Voilà deux semaines que Wyatt et Leona avaient emménagé ensemble à la suite d’une demande particulière et inattendue de la jeune femme qui n’avait pas eu la moindre réticence à donner une nouvelle dimension à leur relation. Si le jeune Cleavers s’était montré quelque peu étonné au début, il n’avait pas tardé à partager son enthousiasme pour chercher un endroit sympathique pour s’installer avec elle… avoir un chez eux où ils ne seraient pas obligés de se voir en quatrième vitesse. Cette maison avait été un petit coup de cœur pour la jeune anglaise, non seulement pour sa proximité avec la résidence de leurs proches respectifs, mais aussi pour son style et son architecture qui lui rappelaient ceux de sa Grande-Bretagne natale. Beaucoup de maisons se ressemblaient certes à Magnolia, mais celle-ci avait quelque chose de différent et de très confortable. Leona était bien consciente qu’il restait encore beaucoup à faire et à aménager à l’intérieur mais  « step by step » comme on dit. Ces derniers jours, la jeune femme avait plus ou moins tenu sa promesse de ralentir la cadence à son travail pour passer plus de temps avec Wyatt et surtout récupérer de sa fatigue constante, mais elle ne pouvait pas se permettre d’arrêter complètement alors qu’il se cherchait toujours des clients et qu’ils venaient quand même d’investir pas mal dans leur nouvelle lubie. La vie à deux se passait plutôt bien pour le moment, mais ce calme apparent n’allait pas durer. Leona avait reçu un appel à son travail la veille, une demande urgente à laquelle elle ne pouvait que répondre. Elle était néanmoins rentrée dans le courant de la nuit et s’était donné le temps cette journée de réfléchir à la demande qui lui avait été soumise. Elle y avait longuement songé à son réveil tard dans la matinée, alors que Wyatt était parti pour une nouvelle journée à la recherche de clients pour son projet de protection. Mais sa réponse n’avait toujours pas changé dans sa tête. Perdue dans ses pensées, elle s’affairait dans la cuisine quand il rentra enfin. La jeune femme ne travaillant pas cette nuit à l’hôpital, ils pourraient passer la soirée ensemble. Elle l’entendit rentrer avec enthousiasme dans la cuisine et se diriger vers elle, visiblement pour l’informer d’une bonne nouvelle. Il l’embrassa sur la joue et se servit une bière avant de lui annoncer qu’il avait trouvé son premier client pour une journée de protection qu’il devrait prestée dès le lendemain. Sentant la question tacite de Leona, il s’empressa d’ajouter la nature de son travail… bien moins dangereux que ce qu’il avait déjà fait auparavant en somme. « C’est merveilleux. » Souffla-t-elle aussitôt rassurée, en guise d’encouragement. « Je suis contente pour toi et je suis sûre que d’autres suivront très bientôt quand on verra que tu n’auras aucun mal à impressionner tous ces mécontents. » Ajouta-t-elle ensuite en souriant. La jeune femme se lava alors les mains pour la deuxième fois en trente seconde, un toc qu’elle avait développé quand une opération  particulièrement délicate la rendait plus nerveuse qu’à l’accoutumée. Et elle était quelque peu nerveuse à cet instant précis, car elle avait aussi quelque chose à dire à Wyatt, quelque chose qui ne l’enchanterait pas du tout. Elle arrêta le flux d’eau qui coulait du robinet et s’essuya les mains avant de lui faire face. « Et si on sortait ce soir pour fêter ça ? » Proposa-t-elle alors. Du Leona tout craché. Elle ne voulait pas gâcher LE moment de Wyatt, du moins pas tout de suite. Elle aurait toujours le temps de lui annoncer plus tard.

Leona était bien contente que Wyatt ait trouvé un contrat pour le lendemain. Même si elle craignait toujours de le voir partir et ne pas revenir depuis les derniers incidents, elle ne pouvait pas l’empêcher de continuer à exercer ce qu’il aimait faire surtout après qu’il ait arrêté son métier pour rester auprès d’elle. La jeune chirurgienne avait essayé de ralentir le rythme de son côté, mais elle n’arrivait pas à se détacher totalement de l’hôpital. Elle avait l’impression d’abandonner ses jeunes patients qui avaient besoin d’avoir confiance en leur médecin habituel au cours du suivi de leurs traitements. Malgré la bonne nouvelle que Wyatt lui avait annoncée ce soir, elle devait aussi lui faire part d’une chose qui ne lui plairait pas vraiment. Leona ne voulait pas lui gâcher ce moment et espérait donc passer une bonne soirée en sa compagnie avant de se confier à lui. Elle proposa alors de sortir pour fêter cette belle journée pour lui. Il la regarda surpris et lui demanda si elle était sûre de le vouloir à cause de sa fatigue. Comme il l’avait deviné, Leona ne travaillait pas ce soir puisqu’il était prévu qu’elle parte le lendemain matin… Il ne lui laissa pas le temps de répondre qu’il enchaîna plusieurs questions avant de s’approcher d’elle et de l’embrasser. Wyatt posa son pouce sous son œil sans doute pour suivre la trace de ses cernes profonds qu’elle tentait de dissimuler derrière un léger maquillage. Le pauvre. Elle ne devait pas ressembler à grand-chose ces derniers-temps. Un zombie cerné à la peau pâle. Magnifique ! Mais entre ses heures accumulées au boulot et la fatigue de plus en plus profonde, la jeune femme n’avait pas vraiment beaucoup de temps et d’énergie à penser à autre chose. Cette petite sortie serait on-ne-peut-plus bienvenue. Wyatt le comprit également, car elle ne proposait jamais rien sans raison. Il devait justement profiter de l’occasion, ce n’était pas tous les jours que Leona avait le temps ou l’envie de s’amuser. La jeune chirurgienne souhaitait aussi passer un moment en sa compagnie autrement que de le voir en coup de vent comme ces deux dernières semaines. Il arrêta donc son enchaînement de questions et accepta son idée tout en précisant qu’il ne pourrait rentrer tard puisqu’il devrait se lever tôt le lendemain… tout comme Leona qui lui répondit enfin. « Je pense qu’une petite soirée ne nous fera pas de mal, et ne t’en fais pas pour ma fatigue, elle ne me vaincra pas aujourd’hui. » Rétorqua-t-elle en souriant à son tour. N’étant pas allée travailler en journée, Leona avait plus ou moins eu le temps de se préparer. La jeune anglaise se détacha de Wyatt et partit enfiler un manteau léger pour ne pas attraper un coup de froid. Elle attendit ensuite que le jeune commercial la rejoigne près de l’entrée pour reprendre la parole. « Rebecca m’a parlé d’un petit restaurant sympa qui vient d’ouvrir en ville. Il est pas mal à ce qui paraît. » Lui indiqua-t-elle avant de sortir. Heureusement que sa sœur était là pour lui rapporter ce qui se passait à Magnolia, sinon Leona ignorerait encore beaucoup de choses sur le quartier. La jeune chirurgienne n’avait pas vraiment le temps de s’intéresser à tout comme elle le voudrait, mais elle aurait tout le loisir de le faire ultérieurement maintenant qu’elle y vivait officiellement avec Wyatt. Elle avait l’impression de s’être retrouvée depuis qu’elle s’était posée. Il faut dire que tous ses voyages à l’étranger ne s’étaient pas passés idéalement. Une idée qui lui traversa l’esprit alors qu’elle montait dans la voiture. Dire qu’elle allait de nouveau s’y retrouver confrontée…

Leona esquissa un sourire à la boutade de Wyatt, elle ne s’en formalisait jamais car elle savait que ce n’était pas bien méchant. De plus, la chirurgienne ne pouvait que lui donner raison. Entre une intoxication alimentaire ou un repas gastronomique, le choix était vite fait. Ce n’est pas que Leona n’était pas un cordon bleu, mais depuis des années, la jeune anglaise rentrait tellement tard et fatiguée chez elle qu’elle zappait la case ‘longue cuisine’. Vivre chez sa sœur quelques temps lui avait au moins donné l’avantage de retrouver un semblant de santé et un cours normal de vie. Elle tentait de s’ajuster tout autant à ce nouveau changement, puisqu’elle venait d’emménager chez son propre chez elle. Leona avait déjà eu l’occasion d’avoir son chez elle, comme en Angleterre. C’était la vie à deux qui lui était nouveau. Elle devait encore s’adapter à la situation. Tout était allé très vite entre eux dernièrement. « Il est bon de voir que tu es sain d’esprit alors. » Répondit-elle sur le même ton taquin, tandis qu’ils se mirent en route en direction du restaurant dont elle lui avait parlé. Après un cours trajet, ils arrivèrent enfin sur le parking du lieu déjà bien fréquenté. À l’intérieur, ils furent installés face à face à une table située dans un coin tranquille. Une fois les apéritifs commandés, Wyatt reprit le fil de la conversation. Il semblait vraiment enthousiaste de cette petite soirée imprévue. Le commercial n’avait lui aussi pas l’habitude de ce mode de vie plus calme et devait s’adapter également. Les activités quotidiennes des autres couples étaient en effet loin de ressembler aux leurs, mais il y avait un début à tout. « Je partage le même sentiment que toi. » Répondit-elle dans un premier temps. « C’est la première fois que j’ai l’impression de me poser et de penser à autre chose qu’à travailler et il me faudra aussi le temps de m’ajuster à tous ces changements. » Confia-t-elle à son tour son ressenti. D’où l’idée de cette petite sortie impromptue… Ce qui était bien dans cette relation était que Wyatt était non seulement la personne qui la connaissait le mieux, mais aussi celui qui la comprenait le plus – et inversement, elle n’ignorait que peu de choses sur lui. Aucun d’eux n’était habitué à ce genre d’existence et ils devraient s’adapter ensemble à ces nouveaux changements. Une autre personne moins habituée à leur style de vie et plus exigeante en matière de couple, n’aurait pas accepté, ni même compris, qu’ils puissent réussir à passer aussi peu de temps ensemble et pourtant être autant sur la même longueur d’onde à tous niveaux. Mais après tout ce qu’ils avaient traversé, ce n’était guère surprenant aux yeux de la jeune femme.  

Une fois installés dans le restaurant, Wyatt et Leona entamèrent une discussion sur le temps d’adaptation qui leur était nécessaire à tous ces changements. La jeune chirurgienne partageait l’avis du commercial sur son ressenti. Wyatt souligna pourtant que ce n’était pas la première fois qu’elle se posait quelque part, puis qu’elle avait déjà son chez elle en Angleterre où même chez Rebecca, contrairement à lui qui ne faisait que passer en coup de vent chez son frère, sans parler de l’ambiance peu reposante et tendue qu’il y avait chez lui. Il lui avait déjà vaguement parlé des problèmes de couple de Vincent, problèmes qui n’avaient pas l’air de s’arranger pour le moment. « En effet, ce n’est pas la première fois que je me pose quelque part, mais la première que je le fais en couple. » Précisa alors la jeune anglaise en revenant sur le premier point évoqué par Wyatt, c’était quand même différent de vivre à deux que toute seule. « La situation ne s’améliore toujours pas chez ton frère ? » S’intéressa-t-elle tout de même à la famille de son ‘petit ami’. « Il n’a pas dû être ravi d’apprendre que tu les quittais déjà. » Ajouta ensuite Leona, sous forme de question tacite pour sonder ce que pensaient les proches de Wyatt de son déménagement. Il ne lui en avait pas vraiment parlé. Certes, il avait quitté le domicile familial (il pouvait vivre sa vie comme bon lui semblait à son âge), mais d’un autre côté, il pourrait quand même voir ses proches plus souvent puisqu’il avait du même coup renoncé à ce travail qui l’emmenait aux quatre coins du monde. Le serveur apporta ensuite leurs apéritifs accompagnés de petits fours. Wyatt trinqua à leur première soirée à deux depuis leur emménagement ensemble, la première d’une plus longue liste, comme l’espérait Leona. Elle comptait bien profiter de cette soirée, car dès le lendemain, elle devrait de nouveau se plonger dans les démons du passé. La jeune anglaise percuta son verre au sien avant de lui rendre son sourire en essayant de ne plus y penser. 

Leona trouvait cette accélération plutôt logique dans leur relation. Elle avait envie de passer plus de temps avec Wyatt et de pouvoir le retrouver en rentrant chez elle/eux. La jeune chirurgienne avait plutôt l’habitude d’être indépendante, elle ne voulait pas vivre aux crochets de sa sœur encore longtemps, bien qu’elle adorait passer du temps avec Rebecca et son fils. Mais qu’en était-il du côté de Wyatt ? Sa famille venait à peine de le retrouver qu’il quittait déjà le domicile familial des Cleavers… enfin ce n’était pas comme un adolescent qui entrait dans sa vie d’adulte en volant de ses propres ailes non plus. Leona et Wyatt n’étaient plus à un âge où ils devaient rendre des comptes, mais disons que tout s’était passé dans une rapidité affolante. Son compagnon de soirée rassura donc aussitôt la jeune anglaise ; il était probablement mieux pour Vincent et Isabella qu’il soit parti et ne se retrouve plus au milieu de leurs embrouilles, sans parler de Keira qui était sans doute ravie d’avoir autre chose à faire de son temps qu’à provoquer son oncle. Leona comprenait un peu la situation, son neveu Clyde était loin d’être un enfant sage aussi. Ne restait que Mya de qui elle le savait plus proche. L’anecdote que Wyatt lui rapporta la fit sourire, surtout que la jeune Cleavers était le genre de femme à se considérer comme une petite reine à choyer et que vivre dans une maison modeste et en travaux ne serait certainement pas plus de son goût que de quitter sa chambre de princesse. « C’est si horrible que ça l’ambiance chez toi ? » S’étonna-t-elle tout de même du mot ‘enfer’ qu’il mentionna. « Si ta nièce tient bien de toi, il me semble qu’elle aura la répartie nécessaire pour y faire face. Mais dans le cas contraire, elle est la bienvenue. » Ajouta-t-elle en souriant de nouveau. Wyatt parlait tellement souvent de Mya, que Leona pouvait sentir la fierté qu’il avait d’être son oncle. À son tour, il lui demanda alors ce que pensait Rebecca de son déménagement, était-elle déçue entre autre ? « Absolument pas ! Elle est très contente pour nous. » Expliqua la jeune chirurgienne. « D’autant qu’elle a des vues sur quelqu’un aussi… » Ajouta-t-elle plutôt mystérieusement. Autant chez les Cleavers, ils semblaient se déchirer, autant chez les Ainsworth, la famille s’était ressoudée et se reconstruisait sur de bonnes bases. Rebecca avait peut-être envie de retrouver son espace. « Et puis comme tu l’as dit, nous ne vivons pas tellement loin. Elle peut venir me voir quand elle le veut et inversement. » Conclut simplement Leona, avant de terminer son verre. 

La famille Cleavers était tellement différente de celle des Ainsworth-Henley. Leona s’en rendit compte dans les mots qu’utilisa Wyatt pour résumer la situation chez son frère. La jeune chirurgienne était bien contente de son côté d’avoir pu rencontrer Rebecca depuis peu, les deux femmes avaient l’impression d’avoir raté tant d’années et d’avoir tellement à rattraper. Son aînée aurait pu mal avaler le fait d’apprendre que son père absent était parti à Londres pour se fonder une nouvelle famille, mais il n’en était heureusement rien. Leona avait aussi eu la malchance de voir sa figure paternel fuir ses responsabilités, et les deux jeunes femmes avaient grandi sans père, une situation qui les ressoudait plus que jamais aujourd’hui, alors que la même histoire recommençait pour Rebecca en l’absence du père de son fils. La jeune anglaise trouvait que sa famille avait traversé beaucoup de difficultés, pourtant elle ne la changerait pour rien au monde, encore moins pour celle des Cleavers dont le sort ne semblait guère plus enviable malgré toute la famille vivant sous le même toit. Ils se déchiraient entre eux comme s’ils n’étaient que des inconnus. Les valeurs de ce qui comptait vraiment n’était peut-être pas les mêmes chez tout le monde… ou n’existait plus chez eux. Leona se contenta d’écouter Wyatt sans répondre, elle ne se permettrait jamais de juger une famille qu’elle ne connaissait somme toute que très peu. Traverser des crises semblait être une nécessité naturelle à l’équilibre de certaines maisons, mais elle trouvait que certaines d’entre elles étaient facilement évitables… ce qui n’était plus le cas des Cleavers. Elle comprenait bien mieux le désir de Wyatt de voyager loin de ses proches, et son envie de déménager dès qu’elle le lui avait proposé, pas pour les éviter, mais pour fuir cette atmosphère oppressante. Leona admit donc que le sort de Mya n’était pas au beau fixe et accepta d’accueillir la jeune femme si elle en formulait l’envie, tout comme Clyde qui lui avait déjà demandé s’il pouvait « crécher » chez elle dans son langage de jeune, sauf qu’elle préférerait en avertir Rebecca quand l’occasion se présenterait. Ce ne serait peut-être pas une mauvaise chose pour sa sœur de se retrouver seule en quelques occasions. Elle aussi avait rencontré quelqu’un depuis peu. Wyatt exprima son enthousiasme à cette nouvelle, ravi que sa famille à elle soit plus sereine au moins, avant d’ajouter qu’il avait hâte de voir où tout ce petit monde en serait dans cinq ans. Leona s’apprêta à lui demander où lui les voyait eux-mêmes dans cinq ans, mais elle se ravisa. Elle préférait se concentrer sur le moment présent et ne pas se projeter trop loin… déjà que ce qu’elle avait à lui dire depuis le début de la soirée n’allait pas du tout lui plaire. On leur apporta leur plat et, avant qu’ils ne commencent à manger, Wyatt accorda un bon point à Rebecca pour la taille de leurs assiettes. « Bon appétit. » Répondit machinalement la jeune chirurgienne, encore plongée dans ses pensées, avant de goûter le plat. « Et c’est très bon aussi. » Ajouta-t-elle quelques instants après, en se forçant à sourire pour chasser sa préoccupation de plus en plus grandissante au fur et à mesure que la soirée s’écoulait. « Dis-moi, tu me parlais de partir quelques temps en vacances tout à l’heure. Admettons que je prenne quelques jours de congé prochainement, où voudrais-tu aller ? » Demanda-t-elle pour lancer la conversation subtilement. Elle ne pouvait pas arrêter de travailler dans l’immédiat, et Wyatt comprendrait rapidement pourquoi, mais ils pourraient se rattraper bientôt… autant commencer par le bon sujet, soit le moment où elle pourrait se libérer.

Les vacances. Maintenant qu’elle y repensait, Leona avait vraiment envie de les prendre ces quelques jours. Ce n’était juste pas le bon moment. D’ailleurs, elle avait l’impression que même si Wyatt se montrait compréhensif envers sa décision de poursuivre son travail, il lui en voulait un peu dans le fond qu’elle ne prenne pas le temps de s’arrêter quelques jours. Le jeune Cleavers avait beau tenté de ne pas le montrer, Leona commençait à bien le connaître et devinait sa désapprobation. Histoire d’avoir une idée de ses projets de vacances, la jeune chirurgienne le relança donc sur ce sujet pour connaître ses intentions et montrer qu’elle était finalement tout aussi enthousiaste à cette perspective. Après avoir goûté son plat, Wyatt lui confia donc qu’il n’avait pas vraiment réfléchi à la question, mais que tout dépendrait du temps qu’elle « accepterait » de lui accorder. Sa petite pique fit mouche et provoqua légèrement Leona. Ce n’était pas qu’elle avait vraiment le choix, mais bon. La jeune anglaise baissa les yeux et retint une petite moue pour ne pas l’encourager à la charrier encore plus. C’était exactement ce qu’il était en train de faire. Wyatt profitait de la taquiner parce qu’elle ne pourrait pas lui donner tort sur la question. En ce moment, son travail passait avant leur couple, pas dans le sens de l’attachement ou de l’importance s’entend, elle préférait mille fois la compagnie de Wyatt, mais plutôt dans le sens des priorités pour l’instant. Il mentionna ensuite quelques parties du monde, notamment de l’Europe, entre la France et l’Italie. Son travail lui avait certainement permis de voyager dans les quatre coins du monde, contrairement à elle qui s’était surtout posée en Afrique. « À vrai dire, je n’ai pas tant visité que ça. Quand je partais à l’étranger, c’était souvent pour le travail, et dans les mêmes endroits. Ce n’est pas en France qu’ils manquent urgemment de médecins si tu vois ce que je veux dire. » Répondit-elle en souriant. « Mais j’ai déjà eu l’occasion d’aller plus à l’est, dans les pays russophones. » Expliqua-t-elle. Une de ses tantes avait épousé un Russe et était partie vivre aux pays des Tsars, ce qui avait offert la chance à Leona d’aller lui rendre visite à plusieurs reprises. Heureusement Wyatt semblait plutôt d’avis d’essayer des pays plus ensoleillés… comme l’Italie, un charmant pays où il ne faudrait pas lui proposer deux fois pour l’y emmener. Finalement, parler voyages donnait de plus en plus envie à Leona de partir.

Leona se prit à rêver de partir en vacances. Elle n’avait jamais autorisé son esprit à se laisser déconcentrer par ce genre de distractions, mais le contexte de cette soirée se prêtait plutôt bien à cette perspective. La jeune femme esquissa un sourire aux descriptions plutôt « romantiques » de Wyatt à propos de ses séjours en Europe, en particulier de l’Italie. Il tenait à lui faire découvrir un pays qu’elle ne connaissait pas encore, mais il lui épargnerait les habituels clichés de Venise et de ses promenades en gondole. La Toscane représentait, selon lui, LA région à découvrir, surtout Florence, une ville dont Leona avait déjà entendu parler pour ses merveilles. La jeune chirurgienne était sincère dans son intention de prendre quelques jours très prochainement… quand elle le pourrait. Il lui demanda alors de l’emmener en Russie un jour… un pays aux mentalités tellement différentes. Leona n’était pas stupide, le travail de Wyatt avait certainement déjà dû lui donner l’occasion de s’y rendre, mais dans de bien d’autres conditions que du simple ‘tourisme’. « Tu sais quoi ? Si on va en Europe, on fera tous les pays que tu voudras. » Répondit-elle enthousiaste à ce projet. La jeune anglaise tenait aussi à faire un crochet par chez elle dans son pays d’origine. La si calme Angleterre lui manquait. Elle pourrait aussi présenter Wyatt du côté de sa famille maternelle. Après tout, elle considérait leur relation suffisamment sérieuse que pour passer ce cap. Ils n’étaient plus de simples adolescents en proie à l’appréhension pour ce genre de démarches. Leona termina de manger en se replongeant quelques instants dans le silence. Parler voyages lui avait ouvert l’imagination et l’appétit. Au bout d’un moment, sa main rejoignit doucement celle de Wyatt sur la table, elle la caressa un instant avant que leurs doigts ne s’entrelacent tendrement. « Dire qu’il y a quelques mois, je n’aurais même pas imaginé qu’on puisse parler de ça… ni même qu’on puisse vivre ça. » Souffla-t-elle songeuse. Le sourire de Leona était discret, et pourtant tellement flagrant. Un sourire qui signifiait combien elle était heureuse pour la première fois depuis longtemps.

Ce n’était pas dans les habitudes de Leona de se montrer aussi affective, mais elle apprenait à apprécier ce qu’elle avait. Cette situation de couple était toute nouvelle pour elle, mais elle ne doutait pas que Wyatt était la personne qui lui correspondait le mieux. Depuis l’Afrique, elle avait ressenti quelque chose de fort au fond d’elle sans vraiment se l’avouer. Elle avait tu ce sentiment jusqu’au dernier moment, ne croyant pas le revoir un jour ni même espérer qu’il arrête de voyager aux quatre coins de monde à risquer sa vie à tout va. Aujourd’hui, il était assis en face d’elle avec la promesse de ne plus repartir. Leona était tellement heureuse en ce moment qu’elle en avait presque oublié toutes les horreurs qu’ils avaient traversées ces derniers mois, horreurs qui avaient eu l’unique effet positif de les rapprocher encore plus. Wyatt l’apaisait. Mieux que n’importe quelle thérapie psychologique sordide, il était sa guérison, l’être qui était devenu vital à son équilibre de vie. Tel le poumon fonctionnait chez l’humain, il donnait à son cœur une autre raison de respirer. L’amour. Elle aimait l’homme qui se tenait devant elle à un point qu’elle ne se serait jamais crûe capable. Ses gestes tendres parlaient d’eux-mêmes. Leona était complètement ‘Wyatisée’. (Mais avant de virer trop bisounours), la jeune chirurgienne redoutait encore la fin de la soirée et se contentait donc de profiter de chaque instant où leur complicité ne faisait que grandir. Le frère Cleavers lui fit alors remarquer qu’elle devrait prévoir une période d’absence suffisamment longue pour partir. « C’est une promesse dans laquelle je m’engage. » Affirma-t-elle contre toute attente sans sourciller. Elle qui quelques heures plus tôt n’était pas décidée à quitter son travail pour une période aussi longue avait bien réfléchi. Continuer de mettre sa vie entre parenthèses n’arrangerait pas tous les problèmes du monde. Des patients malades ou en besoin d’opération urgente entraient tous les jours à l’hôpital. Elle faisait juste ce qu’elle pouvait pour limiter les dégâts et rendre ces journées moins pires. Mais à quoi cela servirait-il si son travail finissait par tuer son envie déterminée et sa passion dans ce métier ? Après un nouveau rapprochement avec Wyatt, elle laissa entendre qu’elle n’aurait jamais crû avoir la chance de vivre ça… Autrement dit, de revenir d’aussi loin que… l’enfer. Ses paroles la touchèrent, si bien que Leona ne put se retenir d’une petite folie. Elle se leva et contourna la table qui les séparait pour saisir doucement le visage de Wyatt et l’embrasser tendrement, le sentir contre elle, sans se soucier des regards qui se posaient sur eux. Afficher son bonheur dérangeait toujours, mais elle n’en avait que faire aujourd’hui. La jeune chirurgienne avait soudainement besoin de ces rapprochements, un calme bienvenu avant la tempête. « Et si on rentrait ? » Souffla-t-elle ensuite, s’arrêtant soudainement en se rendant compte que le moment était bientôt venu. Elle ne pouvait pas continuer de lui cacher les projets qui l’empêchaient d’arrêter son travail dès maintenant.

Malgré ses marques d’affection plus prononcées qu’à l’ordinaire et son changement d’avis quant à partir quelques jours avec Wyatt, Leona pensait sincèrement tout ce qu’elle avait dit et fait ce soir. Cette sortie avait réellement pour but de célébrer la réussite du jeune Cleavers aujourd’hui et de passer un bon moment avec lui. Disons que la jeune chirurgienne profitait juste de sa présence et aussi de la soirée et qu’elle retardait le plus possible l’instant où tout basculerait. Elle n’allait pas pouvoir rester à Magnolia dans les prochains jours et Leona avait peur de ce que cette première séparation donnerait. Non seulement parce que le lieu où elle se rendrait déplairait à coup sûr à Wyatt, mais aussi parce qu’elle se demandait si pendant son absence il se rendrait compte qu’elle ne lui manquerait pas tant que cela ? C’était peu probable, mais le risque était là. Après tout, leur couple était tout nouveau. Ils étaient encore dans l’effervescence du début et ne savaient pas du tout à quoi s’attendre. Maintenant   qu’elle s’était attachée à lui plus que de raison, elle redoutait un peu sa réaction. Ayant besoin de se rassurer une nouvelle fois par un contact plus proche, la jeune chirurgienne se leva pour rejoindre Wyatt et l’embrasser, se fichant bien du qu’en-dira-t-on des gens qui les observèrent soudainement. Ils avaient à peine fini de manger que Leona souffla aussitôt l’idée de rentrer. Elle ne pourrait plus se taire très longtemps. Wyatt la regarda d’un air surpris, mais acquiesça sans poser de questions. Il devait se rendre compte que quelque chose la turlupinait, car ce n’était pas dans les habitudes de la jeune anglaise de le demander avec une telle requête dans la voix.  Il se montra tendre envers elle pendant que le serveur préparait l’addition. Une fois la note payée, ils retournèrent dans la voiture. Comme elle s’y attendait, Wyatt profita de ce moment pour lui demander si quelque chose n’allait pas. « Non du tout, je passe une très bonne soirée ! » Répondit-elle en souriant et en le regardant conduire. « Pour une fois qu’on en a l’occasion… » Ajouta-t-elle ensuite avant de détourner son regard vers l’extérieur. C’est vrai qu’ils étaient tous les deux très occupés, sans parler du fait qu’il travaillait souvent de jour et elle de nuit. Les occasions de se voir n’étaient pas légion dernièrement. Wyatt et Leona n’étaient plus très loin de leur destination. Elle laissa quelques secondes s’écouler avant de briser de nouveau le silence. « C’est juste que… J’aimerais te parler de quelque chose quand on arrivera. » Souffla-t-elle. Voilà, c’était dit. Elle ne pouvait plus revenir en arrière. Elle reconnut le début du quartier résidentiel de Magnolia. Une minute après, Wyatt garait la voiture devant leur nouveau chez eux, ce regard interrogateur qui ne lui était pas si coutumier dans les yeux.  

Leona ne retardait pas le moment par plaisir, mais elle ne voulait pas distraire Wyatt qui était au volant de la voiture. Cette discussion devait se faire dans un endroit calme, car il ne manquerait sûrement pas de montrer son désaccord face à ce qu’elle lui dirait. La jeune chirurgienne redoutait sa réaction, mais ils n’étaient plus des adolescents qui prenaient tout à cœur. Ils avaient, en quelques mois, traversé bien plus que ce que la plupart des gens vivaient en toute une vie. Si le mot vérité devait se trouver une définition, il aurait pu être inventé pour leur couple qui savait tout l’un de l’autre… ou presque. Leona ne cachait absolument rien à Wyatt, mais lui préférait dissimuler quelques détails pas très jolis de son passé. Elle devinait aisément ce dont il s’agissait et respectait le choix du jeune Cleavers de les taire. Mais dans l’ensemble, ils se disaient absolument tout. Leona n’allait donc pas faire exception à la règle. La jeune anglaise avait simplement attendu le dernier moment pour le dire. Elle voyait bien l’air agité et inquiet de Wyatt qui devait s’imaginer mille et une chose. D’instinct, Leona posa une main sur la sienne, celle qui ne tenait pas le volant, pour le rassurer. Elle ne voulait pas qu’il croit à un grave problème entre eux, ce n’était pas du tout le cas. Ils arrivèrent enfin chez eux et rentrèrent rapidement à l’intérieur. À bout de patience sans doute, Wyatt lui demanda aussitôt ce dont elle voulait lui parler. Comme elle l’avait deviné, il imaginait le pire et la trouvait différente de d’habitude. « Je te promets que ce n’est rien de grave, c’est juste que ça ne va pas te plaire. » Répondit-elle dans un premier temps. Elle s’appuya sur le rebord de l’armoire et croisa les bras, le jeune commercial debout en face d’elle la regardait attentivement. « En fait, l’organisation humanitaire pour qui je travaillais en Afrique m’a recontacté pour me confier une nouvelle mission. Ils ont besoin de moi là-bas pendant quelques temps et m’ont demandé de revenir d’urgence. » Expliqua-t-elle sans plus de détours. Wyatt lui dirait sans doute qu’il ne voyait pas le problème, puisqu’il voudrait sans doute l’accompagner, mais il ne le pourrait justement pas. Son départ était prévu pour le lendemain matin, le même jour que son premier contrat important pour son nouveau projet de travail, un détail qu’elle ne précisa pas immédiatement. « C’est pour ça que je ne pouvais pas prendre quelques jours maintenant. » Expliqua-t-elle plutôt la raison pour laquelle elle ne pouvait pas partir en vacances tout de suite. Disons qu’elle ne pouvait vraiment pas repousser cette mission. 

Leona prit une inspiration avant de se lancer et de confier à Wyatt qu’elle devrait bientôt partir pour l’Afrique. Ce qu’il ignorait encore était que son départ était imminent. La jeune chirurgienne s’attendit évidemment à sa réaction désapprobatrice. Il était celui qui était venue la chercher là-bas et voilà qu’elle y remettait les pieds malgré tout ce qui s’était passé. La jeune anglaise ressentait elle-même beaucoup d’appréhension à l’idée de retourner dans ce pays, mais elle essayait de se persuader que c’était la meilleure façon de vaincre ses peurs et ses mauvais souvenirs. Des personnes, en particulier des enfants, l’attendaient pour des soins urgents là-bas où l’on manquait cruellement de médecins. Leona n’avait pas besoin de la colère de Wyatt en plus de cette appréhension en ce moment, ce dont elle avait besoin était qu’il comprenne les exigences de son travail tout comme le sien lui en avait tant demandé avant qu’il n’arrête. La jeune chirurgienne avait surtout besoin de se rassurer et peut-être de l’être aussi. Mais elle comprenait que cette annonce ne lui fasse pas plaisir du tout. C’était normal après tout, il s’inquiétait. Elle le laissa donc encaisser la nouvelle. Il lui demanda tout d’abord depuis combien de temps elle était au courant de cette mission  et pour quand son départ était-il prévu. Leona réalisa rapidement qu’il était impensable pour lui de la laisser partir seule, mais il ne savait pas encore tout. « Je l’ai appris il y a quelques jours seulement. » Répondit-elle dans un premier temps. Elle marqua une pause pour réfléchir aux prochains mots qu’elle prononcerait, mais il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise façon, car peu importe comment elle lui annoncerait la nouvelle, Wyatt ne serait vraiment pas ravi de l’apprendre. Leona décida donc de se lancer simplement. « Mais ce n’est pas possible que tu viennes. Mon départ est prévu… demain. » Révéla-t-elle. Il était hors de question qu’il l’accompagne, surtout qu’il devait assurer son premier contrat important pour son nouveau projet et ne pouvait vraiment pas se défiler pour n’importe quelle raison que ce soit. Elle refuserait d’autant plus qu’il le fasse par simple inquiétude pour elle. « Je te promets que tout se passera bien. » S’empressa-t-elle d’ajouter pour le rassurer, mais c’était peine perdue. À son regard, elle comprit qu’il n’était clairement pas d’accord d’être mis ainsi devant le fait accompli. C’était justement pour cette raison qu’elle n’avait pas voulu lui dire plus tôt. Et puis, prouvait-elle vraiment tenir une promesse sans pouvoir prédire l’avenir à l’avance ?