« Loin des yeux, près du cœur. » devait être l’expression que détestait le plus Elisabeth. Du moins ces derniers jours, en réalité elle s’était amusée une fois à répertorier toutes les expressions toute faites que tout le monde disait et qu’elle détestait entendre. Bien sûr, celle-là faisait parti de son petit top 10, mais dernièrement elle était passée en numéro un. Pourquoi ? Pour la simple raison que c’était des foutaises. Quand on part on part. Point. Oui, elle était de mauvaise foi et encore une fois comme depuis quelques jours, elle était d’humeur à pester et à râler contre tout et tout le monde. Elle allait cependant devoir faire quelques efforts si elle voulait que ce déjeuner se déroule bien et par conséquent, remballer sa mauvaise humeur et faire comme si tout allait bien. Elisabeth savait très bien mentir – c’était un peu son quotidien, le mensonge – mais là ce n’était pas la même chose, elle allait être en face de la seule personne qui devait la connaître peut-être mieux qu’elle-même. Elles avaient beau ne pas s’être vus depuis quelques temps, il n’en reste pas moins qu’elles sont toutes les deux, deux sœurs et qu’elles avaient cette connexion que seules les sœurs avaient. Elle allait devoir la jouer finement pour ne pas montrer à Scarlett qu’elle est triste depuis qu’elle a quitté la maison, et qu’elle lui en veut également d’être partie en la laissant seule derrière. Assise à sa table en attendant l’arrivée de sa cadette, elle porta son verre d’eau à sa bouche en jetant de temps en temps des petits coups d’œil vers la porte d’entrée. Elle était arrivée en avance – ce qui changeait de d’habitude – justement pour pouvoir se préparer à cette rencontre qu’elle redoutait. « Allez, ça va aller. » Se dit la jeune femme à elle-même. De toute façon il n’y avait pas de raison pour que ça se passe mal, il ne s’agissait que d’un repas entre sœurs qui avaient besoin de rattraper le temps perdu, ni plus, ni moins. Elle essayait de se persuader de ça mais une petite voix au fond d’elle était bien présente et en train de râler en disant qu’elles n’auraient pas eu besoin de rattraper du temps si Scarlett était restée à la maison. Oui, c’était vrai. Si elle était restée avec Elisabeth comme elle aurait dû le faire et qu’elle ne s’était pas décidée de vivre avec son petit-ami, elles n’auraient même pas à vivre cette rencontre. Elle poussa un soupir en agrippant doucement le verre autour de sa main, qu’elle pressait de plus en plus. Nerveusement, elle lâcha le verre et passa une main dans ses cheveux qu’elle avait laissé lâche pour l’occasion, au moins elle pouvait toujours jouer avec eux si elle ne trouvait rien de mieux à faire pendant le déjeuner. Quoi qu’elle doute avoir besoin de jouer avec une mèche pendant qu’elles mangeraient, et discuteraient, également. Avant qu’elle ne puisse faire quoi que ce soit d’autres, elle fut sortie de ses pensées par des voix qui s’approchaient d’elle. Il ne s’agissait que d’un serveur qui indiquait à sa cadette qui était enfin arrivée la table à laquelle se trouvait la jeune brune. Sans qu’elle ne puisse le contrôler, elle afficha un sourire sur son visage parce que malgré tout, elle était très contente de la voir et de pouvoir passer un peu de temps avec elle. Elle se leva pour faire la bise à sa sœur, la prenant légèrement dans ses bras  comme elle a l’habitude de faire lorsqu’elle veut montrer un signe d’affection détachée à ses proches. « Ca va ? » Demanda la jeune brune en se rasseyant.

Scarlett ne savait pas combien de temps elle était restée assise dans sa chambre, à essayer de trouver quoi se mettre. En fait, ce n’était qu’un prétexte pour ne pas aller affronter sa sœur. Elisabeth lui manquait terriblement. Les deux Spencer avaient l’habitude de partager la plupart de leurs soirées ensemble auparavant et même les fois où elles ne faisaient que se croiser, elles prenaient toujours quelques minutes par jour pour se poser entre elles. La jolie brune se doutait bien qu’Elisabeth avait été toute retournée par l’annonce de son déménagement, encore plus quand celui-ci avait effectivement eu lieu. Scarlett connaissait son aînée par cœur, elle se cachait derrière des sourires ravis alors qu’en réalité, il n’en était rien. La plus jeune des deux Spencer le savait d’autant mieux que le manque de sa sœur se faisait aussi ressentir de son côté. Néanmoins, Scarlett était beaucoup plus épanouie depuis qu’elle avait pris son envol et quitté la maison Spencer, déjà parce que vivre avec Nate c’était le pied mais aussi parce qu’elle n’avait pas à assister aux tensions familiales aussitôt rentrée de son travail. Elisabeth l’avait certainement vécu comme un abandon même si sa jeune sœur avait déjà quitté la maison à plusieurs reprises auparavant, cependant ça n’avait été à chaque fois l’affaire que de quelques jours ou de quelques semaines, rien de définitif comme aujourd’hui. Toutefois, Scarlett se portait nettement mieux et espérait qu’Elisabeth trouverait elle aussi la force de quitter la maison plutôt que de continuer à vivre dans cette atmosphère. Ce n’était pas faute d’en avoir les moyens. Elle avait un travail stable, elle était jeune et jolie, tout à fait le type de fille capable de s’en sortir indépendamment. En réalité, Scarlett ne comprenait pas pourquoi sa sœur n’avait pas déjà quitté la maison, enfin si elle en connaissait les raisons, mais tout serait tellement plus simple si elle volait de ses propres ailes aussi non ? Loin des tensions, loin de… de beaucoup de choses. Depuis plusieurs jours, les deux Spencer s’étaient à peine donné des nouvelles, la plus jeune des deux sœurs devinait que son aînée avait un peu réduit leurs contacts sous prétexte de « beaucoup de travail » mais elle n’avait jamais sorti cette excuse avant, Elisabeth trouvant toujours le temps de s’arrêter pour parler à sa cadette. C’est pourquoi Scarlett avait été agréablement surprise que son aînée propose finalement un dîner au restaurant. Aussitôt rentrée du travail, elle avait averti Nate qu’elle s’absenterait la soirée pour un moment entre sœurs et était aussitôt montée se préparer ensuite. La jolie brune sortit de sa réflexion et se décida enfin à se lever et à quitter sa chambre. Un dernier baiser à Nate et elle sortit du duplex pour rejoindre sa sœur au lieu de rendez-vous. Scarlett ne mit pas longtemps à arriver au restaurant. Animée d’une force nouvelle à l’idée de retrouver Elisabeth, la jeune femme indiqua son nom au serveur qui l’emmena vers la table réservée par sa sœur qui était déjà là. L’assistante de Joey afficha un franc sourire en la voyant tout en lui rendant sa bise et son étreinte timide. Scarlett prit ensuite place en face d’Elisabeth avant de répondre à sa question. « Oui ça va et toi ? Je suis contente de te voir ! » Un serveur s’approcha pour leur tendre les cartes des menus et repartir sur ces entrefaites. « C’est une bonne idée que tu as eue de nous faire retrouver ici, ça fait longtemps qu’on n’était plus venues ensemble. » Phrase neutre qui n’engageait à rien de trop sérieux pour le moment. Scarlett parcourut d’un œil distrait les différents choix proposés mais elle avait déjà une bonne idée de ce qu’elle allait prendre, comme souvent quand elle venait ici.

Malgré la prise de distance opérée entre les deux jeunes femmes, Elisabeth était contente de voir sa cadette. Elle avait l’air rayonnante et heureuse, c’était tout ce qui comptait. Et pourtant pendant un instant, elle n’avait pas pu s’empêcher d’espérer qu’elle était malheureuse. Comme ça elle aurait pu s’énerver, lui dire qu’elle ferait mieux de revenir à la maison, et Elisabeth ne se sentirait plus égoïste de vouloir sa sœur auprès d’elle à nouveau. Mais c’était peut-être mieux comme ça, la brunette savait que sa cadette était entre de bonnes mains – c’est ce qui l’aida à faire en sorte que la nouvelle passe un peu mieux – et tant qu’elle était heureuse, Elisabeth devait l’être aussi pour elle non ? « Oui ça va. » Répondit-elle de façon vague et évasive. De toute façon il n’y avait rien de très intéressant sa vie en ce moment, ni changement au niveau professionnel, ni au niveau personnel, contrairement à certaines personnes autour de la table… Après l’avoir prise dans ses bras furtivement, elle se rassit à sa place tandis qu’un serveur vint leur apporter la carte du restaurant. La jeune femme ne posa même pas un regard sur sa sœur, préférant fixer sa carte à la place. Elle hésitait à lâcher une petite pique en lui demandant si elle s’était enfin souvenue de l’existence de sa sœur, ou que ça faisait plaisir de voir qu’elle avait encore du temps pour Elisabeth dans sa nouvelle vie, mais elle n’en ferait rien. Déjà parce qu’elle devait se montrer plus mature que ça et ne voulait pas montrer qu’elle était affectée par son départ, mais aussi et surtout parce que c’était Elisabeth qui fuyait sa cadette et non l’inverse. Elle n’avait pas cessé de prétexter qu’elle était occupée avec le boulot ou avait toujours mieux à faire que de voir sa sœur, elle ne devait même jamais avoir vraiment mit les pieds dans le nouveau petit nid de Scarlett. Elle n’en avait pas envie et ne se sentait pas la force d’affronter la réalité, préférant rester dans son amertume en ruminant sur le fait qu’elle l’avait quitté le domicile familiale. Qu’elle l’avait laissé, abandonné. Là encore, elle grossissait les traits et dramatisait, mais elle s’en fichait, c’était son ressenti et il ne changerait pas parce qu’elles passent un petit moment entre sœurs. Au contraire, ça ne faisait que rappeler à l’aînée des Spencer que ces moments allaient se faire de plus en plus rare, déjà qu’elles ne partageaient pas beaucoup de choses en temps normal, maintenant qu’elle avait décidé de faire sa vie de son côté, ça allait être pire. Le temps d’un instant elle avait même pensé à se rapprocher de Carl, se disant qu’il y avait une place à prendre, mais elle chassa aussitôt cette idée de son esprit. Non seulement ça n’aurait pas été la même chose, mais en plus elle ne voulait pas remplacer sa sœur. Scarlett était unique et même si elle ne le dirait jamais à voix haute, elle était irremplaçable pour Elisabeth. Concernant Carl… Non, lui non plus on ne pouvait pas le remplacer –malheureusement – mais ça c’était une toute autre histoire. « Et vu ta nouvelle ça ne risque pas de s’arranger… » Souffla la jeune femme qui disait ça plus pour elle-même que pour sa sœur. Oui, voilà, elle l’avait placé sa petite pique. C’était certes un comportement inadapté de la part de la Spencer, mais c’était mal la connaître que de penser qu’elle ne le dirait pas, même si à voix basse. « Tu vas prendre quoi ? » Poursuivit-elle comme si de rien n’était, toujours les yeux fixés sur la carte. La soirée allait être longue, très longue.