- Attends, attends… J’ai pas compris. C’est combien les réductions sur les articles ? Et puis me parle pas en pourcentage, moi j’y connais rien…

Face à l’entêtement de la jeune fille, car il ne s’agissait pas là d’ignorance mais bel et bien d’une volonté de faire chier son monde, la jeune vendeuse blonde platine se passa une main sur le visage. Elle venait de lui expliquer au moins six fois maintenant comment enlever l’antivol des vêtements, et qu’avait-elle pour seule réponse ? Une autre question totalement hors-sujet. Si elle avait su que cette Elin Hamilton était si emmerdante, elle aurait pris son jour de congé ou en aurait touché un mot à sa patronne. Pourtant, elle avait tout à fait la tête de l’emploi : sans être une beauté, elle était mignonne et avait un certain style, suffisant en tout cas pour inciter les clients à lui demander conseils. Mais aux vues de cette adolescente qui regardait ses ongles en souriant, elle pensait que cela pourrait bien être l’inverse…

Aujourd’hui, elles étaient trois dans ce magasin de vêtements pour femmes plus ou moins côté. En plus de la blonde platine et d’Elin, il y avait une petite asiatique à l’air tout aussi superficiel que ses deux autres collègues et une grande brune caucasienne tout à fait banale mais tout de même séduisante. Elin les scruta une à une. La blonde était jolie mais ne brillait sûrement pas de son intelligence, ni même de sa beauté artificielle similaire à celle des mannequins exposés en vitrines. L’asiatique affichait constamment un rictus qui semblait pour le moins hypocrite et moqueur. Quant à la brune, la plus simple et la plus jolie, elle avait l’air d’un mouton qui éclaterait de rire en même temps que sa comparse.
L’ensemble des vendeuses donnait donc, en apparence, l’allure d’une joyeuse bande de copines superficielles tout droit tirée d’une nouvelle série Disney.

Autant dire qu’Elin se trouvait un peu à part. Les deux brunes semblaient proches et la blonde totalement antipathique. Il ne fallait pas lui demander de jouer le jeu : elle ne voulait pas se faire des amies, seulement gagner un peu de fric et faire autre chose que passer du temps avec Nora Jane ou Zain, qui semblaient être son oxygène et ce qui la définissait le plus. Elle ne voulait pas que sa vie se résume à deux personnes. C’était plutôt mal parti, vu la distance qu’elle installait entre elle et les autres vendeuses. Mais au fond, elle espérait tomber sur quelques clients sympas. Son choix semblait donc plutôt stupide si elle souhaitait réellement se lier d’amitié avec des individus de sexe masculin, mais c’était Elin : elle s’était donc dit qu’il devait bien exister des hommes assez attentionnés pour faire un petit cadeau à leurs chéries… qui ne le resterait pas longtemps !
La jeune fille n’était pas du tout décidée à tromper son petit copain, qu’elle aimait réellement. Cependant, en s’engageant dans une relation avec le jeune garçon, elle n’avait pas renoncé à la séduction, qui restait un petit jeu qui lui redonnait confiance en elle. Son physique était la seule qualité dont elle disposait, et elle était bien décidée à en tirer profit, même avec des gros lourds dans le genre de Clyde. Et oui, elle avait beau refusé ses avances, le manège du jeune Ainsworth l’amusait et la faisait se sentir désirée, même si elle était bien consciente qu’il voulait juste tirer un coup.

S’accoudant à la caisse, elle continua à contempler ses ongles avant de souffler de lassitude et de commencer à vagabonder dans le magasin, contemplant certains vêtements, en enfilant même d’autres, sous les regards critiques des autres vendeuses qui la dévisageaient comme si elle comptait s’enfuir du magasin en courant, couverte d’articles impayés.

- Quoi ? dit-elle en écartant les bras, avec toute l’attitude d’un Clyde Ainsworth. Puis, de façon plus féminine, elle posa ses mains sur ses hanches et, tout en prenant la pose, elle surenchérit : Je sais, ça me va bien, hein…

Elle avait volontairement exagéré le ton qu’elle employait afin d’exaspérer le plus possible ses collègues. Elle était déterminée à ne pas se faire apprécier car dès le début, ces harpies ne lui avaient pas fait bonne impression et n’avait même pas tenté de sympathiser. Elin ne se donnait pas beaucoup de mal non plus, mais qu’est-ce que cela pouvait bien faire ? Si elle voulait se faire des amis, elle sortait ou allait sur internet. Or, ce n’était pas le cas. Elle était là pour l’argent.

Jusque là, elles étaient seules dans la boutique, ce qui l’étonna et finit par la lasser, bien qu’il restait une multitude de vêtements à essayer. Peu à peu, les clientes allaient et venaient. Il n’y en avait pas une seule de jolie dans le lot. Seulement des laiderons ou des femmes ordinaires, qui renonçaient bien vite à un quelconque achat à la seule vision de leurs poignées d’amour.
Au bout d’une dizaine de minutes, une cliente pas comme les autres fit son entrée. Elle se distinguait de par sa beauté et sa jeunesse, même si elle avait davantage l’air d’être aussi vieille qu’Elena Van Wagner. En y regardant de plus près… c’était elle !
Elin se retourna précipitamment, le souffle coupé. Elle n’avait pas un seul instant songé à recevoir la visite d’une voisine sur son lieu de travail. Oh non, merde, elle ne pouvait pas aller s’habiller dans une boutique pour le troisième âge, ou mieux, piocher dans la garde-robe de sa fille ? Après tout, elle n’était plus à ça près, à jouer l’allumeuse alors que c’était une mère. Il n’empêchait qu’elle incarnait ce qu’Elin aimerait devenir si elle avait des enfants. Au moins, Elena restait féminine et ne tournait pas en Judith Livingstone et autres mégères mal baisées…

Ce n’était pas pour autant qu’elle avait envie de la servir et de répondre à ses exigences, de la conseiller et de l’attendre devant la cabine d’essayage… C’est pour ça qu’elle se retourna et enfila une veste tout à fait horrible qu’elle repassa de ses mains tout en agitant son corps comme si elle faisait un strip-tease, s’exclamant :

- Oh, que c’est ravissant !

Malgré ses talents d’actrice, le jeu qu’elle avait employé était complètement caricatural et surréaliste, mais elle espérait être convaincante. Elle se rendit compte que son badge était toujours agrafé à son débardeur. Tant pis, cette horreur le dissimulait plus ou moins bien.

Merde alors ! Si ce n’était pas au super market avec l’autre coincée d’Angelique ou dans la rue avec Clyde, c’était sur son lieu de travail avec… Elena Van Wagner !! Non pas qu’elle ne l’aimait pas, mais… En fait, elle ne l’aimait pas. Pourquoi ? Parce qu’elles étaient indifférentes l’une envers l’autre et qu’elle n’éprouvait donc aucune affection pour cette belle inconnue, tout juste voisine. L’adolescente fut cependant surprise que cette dernière se rappelle de son prénom, sans même la confondre avec Nora Jane. Bon, d’accord, c’était un mensonge : on ne la confondait jamais avec sa jumelle, c’était plutôt le contraire. On pouvait dire que la petite rouquine était réellement le faire-valoir de sa sœur. Mais les deux vivaient parfaitement cette situation : Elin était mise en avant et Nora assurait ses arrières. N’était-ce pas ce qu’elle cherchait, à se faire discrète ? Elle y parvenait avec succès, Elin était fière d’elle…

Mais sa fierté pour sa sœur n’allait pas faire disparaitre la blonde de son magasin. Elle était bien charmante, mais elle tombait vraiment mal : personne n’était au courant pour ce petit job. Il y avait une raison pour laquelle elle n’avait pas mis Nora au courant et n’aimait pas vraiment le fait qu’une voisine avec qui elle n’entretenait aucune relation en sache plus que sa moitié. Enfin, à quoi bon se plaindre ? Elle était là et n’avait pas l’air décidée à bouger, vu qu’elle lui demandait même comment elle allait et complimentait cette horrible veste. Un trait de caractère révélé : Elena est faux-cul. Il fallait donc la prendre à son propre-jeu, mais la jeune fille ne savait pas encore comment…
Enlevant violemment sa veste, elle la pointa sous le nez de sa voisine.

- Ça, joli ?! Non, franchement vous me décevez, vous avez de sacrés goûts de merde… dit-elle d’un air blasé, affichant tout de même un sourire moqueur similaire à celui de la chinetoque qui semblait s’amuser de la situation. Le regard de la Barbie, quant à lui, l’avertissait du mauvais quart d’heure qu’elle allait passer si elle leur faisait rater une vente, surtout si Elena était une si bonne cliente. Elle rectifia donc le tir en ajoutant : Non sérieusement, j’essayais ça pour rire… Je vais bien, merci, et vous ?

Elin l’avait volontairement vouvoyée pour la vieillir. Elle n’avait rien contre Elena, mais il valait mieux la remettre à sa place tout de suite. À ses yeux, elle n’était peut-être pas mauvaise mais continuait à faire la belle et à draguer malgré son âge, ce qui était injuste envers les adolescentes comme Elin. Cette harpie avait plus d’expériences qu’elle, surtout si elle avait été engrossée si jeune ! D’accord, Elin avait largement eu le temps de se rattraper et avait acquis une expérience considérable pour son âge.

Perdue dans ses pensées, la petite brune ne remarqua pas que plus rien ne couvrait son badge de vendeuse et s’en aperçut peut-être trop tard. Elle espérait que sa voisine soit dénuée de tout penchant lesbien qui l’inciterait à reluquer la poitrine de la jeune vendeuse. Elle se retourna alors et fit quelque pas, effleurant de ses doigts les tissus qui s’offraient à elle, comme dans un clip vidéo ultra émouvant, mais l’air qu’elle fredonnait ne donnait pas envie de pleurer, bien au contraire. Elle improvisait totalement et se retrouvait démunie. Elena était loin d’être une cruche comme les filles McClair. C’était une vieille cruche, quoi. Elle devait aussi avoir de l’expérience dans ce domaine.

Elle s’arrêta brusquement lorsqu’elle sentit qu’elle touchait une écharpe, qu’elle tira avec vivacité avant de se l’enfiler rapidement autour du cou. Elle prit un air savant et, levant son index, indiqua à sa cliente – car malgré tout elle l’était - :

Ça, c’est joli ! Essentiel, chère Wan Vagner.

Consciente de son erreur, elle continua à marcher, l’air de rien. Elle n’avait pas envie de s’attirer les foudres de la nouvelle venue, mais ressentait l’irrésistible désir de s’amuser. Se moquer de l’âge de cette femme, c’était vraiment bas et cliché, presque démodé. Mais en l’examinant avec précision, qu’est-ce qui clochait chez elle ? Son physique était irréprochable et ce malgré la retraite qui approchait. Elle ne pouvait pas la juger sur autre chose que sa grossesse précoce et son âge, c’était impossible. Elle ne la connaissait pas suffisamment. Angelique, c’était une autre histoire : sa vie se résumait à la religion. C’était bien moins difficile !

Bien qu’elle fasse de son mieux pour le cacher, les autres vendeuses avaient apparemment compris l’embarras de la jeune fille. La blonde l’avait bien compris, et devait sûrement connaitre Elena à en juger par le sourire qu’elle lui avait lancé lorsque la femme avait fait son entrée dans la boutique.
La bridée, qui lui rappelait d’ailleurs Heather et qui aurait pu prétendre au titre de seconde sœur adoptée, lui fit de gros yeux tout en tirant les poches de son pantalon. Le message était clair : il fallait vendre. Elin pouvait presque voir des dollars briller dans ses yeux, et elle n’avait rien contre ça. Il restait cependant hors de question d’avouer qu’elle travaillait ici.

- Au fait, vous voulez que je vous conseille ? Je vois que vos goûts sont un peu dépassés, parce que si vous avez aimé cette veste, ça m’inquiète sérieusement…

Elle rit joyeusement, s’inclinant comme si elle ressentait déjà des crampes à l’estomac invitant Elena à faire de même. Sans attendre de constater ce qu’il en était, elle fit face aux différents vêtements qui se présentaient à elle. Bien vite, toute une pile se retrouva au fond, la jeune fille déplaçant les ceintes à une vitesse folle. Elle laissait parfois échapper un petit commentaire, du genre « charmant ! » ou « très classe », voire « splendide ! ».

- Sobre mais chic. Eurk ! Ouh, alors ça j’adore !

Elle semblait complètement avoir oublié la présence de sa voisine et donnait l’air de chercher quelque chose pour elle-même et non pour aider la cliente, dont elle n’osait pas croiser le regard. Elle n’était pas préparée à cette visite. La prochaine fois, elle travaillerait à domicile…
Peut-être que la prostitution était un métier d’avenir ? Elle se demandait bien quel genre de clients elle verrait défiler, et quel genre de sexes elle gouterait. Des petits, comme celui de Clyde, mais aussi de gros comme celui qu’elle imaginait dans le caleçon d’hommes comme Jay ou Jonathan… De toute façon, elle avait trouvé le juste milieu en la personne de Zain. C’était sûrement l’amour qui la faisait parler, mais elle n’avait vraiment pas de quoi se plaindre, autant sur le plan physique que psychologique. Elle, par contre, ne devait pas être un cadeau pour le jeune homme. Son corps était affreusement ordinaire et ses qualités inexistantes. Elle craignait que leur relation ne se repose que sur le réconfort qu’il lui apportait et la pitié qu’elle lui inspirait.

Ce n’était cependant pas le moment de penser à des choses comme cela. L’heure était à la rigolade. Elle doutait qu’Elena marche dans son jeu et pensait sérieusement que la discussion allait vite déraper si elle continuait comme cela. Pourtant, elle n’avait vraiment rien contre elle, qui avait même pris la peine de lui demander comme elle allait. Mais au diable la courtoisie ! Elle voulait s’amuser, oui ou merde ?

* Ah oui, je le veux ! *

Comme c’était amusant… Elin n’en attendait pas moins venant d’Elena Van Wagner ! Elle était bien trop occupée à jouer les victimes de sa réputation alors qu’elle avait tout fait pour l’acquérir pour réaliser qu’Elin ne la jugeait même pas, bien au contraire : elle constatait. Même elle subissait le fait d’être la jumelle de Nora Jane. Cependant, elle faisait tout pour se débarrasser de cette étiquette de deuxième jumelle, c’est pourquoi elle était devenue la première jumelle la plus connue du quartier. On la rattachait certes souvent à sa rouquine de sœur, mais beaucoup moins que pour cette dernière, qui, quant à elle, était constamment associée à la brunette. Elle ne pouvait donc s’en prendre qu’à elle-même, tout comme Elena.
D’ailleurs, cela lui rappela une période de sa vie qu’elle avait préféré enfouir loin, très loin dans sa tête… Elle n’avait pas toujours été la forte tête qu’on connaissait, celle qui avait une grande gueule et qui se faisait remarquer. Elle n’avait pas toujours dominé Nora Jane, même si son contrôle sur sa sœur est indéniable et qu’elle n’a jamais cessé d’exercer une certaine pression sur elle. En primaire, en tout cas, c’était la petite et frêle Nora qui défendait sa jumelle avec hargne lorsque celle-ci se faisait brimer et critiquer par les autres enfants. Être la victime n’avait rien de plaisant… Elle avait en quelque sorte cette réputation auparavant, mais était parvenue à s’en débarrasser. Malgré tout, elle était consciente que ses agissements, et surtout sa faiblesse, l’avaient rabaissée à ce grade de bouc-émissaire, c’est pourquoi elle avait complètement revu son attitude. Aujourd’hui, les rôles étaient inversés entre les deux sœurs, mais au fond, Elin savait qu’elle dépendrait toujours de sa jumelle et que celle-ci était plus forte qu’elle. Pourquoi la miss Hamilton avait-elle besoin de maquillage et de vêtements affriolants, si ce n’était pour cacher le fait qu’elle ne valait rien ? Nora avait au moins pour elle, à défaut d’être populaire, l’intelligence et l’amour réel de ses parents. Ils ne l’aimaient pas parce qu’elle était leur fille, mais parce qu’elle allait probablement faire quelque chose de sa vie. Elin aspirait à être actrice, et elle n’avait aucun doute quant à ses talents de comédienne. Elle faisait en effet une très bonne actrice, surplombant peut-être même les dernières greluches d’Hollywood plus connues pour leur plastique de rêve que pour leur talent. Cependant, elle ne serait pas heureuse, car elle aurait beau avoir obtenu ce qu’elle souhaitait, elle manquait cruellement de qualités et on ne l’aimerait jamais pour ses valeurs, qu’elle n’avait pas d’ailleurs. Sur ce point, elle était terriblement jalouse de Nora Jane. Sa famille l’aimait pour ce qu’elle valait, et non pas parce qu’elle était sortie du même trou qu’eux ou qu’ils avaient le même sang. Elle adoptait cependant sa philosophie : changer pour ne plus être jugée. Elle s’était donc résolue à ne rien faire pour s’attirer les faveurs de sa famille et ne pas chercher à leur plaire. Ainsi, elle n’aurait plus à se plaindre s’ils ne l’aimaient pas ! Elle se réfugiait dans ses rêves de célébrité – mais aussi de passion car elle ne voulait pas que les bénéfices que cela engendrait – tout en sachant qu’elle serait toujours rongée de l’intérieur. Elle ne pouvait tout de même pas en vouloir à Nora Jane, qu’elle aimerait toujours et malgré tout.

Si elle avait su le fond de la pensée de la jolie blonde, l’adolescente aurait peut-être réagi … différemment ! De façon plus hypocrite, en tout cas. Trainer avec Elena Van Wagner était loin d’être un privilège, mais il lui permettrait au moins de gagner en popularité et, c’était sûr, elle entrerait dans un monde beaucoup plus adulte, celui qu’elle recherchait. Mais Elin ne savait pas encore lire dans les pensées. Elle ne voyait donc que ce qu’on pouvait lui montrer. Ici, en l’occurrence, Elena faisait preuve d’arrogance et se contentait de nier en bloc ce qu’affirmait la jeune fille. Elle se mentait à elle-même alors qu’Elin était persuadée qu’au fond, même la plus vieille des Van Wagner devait se rendre compte que tous les mots de l’adolescente n’étaient pas faux sous prétexte qu’elle était plus jeune qu’elle. L’âge n’avait rien à voir dans l’histoire, mais si c’était un argument suffisant pour la réconforter et se prouver quelque chose, alors soit… Même si elle ne lui avait pas dit, la vendeuse n’avait pas besoin du don de télépathie pour deviner que cela devait être un raisonnement typique de chez l’accro au shopping. Le regard qu’elle jeta à un miroir derrière la petite brune suffisait à le comprendre. Cette femme devait être obsédée par son âge et souhaitait vivre le moment présent avant qu’il ne soit trop tard. Des femmes comme Madonna ou Demi Moore ne suffisaient-elles pas à redonner espoir à toutes les vieilles de ce monde ?! Bon, d’accord, la chirurgie avait dû les aider, mais il ne faisait aucun doute que pour conserver un tel physique, il n’y avait pas que l’argent. Il fallait seulement savoir s’entretenir ! Si elles avaient subi autant d’interventions chirurgicales, elles ressembleraient plus à Michael Jackson qu’à une version plus vieille de ce qu’elles avaient pu être. À ce regard lancé à un miroir comme pour la réconforter, Elin tira un petit sourire, tout en baissant la tête comme pour les laisser entre eux.
En réalité, elle comprenait sa cliente. Ce qu’elle comprenait moins, c’était le fait qu’elle s’évertuer à le nier.

- Vous ne l’avez peut-être pas cherché, mais vous l’avez trouvé.

Elle avait dit cela d’un ton un peu plus complice, tout en maintenant tout de même une certaine distance. Elle ne cherchait pas à mettre Elena en confiance, elle voulait juste lui montrer qu’elle jugeait la situation et non sa personne. Mais bon, il fallait plus qu’une intonation pour lui faire comprendre cela… Elle ne doutait pas du quotient intellectuel de la blonde mais si celle-ci avait nié en bloc tout ce qu’on lui avait dit, elle ne devait pas être si futée que ça !

- Je n’ai jamais prétendu que vous avez fait quelque chose de mal. Vous êtes une femme, alors autant en profiter avant la ménopause.

Elle le concédait : c’était assez mesquin alors qu’elle ne tentait pas de déclarer la guerre. Mais c’était vrai, après tout, et même son interlocutrice devait penser la même chose. Si elle y voyait une attaque personnelle, c’était qu’elle se sentait blessée et donc que c’était vrai. Ou alors elle n’aimait définitivement plus sa jeune voisine. Tant pis, après tout, ce ne serait pas une grosse perte vu qu’elles n’avaient aucun lien qui les unissait. Cela aurait été plus dommage si Elin s’était entendue avec elle ou sa fille, mais ce n’était pas le cas. Pourquoi se plaindre alors ?

- Écoutez… dit-elle avec calme. Ne vous braquez pas, je ne vous ai pas jugée. Je disais juste que les rumeurs ne sont jamais infondées. D’accord, certaines putes comme Kathryn McClair en lancent peut-être pour le plaisir du ragot. Mais vous n’êtes jamais sortie avec des jeunes ? Vous ne vous habillez pas comme les autres mères, et c’est tout à votre honneur de ne pas subir les affres du temps. Mais… ne vous plaignez pas, après.

Oui, Elin avait été vulgaire, mais ça n’avait rien de nouveau, surtout si ses mots déplacés concernait la matriarche des McClair qui était, mais alors, une vraie salope. Elle était peut-être même l’exemple typique de la femme au foyer mal baisée qui se réfugiait dans la religion, un passe temps douteux, pour oublier à quel point son mari n’était plus doué au plumard. Elle était suivie de près par les Katlina Evans et même par sa propre mère. Pourtant, son père n’avait pas perdu tout son charme. Enfin bon, elle aimait autant ne pas en savoir davantage sur la vie sexuelle catastrophique de ses parents, qui les avait poussés à adopter une petite bridée.
En tout cas, la Van Wagner n’était pas du genre à attendre un autre article de Dirty Secret pour que l’on parle d’elle ! Si elle voulait échanger sa place avec celle d’Elin, elle n’avait qu’à le faire ! Ce n’était pas réellement ce qu’Elin souhaitait, cependant. On avait beau croire qu’elle était laxiste, mais elle voulait mériter ce qu’elle avait. Elle voulait donc travailler sur son image pour acquérir une certaine réputation, et pas que cela tombe du ciel.

- Vous savez… Je pense qu’on pourrait bien s’entendre.

Elle s’apprêtait à se prendre une veste, c’était un risque à prendre. Mais tant pis, elle aurait essayé. Elle rajouta tout de même, pour sa défense :[ /i]

- Vous n’êtes pas une vieille bonne femme en puissance propre au quartier ! J’dis pas que c’est mal, au contraire. Vous risquez par contre de faire de l’ombre à votre fille…

[i]Cela allait tout foirer. Elle essayait pourtant d’être sympathique, mais elle savait pertinemment que ça ne marcherait pas. L’autre prendrait mal sa remarque ou ne voudrait tout simplement pas se lier d’amitié avec quelqu’un qui osait affirmer des choses – réelles – sur elle. Elle croisa les bras, attendant fermement une réponse, une lueur d’espoir qu’elle dissimula par un air de confiance dans le regard.