Aujourd'hui sonnait le premier jour d'octobre, Lorenzo avait repris le chemin de l'école depuis près d'un mois. Pourtant, tout semblait encore si singulier. Quand il passait, plusieurs fois dans la journée, devant ce fameux tableau d'affichage où la rixe avait explosé, son coeur s'emplissait de mélancolie. Forcément, c'était dur, de croiser Summer, de croiser Peter et, pire, de les croiser tous les deux, en même temps. Les locaux repeignaient encore et encore, les erreurs commises dans le passé, son échec marital, ses remords et ses regrets. Il affichait sans cesse un air morose, mais n'en avait que faire. Ses élèves pouvaient pouffer, ses collègues pouvaient le prendre en pitié, cela ne changerait rien. Leur décision était cependant la bonne, Summer et lui n'avaient plus rien à faire ensemble. Ils entretinrent le suspense, le mythe, quelques mois durant, mais aujourd'hui Lorenzo avait accepté la réalité, il se sentait étranger vis à vis d'elle. Pourtant, il restait toujours persuadé que ce mariage malheureux aurait pu ne pas connaître cette fin désastreuse.

Arrivé près de la salle des professeurs, il jeta d'abord un vif coup d'oeil, vérifiant qu'aucune présence gênante ne l'y avait devancé. La voie semblant libre, il y pénétra, afin de se servir ce jus de chaussettes qu'on appelait de façon select un café. Avant, Summer lui préparait un thermos de vrai café, préparé avec amour ... Mais surtout avec sa cafetière italienne Bialetti. Désormais, chaque matin, il réalisait seulement en entrant dans cette pièce qu'il avait oublié de le préparer lui même. Il but son café sans se concentrer sur le goût, lisant d'un air abstrait les quelques annonces sur le panneau d'affichage. Les listes des choix de langues des élèves, le mot du proviseur qui avait rempilé une année de plus, alors que Lorenzo convoitait son poste depuis plusieurs années. Encore cette année, il n'était "que" proviseur adjoint. Un professeur de maths et proviseur adjoint célibataire. Et dire, que l'année dernière, il imaginait des changements se produire dans sa vie professionnelle. Finalement, il avait eu tout faux.

Le mois d’octobre se pointait le bout du nez. Je n’appréciais pas particulièrement cette saison, mais je dois admettre que je trouvais le paysage joli ces temps-ci. Les feuilles des arbres qui avaient changé de couleur auparavant étaient maintenant toutes tombées ou presque, prenant des allures de tapis multicolore sous nos pieds, les enfants jouaient dans celles-ci avec le sourire jusqu’aux oreilles pendant que leur père les ramasse, et les levers de soleil sont toujours aussi ravissants tout en nous réchauffant le cœur pour la journée qui débute. Je venais de terminer ma petite routine du matin avant de partir travailler. Il ne restait plus qu’à m’habiller et j’étais prêt à partir. Le temps commençait à se rafraichir petit à petit et les journées se raccourcissaient. L’hiver vient, me dis-je malgré moi. Il fallait donc que j’enfile quelque chose d’un peu plus chaud que d’habitude. Je me rendis donc à ma voiture et partis en direction de l’école. C’était une journée comme une autre è un tel point qu’on se croirait le jour de la marmotte. Finalement, c’était toujours du pareil au même, tout était toujours semblable. La seule différence qu’il y avait en fait c’était que j’étais toujours de plus en plus vieux. Comme ce serait agréable de pouvoir rajeunir et refaire mes 400 coups.

Une fois arrivé à l’école, je sortis de mes pensées et me dirigeai directement vers la salle des professeurs. Un bon café ne me ferait pas de tort pour me réchauffer un peu et me mettre en forme pour donner mes cours de la journée. En entrant dans la salle, je vis que Lorenzo était déjà arrivé et était seul en train de boire son café. Je lui fis un signe de tête et allai me faire un café. Depuis déjà un certain moment, j’avais remarqué qu’il n’avait pas l’air de bien aller. En fait, depuis un bon moment, certaines rumeurs concernant lui et Summer faisait écho. Si ces rumeurs viendraient qu’à être fondées, cela expliquerait probablement en grande partie ses humeurs des derniers temps. Lorenzo est bien évidemment un collègue, mais aussi un très bon ami depuis déjà plusieurs années. J’allais donc tenter d’être tout simplement là pour lui et si jamais il voudrait m’en parler alors ce sera son choix. Je pris donc mon café et j’allai m’asseoir auprès de lui.

" Salut Lolo! " lui dis-je avec un petit sourire.

C’était un petit surnom gentil que j’aimais bien lui dire quand on était entre nous. Et bien sûr, il m’en avait donné un lui aussi. Je pris ensuite une bonne gorgée de mon café tout en lui jetant un coup d’œil.

Lorenzo sortit de ses pensées quand on entra dans la salle. En reconnaissant Lawrence, il lui sourit. Supposant que celui-ci allait le rejoindre dans ce café matinal, il rangea ses pensées qui le préoccupait dans un coin et arbora un sourire. C'était bien plus accueillant. « Salut Lawlaw ! » répondit-il du tac au tac. Quand ils passaient des soirées à deux dans un bar, Lorenzo était capable de rire de leurs surnoms identiques. Soudainement nostalgique, il laissa échapper une grimace désolée. « Ça fait un bail qu'on ne s'est pas croisé ! » Et pourtant, ils étaient de retour dans le même bâtiment depuis près d'un mois. Lorenzo n'avait aucune excuse, et évoquer son divorce pour lui même ne faisait qu'augmenter sa culpabilité. Depuis qu'il vivait seul, qu'il avait troqué sa jolie maison pour une chambre d'hôtel, il profitait de son temps libre. Ne pas avoir renoué avec Lawrence n'était pas excusable. « Tu deviens quoi, alors ? Rachel ? Les enfants ? » Lorenzo connaissait les enfants Richardson, pour les avoir eu en tant qu'élèves. « J'imagine que tu as entendu que Summer et moi divorçons. » ajouta-t-il, pour sa part. Les étudiants avaient eu vite fait de colporter la nouvelle partout dans les couloirs, à la rentrée, et Lorenzo n'avait pas apprécié au début. Mais lassé, il se contentait de ne pas écouter quand il percevait une conversation à ce sujet. Il ne comprenait même pas que les histoires amoureuses des profs intéressent les élèves, mais qu'importe.

Tout en buvant une gorgée de mon café, Lorenzo me salua à son tour. Celui-ci le fit avec un sourire en prime. Il faut dire que cela lui allait plutôt bien car je ne l’avais pas vu sourire depuis déjà un petit moment. Lolo enchaina par la suite avec une petite remarque.

" Ça fait un bail qu'on ne s'est pas croisé ! "

En effet, cela était tout à fait vrai. Tout d’abord, il y avait eu le congé pour l’été et ensuite même si les cours avaient recommencés depuis un mois nous ne nous étions pas vraiment vus et c’était regrettable d’ailleurs. Cela était probablement dû à une multitude de facteurs dont celui de la rentrée qui est toujours bien rempli en termes de charge de travail, ce qui ne nous laisse pas beaucoup de temps.

" En effet, tu n’as pas tort et c’est bien dommage d’ailleurs, j’aurais aimé avoir plus de tes nouvelles. Mais avec la rentrée je crois que l’on a tous été très occupés. "

Ceci étant dit, je suis certain qu’on aura bien des occasions pour se reprendre.

" Tu deviens quoi, alors ? Rachel ? Les enfants ? "

" Et bien, l’été est terminé alors la petite routine s’est réinstallé tranquillement. Mon amour va très bien comme d’habitude et quand à mes ados... et bien c’est des ados quoi. " Dis-je en rigolant. " Mais plus sérieusement, je suis fier d’eux, ils font en gros ce qu’il faut et pas trop de bêtises. J’ai seulement entendu parler d’un truc bizarre entre Sav et Jay, mais j’en sais pas plus que ça. "

" J'imagine que tu as entendu que Summer et moi divorçons. " Me dit-il en enchainant.

" Pour être honnête avec toi, j’ai entendu ces rumeurs un peu partout dans l’école et j’en étais très étonné. Je n’y ai pas porté attention plus qu’il le faut, car on entend énormément de choses ici et c’est loin d’être toujours vrai. J’imagine alors que celle-ci était bel et bien fondée? "

J’avais de la difficulté à imaginer Lolo sans Summer. Tout avait l’air de bien fonctionner entre eux. Enfin, ce sont des choses qui peuvent arriver à chacun d’entre nous et surtout rendu à cette époque.

" Ça fait combien de temps que c’est officiel? "

Lawrence n'avait pas tort. Bien qu'on envit souvent les conditions de travail favorisées des enseignants, la rentrée était toujours synonyme de rush et nécessitait toujours un temps d'adaptation. En maths, Lorenzo devait découvrir puis dompter les différents niveaux de ses élèves, les classes étaient bien souvent très hétéroclites, entre ceux qui envisageaient de poursuivre leurs études dans l'ingénierie, et ceux qui postuleraient bien vite au McDo. Mais mieux valait tard que jamais, et pour les deux hommes, cela signifiait aujourd'hui. Ils avaient un peu de temps avec le début des cours, Lorenzo avait déjà préparé sa classe, ses cours, et n'avait aucune copie à faire au photocopieur c'était l'essentiel.

« Avec Jay ? Il n'est pas bien plus vieux qu'elle ? » demanda Lorenzo avec un visage de dégoût. Il connaissait cet homme de nom, et pas en bien : ce Jay avait également tourné autour de Lauren, l'épouse de son ami Frederik. Rien de bien rassurant concernant Savannah, en somme. mais Lorenzo évita d'en parler à Lawrence, qui risquait de s'inquiéter en apprenant que sa fille traficotait avec un tel Don Juan.

Naturellement, les nouvelles de Lorenzo étaient bien plus ... inhabituelles. Aucune routine, aucun "ça va bien". Rien n'allait, d'ailleurs. Sans surprise, Lawrence en avait entendu parler. Et cela rassura Lorenzo que ce dernier n'y ait pas vraiment cru. Leur couple ne fut finalement pas si futile, leurs derniers mois n'avaient pas totalement discrédités les premiers, en somme. « Oui, c'est fondé. Nous l'avons décidé, d'un commun accord, cet été, après la fin de l'année scolaire. Nous ne nous entendions plus, nous ne savions plus communiquer autrement qu'en criant. Ça ne servait plus à rien. » Il soupira, mélancolique et nostalgique. Alors que certains avaient passé l'été les doigts de pied en éventail, lui avait passé le sien à ruminer une séparation. Afin de cacher son trouble, il se plongea dans son café. Le temps de retrouver un visage convenable. « Mais c'est long, la procédure. Pourtant, nous sommes plutôt d'accord, sur à peu près tout. Mais même si c'est fini, on a quand même du mal à terminer ça pour de bon. » Réduire leur mariage à "ça" reflétait plutôt bien la situation. Et c'était si nouille, pathétique.