moins Lynn n'était pas de ces personnes qui prétendaient que le sang-ketchup était tout sauf effrayant. C'était effrayant. D'ailleurs le sang n'était seulement pas le seul problème de ces films à l'ambiance oppressante. Souriant de bon cœur, Summer sella l'accord de son petit silence; elles regarderaient un film d'horreur et seraient terrifiées ensemble.

La secrétaire se laissa aller à une petite gêne en entendant le nom de son presque ex-mari, réalisant qu'il y aurait toujours en elle une sorte de petit pincement au cœur quand elle entendrait son nom. Une sorte de nostalgie, quelques souvenirs par-ci par-là, une pointe de haine et un soupçon de tendresse. « Je n'en doute pas! » Il fallait reconnaître à l'italien qu'il était particulièrement impliqué dans son travail. Il essayait vraiment de considérer ses élèves dans leurs spécificités, pas juste en tant qu'ils étaient un groupe d'adolescents un peu fainéants.

En ce qui concernait le meilleur ami de Lynn, Summer ne pouvait que compatir à ce qu'elle ressentait; si les chagrins d'amour étaient souvent mis au centre des discussions et intrigues télévisées, les déceptions amicales étaient un problème tout aussi douloureux, presque aussi récurrent et bien moins exacerbé et reconnu comme souffrance en tant que telle. Pourtant il n'y avait rien de pire que de tenir à l'affection de quelqu'un et de ne pas sentir la même implication en retour. En l'occurrence, Summer ne pouvait malheureusement pas beaucoup aider Lynn, si ce n'est en lui faisant savoir qu'elle comprenait ce qu'elle ressentait. « J'espère vraiment que ça s'arrangera. »

Aborder son divorce avec Lynn était un peu plus délicat, dans la mesure où elle était encore lycéenne et que Summer connaissait la vitesse de propagation des rumeurs dans le coin, en particulier au lycée. Cela dit la rouquine estimait pouvoir faire confiance à son interlocutrice et elle décida donc de parler plus ou moins librement. Cela dit, elle ne put s'empêcher de tiquer en entendant la phrase de Lynn, qui stipulait qu'elle n'avait aucun ami. Summer ouvrit des yeux presque étonnés, arquant un sourcils: elle savait la jeune fille assez solitaire, elle comprenait bien son caractère mais elle ne s'attendait pas à une telle révélation. « Oh... Tu n'as vraiment pas d'amis? à part Andrew, je veux dire. » Elle était simplement surprise, ne pensant plus vraiment aux rumeurs. Seulement, en réalisant que son ton pouvait être presque accusateur, en mode "tu es bizarre et asociale", elle tenta de préciser sa pensée, explicitant ce qu'elle pensait réellement de tout ça -en l'occurrence, elle était loin de juger la petite Albright. « C'est peut-être l'ambiance au lycée, c'est encore un âge un peu difficile. Je suis sûre que tu pourras t'épanouir à l'université, où tu trouveras des gens avec qui tu partages des centres d'intérêt... et qui seront nécessairement plus matures! » Tout dépendait en fait d'où elle allait. Summer détestait l'admettre, mais certaines filières attiraient les têtes à claques, d'autres les têtes d'ampoules et ainsi se construisaient des clichés qui perduraient même dans l'esprit d'une secrétaire qui les exécrait.

« C'est parfait, plateau télé, ça me dit! » Toute enthousiaste, Summer amena les pizza vers la table du salon, jugeant qu'il était préférable que Lynn fasse le reste puisqu'elle-même ne savait pas faire fonctionner l'appareil. « Je te laisse mettre le DVD en route? »

Summer avait toujours connu Lynn en tant qu'elle était l'enfant qu'elle gardait, mais désormais elle semblait voir se profiler une toute autre relation, basée sur la confidence et une certaine forme d'amitié qui, elle en était certaine, serait durable. De fait, les deux jeunes femmes se lançaient déjà dans des conversations plus personnelles que les sujets qu'elles abordaient à l'accoutumée, passant notamment par les problèmes d'amitié que Lynn pouvait rencontrer: Summer afficha un sourire bienveillant et -il faut l'admettre- un tantinet rassuré lorsque son interlocutrice affirma avoir d'autres amis. La rouquine était convaincue que la richesse d'une vie se puisait dans les relations qu'on y construisait, dans la magie qu'un sourire auquel on accordait de l'importance pouvait procurer. Alors nécessairement, elle croyait dur comme faire en les pouvoirs de l'amitié et de l'amour, et elle espérait de tout cœur que Lynn ne soit pas seule, au moins en amitié, puisque miss Andrews estimait que la présence de personnes auxquelles on tenait était vitale. « C'est déjà bien! mieux vaut avoir deux bons amis qu'une centaines de personnes qui ne te connaissent que sous ton nom facebook. » Instant sagesse des temps modernes. ça n'avait pas la gueule des citations de De Gaulle, mais ça n'en était pas moins vrai.

D'ailleurs, il y avait fort à parier que le cercle des amis de Lynn s'étendrait lorsqu'elle arriverait à l'université, dans la mesure où elle apprendrait à connaître des personnes qui lui ressemblaient plus, notamment par l'intermédiaire d'associations étudiantes ou de sa filière.

En attendant, ce serait plateau télé. Summer adorait ce genre de soirées, à simplement discuter et regarder un film -en mangeant de la pizza qui plus est, que demande le peuple! elle s'y sentait vraiment détendue. Enfin, détendue, elle le serait peut-être un peu moins une fois que le film d'horreur serait en route. Encore fallait-il quelque chose à boire. « Oh euh... ce que tu as! de l'eau, ça ira très bien! » Quant au dessert, Summer réfléchit un instant, posant son index sur son menton. « Hm, peut-être de la glace pour pleurer de peur devant le film d'horreur? » Lâchant un léger rire, la rouquine songea qu'elle n'aurait probablement plus très faim après sa pizza... mais en gourmande qui se respecte, elle ne savait dire non à un dessert.

Si Summer n'avait pas -encore?- d'enfants, elle avait en revanche toujours eu un instinct à la protection quasi maternel. Elle s'attachait facilement à un côté particulier de nombreuses personnalités et la chérissait par cette bienveillance qui la caractérisait -la plupart du temps. Il était donc d'une logique implacable qu'elle s'intéresse à la vie d'une adolescente qu'elle avait vue grandir, dont elle avait même en un sens materné la sœur et dont elle avait le sentiment qu'elle devenait peu à peu une adulte. Si elle pouvait l'aider d'une manière ou d'une autre à effectuer ce passage délicat avec le minimum de nervosité qu'il impliquait, elle le ferait.

Pizza en main, il ne manquait plus qu'à boire. Lynn annonça qu'elle s'en occupait, et fut gratifiée d'un sourire sincère de la part de la rouquine. « Merci! » Quand elle revint, Summer posa son verre d'eau sur la table après en avoir bu une gorgée. Elle appréhendait le visionnage plus que de raison, songeant qu'elle ne s'était pas lancée dans une telle aventure depuis des années -et que, finalement, elle ne s'en était pas plus mal portée. Quelle drôle de lubie.

Lorsque le film commença, Summer sentit ses muscles se crisper un à un, de plus en plus brutalement. Elle essayait de ne pas faire de bruit, de ne pas violemment sursauter, de retenir sa respiration de prendre l'ampleur frénétique à laquelle elle aspirait, mais elle ne pouvait empêcher le mouvement de recroquevillement qui l'animait davantage à chaque seconde. Bientôt, ses jambes étaient repliées contre sa poitrine et elle tenait ses bras contre elle, la tête enfoncée dans les épaules. C'est à ce moment que la voix de Lynn la ramena à la réalité, la faisant brusquement sursauter au passage. « ça risque de t'étonner, ... » commença-t-elle ironiquement en vue du fait qu'elle venait de crier parce qu'on lui adressait la parole « ...mais moi aussi. » Lâchant un petit rire voué à lui rappeler qu'il existait un peu de joie dans ce monde et que tout n'était pas zombie et meurtres suspects, Summer fit mine de sermoner la jeune femme, utilisant un ton trop bienveillant pour paraître menaçant. « La prochaine fois, on regarde un opus des Bisounours! »

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