Jaylann avait passé toute la journée à la bibliothèque, un affreux mal de crâne prit le dessus sur son irrésistible envie de finir son livre, tant pis. Elle claqua alors le livre et le reposa à sa place, elle enfila son trench et enjamba la ville d'un pas décidé.

Le quartier résidentiel était plutôt calme et semblait abandonné mais Jaylann sentait un regard pesant sur elle, Julian King était en train de la dévisager. Le garçon dont la mère... Non, elle s'en fichait, tout ce qui importait c'était ce regard noir qu'il lui jetait, la raison n'était pas inconnue pour Jaylann ce qui l'agaça au plus au point. Ni une ni deux, elle démarra au quart de tour.

- Mais c'est pas possible...

Elle s'approcha du jeune homme d'un pas décidé, ferme, le cliquetis de ses talons sur le bitume résonnait dans la rue. Arrivée à quelques centimètres de lui, elle arrêta sa course effrénée et se posta devant lui, excédée.

- Sérieusement ? Donc si mon père est stupide, je le suis également ce qui voudrait donc dire que tu es une parfaite commère si on suit la logique des choses ?!

C'était la première fois qu'elle croisait Julian dans le quartier, première fois que leur regard se croisaient depuis la mort de sa mère mais il ne l'impressionnait pas, ils faisaient la même taille et se retrouvaient donc face à face. Les yeux bleus de la jeune femme étaient plongés dans ceux de Julian, ce n'était pas un regard haineux mais un regard franc, tranchant. Elle trouvait la rancoeur de Julian complètement enfantine, elle n'était pas son père et partageait encore moins son opinion, elle avait jugé sa remarque sur Alicia King complètement débile mais cependant assez représentative de la personne qu'était son père. Elle ne supportait pas d'être jugée pour les paroles de celui ci, c'était viscéral.

Ses mots eurent l'effet d'une bombe, comme à chaque fois que quelque chose ne plaisait pas à la jeune femme en réalité, elle était bien trop impulsive mais à chacun ses défauts, n'est-ce pas ? Elle soupira, agacée.

- Quel imbécile...

Elle se mit à serrer les dents mais il était impossible d'arrêter Jaylann lorsqu'elle estimait que le jeu en valait la chandelle.

- Me connais-tu pour te permettre de me haïr ? Ou ne suis-je qu'un nom ou ce qu'on a pu te raconter sur moi ? Si oui, tu mérites ce qu'il t'ai arrivé. Je serais honteuse d'avoir un garçon qui croit sur parole tout ce que l'on raconte.

Jaylann était virulente dans ses paroles mais restait calme et éloquente, c'était un intensif rejet de haine envoyé à la sauce Fitzgerald. Elle ne le connaissait pas mais c'était plus fort qu'elle, ce n'était pas un jeu, elle était indéniablement plus forte que lui, ça aurait été de la triche pensa-t-elle. Mais pendant quelques instants Jaylann regretta ses propos, très fort, comme si cela était assez pour se faire pardonner, elle baissa les yeux au sol et soupira mais c'était trop tard. Son orgueil lui empêchait toute excuse, tout regret, elle devait vivre avec cette image de "vipère". Elle leva le regard et d'un air bien décidé elle entreprit la folle décision de montrer à Julian qui elle était réellement, elle ne pouvait se permettre d'être haïe pour des paroles qu'elle n'avait pas prononcé.

- Je n'ai pas l'intention de perdre mon temps plus longtemps, si tu veux me haïr alors laisse moi t'en donner les raisons.

Julian était malgré tout un très bel homme, son regard était pénétrant, elle en oubliait presque qu'il la haïssait. Elle prenait un malin plaisir à le dévorer du regard, plutôt étrange étant donné la situation mais c'était Jaylann, elle avait besoin de le provoquer.

"Bitch." Jaylann eu un léger rire, désormais il ne pouvait gagner cette bataille, c'était fini aux yeux de la jeune femme, Jaylann 1 - Julian 0. Il avait réussi à perdre toute crédibilité en agissant de la façon la plus stupide qui soit; elle était certes virulente lorsqu'elle était de méchante humeur mais elle n'utilisait jamais les insultes pour se défendre, c'était d'un pathétique et preuve d'un manque de maturité au possible. Plutôt déçue de voir que Julian n'avait, finalement, rien dans le ventre, elle s'impatienta mais le temps eu raison de l'atmosphère qui régnait entre les deux jeunes personnes, une pluie commença à tomber sur leurs visages emprunts de colère. Jaylann était haut perchée dans ses Louboutin de 16 centimètres et ses pauvres pieds commençaient sérieusement à faire la gueule et rester plantée devant Julian n'arrangeait en rien la situation, mais il n'avait pas l'air décidé à dire quoi que ce soit alors quitte à attendre que le jeune homme décide de l'ouvrir autant rendre la situation agréable.

- Tu permets.

Elle prit légèrement appui sur le bras de Julian et elle ôta ses chaussures, le sol était mouillé par les pluies torrentielles qui s'étaient abattues tout au long de la journée mais c'était le cadet de ses soucis, un souffle de bonheur s'échappa de la bouche de la jeune femme. Elle le regardait, le détaillait, souriait discrètement à la vue de certains détails sur le visage du jeune homme mais sa patience avait ses limites, la pluie ne cessait d'être plus violente, ils ne tarderaient pas à être trempés. Tranchante et se voulant décisive ;

- Je suis seule chez moi, je t'y attendrais et je te donnerais de vraies raisons de me haïr.

À ces mots elle le frôla et se dirigea vers la maison des Fitzgerald qui n'était qu'à quelques pas. Distancée de lui de quelques mètres, elle se retourna vers Julian qui était quant à lui restait planté sous la pluie et elle cria à fin que ses mots lui parviennent malgré le bruit de la pluie qui se brisait sur les rues de Magnolia.

- À moins que tu préfères rester un pauvre petit garçon ignorant !

Elle se retourna le sourire jusqu'aux oreilles, pas ce sourire que les gens adorent voir sur le visage d'autres personnes mais celui qui insinuait que cela ne faisait que commencer. Ne prenant alors pas la peine d'écouter ce qu'il aurait bien pu dire, les quelques pas restant lui permirent d'ouvrir la porte et la refermer vers le pauvre Julian King, plus perdu que confiant. Elle pensa alors au malin plaisir qu'elle avait à provoquer celui ci, elle ne le haïssait pas, elle n'avait rien pour lui mis à part une singulière attirance, Julian prétendait la haïr, voilà une mise en bouche fort intéressante.

La jeune femme trempée jusqu'aux os monta les escaliers lentement, ralentie par le poids de ses vêtements trempés mais se souvenant de ce qu'elle avait pu dire plus tôt à Julian elle se précipita dans l'aile de la maison qui lui appartenait, se débarrassa de ses vêtements profitant au passage pour allumer la chaîne hifi et sauta sous la douche.

La douche était plus longue que prévue, Jaylann semblait vouloir s'y éterniser en oubliant complètement Julian, la sensation de l'eau chaude qui coulait le long de son dos était d'un réconfort sans pareil. Puis comme un choc elle se souvint de la proposition presque indécente qu'elle avait fait quelques minutes plus tôt, elle sorti de la douche et enfila une serviette autour d'elle rapidement se précipitant vers la porte d'entrée. La silhouette qui se dessinait derrière la porte ne trompait pas, il avait cédé, il était bien là.

D'un pas lent mais rassuré d'avoir réussir à gagner face au jeune King, elle eu un sourire sournois sur les lèvres. Et malgré une tenue légère, les cheveux encore mouillés laissant quelques goûtes couler le long de sa peau, une attitude totalement lascive en somme, elle s'apprêta à ouvrir à un inconnu sa porte. Aux yeux de cet inconnu ce n'était pas n'importe quelle porte, parlons plutôt d'une antre, pas celle du diable mais presque, l'antre des Fitzgerald. En le faisant entrer ici Jaylann savait pertinemment qu'il faiblirait, se rendait-il compte que l'odeur des Fitzgerald lui collerait à la peau désormais ? Ouvrant enfin la porte, elle fit face à Julian ne pouvant s'empêcher de le dévorer des yeux et d'endosser ce même ton sarcastique qui lui était pourtant propre.

- Tu en as mis du temps, je commençais vraiment à m'ennuyer sans toi.

Le sourire qu'elle lui adressait était bourré de sous-entendus qu'elle même ne soupçonnait pas, quant était-il de lui ? Pas de temps à perdre à vrai dire. Qui aurait pu croire que ces deux jeunes personnes étaient réunies uniquement dans le but d'avoir une conversation ? Personne.

- Tu me suis ?

En réalité, il n'avait pas réellement le choix, à peine ces quelques mots pronnoncés qu'elle emprunta l'escalier qui menait à sa chambre, la serviette de bain qui protégeait les parties de son corps encore inconnues de Julian s'efforçait de cacher ce qu'il ne saurait voir lors de la montée de ces interminables marches. Elle se dirigea lentement vers sa chambre, poussant la porte et laissant alors entrer Julian dans la fausse aux serpents, le sourire aux lèvres.

Il était silencieux, presque nerveux, le bel homme emplit de confiance qu'elle avait croisé dans la rue quelques minutes plus tôt semblait avoir prit ses jambes à son cou, elle ne put s'empêcher de sourire, fière d'elle et de son emprise sur les hommes. Mais cette fois c'était différent, Julian détestait Jaylann, c'était un homme alors elle pouvait le conquérir, mais un homme qui la détestait, que pouvait-elle bien lui faire ? Elle désigna son lit de la tête pour indiquer au jeune homme qu'il pouvait s'y installer, néanmoins, elle restait silencieuse elle aussi, réfléchissant à quelle sauce manger Julian King.

Jaylann s'adossa au mur, toujours vêtue d'une simple serviette de bain et elle le détailla longuement ; il était incroyablement beau, une force se dégageait de son visage, une force qui plaisait à Jaylann. Puis, le silence se brisa.

- Je suis admirative...

Sa voix était toujours aussi lascive, elle entrecoupait ses phrases et respirait lentement. Elle ne cachait en aucun cas que la situation était des plus excitantes mais garder en tête la venue du brun très sexy qui était face à elle.

- Toi qui déteste tant les Fitzgerald, à vrai dire avec mon père et Julia ce n'est pas si étonnant en fin de compte, te retrouve alors dans leur incroyable tanière...

Encore à demie nue sous sa serviette et jugeant son accoutrement bien trop suggestif pour Julian elle se dirigea vers sa chaise de bureau où un peignoir en satin noir jeté avec désinvolture l'attendait. Dos au jeune homme elle fit glisser sa serviette le long de son corps et le sourire aux lèvres, enfila ce bout de tissu alors beaucoup plus correcte pour l'occasion. Le silence était religieux, elle chopa une cigarette au vol dans un paquet qui traînait et dans un geste très mécanique elle la porta à sa bouche, l'alluma et cracha un nuage de fumée.

Elle cherchait avant tout à le déstabiliser et cela fonctionnait à merveille, mais elle l'avait fait venir pour un but précis non pas de se jouer de lui, ni même de le prendre dans ses filets mais elle voulait l'entendre de sa bouche, satisfaction personnelle peut-être..

- Alors... Pourquoi tu es venu ?

Jouer de son physique était-ce être faible ? Pour les filles que l'on pourrait qualifier de laide probablement, pour Jaylann c'était un accessoire de taille et Julian semblait y être extrêmement sensible. Elle avait sentit son regard lorsqu'elle se dénuda et gagna une fois de plus un avantage considérable sur la partie qui se jouait. Visiblement moins gêné, il s'autorisa à lui prendre une cigarette, une assurance plutôt séduisante pensa la jeune blonde qui le suivait du regard. Surprise, elle ne l'était pas quand il détourna sa question, il était évidement déstabilisé mais devait-il être aussi prévisible ?

- C'est intéressant, tu ne donnes pas les réponses, tu attends qu'on te les dicte. Dois-je en déduire que tu es une personne faible ? Ah excuse moi, tu n'es pas capable de répondre aux questions que l'on te pose.

Arrogante, lascive... fascinante voilà ce qu'elle était. Elle n'hésita pas à lui cracher la fumée au visage, pour le provoquer une fois de plus mais pour évidement marquer la domination au sein de ce couple singulier. En plus d'être une jeune femme avec des atouts physiques indéniables elle était doté d'une force de caractère qui lui était propre. La haine qui animait son corps semblait être trop vieille pour appartenir à ce jeune corps, mais 25 ans lui suffirent à devenir un mur d'acier. Elle ne comptait pas lâcher prise avec Julian, elle ne savait pas réellement ce qu'elle attendait de lui, ni de ce qu'elle ferait de lui. Voulant le titiller encore et encore, ironiquement elle lui jeta :

- Je pense que tu es une personne forte qui ne se laisse pas du tout influencer par un nom de famille et surtout pas par un physique. Encore un garçon si différent des autres mais qui me déteste... Quelle malchance.

Elle portait évidement aux lèvres ce sourire agaçant, moqueur qui lui était comme greffé sur le visage. Elle se leva du lit dans l'incapacité de le quitter des yeux et s'avança vers lui langoureusement, à quelques centimètres de son visage elle lui murmura d'une voix des plus sensuelles des paroles à sous entendu, augmentant alors la tension sexuelle qui régnait entre le beau brun et Jaylann.

- Qu'as-tu dans le ventre Julian ?

Il avait décidé de l'ouvrir cette fois, était-ce pour le mieux ? Pas à en croire l'accélération cardiaque de la jeune femme. Comme des centaines de lames qui s'enfonçaient dans son corps les paroles de Julian la pénétraient, la blessant dans son égo, elle s'était trompée sur lui. Il ne la considérait pas, pas plus qu'un objet dont il pourrait user pendant quelques temps, sa définition de jeu était une définition que Jaylann ne partageait pas. Un regard froid transperça le jeune homme à ce moment, mais décidée à tirer quelque chose de celui ci, ayant tout de même une lueur d'espoir, elle continua son petit jeu, ne lui offrant aucun doute.

- Non Julian, on arrête de jouer.

Tandis qu'elle se rendait compte que Julian n'était ni plus ni moins qu'un garçon sans intérêt, qu'elle semblait s'être lourdement trompée sur lui, elle avait néanmoins détruit une des dernières barrières qui les séparaient, leurs lèvres alors se frôlaient, le souffle chaud de la jeune femme s'écrasait contre le visage durci de Julian. Définitivement perdue dans les yeux bleus du jeune King, elle était déçue du retournement de situation, s'attendait-elle finalement à plus de la part de celui ci ? Jouer... Savait-il ce que cela voulait réellement dire ?

- Tes lèvres me supplient de me taire...

D'un geste rapide, sa peau douce effleura la barbe naissante du jeune homme pour parvenir au creux de son oreille, maléfique et enchanteresse comme il semblait la décrire, elle souffla doucement dans son oreille avant de reprendre une voix plus ferme.

- Mais personne ne m'impose de règles et pour tout avouer, je préfère quand c'est moi qui donne les coups.

Évidement Jaylann n'était pas en territoire inconnu, elle en savait plus sur Julian qu'il n'en savait sur elle, le jeune homme avait eu une relation avec sa chère et tendre soeur, bien qu'elle ne se soit pas évidement pas confiée à elle, tout finissait par se savoir d'une façon ou d'une autre, alors si Julian voulait piquer alors elle le pouvait aussi, plus fort encore. Mais lui, que savait-il sur elle ? À vrai dire personne ne savait quoique ce soit à son propos mis à part le fait qu'elle n'était qu'une coquille vide, pourvu qu'il ai de l'imagination. Mais résolue, Jaylann n'avait jamais réellement chercher à blesser le jeune homme, plus avide d'une compagnie que d'un camarade de douleur, elle était tombée sur une mauvaise pioche.

Elle s'était reculée, prenant au vol une autre cigarette comme exutoire et imposa une distance entre le jeune homme et elle, ne souhaitant plus vraiment le regarder. Paradoxalement elle détestait les gens qui s'amusaient à faire mal aux autres juste pour le plaisir, juste pour s'amuser elle avait pu comprendre au fil de sa vie que ce n'était ni drôle, ni réconfortant. Si à l'heure actuelle elle n'est qu'un débit de méchancetés c'était à cause de la vie. Plus aucun sourire sur son visage, plus aucune lueur dans ses yeux, juste un corps froid, inanimé.

- J'ai passé toute ma vie à jouer à celui qui fera le plus mal, j'en ai assez. Trouve quelqu'un d'autre.

Jaylann fumait silencieusement sa cigarette, ses dernières paroles semblaient avoir touché le jeune homme qui restait bouché bée face à ce retournement de situation. Le regard rivé sur la rue, elle tirait longuement sur sa marlboro, immobile, incapable de penser à quoi que ce soit. Elle ne savait même plus pourquoi il était là, planté dans sa chambre, désemparé. Que cherchait-elle à lui prouver finalement ? Il avait sûrement raison, toute la famille Fitzgerald était pourrie, envenimée par le passé, sans remède. Et à moins de se séparer de cette muraille qu'elle s'était construite, elle ne pourrait lui prouver quoi que ce soit.

Dans ses sombres pensées, le beau brun la fit revenir à la réalité. Il était clair que le jeune homme n'était pas tout à fait lui même, l'agressivité de la belle blonde ne pouvait que faire sortir les démons les plus profonds en nous. Et la fierté d'un homme ne pouvait que créer une combativité entre ces deux personnes, quitte à se perdre. Mais l'atteindre ? C'était donc cela qu'il cherchait, atteindre l'impénétrable Jaylann Fitzgerald. Elle saluait l'initiative, personne ne cherchait vraiment à la toucher à moins de croire à quelque chose de plus profond qu'un mur de pierre. Mais ces quelques belles paroles ne suffiraient pas à la faire changer d'idée. Toujours dos à Julian, d'une manière cinglante elle lui jeta quelques mots.

- Merci, je ne pensais jamais pouvoir la mériter.

Malgré l'atmosphère qui s'était nettement refroidie, elle n'était pas insensible à la voix suave de Julian qui semblait être beaucoup plus naturelle que les tons qu'il avait employé plutôt, elle avait quelque chose de réconfortant qui plaisait secrètement à Jaylann. Elle avait pu le sentir se rapprocher d'elle, son étroite présence engloba son corps d'une douce chaleur. Elle le sentait proche, elle n'avait qu'à tourner la tête pour le confronter, il était soudain comme un aimant qui l'attirait dangereusement. Mais elle avait toujours cet avantage, il venait à elle non pas pour les mêmes raisons mais elle ne pouvait se permettre de le regarder.
Elle pouvait sentir son souffle lorsqu'il lui parlait, elle l'écoutait, faisait attention au moindre mot quand délicatement la main de Julian vint relever son triste visage, étant alors obligée de le regarder, de se plonger dans son regard profond et d'y répondre tout simplement, le contact de sa peau sur son visage lui fila quelques frissons, elle en oublia ce qu'il avait pu dire. "Je veux savoir." Il était convaincant, mais baissant le regard elle porta sa main sur la sienne un instant, qu'elle ôta doucement de son menton.

- La vérité c'est qu'il n'y a rien à savoir, je suis vide.

Triste vérité, envers du décor, cela ne la rendait plus amère, ce n'était plus que des paroles anodines. Soudainement Julian déblatéra avec ce qui ressemblait à de la franchise, elle leva les yeux vers lui, il ne pouvait pas être en train de mentir ou alors tout son corps mentait lui aussi. Pourquoi lui disait-il tout cela ? Elle avait pu comprendre qu'il cherchait à tout prix à l'atteindre, à la percer mais parler de lui de cette façon était prendre beaucoup de risques et puis, quand bien même ils partageraient le même opinion, qu'est ce que cela changerait ? Elle en était curieuse, mais cela en valait-il le coup ?

- Je suis bien trop seule et bien trop lucide pour être heureuse, tu peux le comprendre ? Pendant que les autres oublient, moi je vis avec.

Aussi spontanée qu'il avait pu l'être, ces phrases sortirent de sa bouche ne cherchant pas à le convaincre de quoi que ce soit mais uniquement à se libérer de cet interrogatoire. Mais il ne fallut pas longtemps pour qu'elle regrette cette faiblesse.

- Autre chose ? Ah oui, il m'arrive de pleurer mais ne le raconte à personne.

L'heure n'était plus à la guerre mais à la paix. Cette paix ne fut pas signée par une ultime étreinte ni une ferme poignée de main mais par une soudaine fusion de ces deux âmes en souffrance. Les regards se mêlaient, les langues se nouaient et se déliaient au fur et à mesure de la conversation, une certaine quiétude s'était installée entre eux démolissant à coup de plume leurs remparts respectifs.

Il souriait. Pourquoi souriait-il ? Était-ce un sourire malsain, un de ces sourires qui se suffisent à eux même ? Jaylann y réfléchit quelques secondes mais les quelques paroles du jeune King suffirent à lui faire comprendre que non, il ne se moquait pas d'elle. Il savait ce que c'était de souffrir et elle n'en avait jamais douté, il semblait étrangement compatir.

- Il n'y a rien à comprendre à la douleur.

Comme une âme vivant depuis déjà quelques millénaires et ayant connue toutes les douleurs du monde, elle lui parla d'une voix neutre, apaisée. Elle savait pertinemment qu'elle ne lui apprenait rien mais comme un mécanisme bien rôdé cette phrase sortie du plus profond de ses entrailles.

- Toi aussi tu mens Julian. Tu me mens tout comme je te mens et cela uniquement dans le but de nous protéger de la vie.

Mais elle ne cherchait plus à lui mentir, il n'y avait plus de barrière. Ils pouvaient se haïr ou s'aimer, se battre ou s'aider tant leur souffrance semblait égale. Il était inutile pour eux de se l'avouer, un simple regard suffisait à se faire comprendre qu'ils n'étaient rien d'autres que des âmes brisées. Mais les secrets sont les secrets et elle ne pouvait se permettre de se détruire encore plus, alors qu'importe si elle pleurait.

- Je n'ai finalement rien à te prouver... J'ai juste oublié de te dire quelque chose.

Tout au long de sa phrase sa tête ainsi que son regard s'étaient doucement baissés, non elle n'abdiquait pas mais elle avait choisit une autre voie pour Julian et elle, celle de la rédemption, de la sincérité.

- Je suis désolée pour ta mère, sincèrement.

Si il se méfiait encore d'elle, il pouvait croire à une ultime ruse, le poignard dans le dos qu'il craignait tant mais son visage s'était relevé, son regard franc dans celui de Julian ne pouvait faire percevoir que tristesse et sincérité.

Et puis finalement cette paresse de la vie n'était plus aussi lourde puisque partagée. N'auraient-ils besoin que de se regarder pour comprendre désormais ? Pour comprendre que c'est un jour sans, encore un ? Le temps semblait s'être arrêté pendant quelques secondes. Elle s'était évadée dans ses pensées laissant le jeune homme sans réponse. Elle s'était lentement dirigée vers un des fauteuils près de la fenêtre, le fauteuil des jours tristes passés à regarder le ciel, à attendre que quelque chose arrive. Son corps était lourdement tombé sur le fauteuil, étant trop faible pour supporter le poids de la vie, sa peau s'éclaircissait à mesure que le soleil pointait son nez, les volutes de fumée d'une énième cigarette s'amusaient au dessus de sa tête, elle ne pensait plus à rien.

Même si elle ne le regardait pas elle le voyait, sa barbe, ses yeux, ses lèvres et leur mécanisme complexe, c'était étrange. La présence de Julian était rassurante, apaisante, séparés pourtant de quelques mètres elle sentait son souffle glisser le long de sa peau, elle se demandait à quel point cette rencontre était inattendue. Doucement sa tête se tourna vers le jeune homme, un léger sourire sur les lèvres elle l'invita à s'asseoir face à elle, elle n'avait finalement pas envie qu'il s'en aille.

Tu ne m'as pas répondu, toi. Tu sais parfaitement pourquoi mon monde est gris, mais je ne sais rien du tien. Le silence s'était rompu. Son sourire se décomposa doucement, ses yeux évitèrent les siens; non pas que de nouveaux retranchements s'étaient immiscés entre eux mais il n'y avait rien à dire, elle n'avait rien à dire car il n'y avait rien à faire.

- Qu'est-ce qu'il te manque pour être heureux ?

Jaylann savait pertinemment qu'elle n'avait rien à lui offrir et qu'il n'attendait rien d'elle. Elle n'avait pas de solution à son mal être mais elle cherchait à le connaître, à casser petit à petit sa coquille, s'étonnant de l'intérêt soudain qu'elle lui portait.

Confortablement assise dans son fauteuil elle regardait le jeune homme venir à elle en silence, il était docile mais c'était pour mieux surprendre, une douce violence émanait du jeune homme aux apparences trop calmes.
Il était difficile de quitter les yeux de Julian, magnétiques, intrigants mais surtout ils répondaient à eux seuls aux questions qu'elle lui posait. Elle l'avait déstabilisé et s'en amusait discrètement. Mais Julian vivait dans le passé, ne cherchait plus à vivre parce que rien ne le poussait à le faire, le léger sourire qui s'était dessiné devant la gêne du garçon s'était évanoui.

- Voilà une de nos différences, tu ne cherches plus à savoir ce qui peut te rendre heureux mais te repose sur ce qui ne te le rendra jamais.

Elle était énervée; ce manque d'envie de vivre lui serrait le coeur, comment pouvait-il dire ce genre de choses sans cligner de l'oeil ? Pire encore comment pouvait-il pensait que tout était fini ? Elle mourrait d'envie de lui dire que sa mère ne reviendrait pas, qu'il côtoyait sans doute son tueur tous les jours mais elle ne voulait pas le blesser, il savait déjà tout ça et en avait fait son quotidien. Elle s'était contenté de fumer sa cigarette ne le lâchant pas des yeux.

Je sens que tu ne me répondras pas. Tu as raison, rien ne t'y oblige, surtout pas moi. Ce n'était pas de la curiosité malsaine, elle pouvait le sentir, il cherchait réellement à savoir quelques choses sur elle, à la comprendre comme elle essayait de le faire. Surtout pas moi. Surtout toi, mais elle ne le lui dirait pas, elle avait envie de lui parler, de lui avouer, il n'avait pas besoin de se rabaisser pour ça mais de se réjouir tout simplement d'avoir couper les ronces qui protégeaient son coeur. Il était étonnant, il se rabaissait et finissait par lui ôter sa cigarette de la bouche, il était imprévisible et elle, elle souriait.

- Je sais que l'amour peut me rendre heureuse, pas l'amour de mes parents ni celui de mon frère et mes soeurs, ni même l'amour que je peux porter à mes projets puisque je n'en ai pas, mais l'amour d'une caresse qui glisse le long de ma joue, de regards qui me diront je te comprends et je ne te demande pas de changer... Je me sens incomprise et terriblement seule.

Elle s'était lancée le plus naturellement possible, elle n'avait pas quitter ses yeux, pas une once de faiblesse dans sa voix. Elle ne lui avait pas tout dit mais c'était un début comme un autre, le début de quoi, elle se le demandait.

- Maintenant dis-moi ce qu'il te manque pour être heureux.

Elle voulait savoir.

- Tu as passé ton temps à quoi depuis la mort de ta mère ?

La jeune femme s'énervait doucement, elle gardait son visage lisse, ses yeux accrochés aux siens mais son poing se serrait. Elle ne voulait pas être agressive mais il avait consacré tout son temps pour une tombe jusqu'à s'en oublier lui même et semblait se satisfaire de sa situation. Sa situation lui plaisait peut-être finalement vu son engouement pour changer les choses. Deuxième, troisième cigarette ? Elle ne savait plus.

- Je sais que tu me trouves stupide.

Malgré les saloperies que la vie avait pu lui faire elle avait toujours garder l'amour comme solution à ses maux, comme échappatoire de cette vie cruelle. Lui... ne croyait plus en rien. La vie l'avait déçu, il ne lui donnerait pas de seconde chance. La main de Jaylann s'était doucement posée sur celle du jeune homme, c'était étrange mais sans doute pensait-elle qu'il serait plus touché par un contact physique que des morts jetés à tord et à travers.

- Arrête de te punir s'il te plaît.

S'il te plaît. Jaylann s'étonnait, quel retournement de situation. Mais elle savait qu'elle faisait la bonne chose, elle aussi aurait voulu d'une personne qui s'inquiétait de son mal être et qui lui aurait demandé tout simplement de changer cela. Elle pouvait comprendre qu'il s'en voulait de ne rien avoir pu faire, de ne pas pouvoir venger sa mère mais tous ces remords l'avaient détruit, ces remords l'avaient pousser à ne plus rien s'offrir, à croire qu'il ne méritait plus rien de la vie. Elle lui souriait tandis que sa main s'éloignait de la sienne.

- Si j'arrive à être heureuse et que toi non je me sentirais coupable.