C'était comme un espace irréel, un saut dans son imagination. Carl donnait l'impression d'être très mature, arrogant, jouissant de ce.. don ? qu'il avait de faire médecine et sortir en même temps. Oui, Carl était vu comme un dragueur de première, un chaud lapin. Mais on disait aussi de lui qu'il était mystérieux. Pourquoi ? Bonne question. C'était justement ça qui le rendait mystérieux. Lui au fond n'en avait cure de ce faire voir ainsi, et n'en savait même pas la raison. Mais bon, si ça faisait parler les demoiselles.. (a) Bref, tout ça pour dire qu'il se trouvait donc en plein milieu de son imagination, son âme d'enfant. Le Spencer avait toujours pensé au fond qu'avoir une âme d'enfant était essentiel dans la vie. Si l'on grandissait trop vite, on regrettait rapidement notre enfance et l'on grandissait mal. Sans déconner. C'était prouvé, m'enfin la théorie de Duchmol quoi là, bref, il n'avait pas trop envie de réfléchir études. Son monde Narnien, ou plutôt Carlien, lui demandait déjà toute son attention. Devant un paysage des plus étonnants, il s'était retourné et avait aperçu un champ de bouteilles vides à la place de Julia. Hésitant un moment entre aller la chercher ou pas, le brun haussa les épaules, restant sur sa décision de la laisser à part. Si elle avait perdu son âme d'enfant, tant pis pour elle.

Quand il se retourna de nouveau, le décor avait changé. C'était à présent des centaines de poupées cassées qui le regardait avec des grands yeux effrayés. Le ciel s'était assombri, les licornes transformées en araignées et les leprechauns en trolls. Avec précaution, Carl s'avança vers les poupées et une mélodie grave et triste résonna partout autour de lui, accompagnée d'une voix -qui n'avait pas vraiment le talent d'un virtuose- à glacer les sangs. Le Spencer ne sut d'où elle venait, car même si les poupées ouvraient la bouche, il voyait évidemment bien que c'était une sorte de playback. Son monde Carlien virait au cauchemar, et il ne savait que faire pour en sortir. Ni pourquoi il avait soudainement viré au noir. Le décor changeait de minute en minute, se resserrant autour de lui comme pour le rendre fou. Un écho de voix féminine se fit entendre, comme si le Spencer se trouvait miniaturisé dans une boîte et qu'on lui parlait de l'extérieur. L'étau se resserrait, se resserrait, sans pour autant que Carl soit physiquement serré. Tout était psychologique, et avait un sens. Et ce sens-là, il le comprit peu après. Naya. Et ça revenait à vitesse grand V, bordel. Et lui qui croyait qu'il aurait réussi à mettre de côté ces émotions sombres. Raté. La preuve, même son inconscient lui faisait savoir. C'était sûrement le coup de flip' que lui avait causé Julia qui avait remonté ces horribles souvenirs. La peur de ne pas la trouver, la peur qu'il ne la retrouve plus. Julia lui avait fait un coup de pute, fallait l'avouer. Mais qu'est-ce qu'elle en savait de ses sentiments pour la Freeman ? A ce qu'il en savait, ils n'en avaient jamais parlé, donc c'était normal qu'elle n'ai pas su que ce n'était pas une chose à lui faire si peu de temps après le nouvel an. Enfin, on excusait les gens comme on pouvait.

Tout en se démêlant de ces lianes imaginaires, Carl réussit à s'en défaire par je ne sais quel moyen. Peut-être juste en ayant pensé à Naya et les bons souvenirs qu'ils avaient eu ? Bha, le cerveau était une chose complexe, et ce n'était certainement pas ce qui ferait la spécialité de Carlos. Les tentacules du monstre noir disparurent, et le brun se retrouva libre à nouveau, tout de même sur la défensive. Le silence régnait, mais il y en avait trop. Quelque chose clochait. Il resta un moment en suspend pour tendre l'oreille, tout en regardant autour de lui si des trolls en chaleur auraient la bonne idée de le faire cuire au souper. Mais non, rien que le vide et le silence, sur un champ de bataille. Et soudainement, alors que Carl soupirait de soulagement, une chose se posa sur son épaule et il fit un bond de deux mètres. BIM. Retour à la réalité. Tout était devenu noir. Il se massa l'arrière de crâne et mis un moment pour savoir où il était. Ah oui. Maison hantée, anniversaire, cache-cacher, armoire, Narnia. Rêve. Ses yeux s'habituèrent peu à peu à l'obscurité et il découvrit une tête blonde le regarder avec un certaine desespoir et agacement. Le Spencer se remit de ses émotions, tenta de réaliser ce qui s'était passé, et se demanda combin de temps il était resté à Carlia. Assez pour passer du rêve au cauchemar en tout cas. Il resta un moment à fixer Julia, se rappelant de la peut qu'elle lui avait faite, chose qu'il avait occulté tout en parlant de sa fascination pour Narnia. Puis il revint définitivement -enfin, on sait jamais- à la réalité. « Quoi ? » demanda-t-il alors, afin de savoir qu'est-ce qui provoquait cette expression sur le visage de la Fitz. Jamais contente celle-là.

Carl avait décidé de la laisser et de partir pour Narnia grâce à cette armoire délabrée qui n'inspirait aucune confiance à Julia. Il l'abandonnait pour un monde imaginaire, d'accord, très bien. Elle lui avait clairement dit de ne pas l'attendre, qu'elle ne l'accompagnerait jamais dans son délire. Et Carl n'avait pas protesté, non même pas, il était simplement rentré dans le placard, l'avait refermé et avait laissé Julia seule. Bien. Celle-ci s'était assise non loin, prête à partir et rentrer chez elle s'il continuait son petit manège encore longtemps, mais avant cela elle s'était dit qu'il arrêterait peut-être son petit jeu avant qu'elle ne soit forcée de le laisser dans la maison hantée. Elle avait donc attendu, mais la patience courte elle s'était mise à l'appeler. Monsieur avait fait la sourde oreille, certainement vexé qu'elle n'ait pas voulu venir avec lui à Narnia. Agacée, Julia avait fini par se lever, ouvrir la porte de l'armoire et l'attraper pour le tirer de là. Ça avait assez duré, ils étaient censés aller sur le toit non ? Et voilà comment une simple partie de cache-cache peut virer en petite terreur de la soirée, puis en gros délire, et finalement occulter tout projet d'aller voir les étoiles et les loutres volantes. Pathétique. Elle posa sa main sur l'épaule de Carl – qui, soit dit en passant, était largement plus en hauteur que celle de Julia (a) – pour le retourner ; celui-ci eut un sursaut, comme s'il ne l'avait pas attendu arriver. Comme si elle n'avait fait aucun bruit depuis deux minutes ! Il était flippant parfois, le Carl. Surtout cette façon qu'il avait de répondre quand il était dérangé dans ses activités; « Quoi ? » comme s'il avait beaucoup mieux à faire que s'occuper de l'anniversaire de sa très chère amie blonde qui patientait depuis trois quarts d'heure qu'il la trouve dans sa cachette puis qu'il finisse de déconner.

« Bah, euh, on doit aller sur le toit, non ? À moins que t'aies peur !... »

Sinon elle pouvait toujours y aller toute seule, mais c'était beaucoup moins drôle – et beaucoup plus flippant. Et puis si elle emmenait Carl et qu'elle glissait sur les tuiles, elle pourrait s'en servir pour amortir sa chute (a) Encore fallait-il qu'il daigne venir. Sans l'attendre – elle l'avait bien assez patienté – Julia sortit de la chambre et se dirigea vers les escaliers pour monter au deuxième étage. Pas question de stagner à chercher la sortie vers le toit alors qu'il y avait encore un étage au-dessus. Juju fit le tour du palier, jetant un rapide coup d’œil dans chaque pièce pour vérifier qu'il n'y avait pas un autre escalier dissimulé quelque part. Mais non, ils étaient arrivé au sommet de la maison ; c'était mieux ainsi, cette baraque avait déjà assez d'étages comme ça. Ses anciens propriétaires devaient être des richoux capricieux, pour faire construire une maison aussi grande et au final l'abandonner. Quelle bande de cons.

« Bon comment on fait. Ça ressemble à quoi, à des trappes ? »

Elle se tourna vers Carl pour avoir une réponse, mais il n'en savait pas plus qu'elle. Ils y allaient au hasard, sans savoir vraiment comment ils allaient faire pour grimper là haut. C'était bien d'improviser, c'était amusant, mais encore fallait-il trouver. S'il n'y avait pas de trappe, ils auraient fait tout ce cirque pour rien. Juju tenta le tout pour le tout et observa toute la surface du plafond, avançant de quelques pas dans le couloir, jusqu'à trouver un renfoncement. Là ! Elle se serait crue dans les films d'actions, cherchant la sortie pour fuir ses poursuivants. (superman:)

« Eh, je crois que c'est là. »

Elle désigna le creux qui faisait comme une mini-porte dans le plafond. Évidemment, elle était trop petite pour l'atteindre, elle avait donc besoin de l'aide de Super-Carl. Et maintenant qu'ils étaient si proches d'atteindre leur but, hors de question de faire demi-tour. Loutres volantes, les voilà !

Quand on brise les rêves d'un enfant, il est possible qu'il vous en veuille toute votre vie. Ou pas d'ailleurs. Juste pour un petit moment, le temps que d'autres espoirs brisés lui arrivent. Mais l'enfant est tellement attaché à son imaginaire, que quand on lui dit que ce qu'il a inventé n'existe pas, il peut y avoir de grosses répercussions. C'est pas pour rien qu'on attend un certain âge pour avouer aux enfants que le Père Noël existe pas, ni le Lapin de Pâques ou encore que la petite souris n'est autre que ses parents. Et parfois, Carl aimerait bien oublier que ce sont ses parents, et revenir à l'époque où Noël était un jour si attendu. Mettre des carottes pour les rennes et du chocolat chaud pour le Père Noël, pour ne pas qu'il attrape froid. Cette lueur dans nos yeux quand on doit aller se coucher, et faire son petit malin à faire semblant de dormir pour guetter la fenêtre. Carl ne souhaiterait pas cela à son âge, bien sûr, mais parfois, il se prend à penser combien il y avait des avantages à être enfant. Ne vous méprenez pas, le Spencer n'échangerait en rien son adolescence, mais il lui arrivait de penser que d'être enfant, c'était quand même merveilleux. Et là, face à son Narnia imaginaire, une foule de souvenirs d'enfants lui revinrent en mémoire, vestige d'une enfance perdue depuis bien longtemps. Une enfance peuplée d'être fantastique, de chevaliers et de pirates, et tout plein d'amis pour en jouer les personnages. Jérémy, Ginerva, Maxim, Lou, Aaron et d'autres encore, tout ce petit monde qui permettait aux rêves de chacun de se réaliser. Et aujourd'hui, quoi ? Carl ne les voyait plus, pour la plupart, ayant rompu le lien depuis longtemps. Maintenant c'était Elias, Shannon, Julia, Jay, Cameron, avec qui il faisait des soirées de dingue, des conneries de fou, et avec qui il partait dans un autre monde, oui, parfois. Mais un monde bien loin que celui qu'il avait enfant, bien trop différent. Mais pourtant, le Spencer continuait de regarder Harry Potter, et s'imaginer faire partie d'un monde comme Narnia. Et la part mystérieuse de Carl résidait peut-être là. Au fond, il gardait simplement une âme d'enfant.

Quand Julia lui toucha l'épaule, le brun sursauta. Enfermé dans son monde qui virait au cauchemar, il était parti loin et ne touchait plus terre, mais elle l'avait ramené à la réalité, beaucoup plus banale, mais rassurante. Il fronça les sourcils quand elle lui dit qu'il avait peur, haussant les épaules. N'importe quoi. « Parles pour toi, surtout, oui .. ! » fit-il avec un petit sourire. Puis Julia monta au deuxième étage et Carl la suivit après s'être étiré. Dieu qu'il avait eu mal, coincé dans cette armoire ! Mais cela avait été une expérience... enrichissante. Il regarda Julia fureter pour trouver une sortie vers le toit tandis qu'il s'adossa au mur, les pensées dérivant vers on-ne-sait-quoi. Il était toute chose, ce soir, c'était peut-être sa deuxième phase d'alcoolique qui lui montait au cerveau. Carl avait toujours une phase d'excité délirant, quand il buvait, suivi d'une extrême fatigue puis après d'un coup de pep's qui lui donnait la force de tenir jusqu'au matin, en général.. Spécial, vraiment. Julia finit par baisser les bras, se tournant vers Carl en demandant à quoi ressemblait des trappes. Il arqua un sourcil, étonné. « Bah, une trappe quoi. Un carré dans du bois que t'ouvres. Tu sais, un peu comme dans [REC], quand la trappe du plafond en haut des escaliers s'ouvre et qu'un zombie apparaît ? » Puis il fit un sourire en coin, guettant de voir la réaction de Julia, qui paraissait assez froussarde ce soir, pour on se sait quelle raison. « Non sérieux, j'sais pas. » Ceci dit, cela lui redonna de la force et il se mit à chercher avec la Fitz un accès au toit. Julia finit par trouver l'accès au bout d'un petit moment, et elle fit un grand sourire à Carl pour qu'il l'aide à ouvrir la trappe. Elle n'aimait pas qu'on la taquine sur le fait qu'elle soit petite mais Carl prenait souvent un malin plaisir juste à sourire. Julia savait alors bien évidemment qu'il se foutait de sa gueule, mais elle ne pouvait rien dire puisqu'il n'avait rien dit. Quelle superbe tactique (a). Le Spencer fit donc un petit sourire en regardant la Fitzgerald, tendant la main vers le haut pour faire basculer la trappe. Il resta un moment le bras en l'air, jetant un coup d'oeil en bas -enfin, vers Julia quoi (a)- puis rigola tout en baissant son bras. « Voilà mademoiselle, votre trappe est ouverte ! » dit-il en souriant. « Par contre, il reste le comment nous allons y monter. Parce que j'ai beau être grand, ça va pas nous aider. » Carl inspecta la pièce. Certes il y avait un lit et quelques fauteuils, mais rien d'assez haut pour passer à travers du plafond et monter sur le toit. Sauf si Julia était partante pour faire des empilages dangereux de meubles, il ne risquaient pas de voir les loutres volantes avant longtemps.

« J'ai pas vu [REC]. »

Pour ce coup, Carl n'aidait pas beaucoup Julia. Certes, elle avait bien compris qu'il s'agissait d'un renfoncement dans le plafond, mais jusqu'ici ils n'en avaient toujours pas trouvé et malgré une partie de cache-cache dans une armoire entre temps, ce n'était pas faute d'avoir cherché. Et puis ce sourire en coin n'inspirait rien de bon à Julia, comme si Carl se moquait complètement d'elle et se fichait de monter sur le toit ou non. Elle ignora tout ça, parce qu'elle avait envie de grimper là-haut, elle, après l'alcool et la flippe elle avait besoin de prendre l'air; la tête lui tournait, sûrement un effet de l'alcool et des quelques cigarettes qu'ils s'étaient enfilés. Passant une main sur son front, elle continua de chercher, la tête en l'air avant d'en avoir marre. Et puis, c'est toujours quand on ne cherche pas qu'on trouve, et pile au moment où elle était sur le point d'abandonner et de sortir prendre l'air par la voie normale – la porte d'entrée – ses yeux se posèrent sur le fameux renfoncement. Pas besoin d'avoir vu [REC] pour reconnaître la trappe tant désirée ! Etant, bien sûr, trop petite pour l'atteindre, Julia se tourna illico vers Carl. C'est ça l'avantage d'avoir un grand avec soit; elle cherche, elle trouve, il ouvre. Spencer comprit aussitôt le problème et, comme toujours, se fit une joie de lui faire comprendre qu'elle n'aurait pas pu se débrouiller sans lui. Le sourire qu'il afficha voulait tout dire; cette fois-ci Julia répondit en donnant une tape sur le bras de Carlito. Il lui faisait toujours ce coup-là, n'en avait-il pas marre ? Parce que Julia, elle, s'en serait bien passée de la remarque « tu es petite, je suis grand, tu es dépendante, je suis indépendant, tu résistes, je persiste, je sais que tu as tort, tu sais que j'ai raison » à la Danny Devito. Néanmoins Carl coopérait, après s'être marré un coup bien sûr, et la trappe fut ouverte aussi simplement que si c'était une porte d'entrée.

« Merci Monsieur ! Mais si regarde, tu me fais monter et ensuite..tu te démerdes ! Tu sais, les filles d'abord. » En l’occurrence, les petites d'abord. « Lie tes mains pour faire un escalier, après je me débrouille t'inquiètes. »

Oui Julia pensait vraiment que ce plan pouvait fonctionner, qu'elle pouvait d'elle-même s'accrocher et passer par la trappe. Au pire, ils n'avaient qu'à s'aider de chaises, ça marchait ça aussi. Bref, une fois que Carl fut prêt, elle se lança. Ça ne devait pas être bien difficile, si elle pouvait se hisser sur les rambardes du skatepark elle pouvait se hisser sur le toit sans aucun soucis, philosophie. Elle posa donc les mains sur les épaules de Carl, puis un pied sur ses mains liées, puis elle poussa sur ses jambes pour poser le deuxième. Waw, elle se sentait grande d'un coup. Elle leva le bras vers la trappe, la frola de quelques millimètres, indiqua finalement à Carl de se redresser un peu pour qu'elle puisse la toucher. Le Spencer eut du mal, comme si il n'était pas assez fort pour la porter, elle, avec son poids de moineau. Mon œil oui. Elle agrippa le rebord de la trappe, posa un pied sur l'épaule de Carl ; jusque-là tout allait bien.

« Ok je l'ai, redresse-toi encore un peu. »

Ils faisaient un peu la technique du cheval qui se relève, Carl étant évidemment l'étalon et Julia le jockey. Le cheval en question avait juste un peu de mal à se remettre debout, ce vieux pépé (a). Par précaution et parce que sa position n'était pas très confortable, Julia s'accrocha des deux mains à la trappe. Elle supposait que maintenant tout reposait sur elle et sa force des bras, autrement dit de peut-être 0,1%. Carl s'était redressé comme il avait pu, faisant vaciller Julia sans pour autant la faire tomber; à son tour maintenant. À cette hauteur là elle réussit à poser les bras sur le toit, puis elle commença à forcer pour se hisser. En proposant cette technique-là, elle n'avait pas pensé que ce puisse être aussi difficile, mais maintenant qu'ils y étaient hors de question de faire demi-tour. Sans compter qu'elle était arrivée dans la position qui l'empêchait de redescendre, les pieds dans le vide, mais en même temps qui rendait la montée compliquée. À la manière d'un phoque – il faut dire ce qu'il faut dire – elle se traina vers l'avant et bientôt n'eut plus que les jambes à remonter ; jusque-là, ce n'était plus qu'un jeu d'enfant. Mais tout de même, elle se laissa tomber sur les tuiles en poussant un soupir et en se prenant un bout d'on-ne-sait-quoi dans le dos. Ok alors en plus d'être un parcours du combattant c'était aussi confortable qu'un sol couvert de choses pointues en tout genres, génial. Elle passa la tête par la trappe, regarda Carl encore en bas – en infériorité par rapport à elle hihi – et lui fit un grand sourire.

« C'est bon j'y suis ! Tu vois c'était pas si difficile. Toi t'as qu'à prendre une chaise. »

Si elle avait réussi en grimpant sur ses épaules, il pouvait très bien y arriver en grimpant sur une chaise, question de logique. Et de force. Finalement Julia s'impressionnait elle-même, parfois. En attendant Carl elle gigota pour trouver une position confortable sur les tuiles, et ferma les yeux, profitant de l'air frais de la nuit.

Julia venait de monter sur le toit, non sans l'aide de Carl bien sûr, et sans aucun doute elle lui avait dit de se démerder. Ben tiens, vive l'amitié. Julia devait être allongée en haut sur les tuiles tandis que lui restait comme un con en bas. Une chaise. Elle lui proposait une chaise. Sérieusement ? Et elle comptait sûrement ne pas l'aider quand il arriverait en haut ? Sans compter que, ok, Carl avait réussit à porter Julia pour qu'elle monte, mais son état un peu embrumé lui permettrait-il de monter sans aucun dégât ? Inspectant la pièce, il chercha quelque chose de plus haut. Une chaise ça allait l'avancer de quoi ? Un mètre, peut-être moins ? C'était pas ça qui allait l'aider. Poussant un long soupir, il remarqua alors la table au fond de la pièce où se trouvait empilés dessus des cartons, des bouteilles, des sacs, bref, un gros foutoir. Haussant un sourcil, il eut la flemme de tout enlever. Mais il regarda la table, la chaise, la trappe. La table, la chaise, la trappe. Ok, ce serait la table. Le Spencer se dirigea alors vers la table en traînant des pieds. Il n'allait pas se dépêcher, même si Julia là-haut crevait de peur avec les hiboux et les chauves-souris, tant pis pour elle, elle n'avait qu'à être mois égoïste. Carl fit une tête dépitée en observant tout ce qui était sur la table. Il lui faudrait une heure pour tout enlever ! Sans compter les poussières et toiles d'araignées qui compliqueraient la tâche. Il resta un moment à regarder le monticule d'objets, puis eut une idée. Il haussa les épaules, tendis son bras et balaya la table de gauche à droite, balançant tout par-terre. Si ça cassait ? Tant pis, ça n'avait qu'à être rangé. Et puis c'est pas comme si quelqu'un vivait dans cette maison de toute façon.

Soufflant ensuite pour la table pour enlever les poussière et autre détritus non souhaités, Carl posa ses mains contre le bord de la table et commença à tirer. Dieu que c'était lourd. S'ajoutant à son état déjà un peu dans le flou, tirer la table n'était pas dans ses points forts du moment. Quelque chose paraissait bloquer le meuble. Carl tira plus fort et la table réussit à bouger tout à coup, résultant d'envoyer le Spencer à terre. « Putaaaainn ! » jura-t-il. Il porta la main à son front, et prit un moment pour que son mal de tête s'atténue. Ca tournait beaucoup là.. Il ouvrit les yeux, qui d'ailleurs commençaient à se fermer sous l'effet de pas assez d'alcool. Ouais. Quand Carl buvait beaucoup, cette période de fatigue venait plus longtemps après. Là il avait bu certes, mais pas assez. Se relevant, il décida alors d'aller rechercher une bouteille en bas, histoire de boire sur le toit. Il s'étira puis descendit les escaliers quatre à quatre. Ce nouvel objectif lui donnait des ailes -et oui, ya pas que Rebull- (a). Arrivé en bas, il trouva vite fait ce qu'il voulait. Une bouteille de cocktail fort, déjà préparé. Bien, ça lui éviteras de faaire encore plus de mélanges et de vomir. Il remonta aussi vite qu'il était descendu, et but une gorgée de la boisson. Revigoré, il reprit son effort et avança la table sous la trappe. Carl se hissa sur la table et se mit debout. Attrapant la bouteille qu'il avait posé sur la table, il la leva en l'air, de façon à ce qu'elle dépasse de la trappe, puis il interpella son amie. « Julia ? Toujours là-haut ? T'attrapes la bouteille please ? » Il espérait qu'il ne lui était rien arrivé. Glisser du toit ou se faire enlever par une chauve-souris, tout était possible.

En fin de compte, cette fête d'anniversaire n'était pas si mal. Elle aurait pu se retrouver assise à une table, entourée de sa famille et d'un gâteau plusieurs saveurs concocté par sa mère qui attendait depuis des lustres dans le frigo, qu'elle avait donc découvert bien avant qu'on ne lui souhaite son premier Joyeux Anniversaire en voulant prendre un soda. Elle aurait pu se retrouver à faire semblant de sourire en entendant la chanson d'anniversaire magnifiquement bien chantée par la voix de son père, qui était décidément plus doué à engueuler qu'à chanter – ici, compliment. Pire encore, elle aurait pu se retrouver à servir une part de tarte à sa sorcière de soeur, ce qui aurait été la cerise sur le gâteau – vive le jeu de mot – et aurait certainement fixé une fin à la soirée. Au lieu de quoi elle était là, allongée sur un toit, remuant de temps en temps à cause des tuiles qui lui rentraient dans le dos, attendant que son meilleur ami arrive à grimper. Elle n'avait pas bu de champagne pour ses 23 ans mais de la vodka, elle n'avait pas mangé de pâtisserie mais elle avait fumé un truc qui la rendait cent fois plus à l'aise que lorsqu'elle passait la soirée avec sa famille, et ça, ça lui suffisait. Non elle n'était pas du genre très regardante sur les fêtes d'anniversaire, en fait ça ne l'avait jamais vraiment amusé, lorsque c'était celui d'un membre de sa famille qu'elle ne connaissait même pas de nom et qu'il était hors de question qu'elle n'y aille pas, c'était plus une source d'ennui – dans tous les sens du terme – qu'autre chose. Et lorsque c'était le sien elle le considérait surtout comme un pas de plus vers la vieillesse, et un pas de moins dans la jeunesse qui avait l'habitude de servir d'excuse à ses nombreux débordements. Carl, lui, avait tout compris. Il avait joué la carte de la fête habituelle, il avait balancé un petit « Joyeux Anniversaire » pour la forme – et parce qu'il savait à quel point Julia en avait marre d'entendre ces deux mots après une journée de Happy Birthday – ils s'étaient même autorisé un moment de flippe, pas vraiment désiré mais tout de même.
Entendant de l'agitation en bas, Julia tourna la tête vers la trappe. Un grand sourire vint étirer ses lèvres lorque le putaaaainn retentit ; eh ben alors, il avait du mal à monter le petit ? On avait beau dire d'elle, mais Carl n'était pas plus patient. Et pas plus doué pour l'escalade d'ailleurs ! Elle resta silencieuse, le laissant se débrouiller, au cas où il continuerait à galérer et où elle pourrait se fendre la poire, elle qui avait réussi à grimper sans trop de difficultés. Mais d'un coup, plus rien. Silence radio. Soit il était tombé dans les pommes, soit il était mort, soit il s'était cassé – oui Julia pensait au décès avant la fuite. Quoiqu'il en soit elle avait vraiment l'impression d'être seule.

« Aloha t'es encore là ? »

Un temps. Deux temps. Trois temps. Aucune réponse. Bon. La blonde se racla la gorge ; en fait s'il était vraiment parti, elle était vraiment dans la mxrde. Certes, elle avait réussi à grimper sur le toit, mais uniquement parce que Carl était en-dessous pour la soutenir. Et comment elle descendrait ? En sautant ? Très bonne idée pour se retrouver à l'hôpital. Se redressant sur les coudes, elle passa la tête par la trappe et tomba nez à nez avec un Carl, le goulot d'une bouteille dans la bouche. Aaaah, mais soudain tout s'expliquait ! Il était parti se chercher un coup à boire. Se rallongeant sur les tuiles, pensant qu'il avait tout de même eu une bonne idée de ramener la vodka sur le toit parce qu'elle non plus ne tiendrait pas longtemps sans, elle continua d'écouter les efforts qu'il faisait pour tirer une table sous l'ouverture de la trappe. Ladite bouteille jaillit sans prévenir à sa droite, et par réflexe elle la saisit sans que Carl ait besoin de le lui demander.

« Ouais ouais je l'ai, Picolo.* »

Finalement, non, Julia allait bien. Pas de Dracula dans le coin, c'était bon à savoir. Elle attrapa la bouteille avant même que Carl finisse sa phrase, et il grimpa -non sans difficulté- sur le toit. A la moitié du torse, il s'aplatit comme une merde en haut du toit et bascula sur le côté en roulant, se retenant de justesse à une tuile pour éviter de rouler jusqu'en bas. « Oups. » fit-il. Finalement, Carl réussit à s'installer aux côtés de son amie, qui était restée plutôt patiente. En même temps, Carl avait eu la bonté d'esprit de ramener une bouteille, aussi était-ce un bon moyen de se rattraper (a). Il expira bruyamment tout en passant ses bras en arrière, les coinçant sous son crâne. Il fixa le ciel noir, parsemé de petites étoiles. Un petit moment de silence s'installa, et les deux jeunes regardaient le ciel, peut-être dans l'espoir de voir une loutre volante passer. Le Spencer n'était plus sûr de ce qu'ils avaient fumé tout à l'heure.. La chronologie des événements lui était flou et il ne se souvenait pas s'il avait ouvert la boîte de weed. Bah, en tout cas, quoi qu'il ait prit, ça faisait effet, car il était bien dans son monde. Il avait par contre un peu la tête qui tournait -en même temps avec toutes ses acrobaties c'était normal-, et Julia avait la bouteille, ce qui lui permettait d'arrêter de boire pour un petit moment. Remarque, il n'avait jamais vomi d'un toit auparavant..:mg :

Mine de rien, dans la tête de Carl, ça s'agitait. Il n'avait pas vraiment parlé à Julia sérieusement depuis un bout de temps, et il avait bien envie de savoir ce qui se passait entre elle et Zach. Certes, c'était leurs histoires de cœurs, ce n'était pas à lui de s'en mêler, mais si Julia n'allait pas bien, il voulait le savoir. Le Spencer tourna la tête et regarda Julia, dont seul le profil lui apparaissait. Elle avait un visage calme que Carl crut rêver. Il avait toujours vu Julia avec cette tête de rebelle défoncée (c'est affectif <3), mais là, elle avait un visage doux, serein. C'était étrange. « Il se passe quoi avec Zach ? » lui demanda-t-il alors, après avoir repositionné sa tête droite. Il n'avait pas envie de faire des sous-entendus, de toute façon, avec la Fitz, valait mieux les questions directes. Et puis ça évitait les malentendus. Il ne savait pas si Julia allait lui répondre. Il en doutait même. Mais il fallait tout de même essayer, ça ne coûtait rien, et puis qui sait, peut-être que la Fitz avait besoin d'en parler.

Julia regarda Carl se hisser sur le toit, puis se trainer comme un phoque pour s'allonger à ses côtés. Il avait du mal lui, en cette fin de soirée. Ça avait au moins le mérite d'être drôle, hormis le pathétique. Décidément l'alcool et le machin qu'ils avaient fumé leur montaient à la tête, si l'on en croyait les capacités réduites de Carl à grimper et le rire étrange qui sortit de la bouche de Julia en le voyant faire. Si l'adrénaline suite à leur petite frayeur dans l'armoire avait repoussé l'effet de l'alcool, elle ne pouvait pas le faire indéfiniment et maintenant qu'elle s'était calmée Julia commençait à ressentir cette impression de planer qu'elle chérissait tant lorsqu'elle fumait de l'herbe. D'ailleurs être allongée sur le toit sans plus faire ni dire de conneries ne faisait qu'accentuer cet effet. Carl s'était enfin placé, il avait arrêté de bouger et ils ne restaient plus qu'eux deux, seuls perchés en haut d'un toit à une heure avancée de la soirée. Le soleil s'était couché depuis belle lurette pour laisser place à la lune et aux étoiles, les petites brises d'air frais les faisaient frissonner lorsqu'elles passaient mais ils étaient bien là où ils étaient. Regardant les étoiles, Julia se mit à rêvasser. Depuis combien de temps n'avait-elle pas regardé le ciel à la nuit tombée, ou même tout ce qui l'entourait ? Elle n'y prêtait jamais aucune attention, pourtant elle ne détestait pas non plus ces moments de sérénité à observer les astres. Comme lorsqu'elle était enfant, elle chercha du regard la grande et la petite ours, sans pour autant savoir laquelle des deux formes de casserole représentait laquelle des deux constellations. Elle trouva facilement la petite, mais eut plus de mal avec la grande, pensant parfois l'avoir déniché sans qu'il n'en soit rien. Lorsqu'elle la vit enfin, elle se détentit, comme si ça avait été une importante mission dont elle avait réussi à atteindre le but. Elle continua de rêver, savourant cet instant où elle ne pensait plus, ni à ses soucis ni à rien du tout, où rien ne venait la déranger, où elle pouvait être aux côtés de quelqu'un et pourtant avoir l'impression d'être seule tant le calme régnait. Se sentant soudainement minuscule par rapport à l'immensité du ciel, elle préféra fermer les yeux; là au moins il faisait noir mais il n'y avait pas les astres de feu qu'elle voyait brûler même avec des années-lumières de distance.

« Il se passe quoi avec Zach ? »

En une demi-seconde ce fut le Big Bang dans sa tête. Tout le petit monde de calme et de silence de Julia s'effrondra à l'instant même où elle entendit ce prénom. Elle ouvrit les yeux, n'en croyant pas ses oreilles, ne sachant même pas comment prendre cette question. Plutôt comme de la curiosité de la part de Carl, du culot, ou simplement de l'inquiétude pour elle ? Elle prit aussitôt la mouche, doutant qu'après autant de temps Carl se soucie vraiment de cette histoire.

« ... et toi y'a du nouveau avec Naya peut-être ? »

Elle n'avait pas réfléchi, elle avait sorti ça comme ça venait, à vrai dire elle avait été aussi brutale que Carl s'était soudainement mis à parler de Zach. Mais, comme d'habitude, elle aurait peut-être dû réfléchir avant d'agir, parce que lorsqu'un silence pesant s'installa et que Carl ne répondit pas, elle sut qu'elle aurait pu dire n'importe quoi d'autre, mais qu'elle n'aurait pas dû mettre Naya sur le tapis.

Carl aurait du se taire. Il aurait du garder pour lui sa curiosité, au lieu de parler de Zach à Julia. Car il venait de se prendre une réflexion sur Naya en pleine face. Du nouveau ? Avec Naya ? Elle se foutait de sa gueule ? Bien sûr à l'époque, Julia avait été au courant des choses, si on peut les appeler comme ça, entre Naya et Carl. Julia était une de ses meilleures amie, ou plutôt la seule, vu qu'il n'était pas aussi proche avec quelqu'un d'autre, en fille. Emily peut-être, ouais. Mais avec elle, ce n'était pas comme avec Julia. Enfin, pour tout dire, rien n'était pareil. Chaque relation qu'il avait était différente l'une de l'autre, et il était perdu. Il n'arrivait pas à suivre le cours de sa vie, il n'y arrivait plus. Pas depuis que.. pas depuis qu'Elle n'était plus là. Carl serra les dents et ferma les yeux. Une boule se forma dans sa gorge et il ouvrit les yeux pour fixer le ciel. L'immensité de la nuit noire l'apaisa un peu, ce ciel si noir, si grand, si loin. Il respirait fortement, comme pour contenir un bouillon de rage. Puis il referma les yeux, et fronça les sourcils. Pourquoi fallait-il que ce soit si dur ? Pourquoi fallait-il que ce sentiment de rage prenne possession de lui, que ce couteau s'enfonce dans son coeur à chaque fois que quelqu'un prononçait le nom de Naya ? Et pourquoi y pensait-il autant ? C'était à ne pas y comprendre. Il ressentait quelque chose de tellement fort que ça faisait mal. Et il ne voulait pas. Il ne voulait pas le ressentir, il ne voulait pas y penser, il ne voulait pas le vivre. Mais voilà. Il ne pouvait rien y faire.

Carl se releva et plia ses jambes vers lui, posant son menton dessus. En face de lui se trouvait Magnolia Cresent. La ville dans laquelle il avait grandi, la ville dans laquelle il habitait et habiterai toujours. La ville dans laquelle Naya ne se trouvait peut-être plus.. Les lumières des lampadaires éclairant faiblement les rues, et paraissaient clignoter. Carl soupira, tentant de sortir ses pensées de la jolie brune. En vain. Il tendit sa main en arrière sans même se retourner. « Passe-moi la bouteille. » fit-il, évidemment à l'attention de Julia. Peut-être que la boisson l'aiderait un peu. Sentant la bouteille dans sa main, il ramena son bras vers lui, ouvrit le bouchon, et avala une grande rasade. Il ne sentait rien. Juste un chaleur coulant le long de sa gorge. Une chaleur qui lui faisait du bien. Puis il garda la bouteille dans la main gauche et posa son autre main dans ses cheveux, expirant une énième fois. « Non, rien de nouveau. » murmura-t-il alors, ne sachant même pas si la Fitz l'avait entendu. La soirée avait pourtant bien commencé..

Julia se mordit la lèvre et soupira, se rendant soudainement compte de la cruauté de ses paroles. Elle n'avait pas franchement réfléchi et c'était bien ça le problème, parce qu'à agir trop vite elle disait n'importe quoi, et elle le sentait elle venait de faire une belle gaffe. Mais elle n'était pas la seule fautive, si Carl n'avait pas évoqué Zach elle n'aurait pas répliqué avec autant de brutalité en parlant de Naya; elle faisait ce genre de coup de pute quand elle avait une raison et elle estimait qu'elle avait en l’occurrence une bonne excuse. Voyant Carl se relever après avoir soupiré un bon nombre de fois, elle sut qu'elle avait fait fort, trop fort, et ce n'était pas son silence qui allait dire le contraire. À vrai dire il ne prit même pas la peine de la regarder lorsqu'il lui demanda la bouteille de vodka, que Julia lui donna sans attendre. Le ton neutre et plat qu'il prit pour lui dire que non, il n'y avait rien de nouveau, finit d'achever la blonde. Merde merde merde mais quelle conne. Elle se redressa et s'assit à l'indienne aux côtés de Carl, qui se cachait à moitié derrière ses genoux. Bon.

« Euuuuhmm... J'suis désolée. »

Elle savait d'avance que ça ne suffirait pas, mais au moins elle l'avait dit. Mieux : elle s'était rendue compte à quel point elle avait été égoïste depuis le nouvel an. Elle savait parfaitement pour Naya et le lien fort que Spencer entretenait avec elle, il l'avait tenu au courant de tout ça parce qu'ils étaient de bons amis, et pourtant elle ne s'était jamais vraiment demandé comment il se sentait après cette disparition. Cette histoire avec Dekker lui avait tellement pris la tête qu'elle n'avait pensé qu'à sa petite personne, et maintenant qu'elle y pensait, elle estimait qu'il méritait plus qu'un simple « désolé », surtout après ce qu'elle venait de lui balancer à la figure.

« Je pensais pas ce que je viens de te dire, enfin je l'ai dis! mais c'est sorti tout seul, je voulais pas... bref. Allez Carl, j'suis désolée, si tu veux on parle d'autre chose, ou de ça comme tu veux, mais fais pas la gueule comme ça. »

Avisant la bouteille de vodka, elle pensa à la récupérer, histoire d'être sûre qu'il ne se bourre pas la gueule tout seul dans son coin en repensant à Naya, mais elle se ravisa, de peur de s'enfoncer encore plus dans sa bêtise. Et puis elle pouvait comprendre qu'il soit nostalgique simplement en pensant à la Freeman, mais elle voulait juste qu'il dise quelque chose, qu'il ne lui tourne pas le dos jusqu'à la fin de la nuit sans prononcer un son parce qu'elle avait dit la phrase à ne pas dire.

Après un long silence, après que Carl ai bu un bon quart de ce qui restait dans la bouteille, Carl entendit les tuiles craquer légèrement. Julia venait sûrement de se lever, et allait sans doute essayer de le faire sortir de son mutisme. Par une vanne, par des cris, par une proposition de jeu d'alcool couillon. Mais alors que Carl n'aurait pas été choqué de l'entendre parler d'un écureuil rose fumeur d'herbe, ce qui sortit de la bouche de la Fitzgerald le cloua sur place -bon, il était déjà pas en train de bouger, mais bref-. Elle s'excusait. Julia Fitzgerald s'excusait. La probabilité que cela arrive était égale à celle du Spencer, c'est-à-dire jamais. Sur ce point-là, parmi tant d'autres, les deux amis étaient pareils. Ne jamais s'excuser, prendre tout à la légère, ou s'en foutre, vivre à la carpe diem, selon leurs lois, engueuler les gens quand ils font chier, mais jamais laisser les autres leur marcher sur les pieds. Jamais être soumis. Car s'excuser, c'était une manière de se rabaisser, d'avouer que l'autre avait raison, que l'on a eu tort. Et ça, c'était impensable. Que Julia s'excuse devant Carl ce soir démontrait bien que, soit Julia se rendait compte qu'elle avait réellement dépassé les bornes, soit le Spencer se trouvait dans un état si lamentable que la Fitz voulait le faire réagir. Peut-être que c'était même ces deux à la fois. Quoiqu'il en soit, Carl resta muet. Ce n'était pas avec un désolé -même par Julia- que ça allait arranger les choses. Il n'avait qu'une envie : rester sur le toit, comme ça, toute la nuit, en silence. Il aurait bien passé toute sa vie comme ça. Mais c'était pas bon, ce n'était pas comme ça que cela arrangerait les choses. Il fallait qu'il surpasse ces sentiments, mais c'était bien plus facile à dire qu'à faire.

Julia devait penser la même chose, car elle s'expliqua, ou tout du moins tenta de la faire. Elle n'avait pas pensé à ce qu'elle disait, elle était désolée, ils pouvaient parler d'autre chose, et blah et blah, et blah. Toujours les mêmes rengaines d'excuses. Carl joua avec la bouteille en fixant le sol. Un long moment s'écoula avant qu'il ne se décide à parler. « T'sais que ça fait trois fois en une soirée quand même. Tu le fait exprès ou quoi.. » fit-il finalement, toujours avec une petite voix. Il ne s'énervait pas, n'en voyant pas l'utilité, trop crevé pour le faire aussi, de toute façon. « Mais le coup du cache-cache, c'était vraiment un coup de pute. » rajouta-t-il. Encore, quand ils étaient passé devant chez les Freeman-Johnson, ce n'avait pas été la faute de Julia. Ils étaient passé devant, personne n'avait rien dit, mais l'avait pensé fortement, sans aucun doute. Mais comment Julia avait-elle pu disparaître sans prévenir, alors qu'elle savait très bien que Carl était encore sensible à la disparition de son amie ? Vraiment, il fallait qu'elle apprenne à réfléchir. Si l'alcool excusait certaines choses, celle-là n'en faisait pas partie. Ceci dit, Carl était quand même tiraillé de deux côtés, car c'était quand même la fête de la blonde, elle avait bien le droit de se cacher si elle voulait. Ce n'était pas à lui de faire sa loi dans une fête réservé au plaisir de sa pote. Mais une part de lui en voulait à la Fitz, malgré tout. Il déboucha de nouveau la bouteille et se reprit à boire. Quitte à oublier cette soirée, autant passer par les bons moyens.

Ne l'entendant pas prononcer un mot, ni même bouger d'un pouce, Julia crut qu'il lui faisait vraiment la gueule et que même ses excuses, habituellement inexistantes, n'avaient servi à rien. Ce serait quand même bête qu'il ne réagisse pas alors qu'elle le lui avait clairement dit : elle était désolée. Et puis merde, il ne pouvait pas lui faire la tête comme ça pour deux-trois mots sur Naya quand même ? Où était passé le Carl invincible qu'on ne pouvait jamais blesser ni physiquement ni mentalement ? Où qu'il soit il n'était en tout cas pas là. Foutue Freeman, à tourner autour de Carl elle l'avait rendu barge, et voilà à quoi il en était rendu aujourd'hui (oui c'est Julia qui dit ça). Quoiqu'il en soit il semblait décidé à l'ignorer et à garder la bouteille de vodka pour lui. Shit alors. Immobile, la Fitz attendit qu'il se manifeste – elle lui avait déjà présenté ses excuses, ce qui était un grand exploit venant d'elle, elle ne pouvait pas faire plus. Il finit par céder et ouvrir la bouche, assurant que ça faisait trois fois qu'elle lui faisait un coup par derrière. Trois fois ? Faut lâcher la vodka copain.

« Hé, comment ça trois fois ? »

Quand elle lui avait répondu brutalement en utilisant Naya pour lui faire comprendre que ça ne lui plaisait pas beaucoup qu'il se mette à parler de Dekker, ça comptait comme une fois, pas comme trois ! Carl poursuivit, toujours de sa petite voix qui criait haut et fort qu'il était blessé, ajoutant que l'idée du cache-cache n'avait pas été cool du tout... Les pièces du puzzle se mirent à leur place et Julia fit le lien entre la partie de cache-cache et Naya. Maintenant qu'elle y pensait, Carl avait lui aussi crié quand il avait ouvert l'armoire et s'était retrouvé nez à nez avec une tête blonde.

« Aaaaaaah! Non sérieusement tu pensais à Naya quand je me suis cachée ? C'était pas le but, et c'était même pas drôle pour le coup. Et, ça fait deux fois là, pas trois. »

Certes, l'idée venait d'elle, certes, elle était partie se cacher la première, certes ce n'était pas très malin de jouer à ce jeu après la disparition d'une de leurs voisines, certes certes certes. Mais il n'empêche qu'elle n'avait pas non plus passé un moment très agréable, cachée dans une armoire très sombre, trop sombre, au milieu des mites et autres trucs certainement très dégueulasses qui pouvaient y habiter. Sans compter qu'elle s'était persuadée pendant vingt bonnes minutes de la présence d'un assassin derrière elle. Alors si Carl pensait qu'elle était fière de toutes ses petites idées pour le perturber, il se mettait le doigt dans l'oeil.

Qu'est-ce qu'elle avait, l'autre, à faire des chichis pour deux ou trois choses ? Ca changeait quoi, au faits, hein ? Julia avait la meilleure manière au monde de changer de sujet tout en restant appuyée sur des détails débiles. « Oui bon ça va, deux ou trois, ça change rien, fait pas chier. » déclara-t-il alors. « Tu sais très bien que j'étais proche de Naya, pourquoi t'as eu besoin de remettre ça sur le tapis, hein ? » C'était peut-être l'alcool qui lui montait à la tête, mais en tout cas, Carl avait décidé de parler, finalement. Ou plutôt gueuler, d'ailleurs. Il posa -enfin- la bouteille contre l'une des tuiles et se tourna vers la Fitzgerald. Après un petit moment de silence, yeux dans les yeux, il reprit. « Sérieusement, pourquoi t'as eu besoin de faire ça ? Tu sais à quoi j'ai pensé, quand t'as disparu tout à l'heure ? Non, non, tu sais pas, parce que c'est fun de se cacher et jouer aux gamins. Mais putain, j'en ai marre que personne ne considère ce que je ressens ! C'est ta soirée, je sais, mais je m'en fous de la gâcher, d'façon c'que je prévois ça se déroule jamais comme prévu. » Certes, Carl imposait cette façade de lui comme étant un dragueur, un fêtard, un mec qui était intouchable et qui se foutait de tout. Mais au fond, n'était-ce pas seulement une barrière ? Récemment il avait comprit qu'il y avait beaucoup plus de choses qui se passait dans sa tête qu'il ne le croyait, et ça lui faisait peur. Ouais non, pas la peur de gamin, mais celle qui fait réaliser qu'il faut, peut-être, commencer à arrêter de se voiler la face et se montrer comme on l'était. Mais Carl ne pouvait pas tout simplement montrer aux gens qu'il avait encore une âme d'enfant et qu'au fond de lui se cachait de profonds sentiments. Il ne pouvait pas. Pourquoi ? Parce que s'il révélait tout ça, ce ne serait plus Carl. Et il finirait par s'éloigner de tous ses amis. Ouais, au fond, il était juste perdu. Perdu dans ses relations, dans ses pensées, dans ses ressentis. Perdu dans sa vie. Peut-être que c'était pas plus mal. Peut-être que c'était le moment où il était sensé prendre conscience de ses actes, prendre en main sa vie, ou tout simplement grandir. Mais c'était dur. Il n'était pas prêt à quitter sa vie d'adolescent. Mais pourtant, il le faudrait bien un jour ou l'autre. Le Spencer était dans cette phase d'entre-deux, entre adolescence et adulte, et sûrement qu'il n'était pas le seul dans son cas. On passe tous par une phase où l'on se doit réaliser qu'on est plus un enfant. Seulement pour Carl, tout lui arrivait en même temps et il ne savait plus rien gérer. Au point qu'il en faisait encore plus des conneries.

« Je sais pas si tu comprends ce que je ressens. » fit-il alors. « Moi-même je crois que je le sais pas. Mais ce que je sais, c'est qu'au jour de l'an, quand j'ai regardé dans cette salle de bain, quand j'ai entendu que Naya était partie, je me suis effondré. J'savais pas que ça allait m'atteindre autant, ça m'est juste tombé sur le coin de la gueule. » Il prit une grande inspiration avant de continuer, ne sachant pas trop pourquoi tout d'un coup il racontait ça à la Fitz. « Et je me suis sentit coupable. Et on m'a fait sentir coupable. Parce que je l'avait laissée. Je l'ai laissée pour aller jouer à un jeu débile, et voilà les conséquences. » Carl prit un moment de silence pour éviter que tous ses ressentis remontent avec ses paroles. Ce n'était pas le moment. Une fois avec Ginny, ça suffisait. « A partir de là, j'sais pas, je suis perdu quoi. La moindre chose que je fais, je ne me reconnais plus. Quand quelqu'un dit le nom de Naya, je me retourne, espérant la voir au tournant de la rue. Et je sais pas ce que c'est Julia, je sais pas pourquoi je réagis comme ça. » termina-t-il. Voilà, c'était dit. Et encore, ce n'était qu'une fraction minime de toute ce qui se passait dans sa tête, malheureusement.. Ce que Carl souhaitait maintenant, c'était que la Fitz ne se foute pas de sa gueule, et pour une fois, essaye de comprendre comment il ressentait vraiment les choses, au lieu de tout prendre à la légère. Elle en était capable, il le savait. A voir maintenant ce qu'elle déciderait de faire, c'était entièrement entre ses mains.

Il n'y avait rien à redire, en matière de gaffes Julia était douée. À vrai dire elle ne savait pas comment elle avait eu cette idée de cache-cache, c'était venu d'un coup, sans qu'elle y réfléchisse vraiment. L'alcool peut-être. Ou l'herbe. Ou les deux. Quoiqu'il en soit, quand elle avait vu que Carl était à fond dans son délire de monter sur le toit, elle avait trouvé ça amusant de le laisser là et d'aller se planquer. Après tout, ils étaient pile au bon endroit pour se faire quelques petites frayeurs ; il n'y avait pas mieux que la maison n°9 pour ce genre de choses. Enfin, bien sûr, au départ, Julia n'avait pas dans l'idée de faire peur à Carl; simplement de l'embêter un peu en le forçant à fouiller toute la maison pour la trouver. Mais leur petit jeu était allé bien plus loin qu'elle ne l'espérait, peut-être même un peu trop loin. Et finalement ils se retrouvaient là, assis sur le toit, à se prendre la tête parce qu'il avait eu le malheur d'évoquer le mauvais sujet et qu'elle avait eu le malheur de choisir le mauvais jeu. En vérité c'était surtout Carl qui en faisait tout un pataquès (dédicace à Lily et Carl, aka le 9 Juin-Bercy <33), tandis que Julia essayait simplement de lui faire comprendre qu'elle n'avait pas eu pour but de le blesser. Oui elle savait qu'il était proche de Naya, ce n'était pas comme s'il était resté discret sur cette relation, mais en l'occurrence il l'accusait à tort et à travers. Primo elle n'avait pas pensé une seconde à la Freeman en allant se cacher, et puis ça faisait un bon paquet de minutes que c'était passé, ils pouvaient oublier, non ? Deuzio sa réplique « du nouveau avec Naya » n'était que la réponse à la question complètement stupide de Carl. Julia considérait donc qu'il s'énervait sur elle sans véritable raison, puisqu'il était lui aussi fautif, l'ayant provoqué, même si ce n'était pas forcément voulu. Son petit air de légèreté disparut aussi vite qu'il était apparu et elle redevint totalement sérieuse, n'appréciant pas de se faire engueuler ainsi. Mais la Fitz n'avait pas besoin de grand chose pour être déconcerter, et cette fois ce furent les yeux de Carl, plantés dans les siens, qui la déconcentrèrent. Ce n'était plus des yeux de petit fou prêt à faire la fête qu'il avait, c'était des yeux de...de quelque chose que la blonde avait rarement, pour ne pas dire jamais, vu chez lui. Elle resta muette, sans plus rien à protester, alors qu'au fond d'elle elle était persuadée que c'était le moment ou jamais de dire quelque chose. Mais quoi ? Qu'est-ce qu'elle pouvait dire, alors qu'elle était là, en face de ce regard, et qu'elle prenait peu à peu conscience de ce qui se tramait dans la tête de Spencer ? Rien, elle ne trouvait tout simplement rien. Mais Carl, lui, avait besoin d'exprimer quelque chose qui attendait depuis trop longtemps et il se remit à lui crier dessus, gueulant que ce n'était pas ainsi qu'il pensait que la soirée allait se passer. Julia non plus, ne pensait pas que ça allait prendre cette tournure. À vrai dire la disparition de Naya lui était totalement sortie de la tête, alors qu'elle hantait littéralement Spencer, le rendait captif de ses propres pensées. Le désespoir se lisait sur son visage et s'entendait dans ses paroles, à milles lieux du Carl narquois et hors d'atteinte que Julia avait l'habitude de côtoyer. Il se posait des questions, il lui demandait des réponses. Mais elle n'en avait pas. Elle ne savait pas ce que c'était, Ca, elle n'était pas dans sa tête, elle ne savait pas non plus où était Naya ni ce qui lui était arrivé. Elle n'avait rien à dire à Carl pour le réconforter, d'ailleurs elle n'avait jamais trouvé les bonnes paroles pour consoler les gens.

« Merde Carl, tu me fais quoi là ? »

C'est tout ce qui voulait bien sortir. Mais elle sentait à l'avance que ça n'allait pas lui plaire, alors elle chercha autre chose à lui dire. Il voulait la vérité ? Alors elle ne pouvait pas se contenter de lui dire qu'il n'y était pour rien, qu'il se prenait la tête inutilement. C'était faux. Elle n'en était pas totalement sûre, mais s'il était restée avec Naya ce soir-là, peut-être qu'elle n'aurait pas disparu. Des centaines de scénarios étaient possibles, il aurait pu disparaître avec elle, se mettre K.O par les kidnappeurs, ou mieux: la sauver, mais elle était certaine que si Naya n'avait pas été seule, les choses auraient pris une tournure différente.

« Tu sais bien que ça n'y changera rien, pourquoi tu t'infliges ça ? On était tous ensemble avant qu'elle disparaisse, j'aurais pu renverser mon verre sur elle et me prendre la tête avec elle, elle aurait peut-être pas été enlevée. Quelqu'un aurait pu crier plus fort qu'il y avait une bagarre, elle y serait peut-être allée au lieu de se foutre je sais pas où. Mais c'est pas en culpabilisant que tu vas la faire revenir. »

Elle avait envie de lui dire, franchement, qu'il ne pouvait pas faire le gamin, qu'il ne pouvait pas se laisser prendre de court, qu'il devait essayer de rattraper la situation au lieu de risquer de l'empirer. Même si ça lui faisait peur, même si c'était douloureux, il devait être fort. Pour Naya, pour sa famille, parce qu'il ne pouvait faire autre chose que se remettre de cette disparition. Parce qu'il n'avait que ça à faire, en attendant d'en savoir plus.

Pourquoi Carl venait-il de tout balancer d'un coup ? Il ne savait pas. Peut-être que ça faisait trop longtemps que c'était enfoui et que Julia avait déclenché l'averse. Il se sentait captif dans ses pensées, à un tel point qu'il ne se reconnaissait plus. Et il en avait franchement marre. Il voulait que tout redevienne comme avant, qu'il redevienne ce Carl insouciant, fêtard et dragueur. Mais non, il n'y arrivait plus. Et réaliser qu'il n'était pas maître de ses pensées, c'était encore pire. Mais quel dieu avait décidé de faire la création d'un cerveau pareil ? Il faudrait que Carl se trouve quelque chose de plus fort sur quoi se concentrer, une passion, une fille, même ses cours, n'importe quoi. Quelque chose qui le réveillerait. Mais rien ne paraissait se peaufiner à l'horizon. Si ce n'est un cortège d'ambulances qui venait de passer, accompagnées du bruit violent et répétitif de la sirène, sans doute en train d'amener quelconque grand-parents atteint d'une attaque cardiaque. Ce n'était plus quelque chose qui lui faisait de la peine. Depuis qu'il était en médecine, et même depuis tout petit, il avait appris à avoir une différents approche de la mort. Cela finit bien par arriver un jour ou l'autre, alors bon, pas de quoi en faire tout un cinéma. Ceci dit, cela ne l'empêchait pas de vouloir sauver des vies. Ou pas, d'ailleurs. Il ne savait pas encore s'il voulait sauver des humains, des animaux, ou bien les disséquer. Une bonne réflexion à faire, un de ces quatre. Bref.

Julia parut choquée de voir un tel Carl apparaître devant elle. Il n'aurait pas été étonnée qu'elle lui sorte un ''mais qui êtes-vous et qu'avez-vous fait à Carl Spencer'', tellement il se rendait compte du changement qui venait de s'opérer. Carl, parler de ses sentiments ? C'était comme demander à une loutre de voler. Il ne prit pas ma remarque de Julia au mot, il la connaissait trop bien pour savoir que c'était juste sa manière de réagir à une situation choquante. Comme si le Spencer venait de lui sortir une grosse blague. Mais non. C'est alors que Julia commença à consoler son ami. Oui, consoler. Entre Carl qui parle de ses sentiments et Julia qui réconforte, même un extra-terrestre aurait parut bien normal. C'était quoi, la pleine lune ? Quoi qu'il en soit, il fut content de voir que la Fitz démontrait un tant soit peu d'intérêt pour ce qu'il racontait. Il lui sourit mais ne répondit pas, ne sachant de toute façon pas trop quoi répondre. Il ferma les yeux, soupira et passa ses mains sur son visage avant se se remettre en position allongée, les yeux fixant le ciel noir. « C'est plus fort que moi. » murmura-t-il alors. Il mit ses mains derrière la tête et se remit à regarder le ciel, laissant dériver son regard sur les étoiles, ses pensées flottant dans cet univers sombre. Il ne savait plus comment sortir de là.

Julia devina la réponse de Carl plus qu'elle ne l'entendit, et elle comprit, en le voyant s'allonger et prendre ses aises, qu'elle avait perdu l'attention qu'il lui octroyait depuis quelques minutes. Si, l'instant d'avant, Spencer lui criait dessus comme rarement elle l'avait vu faire, la clouant littéralement sur place tant il déchainait sa rage sur elle, il n'en était plus rien désormais. Le calme après la tempête. Si elle avait réagi en gueulant à son tour, comme elle en avait d'abord eu l'envie en l'entendant, ils seraient sûrement encore en train de se bagarrer inutilement sur des choses dont ils n'étaient ni l'un ni l'autre responsables, du moins pas entièrement. Maintenant qu'elle avait perdu la concentration du garçon, elle ne savait plus quoi ajouter. Arrête de faire le gamin Carl, on sait très bien toi comme moi que tu n'as plus l'âge de te comporter comme ça? Mais ce serait admettre qu'il y avait des codes d'attitude, et ce serait contraire à ses principes. Et puis ce n'est pas comme si elle était mieux placée pour lui donner des conseils, alors peut-être qu'il valait mieux qu'elle la boucle, pour une fois. Julia soupira devant leurs comportements respectifs qui n'étaient pas les leurs habituellement ; elle se retourna vivement et s'étira de tout son long pour attraper la bouteille de vodka qu'ils avaient emportée avec eux. Elle s'approcha ensuite du bord du toit, laissa tomber ses jambes dans le vide. Elle aimait cette sensation d'appesanteur, être à deux doigts de tomber mais contrôler cette chute, pouvoir l'empêcher. Elle ne supportait pas de ne pas avoir le contrôle, ça la faisait se sentir impuissante, toute petite. Elle avala une gorgée d'alcool, les yeux fermés, profitant simplement de l'air frais de la nuit qui la faisait frissonner à chaque brise. Puisque Carl ne disait rien, elle imaginait qu'il voulait être seul, un peu, dans ses pensées. Ce n'était pas plus mal d'ailleurs, ça lui évitait d'avoir à lui sortir des phrases bidons pour le consoler, ou du moins pour tenter de sauver les quelques restes d'ambiance pour le moins minables qu'ils avaient dors et déjà perdues. Elle n'avait même pas envie de s'enfumer plus la tête ; cette discussion lui avait laissé un goût amer dans la bouche, que ni la clope ni l'alcool ne pouvaient effacer.

Elle rouvrit les yeux, pencha la tête en arrière et regarda les étoiles, simplement. Elle aimait bien faire ça, de temps en temps. Ça la rendait un peu plus lucide quand elle était déjà bien adns les vapes, comme à l'instant présent. Elle se mit à chercher la grande et la petite étoile, son jeu préféré avec les astres qui s'amusaient souvent à la taquiner en se cachant si bien dans l'immensité du ciel et de ses petites lumières, qu'elle avait peine à les retrouver, dans tout ce bazar céleste. D'ailleurs elle n'avait jamais retenu la différence entre les deux constellations. Mais ce soir, elle en était sûre, ce n'était ni de sa faute si elle ne les retrouvait pas, ni une farce des astres, et elle maudit celui qui avait oublié d'éteindre les lumières de la ville à une heure si avancée de la nuit – du matin. Elle cligna des paupières et se frotta les yeux en bâillant, se sentant dériver vers le sommeil dû à l'heure tardive. En se retournant vers Carl, elle constata qu'il avait lui aussi la tête dans les étoiles ; elle essaya d'attirer son attention et finit par lui donner des coups dans la jambe avec la bouteille, vide. Elle tendit le bras au-dessus du vide ; il n'y avait que ses mains qui empêchaient la bouteille de tomber, il n'y avait qu'elle pour contrôler cette chute. Elle lâcha prise, et une seconde plus tard on entendit le verre se briser quelques mètres plus bas, et les buissons s'agiter, signe qu'elle venait de déranger quelques bêtes cachées là-dessous. Julia ne fit aucun commentaire, elle avait juste eu envie de faire ça, de sentir le contrôle dans ses doigts. Elle se sentait étrange, à la fois fatiguée et agacée de tout ce que Carl et elle venaient de se dire et, plus tôt, d'avaler ; c'était sûrement le signe qu'elle avait eu sa dose pour la soirée. Maintenant elle avait juste envie de décuver, de s'allonger sur le matelas le plus confortable qu'elle pourrait trouver et de ne plus penser ni à cette discussion, ni à tout ce à quoi ça l'avait amené à penser.

Elle se redressa et se tourna vers Carl. « merci pour la soirée. » elle ne lui demandait pas de la ramener, pour une fois elle avait envie de rentrer seule, malgré l'heure tardive. De toute manière, ce n'était pas comme s'ils s'étaient beaucoup éloignés de sa maison. Elle pensa à un truc, hésita à le dire tout le temps qu'elle s'approchait de la trappe. Arrivée à la hauteur de la sortie, elle passa lentement les jambes par le trou, se rendit compte qu'il y avait une table en dessous, s'en réjouit. Elle se tourna vers le garçon, qui n'avait pas bougé, s'en fichant un peu qu'elle se casse ou quoi. Finalement, elle se décida à dire son truc et lança « fais pas trop de conneries, d'accord ? » en guise d'avertissement. Elle le connaissait, et à vrai dire elle ne tenait pas trop à ce qu'il suive la route de la bouteille de vodka, ou fasse une quelconque bêtise de ce genre. Elle se laissa glisser par la trappe en s'accrochant fermement aux bords ; elle ne sentit pas la table sous ses pieds, encore trop petite pour l'atteindre, mais il ne restait que quelques centimètres alors elle se laissa tomber sans préambules. Elle soupira ; l'escalade, ça n'était pas franchement son truc.