Andrew ne savait pas comment il avait atterri dans ce bar. Pourtant, il n'avait toujours pas replongé, il se contentait de boire des softs, encore et encore. Certes, il allait bientôt se transformer en bouteille de Coca géante, mais il restait maître de ses pensées et de sa vie, du moins ce qu'il en restait. Il ne se souvenait pas non plus avoir terminé ce verre qui gisait devant lui, vide. Il n se souvenait même pas l'avoir commandé, en fait. Il était clean, ne replongeait pas, du moins pas encore. Pourtant, il faisait face à des pertes de mémoire continues. Parfois, il se réveillait, alors qu'il ne dormait même pas, constatait avec surprise sa présence dans tel ou tel lieu. Hier, il s'était retrouvé dans les toilettes du centre commercial ... Mais ne se souvenait même pas être sorti de son lit. Il soupçonnait un fantôme de le transporter ainsi, de lieu en lieu, pour l'aider à garder un contact avec le monde extérieur. En vrai, il ne vivait plus. Il était, ce fantôme, il errait tel un corps sans âme. Car en mettant un terme à leur relation, Lou avait tout emporté avec elle : son bonheur, sa joie, son âme, et même le seul sens qu'il donnait à sa vie. Désormais, sans but, il ne vivait plus vraiment. Ne pas savoir comment il avait atterri dans ce bar ne l'effrayait même plus. Il accepta la situation, et s'apprêta à commander un autre verre. Dans ses moments de réalité intense, il se demandait si tout ça n'était pas simplement son subconscient, souhaitant simplement qu'il replonge dans l'alcool et la drogue. Il était vrai que ses anciens démons pouvaient rendre la vie bien plus facile. Il n'y aurait même plus de retour dans la réalité, il ne connaîtrait plus ces moments douloureux où il se réveillait, et où il réalisait que non, ce n'était pas un rêve, il était seul désormais, sans personne, sans Lou. L'alcool, que ce bar pouvait lui servir, la coke, qu'il avait acheté la semaine dernière avant de la cacher au fond d'un tiroir de sa commode, l'appelaient. Mais il tenait bon. Ce n'était plus si difficile, depuis qu'il avait arrêté de penser.

Alors qu'il s'apprêtait à commander un énième coca, on vint lui parler. Il ne réagit pas tout de suite, ne réalisant pas qu'une personne était en mesure de s'adresser à lui. Puis, il sentit une présente insistante à côté de lui, releva donc la tête. Jules, elle était là. Il ne la reconnut même pas tout de suite au début. « Jules ?» demanda-t-il, comme pour être sûr. Pourtant, il n'était pas à Londres ... Et là il se souvint, qu'elle vivait à Magnolia depuis un an. Il s'était toujours appliqué à l'éviter, elle possédait ce pouvoir, capable de faire naître en lui un sentiment coupable si désagréable. Mais aujourd'hui, il ne ressentait rien. Rien du tout, ni joie, ni peine, ni gêne. Il ne ressentait plus, tout court. « Ne t'en fais pas, j'allais partir, ce bar est tout à toi» répondit-il avant de se lever de sa chaise.

Il n'osait même pas lever les yeux vers Jules, toujours honteux de son comportement passé vis à vis d'elle. La jeune fille, quant à elle, semblait parfaitement à l'aise avec cette histoire. Où trouva-t-elle le courage de surmonter la douleur ? Jules le surprenait un peu plus chaque jour. A chaque fois qu'il l'avait croisé, dans le quartier - et habilement évitée - les souvenirs de Londres resurgissaient dans sa mémoire. L'état dans lequel elle l'avait trouvé la première fois, dans un bar, complètement saoul. Son aide, son soutien, son amitié, puis ses sentiments. Et finalement, cette façon si honteuse avec laquelle il avait orchestré son départ incognito. Les quelques semaines où il avait joué l'agent double, où il avait feint le petit ami transi, alors qu'il s'apprêtait à l'abandonner sans prévenir pour retourner dans son New Jersey natal. Jules était parfaitement en droit de lui intenter un procès moral, il entendait déjà l'énonciation de tous les chefs d'accusation précédemment énumérés. Mais rien de tout ça ne se produisit. Au contraire, Jules souhaitait partager avec lui un moment, un verre. Elle ne le chassait pas, au contraire, l'invitait à rester. Mais pourquoi ? La raison lui importait peu, il ne se posait plus de questions ces derniers jours. Il acceptait le cours des évènements d'un oeil absent. « Pas de souci écoute ... » Il commanda un autre coca. Au moins, la présence de Jules avait l'avantage de réveiller ses innibitions. Plus question de commander un verre un peu plus alcoolisé, sa présence physique l'en empêchait, inconsciemment. Et il était incapable de dire s'il devait la remercier ou au contraire la blâmer.

« Alors, pourquoi tu es dans un bar toute seule ? » Il espérait qu'ils étaient passé au dessus du stade "je suis seule parce que tous les mecs sont des connards, je te raconte pas mon ex il s'est cassé de l'autre côté de l'océan sans prévenir", même si jamais le sujet n'était venu dans l'une de leurs conversations. En fait, il fallait dire que les conversations qu'ils avaient entretenu ces derniers temps étaient très très rares. Andrew l'avait évitée avec brio, dans la rue, au super marché, dans les bars, aux fêtes du quartier ... Mais aujourd'hui, il n'en avait plus envie.

Ses révisions. C'est vrai, Jules étudiait toujours le droit, toujours aussi déterminée. Il se souvint, à Londres, combien cela l'avait impressionné. Surtout pour lui, qui n'en avait rien à faire des cours, et qui détestait gaspiller des neurones et du temps sur les bancs de la fac. Et puis, il était revenu à Magnolia, avait revu Lou, passionnée de droit aussi, qui l'avait attiré avec elle à l'université ... Il secoua la tête, il n'avait pas assez de cran ce soir pour s'aventurer sur ce terrain là avec Jules. En fait, il ne voulait parler de Lou avec personne, voire ne plus parler d'elle du tout. Il voulait l'oublier, c'était le but de ses longues soirées dans les bars. Il ne les comptait plus, tous ces soirs où il venait ici, dans l'idée de replonger, de boire ce verre fatidique qui l'emmènerait dans ce monde qui lui manquait tant. Ce monde où Lou serait si facile à oublier, où il pourrait même tout oublier, tout tout tout. Lou, Adrian et Juliet, Christian, Lukas et Greg, Eli, Naya ... Jules aussi. Pourtant, chaque soir, il se contentait de coca. Même quand personne ne venait perturber sa soirée, il restait assis jusqu'à la fermeture, incapable de boire ce verre fatidique. Et ça l'agaçait, d'être si faible. Et cette pensée, qui lui rappelait combien le sevrage fut long et difficile la dernière fois, l'énervait tout autant. Oui, il aurait pu dire la vérité à Jules, car celle ci pouvait l'aider à s'en sortir. Si elle connaissait la vérité, elle le soutiendrait, c'était certain. Mais il ne voulait pas que leur relation renoue avec celle du passé. Car son coeur débile et niais pensait toujours à Lou.

« Ravi d'être une surprise. Bonne ou mauvaise ? » demanda-t-il cache, quitte à la gêner un peu. Connaissant Jules, elle dirait forcément ce qu'elle pensait, elle ne se souciait pas de blesser les gens. Elle disait toujours ce qui devait être dit, et il avait toujours apprécié sa franchise. Quand il réalisa que Lou non plus, n'avait pas sa langue dans sa poche, ni Naya et encore moins Annie, il prit peur. Jamais cette pensée ne lui avait traversé l'esprit, mais il semblait qu'en fait, il sortait toujours avec le même type de filles. Ce constat soudain le laissa silencieux comme un pot, quelques minutes. Il était perturbé, mais Jules ne devait pas le voir. Alors vite, il parla à nouveau, quitte à dire n'importe quoi. « J'ai plus de copine, j'ai plus de soeur, j'ai plus de potes, avec qui veux-tu que je vienne ici ? » Au moins, il aurait l'air pathétique. Tellement que Jules pourrait avoir honte de trainer avec lui et prendre la poudre d'escampette aussitôt. Mais il y croyait peu, elle n'était pas comme ça. Alors, pour la devancer, il fournit les explications. « Mes meilleurs potes ne me reparlent toujours pas depuis que je suis avec Lou, tu sais, ma copine. Mais Lou ne veut plus me voir depuis qu'elle a perdu le bébé à la fête du 4 juillet. Je ne sais pas si tu as su » Jules connaissait Lou, depuis qu'elles s'étaient malencontreusement rencontrées à la fête des voisins de l'année dernière. Il n'oubliait pas ce moment détestable, où il avait dû expliquer à Lou que Jules était son ex avec qui il n'avait jamais vraiment rompu officiellement car il était lâche. « Et ma soeur m'oublie totalement à cause de son histoire rocambolesque avec son enfoiré de fiancé. Finalement c'est pas plus mal d'être ici seul tu sais » conclut-il sans grande conviction. Forcément, pour un extraverti comme lui, cette solitude le pesait énormément.

HRP : Ambiance musicale - oui je suis très Natalie ces temps-ci :

Il ne se souciait pas de choquer, ne se souciait plus de rien. Et en même temps, il trouvait son état si pathétique. Quand il allait bien, avant, il se moquait des gens comme ça, si déprimants, qui attiraient le regard, la pitié et la compassion. Persuadé que ces gens exagéraient, jouaient, faisaient exprès. Aujourd'hui, il avait rejoint leur monde, et comprenait mieux leur situation : il ne faisait pas tout pour attirer la pitié des autres et, pire, il n'en avait damnement rien à foutre. Entendre Jules s'étouffer avec sa boisson sous le coup de la surprise, ne provoquait chez lui aucune réaction. Elle était choquée, ok, point barre.

« Normal que tu ne saches pas, je ne le crie pas spécialement sur tous les toits. Et puis j'évite d'être vu, si je commence à être l'objet des ragots, mes parents sauront, et m’emmèneront par la peau du cul à la fac. Alors je reste chez moi, c'est cool. » Ils avaient peu d'amis communs, en plus. A première vue, seule Scarlett lui sautait aux yeux. La Spencer ne devait donc pas savoir. Depuis sa réconciliation avec Elisabeth, un peu avant la Fête de l'indépendance, Andrew ne l'avait pas revue. Il ne voulait pas de compagnie, de toute façon. Et surtout, il voulait rester dans cet état. Et pour vivre heureux, vivons cachés. Seul.

Finalement, ce fut à son tour d'être surpris. Heureusement qu'il ne buvait pas à ce moment là, où il aurait connu la même réaction que Jules auparavant. Or, il ne voulait pas qu'elle sache qu'elle visait juste. Oui, la tentation était grande. Pire, elle ne devait pas savoir que sa fierté lui faisait plaisir. Comme avant, quand elle était fière qu'il avance sur le long chemin hors de la dépendance. Alors, il resta silencieux, jusqu'à ce qu'elle reprenne la parole pour trinquer. Il se surprit à sourire malgré lui, et leva son verre contre le sien. « A nous ... » Il marqua une pause, avant de s'ouvrir, sans réfléchir. « Bien sûr que j'ai envie de replonger, pourquoi tu crois que je suis là ? » De sa poche, il sortit un petit sachet de coke, et le lança sur le comptoir devant elle. « Je me vois, me refaire un petit cocktail à l'ancienne. Mais à chaque fois je m'en tiens au coca, et ce truc reste dans ma poche. » Elle risquait de l'attraper ilico pour ne pas le lui rendre. Mais il s'en fichait ... Il en avait encore chez lui, pour le jour où il sauterait le pas.

A mi chemin entre la paix et l'enfer, Andrew hésitait sur le chemin à l'emprunter. Une chose était cependant certaine : cette discussion avec Jules l'influencerait grandement. Après tout, à Londres, elle l'avait aidée, elle avait été un moyen, une raison, pour s'en sortir. Andrew fonctionnait ainsi, il avait besoin qu'on le booste, il était incapable d'être son propre moteur, car il ne se suffisait pas à lui même. Vivre pour lui ? Mais pour quoi faire ! Il était une de ces personnes qui n'existe que par et pour ceux qui l'entouraient. Seulement aujourd'hui, quand il regardait autour de lui, il ne voyait plus personne, alors forcément ...

Jules n'attrapa pas immédiatement la coke. Non, elle commença par un joli discours décrivant un Andrew quelque peu enjolivé. Oui, le démon coulait toujours dans ses veines. Là, posé sur son épaule droite, il lui conseillait de renouer avec ses anciens amis. L'ange n'était pas sur son autre épaule. L'ange s'était métamorphosé en la personne de Jules, qu'Andrew écoutait, prêt à la croire et à la suivre. Mais son cerveau ne se laissait pas séduire si facilement. Pas avec ce petit diable sur son épaule et son air mielleux si séduisant. « Quelqu'un de bien ? Mais pour qui, pour quoi ? Pour quoi faire ? Je ne reste pas seul, je suis tout seul, ma soeur, mes anciens amis, ils n'en ont plus rien à faire de moi. Alors sans Lou, à quoi ça sert de rester quelqu'un de bien ? Je suis tellement pathétique putain. » Il détestait s'entendre ainsi. Sa situation si désespérée et si "girl de 15 piges" qu'il ne pouvait rester calme. De rage, il avala son verre d'un coup, mais bien sûr le coca ne possédait pas les propriétés apaisantes de l'alcool. Il avait besoin de sortir, de crier, de courir, de cogner, de laisser échapper cette rage qui hurlait.

Andrew était sur les nerfs, incapable d'expliquer ces sentiments qui le démenaient. Il ne savait pas ce qu'il voulait. Oh, tout le monde avait beau parler dans son dos, lui il rêvait, d'aller mieux, de retrouver son sourire, et cet état d'esprit où rien n'avait d'importance, où il faisait le con tout le temps, sans réfléchir. Mais maintenant, il réfléchissait, à 100 à l'heure, son cerveau tournait, H 24, remuant idée noire sur idée noire. Il ne trouvait pas le moyen de désactiver ce moulin intérieur, pour redevenir comme avant, quand il ne prenait rien au sérieux. Il faut croire que ça avait des limites, et quand une grosse crasse vous éclate à la gueule, on arrête de rire, de prendre à la légère. On encaisse, on souffre. Il était cassé, comme un jouet, tombé de haut, jamais il ne s'était imaginer revenir un jour à cet état. Il était trop heureux, avec Lou. Pourtant, aujourd'hui, il était comme ça. Et il n'existait aucun service après-vente, les pièces à remplacer ne se fabriquaient pas, un andouille comme lui était bien trop unique.

Alors oui, il s'apitoyait sur son sort. Car elle était sympa, Jules, d'arriver comme ça en petite fée qui s'imagine tout réparer d'un coup de baguette magique. Sauf que personne ne connaissait la formule, le sort, le tour, pour le sortir de là. Alors ouais, il était pathétique. Et quand Jules sortit de ses gongs, il la regarda sans comprendre. Sérieusement, elle lui parlait comme ça ? Il ne bougea pas d'un sourcil. En fait, tout ça le faisait à peine réagir, il ne ressentait pas grand chose à l'intérieur. C'était trop vide pour se remuer. En fait, un seul sentiment naquit : la peur, la crainte. Jules le secouait comme pas permis, et lui ne ressentait rien. Tout ça ne pressage rien de bon pour l'avenir. Comment allait-il s'en sortir si une telle provocation ne le faisait pas réagir ? Il n'allait pas s'en sortir.

« Si t'étais pas une fille je t'aurais mis mon poing dans ta gueule, t'entends comment tu m'as parlé » Il ne la regardait pas, il retournait encore et encore ses paroles dans sa tête, dans tous les sens, cherchant désespérément un putain d'élément déclencheur. Mais rien ne le provoquait vraiment. Alors conclure un marché ... « Je sais qu'il y a plein de mecs comme moi mais ... » Il se tut, soudainement. Non, il n'y avait pas plein de mecs comme lui. Il était Andrew, unique, souvent imité, jamais égalé. Il n'y en avait pas deux comme lui, alors plein ? NO WAY !! Personne ne collectionnait les cartes pokemon comme lui, ne cuisinait comme lui, ne jouait la comédie comme lui ou ne sortait des conneries comme lui. C'était Andrew Davies, le seul. « Putain nan je veux plus être comme plein de mecs, je veux être comme avant » Il la regarda. « Mais je sais pas comment faire. » Alors elle avait intérêt à avoir la formule magique.

Comme à son habitude, Jules était cash, franche. Elle n'y allait pas par quatre chemins et disait ce qui devait être dit à haute voix. Andrew avait toujours admiré cette qualité chez elle, mais maintenant qu'il en faisait les frais, il commençait à l'apprécier un peu moins. Il était parfaitement conscient de l'exactitude de ses propres, Jules était dans le vrai tandis qu'il s'enfonçait dans de mauvaises habitudes. Mais elle était difficile à remonter, cette pente à la con. Et courageux n'avait jamais été la première qualité à laquelle on pensait en pensant à Andrew. « Nan mais je sais, t'as raison » Il s'arrêta là, espérant que Jules s'en contenterait et puis basta. Mais ce n'était pas juste vis à vis d'elle, qui s'évertuait à l'aider alors qu'elle n'y gagnerait fichtrement rien. « C'est à moi de le faire on va pas remonter la pente à ma place. Mais tu vois être en bas c'est vraiment plus facile. T'es pas la première à s'acharner comme ça sur moi, tu seras certainement pas la dernière » Il repensait à tous les visages croisés au cours des derniers mois, leurs différentes techniques utilisées pour le sortir du gouffre. Il les oubliait délibérément, c'était plus facile de se dire que tout le monde l'abandonnait. Alors que ce n'était pas exactement vrai. « Mais merci, t'étais pas obligée de faire ça pourtant tu l'as fait » S'il y avait bien une aide qu'Andrew ne méritait pas, c'était celle de Jules. Après ce qu'il lui avait fait subir, elle était en droit de se lever de ce tabouret et de le laisser se dém*rder. Pourtant elle restait là ... Et réussissait même à le faire sourire. « Ah oui c'est vrai ! Toujours étudiante alors ? T'en as bientôt fini ? » Il souhaitait diriger la conversation un peu plus sur elle, assez parlé de lui. Malheureusement, parler université lui rappela la sienne, à laquelle il ne se rendait plus depuis des lustres. Intelligemment, il faisait quelques fois acte de présence, afin que ses parents ne soient pas alertés par quiconque que leur fils recommençait à dérailler.