Certains diront que j’ai un sale caractère, ils n’auront certainement pas tort. Je suis loin du prince charmant et du parfait gentleman qui sont, à mon humble avis, dépassés depuis longtemps. Je suis quelqu’un d’autoritaire depuis toujours, j’adore poser des règles mais je déteste avoir à en suivre. Têtu et impulsif mes supérieurs me disent parfois loin du chef de brigade irréprochable. J’aime prendre des risques et surtout agir comme je le sens sur le moment selon mes pressentiments même si ça peut s’avérer dangereux ou complètement stupide. Je préfère travailler seul parce qu’après tout, on est jamais mieux servi que par soi-même et que je n’ai confiance en personne. A la brigade comme en général on me reproche d’être trop froid, trop distant avec les gens. A raison d’ailleurs mais je m’en fiche pas mal. Je n’ai pas de temps à perdre en politesses et autres futilités. Je me suis tellement détaché des choses avec les ans et le métier qu’il m’arrive parfois d’avoir du mal à ressentir les choses, avoir des émotions tout simplement ou en tout cas c‘Est-ce que les gens pensent et j‘en suis ravi. Je ne montre pas ce que je ressens, jamais, c’est une règle d‘or. Je ne suis pas facilement touché, à moins que ce ne soit pour me mettre en colère ce qui nous amène à un autre de mes défauts : j’ai le sang chaud, je suis arrogant et je n’hésite pas à user de la violence si besoin. Rancunier comme pas deux, droit malgré tout et fouineur j’imagine qu’il est plus aisé de me haïr que de m’aimer.

Officiellement j’ai une famille nombreuse, officieusement je n’en connais aucun et aucun ne me connait vraiment. Sauf Jackie. Jackie est ma plus proche sœur et nous avons toujours été assez complices. Elle n’a que trois ans de moins que moi et je ne crois pas me souvenir que nous nous soyons déjà disputé pour quelque chose de bien sérieux. Evidemment nous avons eu nos hauts comme nos bas, nous restons un frère et une sœur. Lorsque j’ai quitté le nid familial pour fuir mon père, elle m’a suivie lorsqu’elle a eu le même âge et nous avons vécu ensemble. Ce n’était pas le luxe, mais peu nous importait du moment que nous étions libres. Elle est partie elle aussi après avoir rencontré un homme, mais je ne lui en ai jamais tenu rigueur bien au contraire. Il y a Jackie et il y a tous les autres. La plupart sont pour moi de parfaits étrangers et pour d’autres, des personnes que j’ai connues mais à qui je ne me sens aucunement lié. Il y a mon père pour commencer. Ou plutôt, il y avait. Nous ne nous sommes jamais très bien entendus et les seuls souvenirs qui me restent de lui sont des disputes, des réprimandes. Je n’ai jamais eu droit au regard d’un père fier et aimant mais froid et dur. La dernière fois que je l’ai vu remonte à mes dix sept ans tout comme ma mère. Ah, ma mère. Elle a tenté, tenté de toutes ses forces que nous nous rapprochions et partagions des choses mais je ne l’ai jamais laissé faire. Mariée à un homme qui m'en faisait voir de toutes les couleurs et à qui je le rendais bien je n’ai jamais voulu lui donner la moindre chance. Et puis il y a Blaine, mon premier et unique frère. Nous n’avons jamais été proches, n’avons pas joué ensemble , fait des sorties que font tous les frères ou partagé des confidences. Nous sommes très différents, un peu comme ce que je ressens avec chacun d’eux en réalité. Célia, l’avant dernière qui venait toujours s’accrocher à mes jambes et ne me lâchait plus jusqu’à ce que j’accepte de jouer à la dinette. Avec moi elle n’était que peu gagnante et il en va de même qu’avec Blaine : aujourd’hui nous ne nous connaissons plus -dans l‘hypothèse ou cela a été le cas un jour-. Son visage m’est familier, mais il a bien changé depuis le temps et je ne ressens pas particulièrement le besoin de renouer des vieux liens qui n’ont jamais étés. Et pour finir il y a Cordélia. Elle je ne l’ai jamais connue, arrivée après mon départ. Je ne m’intéresse pas à elle et je ne cherche pas à la connaître. Nous avons peut-être le même sang mais c’est bien la seule chose qui nous lie à ce jour. Et pour finir il y a Jenna. Elle ne fait pas à proprement parler de ma famille mais elle vit chez nous ce qui est déjà suffisant. Je ne me préoccupe pas d’elle et au moins elle me fiche la paix ce qui me convient tout à fait.

Ma première arrestation. Je n’en étais pas peu fier. Alors certes j’avais le pantalon et les chaussures pleins de boues, un mal de dos atroce et les lèvres ensanglantées mais je l’avais eu. Fallait dire aussi qu’il courait vite même avec ce baggy qui lui descendait en dessous des fesses et cette casquette ridicule enfoncée sur la tête. Un petit con de dix-huit ans à peine qu’on traquait depuis plus de trois semaines et qui, précoce, avait décidé de monter son propre business de pilules magiques et en vendait devant un établissement scolaire avec des gosses âgés de quatorze à dix-neuf ans. Combien de gamins avaient fini à l’hôpital à cause de ces merdes dont on ne connaissait ni le secret de fabrication ni ses composants. Ces adolescents sont vraiment des crétins pour prendre ces bonbons bricolés et espérer faire des merveilles. C’est la mort qu’ils finiront par attraper. Alors bon je vous l’accorde, ça n’a pas fini à la première page du journal et des feuilletons d’informations des douze-treize heures, je n’ai pas été augmenté ni même applaudi par la foule mais j’ai quand même ressenti une certaine fierté. Lui dire ses droits, lui mettre les menottes et le conduire au poste pour qu’il y retrouve ces deux potes chapardeurs qui avaient eux aussi été cueillis par d’autres hommes de la brigade un peu plus loin. La première arrestation, tous les vieux de la brigade disent qu’on l’oublie jamais. Notre premier trophée, la première sensation de se sentir utile. Ils avaient raison. Presque dix années ont passé et je m’en souviens encore.

Quinze ans, sortie du lycée. C’est jamais un plaisir de passer devant toutes ces têtes de cons qui se racontent des choses toujours aussi stupides. Je ne change pas mes habitudes : écouteurs dans les oreilles je fais mon chemin mais cette fois est différente. Je sens leur présence derrière moi, j’entends leurs rires. Un hasard ? J’en doute. Ce n’est pas la première fois que je me retrouve face à cet idiot ridiculement mince et couvert de bleus et autres égratignures. Théo est ce genre d’élève et de garçon en général qui à l’air de chercher les ennuis comme les œufs le jour de Pacques. S’il était tout seul il n’aurait certainement aucune influence, aucune force mais sans que j’en comprenne la raison il a sa bande de petits chiens qui ne le lâche jamais bien longtemps. Je ne m’intéresse pas vraiment à eux au lycée mais il faudrait être aveugle pour ne pas les remarquer. Ils sont les faiseurs de trouble et si on a le malheur de s’interposer une seule fois dans leurs conneries puériles et morbides, disons qu’on en paie les conséquences. Le continue mon chemin comme si rien n’était, les mains dans les poches. Je sais ce qui m’attend mais je n’ai pas peur. D’après ce que j’entends ils ne sont pas tous là, seulement deux ou trois. Je me dis que j’ai peut-être une chance de m’en sortir sans trop de mal finalement. Je quitte la grande rue principale pour en prendre une annexe et bien plus rapide mais je n’ai l’occasion que de quelques pas avant que quelque chose ne me bloque le passage. Quelque chose ou plutôt cette armoire à glace de Stanley Baxter. Ils ne sont plus trois mais cinq et je me retrouve coincé. Il me parle mais je ne l’entends pas, je le vois par contre perdre patience. Mon premier réflexe et de retirer mes écouteurs et de ranger le tout dans ma poche le plus calmement du monde. Je suis certes plus petit que l’un, certainement moins musclé qu’un autre mais plus rapide sans aucun doute. Malgré ça je ne fuirai pas. Ce n’est pas ce que font les hommes, ce n’est pas cette réaction qu’ils attendent pourtant de moi avec impatience qu’ils méritent. Je ne leur donnerai pas le plaisir de me traiter de mauviette. Le premier coup fut le plus difficile et désagréable à encaisser. Le gout du sang dans la bouche. A vrai dire je ne me souviens pas vraiment de la suite. Les coups, ils sont tombés trop vite, les uns après les autres touchant tantôt la mâchoire tantôt les côtes. Je me souviens seulement de ces deux gars qui me tenaient les bras pour ne pas que je bouge et le sol contre ma joue par la suite. Un cri, des pas précipités. Ils étaient partis, et elle était là. Ses cheveux blonds et son visage effrayé. Sa voix s’élevant dans la brise et appelant à l’aide. Mon dernier souvenir de cette altercation, mon premier d' elle.