Aujourd’hui Esperanza travaillait et sa fille en avait profité pour inviter quelques amis chez elle. Elle lui avait laissé la maison jusqu’à l’heure de fermeture du restaurant. Finalement le service s’était fini plus tôt que prévu, il y avait peu de clients et le gérant l’avait laissé partir, alors elle décida d’aller se poser un peu dans un café avant de rentrer à la maison. Elle n’avait pas envie de déranger sa fille qui devait être en train de s'amuser avec ses amis, même si Evane l'acceptait, se retrouver au milieu d'une bande d'ado en train de délirer sur leurs histoires personnelles ou on ne sait quoi d’autre, très peu pour elle.

Esperanza entra dans le café et s’installa à une petite table dans un coin. Elle commanda un simple café, n’ayant aucune crainte que la caféine l’empêche de dormir. Elle était contente de s’accorder cette petite pause rien qu’à elle. Ça lui faisait aussi du bien. L'espagnole avait toujours été indépendante, elle avait toujours vécu seule avec sa fille, et si elle était ben contente d'habiter chez sa sœur il fallait avouer que parfois vivre au sein d’une si grande famille n’était pas de tout repos. Passer de deux à six personnes changeait beaucoup de choses, alors elle aimait parfois se retrouver avec elle-même, comme ce soir dans ce café.

Elle posait ses yeux sur tout ce qui se passait autour d’elle, ne pensant à rien de spécial, se contentant d’imaginer la vie des gens. C’était fou comme des personnes aussi différentes pouvaient se côtoyer, chacun avait son parcours, ses difficultés, chacun avait fait ses choix… Alors que son regard se perdait sur les visages de ses voisins de table elle remarqua une petite tête blonde qu’elle reconnut rapidement. Il s’agissait d’Amber, la fille de son ami Jonathan. Elle n’avait pas l’air bien, ça se voyait immédiatement, les traits tirés, les yeux ailleurs, des pas chancelants et des gestes approximatifs. Elle reconnu son état pour l’avoir vécu de nombreuses fois dans sa jeunesse. Elle fini d’un trait son café et se leva pour s’approcher de la jeune fille.

Elle se pencha vers elle et tenta d’une voix douce. « Amber ? » Elle lui sourit pour lui montrer qu’elle n’était pas là pour jouer son « adulte » mais bien pour l’aider si elle en avait besoin.  

Alors qu’Esperanza lui adressait la parole Amber ferma les yeux. Elle semblait de sentir vraiment mal. L’espagnole voulu poser sa main sur son épaule pour essayer de la rassurer, mais elle n'en eut pas le temps. « Il faut que j’aille aux toilettes. » Vu la façon dont elle s’était levée précipitamment et avait plaqué sa main sur sa bouche la nature de son « mal » n’avait plus aucun mystère. La serveuse proposa d'apporter un verre d'eau. « Oui, merci. » accepta Esperanza avant de se lever à son tour « Je vais aller la voir. » Elle suivit Amber jusqu’aux toilettes ou elle trouva porte close.

Esperanza hésita un instant. La jeune fille n’avait sans doute pas envie d’être dérangée dans un moment pareil, mais elle semblait avoir besoin d’aide alors elle se décida à frapper, doucement, sur la porte.

« Amber ? » demanda-t-elle du ton le plus doux possible. « ça va aller ? »

Esperanza savait que ce n’était pas très facile de se montrer dans cet état là, mais elle avait été jeune et pouvait comprendre Amber sans doute bien plus que celle-ci ne se l’imaginait. Elle avait connu de nombreuses fins de soirée difficiles et elle regrettait qu’il n’y ait pas eu plus souvent quelqu’un pour lui tendre la main dans ces moments là. Elle avait à l’époque une certaine aversion pour les adultes et la plupart des relations avec n’importe lequel d’entre eux était conflictuel. Elle faisait tout pour éviter de reproduire le schéma. Elle mettait donc un point d’honneur à instaurer le plus de communication possible avec Evane, elle cherchait à comprendre avant de punir et était toujours prête à soutenir sa fille lorsqu’elle en avait besoin, quitte à différer la punition si punition il devait y avoir car elle savait aussi se montrer ferme. Certes ce n’était pas sa fille qu’elle avait en face d’elle mais ça aurait pu l’être et il lui était impensable de l’abandonner ainsi. Non seulement elle comptait bien lui faire ouvrir cette porte, mais il était hors de question de lui faire la morale ou de l’humilier encore plus qu’elle ne l’était. Esperanza avait l’intention de la soutenir et rien de plus.

« Ouvre-moi s’il te plait. »

Amber ouvrit la porte. Elle était dans un état assez pitoyable il fallait l'avouer. Elle avoua qu'il s'agissait d'un lendemain de soirée difficile, mais Esperanza n'avait pas eu besoin qu'elle le lui dise pour le comprendre. L'espagnole s'accroupie pour se mettre à la hauteur de la jeune fille.

"Tu veux boire un peu ? ca va t'hydrater ca te feras du bien." Elle lui présenta le verre d'eau que venait d'apporter la serveuse avant de repartir. Si elle connaissait un peu mieux Amber elle l'aurait déjà prise dans ses bras depuis longtemps. Si c'était sa fille elle l'aurait déjà étouffée avec ses câlins pour la rassurer comme l'enfant qu'elle voyait. Mais elle préféra garder ses distances pour ne pas la mettre mal à l'aise.

"Est-ce que tu es seule ?" Esperanza n'avait vu personne avec la jeune fille mais elle se demandait comment on pouvait être inconscient au point de laisser partir seule une gamine dans cet état. Elle en conclue que ses amis devaient être dans le même état et sans doute donc bien trop perdus pour penser à veiller sur elle. Un frisson d'angoisse la traversa alors qu'elle s'imagina Evane dans la même situation, seule, perdue, bourrée dans un bar du quartier, sans personne pour veiller sur elle, à la merci du premier homme mal intentionné...

"Ça va aller... ça passe toujours ." Dit-elle en souriant pour essayer de détendre l'atmosphère. C'était un mauvais moment à passer mais on ne gardait jamais bien longtemps une gueule de bois. C'était juste le revers de la médaille, une manière que notre corps avait de nous dire qu'on avait exagéré et qu'il ne fallait plus recommencer. Et bien sûr on recommençait.

Esperanza replaça une mèche qu'Amber avait sur le front pour lui dégager le visage. "Je vais te ramener chez toi." Proposa-t-elle. Quoi qu'en réalité ce n'était pas vraiment une proposition. Elle allait ramener Amber chez elle quoi qu'il arrive.

Amber répondit que ses amis étaient tous restés là où se passait la fête. Esperanza fit la moue. La jeune Albright lâcha le verre qui roula aux pieds des deux femmes et l’espagnole, comme un réflexe, l’arrêta pour le poser droit.

« C’est ce qu’on dit. Pour tout. Et c’est pas faux, vous avez raison. Il n’empêche que c’est sacrément chiant, sur le moment. » Elle souriait mais semblait vraiment mal. Esperanza compatissait, ce n’était pas agréable de la voir ainsi, mais en même temps elle savait que le lendemain il n’y paraîtrait plus. Quoi qu’elle n’était pas à l’abri d’un affreux mal de tête. Mais bon, ça ne l’empêchera pas de recommencer. On se sentait mal, on promettait de ne plus toucher une goutte d’alcool et le lendemain on se retrouvait à nouveau à quatre pattes dans des toilettes publiques…

« Vous savez, vous n’êtes pas obligé de faire ça, pour gagner des points avec mon père. » Esperanza marqua un temps d'arrêt, surprise de la réflexion d'Amber. Puis elle finit par sourire. Elle aurait pu se vexer, mais loin de la blesser la ‘petite’ la faisait sourire. En fait elle lui faisait penser à elle. Combien de fois elle avait dit ce qu’elle pensait sans se préoccuper de ce qu'il se disait ou non, sans se préoccuper de savoir si les adultes allaient se vexer ou mal prendre son manque de politesse. Elle avait parlé à tout va des milliers de fois. Parfois ça lui était retombé sur le coin du nez, mais bien souvent elle s’en était plutôt bien tirée. Et quoi qu’il en soit elle avait toujours considéré qu’il valait mieux dire ce que l’on pensait. Cependant elle s’était assagie avec l’âge. Aujourd’hui elle ne disait pas toujours tout ce qu'elle pensait, mais comprenait encore ce comportement.

« Tu crois que je fais ça pour gagner des points avec ton père ? » demanda-t-elle, un sourcil haussé. « Ne dis pas n’importe quoi. » Elle sourit. « Allez viens, je te ramène chez toi. » Esperanza se leva. Elle récupéra le verre qui était par terre et donna son bras à Amber pour qu’elle s’appuie sur elle et se relève enfin.

Si Amber voulait discuter de la relation d’Esperanza et de Jonathan alors soit, mais être par terre sur le sol des toilettes n’était la meilleure façon de le faire. Et elle n’avait pas à se justifier. Elle ne faisait en rien ça pour gagner des points auprès du père Seyfield, elle le faisait parce qu’Amber avait besoin d’aide et qu’il était hors de question de laisser une jeune fille de l’âge de sa fille livrée à elle-même. Elle voulait donc relever Amber pour que les deux partent rapidement de ce café.