- Et merde!

Ouvrant les yeux, bien au chaud sous la tiédeur de ma couette, je me rendis compte que j'avais éteint mon réveil et que j'avais trente minutes de retard sur mon programme habituel. Quel début de semaine parfait!! J'avais horreur de me presser le matin!

Me levant à toute vitesse, je fonçais dans la douche et me préparais aussi vite que possible. Un coup de eye-liner par ci, une chaussure par là, une gorgée de café - bouillant, pas le temps de le laisser refroidir- et un quart d'heure plus tard, je marchais dans la petite allée me menant à ma vieille voiture.

Le temps semblait menaçant mais je ne m'en souciais pas... une fois dans le centre commercial je ne verrais de toutes façons plus la lumière du jour... La météo m'importait peu lorsque je travaillais.

Installée derrière le volant, je me félicitais intérieurement d'avoir rattrapé mon retard. Parfait, je serai au boulot à l'heure, et ça tombait plutôt bien, puisqu'aujourd'hui la responsable du magasin voulait faire l'ouverture avec moi. Je vérifiais dans mon rétroviseur que mon maquillage était suffisant, ni trop peu, ni trop. Je m'étais habillée rapidement mais j'espérais avoir fait au mieux pour être la plus classe possible. Ma responsable n'était pas là tous les jours...! Et elle était toujours tirée à quatre épingles. Habituellement en tailleur/jupe, j'avais osé la petite robe noire classe et légèrement décolletée, avec des talons, comme d'habitude.

- Allez, c'est parti, me dis je pour m'encourager. Si la perspective de sa compagnie ce matin m'excitait, elle me rendait également un peu nerveuse. Je n'étais pas forcement toujours à l'aise avec l'autorité, et je ne voulais pas commettre d'impaire. J'aimais trop mon boulot.

Je tournais la clé et démarrais ma voiture. Qui resta à la même place.

Stressée, je recommençais et la voiture se mit à toussoter, puis démarra. Je soupirais de soulagement, mais me crispa lorsqu'elle cala quelques mètres plus loin.

Je tentais de redémarrer, mais non, rien à faire, il ne se passait rien.

- Putain putain putain!!!! Dis je en sortant de la voiture. Je fis claquer la portière de rage et ouvris le capot pour tenter de voir d'où venait la panne. Superbe idée lorsque, comme moi, on n'y connait absolument rien. J'avais déjà du cambouis sur les avants bras alors que je n'avais même pas mis les mains dans le moteur.

Saisissant mon portable, je tentai d'appeler Noah, qui ne répondit pas, sans doute encore en train de dormir... Dépitée, je regardais mon téléphone sans savoir qui appeler. Un dépanneur, et ma patronne, je n'avais pas vraiment le choix.

J'avais reposé mon portable sur le siège conducteur et tentait en vain de comprendre la mécanique... Idée vraiment ridicule, mais je n'avais pas le choix, que pouvais je faire d'autre de toutes façons?! J'avais envie de craquer une allumette et de faire brûler ce tas de ferraille sur le champ tant la situation m'énervait... Lorsque j'entendis des bruits de pas.

Le nez dans le moteur, je tournai la tête et reconnus immédiatement sa démarche. Je ne m'étais pas rendu compte que ma voiture s'était stoppé juste devant sa maison... Daren. Daren King. Le voisin que je ne voyais plus depuis l'assassinat de sa femme.

Je me reculais pour le voir en entier et pouvoir le saluer. Deux années s'étaient passées sans que je ne vienne le voir, alors qu'une seule maison séparaient les deux notres. Enfermé dans son deuil, il s'était coupé de tout. Et il le portait sur son visage.

« Même si ce n'est pas vraiment mon genre de me préoccuper de ce qui peut se passer devant chez moi je n'avais pas envie d'avoir mauvaise conscience en te laissant t’embourber dans ton moteur Cinzia, tu veux peut-être que je jette un œil où que j'appelle le garagiste tout de suite. »

- Euh... Oui, c'est gentil, je veux bien... lui dis je en reculant d'un pas de ma voiture. Son regard me mettait mal à l'aise, j'avais l'impression de voir resurgir un fantôme du passé. Tout ce qui avait été remué à la mort d'Alicia King me revint subitement en tête, et je baissais les yeux pour reprendre constance.

- Je devais commencer plus tôt ce matin, mais... j'ai du cambouis partout, je suis en retard... Quelle journée...!

Retournant dans ma voiture, je repris mon portable et laissais un message à ma patronne pour lui dire que je ne serais pas là ce matin... Ou du moins que j'arriverais quand j'aurais un véhicule. Puis je sortais un mouchoir de mon sac pour tenter d'effacer les nombreuses traces de cambouis...tentative impossible, tout cela ne partirait que sous une douche bien chaude avec beaucoup de savon.

- Alors, tu penses savoir d'où ça vient? lui demandais je en retournant près du moteur.

Cette journée avait vraiment commencé d'une drôle de façon... D'abord ma panne d'oreiller, cette voiture qui tombait en rade, et maintenant Daren qui se tenait devant moi.

Penché au dessus du moteur, il examinait précautionneusement mon vieux tas de ferraille - que je critiquais, mais qui restait tout de même ma première voiture, celle que j'avais réussi à me payer toute seule à l'obtention de mon permis- Il se redressa ensuite avec l'air grave d'un médecin annonçant une mauvaise nouvelle.

- Je ne suis pas expert dans ce domaine mais je pense que ton moteur est mort Cinzia. Mais tu devrais quand même attendre l'avis d'un professionnel, mais ne te fais pas trop d'illusions.

Je soupirais en l'entendant...

- Super... Merci Daren...

Bien sûr, son diagnostic ne m'étonnait pas plus que ça, mais je n'avais aucune envie de mettre de l'argent dans une nouvelle voiture. Je ne gagnais pas trop mal ma vie, mais honnêtement, je préférais dépenser mon argent dans des fringues et en soirée, plutôt que dans le crédit d'une voiture.

Nous restâmes quelques instants à nous regarder sans rien dire. Je remarquais alors sa chemise, qu'il avait pris soin de relever, et ses traces, lui aussi, de cambouis. Mon esprit s’égara l'espace de quelques secondes, et je le trouvais soudainement très sexy, pas encore rasé, des traces de cambouis sur les bras. Cet homme avait un charisme et une prestance exceptionnels, sans même ouvrir la bouche, il en imposait.

- Tu veux peut-être entrer te laver les bras ? Je vais appeler mon garagiste qu'il vienne le plus tôt possible.

J'hésitais un quart de seconde, mais je n'avais aucune idée du garagiste que je pouvais appeler, ni de ce que je devais lui demander. J'ignorais totalement la panne, et je devais bien avouer que jusque là, j'avais toujours trouvé un petit ami pour se charger de ce genre de corvées. Et puis pendant qu'il passerait ce coup de fil, ce serait l'occasion de m'enlever tout ce cambouis... Même si ma journée professionnelle paraissait de toutes façons bien compromise.

- Si ça ne te dérange pas, je veux bien... Moi et la mécanique, les garages tout ça... C'est pas vraiment ma tasse de thé! Mais je suppose que tu dois avoir du travail, je ne veux pas te mettre en retard.

Je regrettais immédiatement d'avoir accepté sa proposition. Qu'est ce que j'allais bien pouvoir faire chez les King? Cette maison était devenue tellement étrangère pour tout le monde... Il n'y avait plus l'agitation d'avant, les allers et venues, la vie, tout simplement.

- Je ne travaille pas aujourd'hui ne t’inquiète pas. Allez viens me dit il sans me laisser le temps de me rétracter. Je le suivais alors, non sans une légère pointe d'angoisse.

Alors que je rentrais doucement dans la maison, comme si ma présence aurait pu gêner le lieu, il m'indiqua la salle de bain où je pourrais tenter de faire partir ces vilaines traces de cambouis. J'étais tout sauf à l'aise, je devais bien le reconnaître. La femme de Daren avait été tuée dans cette maison, et je ne pouvais m'empêcher d'y penser. J'avais la sensation d'être l'intrus qui venait perturber le calme d'un lieu de recueillement... Drôle d'idée.

Une fois dans la salle de bain, je me restais là, devant le miroir, à m'observer. "Reprends toi" me dis je à moi même pour m'encourager. Je n'avais aucune raison d'être mal à l'aise, Daren semblait aller bien, il m'avait proposé de rentrer suite à la panne de ma voiture, rien de plus normal. Certes, la maison me mettait mal à l'aise, mais tout allait bien. Cette gêne n'était que dans ma tête après tout.

Je sortais de la salle de bain après mettre assurée d'avoir enlevé le maximum de traces, puis le rejoignais dans la cuisine. Il s'était installé à table, et comptait visiblement me proposer un café.

« Il sera là d'ici une heure, tu as réussis à tout enlever toi ? » me demanda t'il avec un naturel déroutant, comme si nous nous étions vus la veille et que nous avions l'habitude de boire le café tous les matins. Cependant, son regard était profond, et il me mettait légèrement mal à l'aise. Je n'étais pas du genre à baisser les yeux devant quelqu'un, mais là, je peinais à garder les yeux rivés sur lui.

- Quasiment, j'ai encore quelques traces là, lui dis je en lachant finalement son regard et en désignant l'arrière de mon bras gauche. Lorsque j'avais plongé la main dans le moteur, j'avais du me frotter à un endroit particulièrement sale... Rien de dramatique en somme. - Et toi? lui demandais je en cherchant des yeux sur ses avants bras d'éventuelles traces noires.

Jamais je n'aurais pu supposer que j'allais me retrouver dans cette maison ce matin là... Daren était sans doute la dernière personne que je pensais voir me venir en aide. Et pourtant, j'étais là, au milieu de sa cuisine, en passe je le supposais, de prendre un café avec lui.

- Une heure, c'est vraiment rapide, merci Daren d'avoir appelé pour moi... Je ne pouvais m'empêcher d'ajouter, même si je risquais de le mettre tout aussi mal à l'aise que moi: - Je dois t'avouer que je ne m'attendais pas du tout à te voir arriver devant ma voiture. Et encore moins à me faire entrer chez toi, un jour où tu es sensé bosser qui plus est.

Je n'ajoutais rien. Pas de question sur "le pourquoi de son geste" ou sur "est ce qu'il allait mieux après cette grosse période de deuil". Non, je préférais me taire et le laisser me répondre comme il en avait envie. Il serait toujours temps de poser les questions plus tard.

« Assied toi Cinzia, tu vas bien accepter un petit café pour patienter. »

Cinzia le regardait avec incompréhension, tentant de le sonder quant à ces intentions. La situation semblait dépasser la jeune fille, qui ne le quittait pas des yeux tandis qu'elle tirait la chaise pour prendre place en face de lui.

« Je ne suis pas un salaud Cinzia, je n'allais pas te laisser te débrouiller toute seule avec ta voiture alors que j'avais la possibilité de venir t'aider ? Et puis même si on ne s'est plus reparlé depuis... sa disparition, je ne vais pas t'ignorer pour le restant de mes jours. »

Le ton calme de Daren la surprit autant qu'il l'apaisa. Après tout, il avait raison, il était venu l'aider, il aurait pu rester caché derrière son rideau à la regarder galérer toute seule, comme d'autres voisins l'avaient sans doute fait.

Elle posa ses mains autour de la tasse chaude qu'il venait de poser devant elle et resta quelque secondes à contempler sa tasse. Lorsqu'elle releva les yeux, Daren venait d'en faire de même et ils restèrent quelques instants à se dévisager en silence.

- Non, tu n'es surement pas un salaud Daren. Effectivement, tu es venu m'aider pour ma voiture, et tu m'offres même un café. Merci infiniment... Lui répondit elle dans un sourire en repoussant le sucre vers lui pour lui signifier qu'elle n'en voulait pas. Reprenant un air beaucoup plus sérieux, elle continua.

- Je suis désolée pour ce qui est arrivé à Alicia... Désolée de ne pas être venue te voir. Et d'avoir laissé passer deux ans. Je n'ai pas vu les années filer a vrai dire, j'ai eu aussi des soucis... entre le boulot, Noah... Mais je suis contente de voir que tu vas mieux et que tu recommences à voir du monde.

Son discours pouvait sembler tellement prévisible, et pourtant... Que pouvait elle lui dire d'autre? C'était certes des banalités, mais c'était également la vérité.

- Tu bosses toujours dans la même branche? lui demanda t'elle pour tenter d'alléger un peu la conversation.

Cinzia n'avait pas vu Daren depuis bien longtemps, et elle ne cessait de l'observer. Il n'avait pas tant changé depuis deux ans. Son air était plus triste, bien plus fataliste qu'autrefois. Mais il n'en restait pas moins bel homme et charismatique.

« Je travaille toujours au même endroit oui, je m'acharne à tenter de faire fluctuer l'argent de mes clients, c'est la seule chose que j'ai réussi à continuer de bien faire ces dernières années, je n'aurais pas pu m'en séparer. »

Cinzia continuait d'observer Daren, alors qu'il eut un petit sourire en coin. Est ce qu'il était ironique? Bien sur la jeune femme avait entendu des ragots sur la famille King et elle savait pertinemment que Daren s'était écroulé après la mort d'Alicia. Ce n'est pas pour autant qu'elle avait fait un pas vers lui, de toutes façons, qu'est ce qu'elle aurait bien pu lui dire à un tel moment de sa vie? Auraient ils eu encore quelque chose à se dire?

Elle se doutait bien que ses enfants avaient du supporter cette épreuve sans leur père, parce que ce dernier avait du s'oublier et se perdre dans son travail. Elle connaissait assez Daren pour prévoir ce genre de réaction.

« Sinon tu n'as pas à t'excuser Cinzia, si quelqu'un doit le faire ici c'est moi et tu le sais très bien, la dernière fois qu'on s'est vu je n'ai pas été très... "agréable" et je n'aurais pas du réagir de cette façon, et puis ce drame est arrivé, mais j'aurais du tenter de reprendre contact malgré tout... »

Cinzia soutenait son regard tout en écoutant ses excuses. Elle n'avait pas envie de le rejeter, de l'eau avait coulé sous les ponts, et il avait tellement souffert ces deux dernières années. L'entendre lui dire tout cela lui faisait du bien et l'apaisait. Il baissa finalement la tête avant d'ajouter: « Il y a tellement de choses que j'ai foiré depuis la disparition d'Alicia... »

La jeune femme resta silencieuse quelques secondes. Elle sentait son coeur battre un peu plus fort dans sa poitrine. Daren dégageait une telle émotion, et puis cette maison, ce cadre, se retrouver là... C'était vraiment très étrange pour elle. En fait, c'était presque trop.

- Deux ans sont passés Daren. Elle avait presque eu du mal à articuler sa phrase. Sans doute un trop plein d'émotions. Il faut avancer, ça ne sert à rien de vivre dans le passé ou d'avoir des regrets. Ce qui est fait est fait. Certaines choses sont immuables, on sait tous les deux que le vide ne se comble pas facilement. Mais tu peux encore rattraper certaines erreurs, de l'eau a coulé sous les ponts depuis...

Elle prit la tasse de café et la porta à ses lèvres, la vidant entièrement.

- Je vais aller chercher mon paquet de cigarettes dans la voiture. Excuse moi, je reviens. Sans plus attendre, Cinzia se leva et se dirigea vers la porte d'entrée. Un peu d'air frais allait lui faire du bien.

Il était temps que Cinzia sorte de cette maison qui l'étouffait littéralement. Si ce lieu avait pu la faire rêver pour ce qu'il représentait deux ans plus tôt, c'est à dire une famille unie, un couple heureux regardant grandir ses enfants dans la quiétude d'un foyer uni, l'endroit la mettait aujourd'hui plus que mal à l'aise.

Elle prit une bouffée d'oxygène en passant la porte, et les larmes qui commençaient à humidifier ses yeux se tarirent presque instantanément. Elle se surprit à penser qu'elle n'avait pourtant pas envie de s'en aller tout de suite, car retrouver Daren lui apportait malgré tout une profonde sérénité. Mais elle se sentait un peu secouée, et puis la période n'aidait pas. A part dans son boulot, où elle se sentait réellement à sa place, sa vie personnelle n'était qu'un enchaînement de galères dont la place d'honneur était tenue par Noah.

Retournant vers la maison en allumant sa cigarette, elle s'arrêta devant la porte. Daren la rejoint alors, et mit volontairement, ou pas, le doigt sur ce qui contrariait la jeune femme.

« Désolé si je t’ai mis mal à l’aise Cinzia, ce n’est pas encore évident de faire la part des choses et puis je regrette de m’être comporté comme je l’ai fais, certes ces deux dernières années n’ont pas été facile pour moi mais elles n’ont pas du l’être pour toi non plus avec tout ces soucis en plus de tes problèmes avec ton ami. »

Cinzia afficha un sourire amer en le regardant, puis tira sur sa cigarette avant de lui répondre.

- Oui, tu parles de Noah je pense...

De toutes façons, de qui pouvait il parler d'autre? Cela faisait presque trois ans maintenant qu'elle avait croisé la route de Noah, et malgré leur relation catastrophique, elle ne pouvait se résoudre à la quitter. Ils s'aimaient autant qu'ils ne pouvaient se supporter, et se quitter pour mieux se retrouver. un mystère et une incompréhension pour tous leurs proches, mais pour eux aussi finalement.

Elle avait eu quelques aventures sans lendemain, et s'en voulait sincèrement parfois, mais elle savait au fond d'elle que ces incartades n'étaient q'une soupape de décompression, le moyen peut etre de se rendre compte qu'elle pouvait être désirable, et pas seulement détestable comme elle pouvait le ressentir avec Noah. De toutes évidences, elle cherchait chez ces autres hommes un quelque chose qui lui manquait chez Noah... Le problème, c'est que ce la ne faisait que fragiliser encore plus leur couple.

- Et bien ça n'a pas vraiment changé entre nous. Notre couple est toujours aussi compliqué, lui dit dit elle dans un demi sourire. Je me pose des questions, encore aujourd'hui, c'est vrai.

Effectivement, deux ans plus tôt leur relation était la même.. Et elle avait déjà eu ce genre de discussion avec Daren, comme avec d'autres personnes d'ailleurs. Elle n'avait jamais caché qu'elle se sentait capable de quitter Noah sans regret, sauf qu'elle ne l'avait encore jamais fait. Enfin, jamais plus de quelques jours.

Et comme c'était dur de reconnaître qu'elle n'y parvenait pas. Parce qu'avec Noah elle stagnait, elle était lucide sur le fait qu'au fond, il ne lui apportait pas grand chose... Pourtant, elle n'arrivait pas à mettre un point final à cette histoire.

- Disons qu'on se cherche encore tous les deux, et au bout de plusieurs années... ça commence à faire long. Le boulot marche bien, c'est dejà ça! Ajouta t'elle dans un sourire.

Cinzia devait bien avouer qu'elle ne s'attendait pas autant de franchise de la part de Daren. Si cette conversation s'était déroulée deux ans plus tôt, elle ne s'en serait pas étonnée, mais là... Ils n'avaient pas parlé depuis si longtemps...!

Elle commençait à se rendre compte que les évènements tragiques qui avait eu lieu faisaient partie du passé et que s'ils avaient changé quelque chose à leur relation, ils ne les avaient cependant pas éloignés à tout jamais. Bien sur, ces évènements les avaient séparés, Daren tombant dans une dépression sans nom, Cinzia se figeant dans une réaction qui ne lui ressemblait pas, terriblement mal à l'aise, comme à peu près tout le quartier après le terrible drame qui l'avait frappé.

- Et bien... disons que un jour sur trois, c'est déjà pas si mal, ironisa t'elle. C'est toujours mieux que rien!

Malgré le sourire que Cinzia affichait, intérieurement elle ne riait pas du tout. D'ailleurs, elle avait du mal à garder bonne figure devant Daren.

« Enfin ce n'est que mon avis Cinzia, je ne veux pas m'immiscer dans ta vie sentimentale, tu es assez grande pour savoir ce que tu fais. Je me fais juste du soucis pour toi, tu mérites mieux que ce qu'il t'offre je pense... » ajouta t'il comme pour la rassurer. Ou par politesse, hésita t'elle.

Lorsqu'il jeta un coup d'oeil autour de lui, Cinzia ne put s'empêcher d'en faire de même, imaginant que peut être le regard de Daren était attiré par la dépanneuse qui venait lui réparer sa voiture. Mais non, les rues étaient désertes. Ils étaient seuls.

Un léger silence s'installa alors entre eux. Cinzia tira une dernière latte sur sa cigarette, puis elle lança le mégot vers la route.

- C'est gentil de me dire tout ça Daren... Franchement... Cinzia s'arrêta quelques secondes de parler, se demandant si elle faisait bien de se livrer à Daren comme elle s'apprêtait à le faire. Mais elle sentait qu'elle pouvait lui faire confiance, lui même avait fait un premier pas vers elle en venant l'aider et en la faisant entrer chez lui. Je ne sais plus si je peux tendre à mieux.

Cinzia se mordit la langue dès que la phrase fut sortie de sa bouche. Depuis quand se laissait elle aller à ce genre de confidence?

- Wow, oublie ça Daren, je suis un peu fatiguée en ce moment, ça me fait dire n'importe quoi, tenta t'elle de rattraper. Il était temps que ce dépanneur arrive pour qu'elle arrête de se sentir si à l'aise et en confiance avec lui. Elle qui n'avait pas pour habitude de se dévoiler faisait un peu trop exception à la règle ces temps ci...

Cinzia en avait trop dit, ou pas assez, et elle le savait pertinemment alors qu'elle tentait de faire machine arrière. Mais Daren était bien trop fin et il la connaissait beaucoup trop pour laisser passer une telle remarque.

Daren fit un pas vers elle avant de poser sa main sur sa joue. La jeune femme sentit un léger frisson courir le long de son dos. Elle n'était pas habituée à cette proximité, et le charisme de Daren n'arrangeait rien à ce qu'elle pouvait ressentir à cet instant. Elle devait reconnaître que son geste ne la laissait pas indifférente, mais était pourtant incapable de dire si elle ressentait de la gène, de la timidité ou de l'attirance pour l'homme qui se trouvait devant elle.

Doucement, elle tourna son visage vers lui jusqu'à croiser son regard, qu'elle refusa de baisser malgré l'ambivalence de la situation.

« Je n'ai pas l'impression que cela soit des paroles en l'air Cinzia, qu'est-ce qui te fait dire que tu ne mérites pas mieux que lui ? Tu crois que tu as raté ta vie au point de devoir te contenter d'un minimum qui n'est pas suffisant ? »

Cinzia se détendit légèrement lorsqu'il retira sa main de sa joue. Celui lui, elle avait toutes les cartes en main pour trouver un homme mieux que Noah... Il n'était pas avare de compliment, et l'entendre la fit légèrement sourire. Elle n'avait cependant pas pipé mot, et resta quelques secondes silencieuse.

- Je... En fait, je... bafouilla t'elle maladroitement, se rendant compte finalement que ce qu'il venait de lui dire l'avait touchée. Détournant son regard du sien quelques secondes, elle tourna à nouveau le visage vers lui pour lui répondre.

- Je me dit qu'il en vaut peut être la peine... si je suis encore avec lui au bout de trois ans, malgré les hauts et les bas que nous avons traversés... Peut être que ça vaut le coup de s'accrocher. Parce qu'évidemment, on passe de bons moment malgré tout. Et puis, quelque part, même si ça laisse un peu à désirer, il ne me déçoit pas. J'ai plus envie de tomber de haut, je me sens plus assez forte pour ça. Avec Noah, je sais déjà ce que je risque, impossible de tomber plus bas. Peut être que c'est ça qui m’empêche de partir.

Elle avait répondu comme elle avait pu. Bien sur, elle sentait bien que son explication n'était pas très claire... les mots lui manquaient, et le geste de Daren l'avait clairement déséquilibrée.