Erreur fatale. Inconscience. Catastrophe. Un florilège de mots apocalyptiques raisonnaient dans la tête de Lorenzo, mais ce dernier n'en démordait pas. Il marchait dans la rue en direction de la maison des Van Valkenburg, et rien ne le ferait faire demi tour. Naya Freeman avait disparu depuis quelques temps déjà, et le professeur s'inquiétait sérieusement pour son ancienne meilleure amie, connaissant l'animosité passée qui avait toujours animé sa relation avec la disparue. Rose devait être en proie à des sentiments contraires et opposés, comme à son habitude. Même si la jeune femme arborait toujours une carapace de glace, que beaucoup prenaient pour du mépris, Lorenzo avait appris à voir par delà les apparences : son amie était fragile. Elle n'avait jamais porté Naya dans son coeur, et c'est justement ce qui inquiétait Lorenzo. Elle ne devait pas pleurer la disparition de la métisse, mais au contraire se reprocher tant d'indifférence, et regretter leurs altercations passées, trop vives. Son coeur n'était pas de pierre, non plus. Alors cet évènement était idéal pour inciter les cauchemars et maux de tête à revenir vous hanter. Il avait connu Rose dans de bien mauvaises passes, jamais il ne la laisserait seule dans une telle situation. Alors, peut-être qu'il devenait parano, peut-être que Rose se portait très bien, vivait d'amour et d'eau fraiche et ne ressentait pas le besoin d'un meilleur ami. Peut-être qu'elle lui rirait à la figure en le voyant. Mais qu'importe, il préférait en avoir le coeur net.

En arrivant devant chez elle, il sonna, puis fut pris de craintes : et si Rose n'était pas chez elle ? Et s'il tombait sur Natalia, ou pire, Nina ? Qu'importe, il était prêt à courir n'importe quel risque pour elle.

Ces derniers jours n’avaient pas été les plus faciles pour Rose. Depuis quelques temps rien n’allait comme elle le souhaitait. Sa relation avec Bryan battait un peu de l’aile à cause d’histoires médiocres mais qu’elle n’arrivait pas à passer outre. Et cela commençait à polluer sérieusement toute sa vie. Bryan était devenu si important qu’elle avait l’impression que rien n’allait si rien n’allait avec lui. Pourtant côté professionnel tout se passait bien. Son orchestre faisait de beaux concerts, Rose se sentait à son aise. Cependant, et comme bien souvent ces temps-ci, Rose n’avait pas le moral. Elle ne voulait pas l’avouer, mais elle se sentait aussi un peu mal depuis que Naya Freeman était portée disparue. Avec Nina, elles se sentaient un peu coupable bien qu’elles n’aient rien à voir dans toute cette histoire. Elle se doutait bien que cela devait être pire pour sa cadette, et ça aussi lui faisait de la peine. Elle n’arrivait pas à gérer la situation. Pour se détendre, elle avait donc décidé de jouer un peu de piano, histoire de se défouler et de ne plus penser à rien. Alors qu’elle était partie se faire un café pour se réveiller un peu, la sonnette de la porte retentie. Elle se demandait bien qui cela pouvait être, étant donné qu’elle n’attendait aucune visite. Qui plus est, toute sa famille était absente.

En ouvrant la porte, Rose eut un raté. Lorenzo était bien la dernière personne à qui elle avait pensé. Qu’est-ce qu’il fichait ici celui ci ? Après des mois à faire comme si ils n’existaient plus l’un pour l’autre, le voilà qui pointait le bout de son nez comme s’ils s’étaient quittés la veille. Fidèle à son habitude, Rose ne laissa pas paraître son trouble. Elle entrebâilla la porte de façon à laisser dépasser sa tête uniquement pour signifier à Lorenzo qu’elle n’avait pas forcément envie de lui faire la causette. Malgré tout à chaque fois qu’elle voyait Lorenzo, elle se sentait un peu mieux. Comme rassurée. Elle avait envie de lui déballer tout ce qu’elle avait sur le cœur, car avant, c’était ce qu’elle aurait fait. Tout simplement. Mais Rose avait la rancune tenace. « Lorenzo, quelle surprise. » dit-elle sur un ton plus froid qu’elle ne l’aurait voulu. C’était bien plus simple de l’ignorer quand elle ne le voyait pas. Il suffisait qu’il se pointe devant elle pour qu’elle ait envie de lui pardonner. Elle ne comprenait pas d’ailleurs, comment elle avait fait pour ne pas le pardonner avant. Quelque chose la retenait pourtant. La même chose qui l’empêchait de l’inviter à rentrer. Elle posa son regard sur lui, attendant qu’il explique les raisons de sa visite.

Son visage était toujours le même, son air hautain, son regard froid qu'il méritait amplement. Impossible de dire si sa présence plaisait à Rose, l'animait d'une totale indifférence ou au contraire l'insupportait. Mais cette façon qu'elle avait, de rester dans l'encoignure de la porte, sans l'inviter à entrer, en disait long sur son état d'esprit. Pourtant, elle ne lui avait pas encore claqué la porte au nez. Peut-être par politesse, mais Lorenzo préférait y voir un signe, une invitation à dialoguer, un effort de sa part. Rose lui en voulait toujours autant, en témoigne les longs mois qu'ils avaient passé sans se voir, depuis ce verre à Philadelphie.

« Bonjour Rose, j'espère que je ne te dérange pas. » Un affirmation plutôt qu'un question, afin d'éviter le risque qu'elle prétexte une fausse excuse et se dérobe à la discussion. Ils devaient avancer, elle l'avait dit. « Je venais voir comment tu allais, après tout ce temps. » Il hésitait à aborder Naya de but en blanc, elle pouvait très bien se braquer, si elle ne désirait pas se confier maintenant. Mais s'il gardait cette interrogation pour plus tard, et s'employait d'abord à renouer un lien avec elle, Rose risquait de penser que cette visite n'était qu'un prétexte pour satisfaire sa curiosité malsaine. En soit, oui il était curieux. Mais une curiosité mêlé d'une inquiétude sincère, pour celle qu'il appelait auparavant sa meilleure amie. « Je me suis inquiété pour toi, avec les récents évènements. Mais j'ai longuement hésité à venir te voir, ne sachant pas si tu voulais me voir. » Être cash, sincère, honnête. C'était ce qu'elle voulait. Toute la vérité, rien que la vérité. Enfin, pour l'heure, il éviterait de lui conter sa relation chaotique avec sa femme. Pour l'instant, il s'inquiétait pour elle, Rose était bien plus importante que ses petits états d'âme. Et puis, il ne fallait pas aborder les sujets qui fâchent trop vite. Si seulement il pouvait les aborder un jour. Là, devant la porte, il attendait le verdict de Rose. L'inviterait-elle à entrer (oui parce que Lorenzo est un vampire donc il ne peut entrer dans les maisons que s'il y est invité), ou avait-il déjà perdu la partie ? Peut-être était il le seul en jeu, même. Peut-être que pour Rose, les dés étaient désormais jeté, la sentence était prononcée. Des suppositions illustrées par l'absence criante de la jeune fille dans la vie du professeur, ces derniers mois.

S’il y avait bien une chose que Rose admirait présentement chez Lorenzo c’était bien sa ténacité. Il n’avait toujours pas abandonné. Depuis qu’ils avaient pris ce verre à Philadelphie des mois plus tôt, et que leur conversation s’était soldée par un échec cuisant, Lorenzo n’avait toujours pas déposé les armes. Rose ne put que constater qu’il tenait vraiment à elle. Si les rôles avaient été inversés, aurait-elle eu la même force de caractère ? Elle en doutait. Elle avait tendance à ne pas se battre quand il fallait vraiment montrer ses sentiments, c’était bien plus simple de se dérober, de ne pas se dévoiler, d’éviter toute vulnérabilité. Et pourtant, ces dernières années elle avait changé. Un peu. Etait plus ouverte. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Les vieilles habitudes avaient la peau dure, et malheureusement Lorenzo en faisait encore les frais aujourd’hui. Timidement, Lorenzo lui expliqua qu’il venait pour prendre de ses nouvelles, ne lui laissant pas vraiment le temps de trouver une excuse pour échapper à la conversation. Elle ne savait pas quoi lui dire. Il lui manquait, il le savait. Elle n’aurait jamais pu dire le contraire. Elle laissa échapper un soupire, elle était un peu gênée. « Tu aurais pu me donner un coup de fil… » qu’il passe comme ça, c’était gentil, vraiment, mais et si Nina avait été à la maison ? Elle avait été claire, elle ne voulait plus qu’ils entretiennent une quelconque relation. Malgré tout, le jeune professeur devait savoir que la petite sœur de Rose étudiait à Philadelphie durant la semaine. Elle se cherchait simplement des excuses, et voulait surtout sous-entendre qu’elle n’avait toujours pas oublié cette histoire.

Elle se sentit malgré tout un peu coupable. Elle avait conscience d’être dure avec Lorenzo. Il venait maintenant de dire qu’il s’inquiétait pour elle au vu et je cite « des événements récents ». A quoi faisait-il allusion ? Rose afficha une moue étonnée. Elle n’était pas dans son assiette, certes, mais elle n’étalait pas ses états d’âme dans ses statuts facebook, alors comment Lorenzo avait-il pu le deviner ? « Les événements récents ? » répondit-elle finalement bien trop curieuse pour que leur conversation s’arrête là. Elle ouvrit la porte un peu plus grand, signe qu’elle n’était pas totalement fermée à une discussion. Quant à l’inviter à entrer chez elle… Elle se tâtait encore. « Écoute Lorenzo, c’est très gentil de t’inquiéter pour moi, mais je t’assure que tout va bien ». Répondre à son interrogation et lui dire qu’elle était soulagée de le voir. Jamais. Lui dire qu’elle n’allait pas bien. Jamais. De toute façon si Lorenzo la connaissait un tant soit peu comme il l’avait dit à Philadelphie il n’allait pas se laisser duper bien longtemps. Même si Rose était assez douée pour dissimuler ses joies comme ses peines.

Déjà, Rose critiquait sa façon de débarquer à l'improviste. En réalité, il la connaissait, tout simplement. S'il avait appelé, proposé de passer telle date, elle aurait décalé. Inventé n'importe quelle raison banale, à peine valable, pour repousser l'échéance. Et quelques jours avant le rendez-vous, le manège aurait recommencé. Nouvel empêchement, repousser à nouveau ... En vain. Cet affrontement ne serait pas tâche aisée, mais Lorenzo décidait de prendre le taureau par les cornes, il voulait sauver les dernières bribes de leur amitié, la reconstruire, belle, neuve. Meilleure encore que la précédente. Car celle-ci auraient pour bases la sincérité, l'honnêteté, la franchise. Il l'avait enfin compris, finalement, le mensonge ne mène à rien de bon. Enfin ... Peut-être que deux ou trois détails mériteraient d'être omis, pour que le tableau soit vraiment un chef d'oeuvre. Cacher la petite éclaboussure de peinture ici, masquer le dérapage du pinceau là. Leur amitié serait réussie, et mériterait d'être exposée dans les plus grands musées. Il faisait la promesse, solennelle, là, maintenant. « J'aurais pu, mais j'avais envie de te voir, alors je suis venu » Il faillit proposer de repartir, mais elle aurait pu acquiescer.

Il entra dans le vif du sujet. Une fois la conversation entamée, Rose ne pouvait plus le remercier puis le congédier. Il voulait lui prouver que leur amitié, leurs discussions ... lui manquaient. Même s'il l'avait trahie, il n'empêche qu'il avait toujours été là pour elle. « Euh oui, je pensais à la disparition de Naya Freeman. Ça fait quelques mois déjà, mais comme je t'ai dit j'ai longuement hésité » Il n'oublierait jamais cette soirée de Noël, l'année dernière, où Rose était entrée dans une rage telle qu'elle aurait pu tuer son ennemie. Les yeux d'Anakin Skywalker brillaient sur son visage, noirs, possédés, elle n'était plus elle même, obéissant à la rage et la colère. Rose canalisait toujours ses émotions, telle une reine des glaces, elle ne laissait rien paraitre. Et parfois, elle débordait, il y en avait trop, beaucoup trop, elle explosait. Comme cette nuit là. « Tu es sûr, que ça va ? J'en suis ravi alors. » Il afficha un sourire sincère ... et resta là, devant elle, sur le perron. Il ne se contenterait pas de si peu d'informations. Il ne s'avouait pas vaincu parce que Rose coupait court à la conversation. Il rebondirait, encore et encore, jusqu'à la saouler s'il le fallait. « Ça fait longtemps qu'on ne s'était pas vu, depuis le concert à Philadelphie ... » Il marqua une pause, regardant un point fixe imaginaire, alors que la suite était tout à fait calculée. « Tu as encore beaucoup joué, depuis ? Je veux dire, ça se passe bien dans l'orchestre ? »

Un peu gênée, Rose tentait de trouver des excuses pour que Lorenzo décide de tourner des talons, seul. Malheureusement, le jeune professeur faisait preuve d’une volonté de fer. Il affirmait même ouvertement son envie subite de venir voir Rose, envers et contre tout. Touchée, la brunette baissa les yeux. Elle était encore plus mal à l’aise maintenant. Elle était partagée. Et pourtant ce n’était pas dans ses habitudes de se prendre autant la tête pour quelque chose, en général Rose avait les idées bien arrêtées. Elle préféra donc lui demander ce qu’il entendait par événements récents. La réponse que lui donna Lorenzo la mit encore plus mal. Surtout quand il évoqua Naya Freeman. En quoi est-ce que Naya était son problème ? Il est vrai que Rose n’avait pas bien vécu cet événement, mais comme tout habitant du quartier. De quel droit Lorenzo venait lui balancer ça à la figure ? Elle avait littéralement envie de l’agresser pour tous les sous-entendus que contenaient sa phrase, mais elle se retint. Elle préféra laisser glisser. Elle inspira un bon coup, et jeta un regard mauvais à son interlocuteur. Elle n’avait pas envie de s’éterniser – ni même de commencer – sur ce sujet.

Elle lui assura ensuite que tout allait bien. Évidemment Lorenzo n’était pas dupe. Il la connaissait suffisamment pour sentir que quelque chose était louche. Même s’il faisait semblant d’adhérer à ses propos, Rose sentait bien qu’il ne se ferait pas aussi insistant s’il était sûr qu’elle allait bien. Parce qu’en effet, Lorenzo ne projetait pas de quitter le perron des Van Valkenburg. Il relançait la conversation, alors que Rose ne se montrait pas réceptive à ce qu’il disait. Elle le regarda, lui et son sourire Colgate vissé sur son visage de parfait minet et eut envie de lui claquer la porte au nez. Malgré tout, elle décida d’agir tout autrement. Lorenzo n’avait pas envie d’abandonner, ainsi soit-il. « Si tu comptes vraiment me tenir la jambe toute l’après midi autant que tu entres » fit-elle en ouvrant la porte afin de laisser entrer le professeur de mathématique. Elle tourna ensuite des talons et se dirigea vers son salon suivi de Lorenzo. « Et pour répondre à ta question, l’orchestre ça se passe à merveille, je suis vraiment heureuse, épanouie, tout ce que tu veux » dit-elle d’un ton relativement neutre comparé aux propos qu’elle venait de tenir. « Mais et toi alors ? Comment ça va ? Summer, ça va aussi ? A quand le bébé ? » demanda-t-elle provocatrice. Au moins il ne pourrait pas lui reprocher de ne pas s’intéresser à elle. Elle prit place sur le canapé, fixant son « invité » un sourire poli sur les lèvres.

Lorenzo avait toujours été d'un naturel patient. Il n'affichait pas d'air supérieur, cependant il était particulièrement mature. Une qualité toujours utile, face à des ados de plus en plus enfantins, voire gamins, au lycée. Mais aujourd'hui, c'est pour survivre aux piques de Rose, que sa patience venait l'aider. Son ancienne amie ne se gênait pas pour critiquer son insistance. Au fond, elle ne voulait pas reconnaître que l'action de l'italien était louable. Elle ne voulait pas accepter que son amitié pour elle était sincère, et qu'il se laissait consciemment malmener par Rose, et qu'il s'accrochait, coûte que coûte. Il ne laissait pas tomber, il ne laisserait pas tomber. Et sans broncher pour la remarque désobligeante, il la suivit à l'intérieur de la maison. « Merci beaucoup » Le remerciement était sincère. Connaissant la jeune femme, elle aurait très bien pu le laisser là, seul, sur le perron.

Mais une fois à l'intérieur, le pire l'attendait. Il n'eut même pas le temps de renchérir à propos de l'orchestre, que Rose portait déjà le coup fatal. Il n'eut même pas le temps de s'asseoir sur le canapé, que Rose sortait déjà son arme secrète et le découpait tranquillement. Les sacs poubelles pour le jeter ensuite au fond de l'océan ne devaient pas être bien loin. Bien sûr, Lorenzo tressaillit, sa main se posa sur le dossier du fauteuil le plus proche, il manquait de tomber. Son visage dut rapidement virer au blanc, livide. Rose avait réussi, elle l'avait touché en plein coeur, là où ça fait mal. Elle pouvait être fière d'elle. Lui, était décomposé. Il restait là, ne sachant s'il devait enfin lever le drapeau blanc, et s'enfuir en courant, loin de cette fille sans pitié. Ou alors prendre sur lui, encaisser le coup et se relever, avec quelques dents en moins et beaucoup de sang perdu, remonter sur le ring pour un nouveau round. Malheureusement, sa stratégie semblait de plus en plus faillible. Rose n'en avait que faire, de sa détermination. Il devait l'accepter une bonne fois pour toute, elle ne voulait plus de lui dans sa vie. En témoigne le ton froid qu'elle avait employé pour l'attaquer. Il s'obstinait pour rien, la cause était perdue. « Summer va bien, je vais bien, merci » répondit-il en se redressant. « Quant au bébé, il va vraiment être difficile à concevoir en ce moment » Il se mordit la lèvre, Rose l'avait agacé, il n'avait su retenir cette confidence malheureuse sur le désastre qu'était son mariage. Et il s'en voulait, d'être aussi ouvert. Car au fond, Rose n'en avait rien à faire. « Et finalement, je crois que je vais partir. J'ai bien compris, je n'ai rien à faire ici. Tu aurais pu le dire clairement et être franche » Il s'en voulait, mais à elle également. Elle ne valait pas mieux que ces commères qui pronostiquaient sur la viabilité de leur couple. Elle voulait des ragots bien frais, au moins il lui en avait fourni. Mais maintenant, il avait assez donné, il avait assez tendu son coeur démuni, elle n'en voulait pas, il avait saisi. « Ne t'embête pas, je connais le chemin » Et il se dirigea vers la sortie, blessé.

Elle pouvait être dure parfois. Une petite peste, sans pitié, et redoutable. Elle pouvait aussi se montrer fragile et attachante. Jusque là, Lorenzo avait plutôt vu cet aspect de sa personnalité. Il venait d’apercevoir que Rose était loin d’être une gentille fille. Surtout quand on lui a fait mal. Il n’avait même pas eu le temps de s’asseoir, qu’elle avait attaqué. Son point faible : sa femme. Ou plutôt son mariage. C’était lâche de l’attaquer ainsi sur les confidences qu’il lui avait faites. Mais au moment où ses terribles paroles sortirent de sa bouche, elle ne s’en voulu pas. Elle s’était même sentie libérée de l’avoir touché en plein cœur, de lui faire de la peine. Les sentiments de l’être humain peuvent parfois être terribles, Rose en savait quelque chose. Elle ne regrettait donc pas d’infliger autant de douleur à Lorenzo. Sa réaction ne se fit pas attendre. Il lui lança un regard mauvais, mais tenait à rester fier en répliquant. Une nouvelle fois, il lui fit une confidence et la jeune violoniste tiqua. Les choses ne s’arrangeaient donc pas entre Summer et lui. Après un temps de pause, il annonça son départ. La petite scène de Rose avait visiblement fait son effet. Lorenzo ne se comportait plus en homme brave, les rôles s’étaient inversés, il en voulait désormais à Rose. Qu’il manifeste de la peine aurait dû ravir la jeune femme. Et pourtant il n’en était rien. Elle le regarda s’agacer de son attitude, et eut l’impression de se faire sermonner par un professeur. Il tourna donc des talons, prêt à tirer définitivement un trait sur la jeune Van Valkenburg.

« Attend. » fit-elle, sans vraiment savoir pourquoi. Peut-être l’absence de satisfaction qu’elle ressentait lui faisait penser que, finalement, elle n’était pas au dessus de toute cette histoire. Qu’elle avait beau traiter Lorenzo comme de la vermine, elle ne se sentirait pas mieux. « Je le reconnais, je n’aurais pas dû dire ça. » elle ne s’excusa pas, elle n’était pas désolée. Malgré tout, Rose savait qu’elle venait de dépasser les bornes. « Je ne comprends pas pourquoi tu t’accroches autant à moi Lorenzo. » c’était la première fois qu’elle lui disait ça, et en vérité, elle se posait la question depuis le début. Ils étaient meilleurs amis auparavant, certes. Pourtant Rose n’avait cessé de le repousser depuis maintenant plusieurs mois. Il aurait dû passer à autre chose. Après tout, Rose n’était qu’une fille parmi les autres. « Après tout ce qui s’est passé, tu es encore là. Pourquoi ? » ce besoin de comprendre était comme un leitmotiv auquel Rose se cramponnait. Peut-être que finalement, Lorenzo méritait une deuxième chance. Il était une des rares personnes dans sa vie qui ne lui avait jamais tourné le dos. En dépit de tout, il avait encore la force de s’inquiéter pour elle, de prendre de ses nouvelles. Rose avait tellement été focalisé sur le mal qu’il lui avait fait, qu’elle n’avait jamais pensé à se mettre à sa place durant une seconde. Bien qu’elle ne puisse jamais comprendre ce qui se passait dans la tête du professeur, en le touchant comme elle venait de le faire, elle ressentit sa peine, mais aussi sa détresse.

Fini, il jetait l'éponge. Un goût amer, celui de la défaite, restait dans sa bouche. Et une tristesse profonde envahissait son coeur. Il perdait une amie très chère, l'une des meilleures, l'une des plus proches. Il perdait une relation particulière, jamais il ne pourrait en trouver une semblable ailleurs. Elle était faite d'un peu de Rose, d'un peu de Lorenzo. Elle était unique, il l'avait chéri durant tant d'années. Mais aujourd'hui, il l'avait bafouée, piétinée, forcément il ne restait plus rien à récolter. Il avait joué, il avait parié. Sur la roulette de la vie, il avait placé leur amitié, mais son numéro n'était pas sorti. Rose s'en allait. Elle était déjà partie depuis plusieurs mois, depuis ce jour où il avait annoncé sa trahison et qu'elle n'avait pas pardonné. Ses vaines tentatives de reconquête, ensuite, n'étaient que des excuses, un gain de temps afin de ne pas accepter la vérité, la réalité en face, pas tout de suite. Il avait parié, perdu Rose. Perdu Nina. Perdu Summer. Il avançait seul dans le jeu, maintenant. A vouloir tout avoir, il se retrouvait sans rien, démuni.

Avec hâte, il parcourut la pièce. Quitter l'endroit, les souvenirs, les regrets, tout oublier. Il n'aimait pas ce sentiment, ce même goût amer qui insistait. Il avait compris, il avait mal agi, il avait raté et devait en payer le prix. Mais cette solitude était bien trop douloureuse. Rose en décida cependant autrement. Elle le héla, alors qu'il s'apprêtait à disparaitre du salon, de sa vie. Pourquoi. Il faillit rager. Pourquoi le faire souffrir, le torturer un peu plus ? Elle en doutait peut-être, mais Lorenzo était déjà suffisamment mal en point. Mais dans sa vision si fermée, elle devait être persuadée que le professeur n'était qu'un être sans coeur, qui n'avait que faire de perdre sa meilleure amie. Si seulement. Il se retourna doucement, pour retarder l'affrontement. Son corps se préparait à l'attaque, prêt à tenir, prêt à ne pas céder sous le coup fatal que voulait lui porter Rose. Elle avait tant matière à faire, évoquer son mariage, Nina, son ancien comportement ... Mais la réalité fut tout autre. Une réalité inattendue à laquelle il n'était pas préparé. Alors, forcément, il y eut un silence gênant. Aucune réponse ne venait, tant son comportement était évident, coulait comme de l'eau de source, équivalente à "pourquoi respires-tu" ou "pourquoi le soleil se lève-t-il tous les matins". C'est comme ça, tu ne peux pas l'empêcher. Lorenzo appréciait Rose, elle était son amie, c'était ainsi. Et lui, même si la réciproque n'était plus vraie, s'inquiétait toujours pour elle, son amie d'apparence si forte, qui pourrait briser un homme avec quelques phrases et un ton hautain, mais à l'intérieur si fragile. « Je suis encore là Rose, parce que nous sommes, du moins nous étions, des amis. Parce que tu m'as soutenu, que j'ai fait de même. Parce que tu as du mal à faire confiance, mais tu as eu confiance en moi, et j'ai honte de t'avoir trahie. Parce que tu es discrète, que beaucoup te pensent froide, mais en réalité tu es amusante, et protectrice envers les gens que tu aimes. Parce que tu joues la distante, mais au fond tu tiens énormément à tes amis, à ta famille, même si tu as parfois l'impression de n'avoir ta place nulle part. Et parce que tu protèges ta petite soeur, et que parfois tu regrettes de ne pas être plus proche d'elle. Parce que tu es une sacrée femme, mais au fond tu es fragile, et je m'étais promis de toujours te protéger, et au final c'est moi qui t'ai blessée. Parce que t'avoir comme amie, une amie présente, sincère, franche, sensible et aimante, est l'une des meilleures choses qui me soit arrivé. » Quand il eut fini, son rythme cardiaque battait à la chamade, essoufflé comme après un marathon. Pourtant, il avait encore tant à dire, tout et rien. Sa passion effrénée pour la musique, cette intérêt pour la cuisine, probablement pour se rapprocher de sa mère. Mais aussi son rôle de grande soeur qui lui tenait à coeur, même si elle n'était pas aussi proche de sa soeur qu'elle l'aurait voulu. C'était le cas de le dire. Et pourtant, si Nina et Rose avaient eu des rapports plus forts, peut-être la grande aurait-elle compris que Lorenzo rendait heureux la petite.

Un besoin de savoir, de comprendre. Ou alors c’était peut-être la énième preuve dont Rose avait besoin pour prendre pleinement conscience que Lorenzo tenait vraiment à elle. Elle ne savait pas s’il allait lui répondre, après tout, il avait déjà donné. Et Rose n’avait pas su lui rendre. Il aurait été légitime qu’il quitte cette maison sans même lui jeter un dernier regard. Il s’arrêta. Se retourna. Rose prit peur. Et s’il lui jetait un tas d’insultes au visage, s’il s’écriait qu’elle se fichait de lui, qu’elle ne faisait que le faire tourner en rond ? Une nouvelle fois, Rose fut agréablement surprise. Lorenzo resta planté comme un piquet, et lui fit une réelle déclaration d’amitié à la Lucas Scott. Heureusement que Rose n’était pas du genre sensible, et qu’elle savait contrôler ses émotions. Sinon elle aurait fondu en larmes. De joie. Avec sans doute une pointe de regret d’avoir été si dure avec lui. Elle ne pourrait jamais lui dire de telles choses. Comme Lorenzo l’avait dit lui-même, Rose était une fille discrète. Réservée sur ses sentiments préférant ne jamais dévoiler son bonheur, sa peine. Elle eut quand même un faible sourire. Alors que faire maintenant qu’il venait de lui avouer tout ça ? Se jeter dans ses bras pour lui confier qu’il lui avait manqué durant ces quelques mois. Elle ne bougea pas. Rose avait l’impression que ses jambes ne la porteraient plus si elle décidait de faire le moindre mouvement.

Elle resta sans voix, durant un moment. Lorenzo ne la perturba pas. Il restait en face d’elle, peut-être perdu. Soucieux de ce qu’allait dire Rose. Ou alors puisqu’il avait mis tout au clair, un poids lui était enlevé et n’avait plus aucun regret quant à la suite de cette histoire. « Et si ça ne redevient jamais comme avant entre nous, tu regretteras de m’avoir dit tout ça ? » le problème n’était pas de pardonner à Lorenzo la trahison, mais de devoir vivre avec. Nina ne cesserait jamais d’être sa sœur. Lorenzo ne cesserait jamais d’être important aux yeux de Rose, et la situation lui paraissait insoluble. Elle avait l’impression de faire un rubick cube et que les pièces ne voulaient s’accorder avec les bonnes couleurs. Si elle redevenait amie avec Lorenzo, arriverait-elle à oublier le passé ? « On peut peut-être recommencer tout doucement. » elle baissa les yeux. Elle n’était pas sûre que ça soit une idée brillante. Elle serait toujours méfiante vis-à-vis de Nina, la confiance qu’elle avait en Lorenzo s’était fortement craquelée. Rose n’était pas sûre de savoir recoller les morceaux. « Reprendre les bases de notre amitié. Si tu en as toujours envie. » et oui, même si le jeune professeur de mathématique venait de lui exposer sa démonstration de façon rigoureuse, Rose ne croyait toujours pas être si importante pour lui. Malgré l’assurance qu’elle pouvait parfois montrer d’elle, Rose doutait d’elle. Surtout qu’elle ne saurait jamais mettre ses sentiments à nus comme venait de le faire Lorenzo. Elle releva les yeux, et posa timidement son regard sur Lorenzo. Elle ressentait l’envie de se confier, de lui faire par de ses doutes, de ses peurs. Qu’il sache la rassurer, et lui redonner confiance en elle. Comme il était l’un des rares à savoir le faire.

Lorenzo avait l'impression d'être l'objet d'une vente aux enchères, vantant ses mérites et incitant les acheteurs à le choisir. Il voulait prouver à Rose que leur relation méritait un nouveau départ, elle était belle, elle était forte, pourquoi ne pas lui donner un nouveau souffle. Il ouvrait grand le livre de son coeur, et Rose pouvait y lire à sa guise. Qu'elle lise tout, même les intimes secrets ou les souvenirs gênants, il s'en fichait. Car il n'y avait pas une parcelle de sa vie qu'il aurait souhaité caché à son ancienne meilleure amie. Malheureusement, certains faits restaient sous silence. Mais comme la situation aurait été plus simple, s'il avait été en mesure d'être sincère. Oh oui, la réaction de Rose aurait été bien différente. Malheureusement, l'histoire était ainsi, et tous les chapitres ne pouvaient pas être contés.

Alors, si cette déclaration n'était pas suffisante, si Rose rejetait la vente, non satisfaite du produit, Lorenzo ne pourrait que le regretter, s'en vouloir aussi. Regretter de ne pouvoir confier toute la vérité à celle qui devait tout savoir, à cette fille sur qui il avait toujours pu compter. Mais regretter sa longue déclaration, ça, jamais. « Regretter ? Rose, tout ce que je pourrais regretter, c'est que notre amitié se termine ici. Mais je pensais tout ce que j'ai dit, alors pourquoi le cacher ? Et puis, ce serait une jolie fin. » Une sorte de "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants", car même s'ils ne se réconciliaient pas, ils ne se quitteraient pas en mauvais termes. Le temps serait simplement venu, pour tous les deux, d'emprunter des chemins différents. Il comprit alors, que sa réponse était probablement celle que Rose attendait. Que justement, s'en était fini, et qu'elle voulait être sûre qu'il ne regretterait pas d'avoir ouvert son coeur alors qu'elle le refusait. Une façon de le ménager, et il s'apprêtait à la remercier, à la rassurer, quand elle le devança, et le prit de court. Il s'était trompé, sur toute la ligne, de A à Z, et qu'est-ce qu'il en était ravi ! Quand Rose indiqua subitement que, non, tout n'était pas terminé, il fut empli d'une joie immense. Déjà, ce n'était qu'une promesse, une proposition même pas consommé, pourtant il se sentait moins seul, plus fort. Il ne pourrait pas aborder tout de suite ses problèmes de couple désastreux, l'étranger qu'il était devenu pour sa femme, mais qu'importe, elle était là, dans sa vie, il pouvait à nouveau la qualifier "d'ami", et ça signifiait déjà beaucoup. « Rose, si je suis venu jusque chez toi, c'est que oui, j'en ai encore envie, je t'ai dit que tu me manquais, banane. » Il se rapprocha d'elle, prêt à l'enlacer, mais se ravisa finalement. Connaissant la jeune femme, un tel élan serait probablement inapproprié, trop tôt encore. Alors, il posa simplement sa main sur son épaule, comme pour renouer bel et bien avec elle. « Et moi, je t'ai manqué ? Un petit peu au moins non ? » demanda-t-il en souriant, espérant pourtant que non, il ne lui ai pas manqué. Espérant que Rose n'ait pas eu à survivre à des problèmes seule, sans meilleur ami pour la soutenir et l'encourager.

Alors c’était ça, le goût d’une amitié retrouvée. Un sentiment très particulier, mêlant gêne, d’avoir été aussi odieuse quelques minutes auparavant, et puis joie, de voir qu’elle n’était pas devenue une étrangère aux yeux de l’italien. Rose essayait effectivement de se rassurer, c’est pourquoi elle avait demandé à Lorenzo s’il pouvait regretter de lui avoir fait une si belle déclaration d’amitié. Il lui affirma que non, et Rose souffla un bon coup, intérieurement. La jeune femme lui annonçait maintenant qu’elle voulait passer l’éponge. Malgré tout, comme redoutant que la situation ne soit pas réelle, Rose demandait encore confirmation de cette réconciliation. Il fallait qu’elle soit sûre. Lorenzo n’était pas encore lassé de lui répéter la même chose à chaque fois. Néanmoins, il comprenait que la violoniste voulait bien redevenir son amie, alors son visage s’était animé. Dans un élan, il s’avança vers Rose, désirant sans doute la prendre dans ses bras. Il se ravisa. Rose se sentit un peu gênée. Ce qu’elle craignait le plus venait tout juste de se produire. Des choses qui, auparavant, leur auraient parues naturelles devenaient compliquées à mettre en œuvre. Une simple accolade demandait, de part et d’autre, réflexion. La jeune femme décida de faire comme si de rien n’était. Ils venaient de se retrouver depuis quelques secondes, tout ne pouvait pas être facile tout de suite. A la place, il se décida à poser une question à Rose qui devait lui brûler les lèvres depuis qu’ils s’étaient brouillés. Elle eut un faible sourire. Elle s’y était attendue. « Oui, tu m’as manquée. » répondit-elle simplement. Elle n’avait pas fait de blague idiote pour faire sourire son ami, n’avait pas cillé, elle était tout simplement honnête. Lorenzo le méritait bien. Toutefois, elle ne prit pas l’incitative de l’enlacer. Ça lui semblait encore trop bizarre.

Au lieu de ça, elle préféra s’écarter de Lorenzo, faisant mine de se diriger vers la cuisine. « Tu veux boire un café ? » et oui, depuis le début de cette conversation Rose ne s’était pas montrée comme une hôtesse de maison irréprochable. Puisqu’ils avaient décidé de recommencer sur de bonnes bases, autant qu’ils en profitent pour faire des choses dites normales entre deux amis. Comme boire un café. Après avoir fait quelques pas, elle s’était de nouveau stoppée, maintenant qu’elle était plus loin de Lorenzo elle se sentait moins mal à l’aise. « Ou peut-être que tu as des choses à faire, en fait, je n’en sais rien. » après tout, elle ne connaissait plus l’emploi du temps de Lorenzo. Il s’était peut-être mis à faire du tango argentin et devait filer à son cours, ou bien avait-il des copies à corriger ou un rendez-vous avec sa femme. Elle lâcha un petit rire nerveux à l’issue de sa phrase. Finalement renouer une amitié brisée, ce n’était pas aussi simple que ça. Elle voyait déjà les semaines à venir comme étant particulièrement troublantes. Un peu comme la situation qu’elle vivait maintenant. Très heureuse de pouvoir traiter Lorenzo comme son ami, mais encore un peu distante après tous les événements passés.

Certes, la situation était gênante pour l'instant. Mais reconstruire une amitié, était comme connaître à nouveaux les premiers jours, ceux où on découvre l'autre, ses manies, ses tocs, ses lubies, ses préférences, ses habitudes ... Lorenzo redécouvrait Rose. A l'époque, il avait retenu que la jeune femme n'était pas naturellement enclin aux démonstrations d'amitié. Plutôt distante physiquement, même si elle avait apprécié le jeune homme très vite. Rose était parfois gêné, de son comportement. Ce à quoi Lorenzo répétait sans cesse qu'il fallait de tout pour faire un monde, et si tout le monde enlaçait tout le monde dans la rue, ça ne serait vraiment pas pratique. Il avait aimé apprendre à connaître un peu plus chaque jour son amie (même quand elle lui annonce qu'il se trompe et qu'elle n'est pas particulièrement attirée par un certain restaurant alors qu'ils y allaient à deux depuis des lustres roll roll roll), et recommencer ne le gênait pas, au contraire. Rose avait évolué, depuis cette première époque, et c'était une nouvelle Rose, qu'il redécouvrait. Une Rose entrée dans la vie active, mais pas forcément plus mature, puisqu'elle avait toujours été plus en avance pour son âge. Mais une Rose différente.

Déjà, il renouait contact avec sa méfiance. Il était venu afin de lui consacrer son après-midi, mais aussitôt eut-elle proposé un café, qu'elle s'empressa de vérifier qu'il était disponible. « Je suis venu pour te voir, je ne t'ai pas casé 5 minutes dans mon agenda entre deux rendez-vous, Rose. Alors oui, je veux bien un bon café. » Il lui sourit puis la suivit dans cette cuisine qu'il connaissait bien, maintenant. Sans trop prendre ses aises, il s'installa sur une chaise (ou tabouret, ou pouf, ou je ne sais pas quoi, sur un truc pour poser ses fesses, en somme) et la regarda s'activer. Ne sachant pas du tout où en était la vie de son amie, il n'osait pas aborder un quelconque sujet en particulier, de peur qu'il ne soit fâcheux et ne gêne la jeune femme. Pire, mal à l'aise, elle pourrait faire face à une quelconque maladresse, comme se renverser du café brûlant sur la main. Très mauvaise idée. Alors, les sujets génériques étaient d'abord de mise, tant que Rose n'était pas assise (tavu ça rime). « Tu passes l'après-midi toute seule chez toi ? C'est très calme » Cette maison abritait deux espagnoles-italiennes, deux femmes de caractère à la voix qui s'entendait parfois dans toutes les pièces. Naturellement, Lorenzo aimait cet accent qui lui chatouillait les oreilles, comme un vieux et lointain souvenir, mais encore tellement intact.

Quand Rose avait demandé à Lorenzo s’il avait cinq minutes à lui accorder pour boire un café, ça lui avait paru une question judicieuse. En entendant la réponse de son ami, elle se sentit bête. Il paraissait logique qu’il ait du temps devant lui, sinon il ne se serait jamais risqué à venir sonner à la porte numéro vingt-sept. Elle ne répondit rien, et se dirigea vers la cuisine, Lorenzo à ses trousses. Elle s’attela à préparer du café, chose qu’elle faisait très rarement. Rose n’était en effet, pas le genre de fille qui buvait du café toute la journée. Généralement, elle absorbait une quantité de caféine importante uniquement quand elle avait des grosses journées en préparation. Malgré tout, pour l’italien, elle ferait un effort. Lorenzo se mit à son aise et prit place sur un tabouret. Tout redevenait normal. Sauf peut-être ce silence qui régnait. Silence qui n’était pas naturel. Rose ne cherchait jamais à combler ces silences. Elle devait être une des rares personnes sur Terre qui pouvait se contenter de silence. En général, les gens ont tendance à vouloir les fuir, c’était gênant. Et Lorenzo n’était pas différent des autres. Très vite il dû faire une remarque. Certes juste, mais d’une banalité effrayante. « C’est toujours relativement calme, tu sais. » fit-elle remarquer. Il est vrai que la famille était connue pour avoir un tempérament de feu, mais ce n’était pour autant que des cris résonnaient non-stop dans leur maison. Depuis quelques temps tout était calme, même parfois un peu trop. « Surtout depuis que Nina n’est plus là. » elle s’arrêta net. Evoquer Nina serait dorénavant un sujet compliqué, douloureux. Quelles étaient les limites à ne pas dépasser ? Lorenzo ne pourrait jamais faire comme si de rien n’était. En tout cas Rose en était bien incapable. « Enfin, on n’est moins nombreux. » finit-elle par dire. Trop tard, sans doute. Car même si Rose ne laissait pas souvent montrer ses émotions, il était palpable de sentir sa gêne dans certaines paroles. Elle fit un sourire de circonstance, et continua d’effectuer sa tâche. Ils avaient fait tellement d’efforts pour arriver à normaliser leur situation, qu’il était bête de tout gâcher maintenant. « Comme j’avais la maison pour moi toute seule, j’en ai profité pour jouer un peu de piano. Ça m’occupe l’esprit. » pour la première fois depuis bien longtemps, elle ressenti le besoin d’ajouter quelque chose, comme si ses paroles précédentes n’avaient pas suffi. Lorenzo était bien la seule personne qui pouvait la faire perdre pied si facilement. Et pourtant il n’avait même pas ouvert la bouche ! Rose se sentait idiote, alors pour palier à sa gêne elle avait dû combler l’espace de paroles. Par ailleurs, ces paroles malheureuses révélaient aussi son état : préoccupée. Les tourments qui l’animaient ne la quittaient jamais. Et la musique était une des seules choses capable de lui vider l’esprit quelques instants.

Ce n'est pas parce que Rose le pardonnait enfin que la situation redevenait normale en un claquement de doigts. Un sujet restait tabou, et le serait probablement pour longtemps : Nina, la soeur de Rose, le grand amour de Lorenzo, l'âme manquante de cette maison. Comment pouvaient-ils imaginer continuer une relation stable, avec cette ombre au dessus de leurs têtes ? Ils devaient l'évoquer. Cependant Lorenzo était conscient que Rose n'apprécierait pas ce sujet de conversation, ni aujourd'hui, ni jamais. Probablement parce que, malgré ses efforts, elle ne pouvait pas parfaitement passer outre, oublier qu'il avait entretenu une relation avec chacune des 2 soeurs, et qu'il lui avait caché, menti, délibérément. Ah moins qu'elle n'accepte que Lorenzo ne soit devenu un autre homme, plus sérieux, plus mature. Un homme à l'approche de la trentenaire. Mais même s'il avait changé, justement, cet âge déjà avancé ne le rendait plus disponible pour une fille aussi jeune que Nina, selon les moeurs du quartier. Enfin, quelques hommes s'osaient à des pratiques qui déviaient de la morale. Mais il s'agissait de grands de ce quartier, le genre de personnes à qui on ne disait rien. Pas de simples professeurs de lycée.

Alors, il ne dit rien, se contenta d'acquiescer, et ne fit aucune remarque sur le fait que Nina devait redevenir un sujet banal de leurs conversations. Même si ce silence fragilisait déjà leur relation. « Oui, je comprends » Et puis, Rose partait déjà sur un point bien plus intriguant, permettant à son esprit d'oublier Nina, pour se concentrer à loisir sur les dernières paroles de la violoniste. Se vider l'esprit ? Depuis qu'il la connaissait, Rose avait toujours était plus ou moins perturbée. Elle n'était pas mal dans sa peau mais, intérieurement, elle sentait que quelque chose clochait, sans réussir à mettre le doigt dessus. Au début, Lorenzo lui faisait gentiment remarquer qu'elle n'était pas une fille comme les autres mais, bien vite, il comprit que la situation était plus que sérieuse. Alors il avait écouté Rose, après l'avoir difficilement convaincue de s'ouvrir. Peut-être étaient-ce ses quelques années de plus, qui avaient permis à la balance de pencher. En tout cas, il s'était toujours inquiété pour Rose. Le pire, fut probablement à cette soirée, où il la vit entrer dans une colère noire, voire diabolique, contre Naya. Si ses yeux avaient été en mesure de lancer des éclairs, Naya aurait été réduite en cendres longtemps. Il avait vu là une ressemblance avec Anakin, dans Star Wars, quand ce dernier bascule du côté obscur de la force. Mais Lorenzo ne lui connaissait aucun seigneur Sith dans son entourage (je sais que je t'ai perdue là, oui ça m'amuse). Ils avaient peu reparlé de l'épisode, et peu de temps après, Lorenzo jouait la carte de la sincérité, perdant sa meilleure amie. Aujourd'hui, il renouait enfin avec elle, mais aussi avec ses inquiétudes à son égard. « T'occuper l'esprit ? Il y a quelque chose qui te tracasse, que tu souhaiterais oublier ? » Il réalisa alors que le café lui était totalement sorti de l'esprit. Il leva la tête, et vit que celui-ci était prêt. Pourtant Rose ne le servait pas (oui j'ai relu ton rp désolé je n'ai pas vu, alors si Rose a des tasses magiques qui se servent toutes seules, préviens moi) (autrement, quelle malpolie cette Rose). Il ne voulait pas qu'elle se bloque à nouveau. « Tu sais que tu peux me parler de tout, cette nouvelle relation doit être basée sur la franchise, non ? » Et une façon de dire, au passage, que Nina aussi, elle pouvait l'évoquer si besoin. Après tout, son ex appartenait au passé. Un passé dont il rêvait encore, parfois, mais il s'attelait si durement à l'oublier, qu'il était capable de parler de la brune sans perdre prise. Sa dispute avec Summer - aussi catastrophique fut-elle pour son couple - avait eu le mérite de le ramener sur terre. Il ne pouvait pas la "sauter", comme elle l'avait si bien suggéré. Et aujourd'hui, il se demandait à quoi il pensait, en s'attachant autant à ce souvenir passé. Telle une âme qui sort de son corps, Nina devait quitter sa tête.

Lorenzo n’était pas le seul à laisser glisser des confidences. Rose, prise un peu au dépourvu, venait de lâcher qu’elle avait besoin d’occupation. Lui revenait à l’esprit un passage des fragments des Pensées de Pascale, qui disait que les hommes avaient besoin de divertissement pour ne pas penser à leur vaine condition. Elle était évidemment d’accord avec lui, surtout ces temps-ci. Elle avait l’impression de ne pas contrôler sa vie. Parfois elle avait juste envie de s’enfuir, en Ukraine, chez ses grands-parents. Elle pourrait repartir de zéro. Oublier toutes les vingt-trois premières années de sa vie, et se sentir enfin sereine. Ses pensées étaient un véritable dépotoir, seule la musique lui permettait de ne penser à rien et de lui donner cette impression de calme qu’elle cherchait tant. Evidemment, Lorenzo la questionna. Il était redevenu son ami, alors c’était de bon ton. Ravie de retrouver son meilleur ami, Rose était plutôt contente de pouvoir lui parler. Elle n’avait pas pensé que ça la soulagerait autant. De plus, il insistait. Il n’avait pas tort, s’ils faisaient table rase du passé, elle devait être franche avec lui. Il avait raté pas mal de choses depuis ces quelques mois. « Tu n’avais pas tort quand tu as parlé de Naya. Ça ma tracasse cette histoire. » Le pire, dans tout ça, c’était qu’elle n’avait rien à se reprocher. Mais le fait de lui avoir tellement voulu du mal, et que cela se réalise lui donnait mauvaise conscience. « Je sais que je n’ai rien à me reprocher, mais voilà. Je ne saurais pas t’expliquer. » cette confession était sans doute mal venue compte tenu que Lorenzo connaissait Naya mieux qu’elle puisqu’il l’avait eu comme élève à Sterling High. Mais il avait parlé d’honnêteté. « J’ai vraiment l’impression que rien ne va, en fait. » maintenant elle faisait des généralités. Elle ressentait le besoin de se confier, de dire ce qu’elle avait sur le cœur. Elle avait désormais la preuve de l’amitié sincère qui la liait au jeune professeur, alors elle pouvait se lâcher. Se vider. Bon elle n’allait quand même pas faire des révélations genre « je suis homosexuelle », mais ce qu’elle avait sur le cœur était tout aussi perturbant (pas de commentaire, c’est ton jeu les mots à placer !). « Mais à ce que j’ai cru comprendre ce n’est pas la grande forme pour toi non plus. » et oui, Rose n’avait pas oublié qu’il y avait encore de l’eau dans le gaz avec Summer. Elle était sincèrement attristée, mais contente de leurs déboires communs. Aujourd’hui, elle n’était plus disposée à se moquer de la situation, aujourd’hui elle était disposée à être une épaule réconfortante, une oreille attentive. Une excellente amie, en somme.

C'était une formule qui revenait souvent, dans la bouche de Rose. Sans cesse tracassée, préoccupée ... Mais sans jamais savoir pourquoi. Une intuition, ce petit truc qui fait que tout ne tourne pas rond. Rose était captive de ses cauchemars, ses pensées noires, mais elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle était différente, mais ne savait l'expliquer. Pire, elle le vivait comme un calvaire car, au fond, elle n'avait rien demandé. Il la voyait, comme si elle luttait pour être normale, commune. Mais il restait toujours ce petit truc, celui qui clochait sans raison. Et lui la regardait, impuissant. Car il ne pouvait faire que ça. Elle était seule, au final, dans son monde, dans une bulle, un isoloir. Et il n'avait pas le droit d'y entrer, une barrière invisible le tenait en dehors, les séparait. Il s'inquiétait pour Rose, si fragile. Et pourtant si dure avec les autres. Maintenant qu'elle avait laissé tomber le voile des apparences, son inquiétude gagnait un cran. Ses suppositions s'étaient avérées justes, pourtant il n'en tirait aucune fierté. Oh il aurait tout donné pour s'être trompé, pour avoir tout faux, et pour retrouver une meilleure amie souriante et joviale. Au lieu de ça, il trouvait une Rose préoccupée. Alors il pouvait simplement chercher, en vain, la clé de l'énigme.

Peut-être un peu trop audacieux, il osa avancer sa main vers elle, pour toucher la sienne. Ce contact pour la rassurer, elle devait sentir physiquement qu'elle n'était pas seule. Elle ne l'était plus. Et après tout ce temps sans jamais l'approcher, il s'en voulait un peu plus de l'avoir abandonnée si longtemps. Ah quoi bon l'amour ...

« Ma pauvre Rose, alors tu es toujours préoccupée. » Il lui adressa un sourire protecteur, bienveillant. Il multipliait les gestes bienveillants. C'était tout ce qu'il pouvait faire, mais le souhait de bien le faire l'animait. « Ce quartier n'est pas infini, ils finiront par retrouver Naya. Mais ce n'est pas ton souci. Ça ne doit pas te ronger ou t'empêcher de vivre paisiblement. Je m'inquiète pour elle, moi aussi, pour sa famille, perdre un être cher est le pire événement qu'on puisse vivre. Tout le monde ici est désolé. » Mais ces simples paroles ne pourraient jamais convaincre l'esprit tenace de la jeune fille.

Déjà, elle quittait le sujet. Car au fond, tous deux savaient que ses tentatives étaient vaines. Louables, mais totalement inutiles. Et puis, naturellement, elle présentait un intérêt malsain, pour sa situation amoureuse désastreuse. Car, toujours, malgré eux et malgré toute leur bonne volonté, parler de la vie sentimentale de Lorenzo ramènerait toujours à Nina. « Summer et moi, on ne se parle plus » Il s'arrêta là, dans un premier temps. Trier les informations à confier, celles à omettre, celles qui appartenaient à son couple et ne pouvaient sortir de leur frigide maison. Et quand il se jugea prêt, il reprit à nouveau la parole, brisant ce calme tempêtueux. « Nous sommes deux étrangers, gênés quand nous nous croisons, et silencieux. La maison est calme, mais le malaise qui y règne est si lourd. Je n'arrive plus à garder en tête nos bons moments, mes sentiments. C'est comme si le lien s'était brisé. » Et pourtant, il l'aimait toujours. Pourtant, il était incapable de l'ajouter.

Rien n’avait changé. Rose était toujours fidèle à elle-même, préoccupée. Elle ne se rappelait pas avoir jamais été autrement. Elle ne s’était pas connue innocente, à l’instar des autres enfants avec qui elle avait grandi. Cela expliquait peut-être son caractère solitaire, pourquoi elle avait peu d’amis, pourquoi elle s’entendait mieux avec les personnes plus âgées. Pourtant en grandissant elle avait essayé de casser cette carapace de froideur. Pas facile. Mais elle avait su trouver en Savannah et Bryan des alliés hors paire. Savannah pour sa joie de vivre et sa frivolité, et Bryan pour son humour et ses attentions. Aujourd’hui, elle avait le sentiment de se retrouver seule. La perte de Lorenzo l’avait fragilisée, et même s’ils étaient désormais sur la bonne voix, Rose avait peur que tout parte en fumée une nouvelle fois. Une véritable lutte débutait en elle. Celle de faire confiance. Elle n’avait qu’une seule envie, se raccrocher à Lorenzo afin d’être soulagée. Parfois, Rose avait l’impression que son corps était trop lourd pour elle, elle était lasse. Retrouver un ami lui enlevait un poids. Lorenzo se rendait malheureusement compte qu’elle était toujours pareille. Mais il avait les mots pour lui redonner confiance. Les paroles qu’il eut concernant Naya lui firent du bien. C’était des choses qu’elle savait déjà, mais les entendre de la bouche d’une autre personne leur donnait une saveur spéciale. Bien vite cependant, Rose voulut changer de sujet. Elle avait été terriblement mauvaise avec Lorenzo au sujet de son mariage qu’elle devait se rattraper. D’abord, il fallait qu’elle comprenne ce qui se passait au sein du couple. Lors de la dernière vraie discussion qu’ils avaient eue Rose se souvenait vaguement que Lorenzo lui avait dit vouloir donner une nouvelle chance à son union avec Summer. En y repensant, il avait sans doute dit cela pour calmer l’humeur de Rose. Il faisait désormais preuve d’une sincérité époustouflante, et Rose se sentait un peu mal à l’aise en l’écoutant. Clairement, il vivait cette relation comme un échec. Leur lien s’était déjà brisé à ses yeux, tout ce qu’il disait sonnait comme une fin. « Et vous n’en parlez jamais de cette situation bizarre ? » Rose voulait comprendre, Summer était une femme parfaite, elle avait même changé Lorenzo. Car oui, il était sensiblement différent depuis qu’il avait réaménagé à Magnolia. « Si tu ne vois plus de solutions à vos problèmes, c’est peut-être tout simplement parce qu’il n’y en a pas. » c’était malvenu de la part de Rose de dire des choses pareilles, mais rien n’avait changé pour Lorenzo non plus. Il était malheureux depuis bien longtemps. Or, Summer et lui méritaient bien mieux, ils étaient jeunes, et pouvaient avoir encore de bons moments devant eux. En revanche, Rose évitait soigneusement de demander si leurs problèmes avaient un quelconque avec l’attirance de Lorenzo pour Nina. Elle ne voulait pas savoir. Elle comprenait que les sentiments ne se commandent pas, pourtant c’était impossible pour elle d’accepter la situation. Elle voulait bien faire table rase du passé, mais parler d’un éventuel avenir pour eux était bien trop précoce. « Remarque tu ne devrais pas trop m’écouter, ce n’est pas comme si j’étais une pro des relations amoureuses. » elle essaya d’adopter un ton plus léger, toutefois l’amertume pouvait aussi s’entendre dans ses paroles. Les faits étaient là ; sa relation avec Bryan battait aussi de l’aile.

Il avait besoin de parler de cette situation qui le perdait un peu plus chaque jour. De parler de Summer, de leur incompréhension mutuelle, du mal qu'ils s'infligeaient l'un à l'autre. Et surtout, de ce sentiment qui persistait, cet amour qu'il lui vouait. A moins qu'il ne s'agisse plus, au final, que de respect. La situation était trop chaotique pour être décrite, expliquée à haute voix, transcrite. Pourtant, il avait besoin d'en parler avec Rose pour y voir plus clair. « Depuis que tout va mal, nous échangeons à peine, il règne un silence de plomb à la maison. Comme ci, du jour au lendemain, le lien avait été brisé, nous sommes devenus deux étrangers. Je dors sur le canapé, je pars plus tôt au lycée, le soir elle dîne avant que je rentre ... Cette situation bizarre s'est installée d'elle-même, si bien que je ne sais même pas comment la défaire. » Et il en avait honte, de toutes ces nouvelles habitudes. Honte d'avoir foiré son mariage, honte de ne plus partager le lit marital. « font color=steelblue>C'est comme si nous avions atteint un point de non retour » C'est alors que Rose dit à haute voix ce qu'il n'avait jamais osé évoquer : Et si, tout simplement, la situation n'était pas solvable ? Et si la solution de l'équation n'existait pas ? Impossible, pour l'esprit cartésien et carré de l'italien. Tout répondait à une logique, tout avait une solution x ou y. Et ladite solution, Rose la sous entendait, sans l'affirmer à haute voix. Passer au plan B, celui qui consiste à envoyer valser tous les problèmes d'un revers de main, passer l'éponge sur la table. Jeter la table, l'éponge, et les restes de leur couple brisé. Le divorce, la séparation. « Peut-être, comme tu dis » Il n'était pas encore prêt pour ça, pour admettre qu'il avait raté son mariage. Deux ans, qu'est-ce que c'était ! Pouvaient-ils seulement appeler ça une véritable relation ? A peine le temps de construire une vie de couple, des souvenirs ... Et même pas un enfant. « Je ne m'en sors pas mieux que toi ! » dit-il gentiment, pour relativiser. « J'ai toujours été accroché à l'idée d'avoir une famille, des enfants ... C'est une valeur forte, chez moi. Et pourtant j'ai raté, alors que je le voulais vraiment, alors que j'y croyais. » Il leva les yeux vers elle et posa sa main sur la sienne. « Je suis sûr que, dans ton cas, il y a une solution. Bryan et toi vous complétez trop bien pour ne pas être faits l'un pour l'autre. » Il était tout à fait sincère, animé par le besoin d'y croire, pour son amie. Car elle en avait besoin, besoin de quelqu'un dans sa vie. Seule, elle n'allait jamais bien loin et finissait toujours par enclencher un processus d'autodestruction. Bryan lui ressemblait peu, mais c'était ça qui la sauvait, c'était lui qui illuminait cette fille trop invisible, lui qui réjouissait cette fille trop triste.