En tant que Julia Fitzgerald, Julia Fitzgerald était tout sauf douée en médecine. Tout comme ne pas faire cramer des cookies, elle ne savait pas soigner correctement un simple petit rhume. Or, elle se retrouvait présentement avec un malade atteint dont-ne-savait-quelle-maladie qui lui donnait envie de vomir, le tout accompagné de vertiges. De ce que Julia avait pu voir de ses propres yeux ; parce que Zach n'avait pas été très bavard le long de la route pour le ramener chez lui, mise à part dire qu'il allait mourir.
Entrés dans la maison des Dekker, la Fitz s'empara d'une bassine - qu'elle eut un mal de chien à trouver, soit dit en passant ; alors Zach range mieux tes affaires s'teuplé (a) - et reprit le Dekker sous son bras en affirmant à Julian qu'elle pouvait se débrouiller seule pour la suite. Ce qui était totalement faux, monter les escaliers en portant à moitié Zach avec une bassine à la main était une sorte de mission impossible mais pas question qu'elle reste plus longtemps avec le King. Et cette fois, Zach ne risquait pas de l'y obliger.
Quand elle le laissa enfin tomber sur son lit, Julia poussa un soupir de soulagement, fourra la bassine dans les mains de Zach et alla vérifier une dernière fois si sa sœur et sa mère étaient vraiment sorties - ce qui était le cas. Elle s'était plus attendu à voir Mitchie dans sa chambre, en train de réviser ou de lire mais visiblement elle profitait de sa soirée pour fêter Halloween. En espérant qu'elle n'était pas à la maison inhabitée d'où Julia avait pu voir quelques bagarres qui s'organisaient. Quant à Suzzie Dekker, le nombre de fois où Julia s'était retrouvé en face d'elle se comptait sur les doigts de la main, il n'était donc pas étonnant de ne pas la trouver ici. La blonde revint auprès de son bien-aimé, prit place à côté de lui sur le lit et lui dit, après l'avoir embrassé sur la joue :

« Je reste avec toi pour cette nuit, si y'a un soucis tu me réveilles ok ? »

En sachant pertinemment que si Zach la réveillait en pleine nuit, elle ne serait pas de très bonne humeur. À cet instant-ci, où Juju regrettait de n'avoir pas fait preuve de plus d'affection durant la soirée et où elle tentait de se rattraper, elle avait complètement oublié que Julian King, qui était justement la raison pour laquelle elle n'avait pas été très sympathique, patientait au rez-de-chaussé que Julia vienne lui dire que son meilleur ami pouvait passer la nuit sans lui.

« Dors. » Près de Zach, une main sur son torse, encore habillée de son costume d'indienne, Julia ferma les yeux et espéra pour lui que Zach trouve le sommeil.

* * *

Il faisait sombre et chaud. Les rires gras et alcoolisés s'élevaient dans l'air pesant. Julia était occupée et ne faisait pas attention à ce qu'il se passait. Un immense craquement retentit soudain, brisant l'ambiance chaleureuse, suivi de près par des cris. La blonde releva la tête et, une foule l'empêchant de voir, s'approcha. À force d'écarter les gens qui la reconnaissaient, elle, Julia Fitzgerald, elle parvint à se faire un passage jusqu'à la scène. Elle se figea devant ce qui l'attendait. Il était là, allongé, tête tournée vers le ciel. Ses membres formaient d'étranges angles droits inhabituels. Les yeux ouverts, comme s'il ne faisait que plaisanter de la situation. Elle crut voir ses paupières cligner, signe qu'il n'était pas arrivé ce qu'elle pensait. Et pourtant elle savait, elle savait qu'au fond il n'était déjà plus là.

* * *

Julia se releva en sursaut, si vite qu'elle en eut des vertiges. Elle les ignora, se tourna vers Zach, tête tournante, et se mit à le secouer si fort qu'il aurait dû se réveiller. « Zach, Zach, réveille-toi abruti ! Réveille-toi ! » Il ne bougeait pas. Il restait immobile, yeux fermés, bouche légèrement ouverte, la bassine toujours entre les mains. Ce n'était pas possible, il ne pouvait pas. Julia se mit à le secouer encore plus fort mais il continuait son petit manège, tel un mort. Les larmes vinrent rapidement aux yeux de la jeune fille qui leva haut les bras, prête à le frapper s'il ne se tirait pas du sommeil dans l'instant. Elle s'arrêta dans son geste quand elle le vit bouger. Et cette fois, ce ne pouvait être son imagination, pas à ce point là. Elle posa sa tête sur le torse du Dekker, les larmes lui coulant dessus sans qu'elle ne puisse rien y faire, et écouta du mieux qu'elle put, tremblante. Son cœur battait normalement ; il respirait, il était vivant. Elle n'avait fait que cauchemarder. Elle se laissa retomber lourdement sur le lit en soupirant. Prise dans son horrible rêve, elle avait confondu fiction et réalité. Rêver que Zach était mort, quelle idée pour se faire bien peur.
Elle avait besoin d'un verre d'eau fraiche. Julia se releva et sortit discrètement de la chambre pour ne pas réveiller le pseudo-décédé. Une fois dans le couloir, porte refermée, elle se laissa glisser contre le mur et se frotta fortement les yeux. Elle n'avait pas pris le temps de se démaquiller avant de se coucher, et mélanger aux larmes le tout piquait. Soufflant deux minutes, elle remarqua alors la lumière venant de l'escalier. Ce devait être Mitchie ou Suzzie qui était rentré. Bien consciente que sa crise de larmes venait juste de se finir, elle décida néanmoins d'aller voir l'arrivante, au moins pour la prévenir de l'état de Zach et de sa propre présence à elle pour la nuit. Elle se releva et descendit les escaliers au moment même où la personne présente dans l'entrée, qui n'était non pas la mère ou la sœur mais Julian, cria. Les mots qu'elle entendit surprirent Julia ainsi que le fait qu'il soit encore là. Il l'avait attendu ? Elle l'avait complètement oublié. Elle renifla, en se disant que ses paroles n'étaient pas pour elle mais peut-être pour la personne au bout du fil d'un certain téléphone et répondit d'une petite voix. « Oui... » Et pas seulement lui, la jeune fille aussi s'était assoupie, jusqu'à cauchemarder. Pur hasard ou à cause des drogues ajoutées aux boissons durant la fête - chose dont Julia n'était pas au courant - ? Cette dernière ne posa aucune autre question sur l'étrange comportement de Julian et le dépassa pour se remplir un verre d'eau dans la cuisine. Parce qu'elle avait bien vu que lui aussi en avait besoin après cette soirée, elle fit glisser le premier verre sur le plan de travail, destiné au King. Le second finit avalé par la blonde. Ca faisait du bien, mais elle était désormais prise par l'envie de se mouiller le visage de cette eau fraiche.

Julia n'avait plus repensé au King depuis qu'elle avait couché Zach ; pendant le voyage du retour, elle avait même mis de côté sa rancœur et toutes les émotions qui l'avaient traversées depuis l'arrivée de Julian à la fête pour ramener le malade chez lui. Ensuite, elle lui avait simplement certifié qu'elle n'avait plus besoin de son aide avant de s'endormir dans la chambre du haut. Elle n'avait pas imaginé que Julian resterait pour s'assurer que Zach aille bien – mieux. Elle se retrouvait donc face à lui, les joues encore bouffies de s'être subitement mise à pleurer, ne sachant plus que dire. La peau de son visage la grattait, à cause de l'eau salé qui avait coulée dessus, et elle était quelque peu gênée de tenir une telle mine. Mais Julian semblait ne rien avoir remarqué, et c'était bien mieux ainsi. La Fitz' trouvait ça ridicule de cauchemarder de son petit copain mort, pas besoin donc de l'expliquer au garçon – bien qu'elle aurait aimé être réconfortée, même par Julian. Pourtant, ce rêve de quelques minutes tout au plus avait éveillé chez elle une immense angoisse. Que ça se produise, que Zach perde la vie. Elle avait même du mal à se convaincre qu'il était simplement en train de dormir dans son lit, et non d'aller au Paradis.
Julia essaya de penser à autre chose, en avalant son verre d'eau. Elle vit du coin de l'oeil l'Homme-qui-rit s'approcher, pour boire à son tour. Il prit la parole en premier, contrairement à la fois précédente, qui s'était mal finie. Évidemment, ils étaient obligés de revenir sur ce qu'il s'était passé deux ans auparavant ; mais ce coup-ci, la chose semblait venir plus calmement. Julia ne le repousserait pas ; elle aussi avait toujours espérer que les choses s'arrangent pour Julian ainsi que pour leur situation. Il lui avait fallu du temps pour revenir vers lui mais lorsqu'elle y était enfin parvenue, il l'avait méchamment repoussé, faisant ressortir de vieilles douleurs par la même occasion. Aujourd'hui, c'était un ami commun qui voulait les ramener l'un vers l'autre et bien que réticente au premier abord, Julia ne ferait pas la même chose que son ex si celui-ci venait lui parler de lui même.

« Alors tu voulais vraiment que Zach nous réconcilie. »

Elle avait dit ça sans s'énerver, sans laisser paraître de mine déçue. C'était une simple constatation et pour le faire comprendre au King, Julia fit un petit sourire. Elle n'avait pas douté que Julian soit au courant des projets de Zach mais visiblement, il le souhaitait. Peut-être même avait-il lui même demandé à Zach de tenter ?

Se réconcilier. Avec Julian King. Tout bonnement impossible. Julia en aurait presque ri si son propre copain n'avait pas proposé l'idée. Et le pire, c'est que Zach était sérieux et qu'il en était arrivé, l'espace de quelques secondes, à faire douter Julia. Mais elle n'avait pas bronché et avait fait comme si Julian n'était pas là tout le long de la soirée, jusqu'à ce qu'il faille ramener Zach chez lui. Si celui-ci avait dit tout ça, qu'ils pouvaient redevenir amis et que ça ne servait à rien de se faire la tête, c'est qu'il ne devait pas connaître les détails de leur dispute ; il aurait pensé autre chose, sinon. Ce n'était pas comme si King et Fitzgerald ne se parlaient plus pour une petite phrase en l'air ; c'était beaucoup plus compliqué que ça. Et temps que Julia serait décidée à continuer ce petit manège, persuadée que ce qu'elle pensait était vrai, rien ne changerait. Mais aujourd'hui, le souhait de Julian et Zach la faisait douter. Le Dekker avait raison ; à quoi ça leur servait tout ça ? Julia elle-même n'aurait pas su répondre à cette question. Elle savait pertinemment à quel point elle regrettait cette époque où elle et Julian s'entendaient à merveille, avant la mort d'Alicia, quand tout allait à peu près bien. Et à quel point leur amitié lui manquait. Quelques jours plus tôt, elle avait surmonté ses émotions pour essayer de renouer avec Julian. Ça n'avait pas marché et elle avait abandonné. Mais aujourd'hui, puisque c'était lui qui revenait vers elle, pourquoi le rejeter ?

« D'accord. »

Laissant son verre sur le plan de travail, Julia tira un tabouret de sous la table placée au centre de la cuisine et s'assit. Dire simplement d'accord après toute cette histoire faisait peut-être un peu lunatique et rapide mais elle était sérieuse.

« Ça sert à rien de continuer comme ça et ça me soule. »

La Fitz ne trouvait pas les bons mots pour exprimer ce qu'elle voulait dire, alors elle finissait par prendre ce qu'il lui passait par la tête et le rendu ne donnait pas quelque chose, d'à première vue, très sérieux. On aurait pu dire qu'elle s'en fichait, alors que c'était tout le contraire.

« Enfin je veux dire que... Cette époque me manque et je sais plus pourquoi on se parle plus. J'arrive pas à dire ce que je veux dire, mais j'ai pas envie d'oublier tout ce qu'on a vécu ensemble. »

Les coudes sur la table, Julia faisait mine de se masser les tempes pour se donner une contenance. Si Julian l'acceptait, elle était prête à dire tout ce qu'elle avait sur le cœur à ce moment là – de bien, évidemment, parce qu'elle en avait des choses à avouer après tout ce temps.

Il était d'accord, elle était d'accord. Et il souriait. Pas le petit sourire en coin, comme s'il était légèrement amusé. Non, là c'était un vrai sourire qu'il affichait. Un sourire que Julia n'avait pas vu depuis deux ans, un sourire joyeux. Alors elle aussi, à son tour, elle sourit. Soulagée de ne plus être en froid avec Julian ; de le voir quitter son masque de tristesse qu'elle lui connaissait depuis la mort de sa mère. Ni l'un ni l'autre n'ajouta quoique ce soit et le silence dura, gênant, provoquant un rire chez Julia. Cette situation était ridicule. Deux anciens amoureux qui redevenaient des amis par des « D'accord » après une fête plutôt arrosée, à cinq heures du matin. Et le plus grotesque était sûrement qu'il leur avait fallu deux ans pour arriver à ça.
Julia finit par s'arrêter de rire et se tortilla les doigts. Elle qui, d'habitude, n'aimait pas beaucoup les câlins, elle avait une certaine envie de serrer Julian dans ses bras. Malgré l'heure tardive et la fatigue qui se faisait ressentir, elle n'avait pas envie d'aller se coucher mais plutôt de rester là, à parler avec lui, à voir encore et encore ce sourire sur ses lèvres. À rattraper le temps perdu. Finalement, puisqu'elle voyait bien que Julian ne ferait pas le premier pas, elle quitta son tabouret, s'avança vers lui et, sans prévenir, le prit dans ses bras. Ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas eu un tel geste l'un envers l'autre, longtemps qu'elle ne l'avait pas senti aussi proche d'elle, tant physiquement que mentalement. Elle chercha à dire quelque chose, à se remémorer avec lui un instant passé qui permette à Julian d'afficher encore une fois le sourire qu'elle venait de voir, mais tout ce qui lui vint à l'esprit avait un lien plus ou moins direct avec sa mère ou cette triste époque où ils s'étaient quittés.

« Tu m'as manqué. » souffla-t-elle pour simple explication à son geste. Puis, après un temps passé dans ses bras, elle se recula, ayant enfin trouvé un souvenir à peu près correct.

« Finalement, t'es allé à ce match de baseball ? » Tout bien réfléchi, ce n'était peut-être pas le bon souvenir. Mais trop tard, elle avait déjà formulé à voix haute ses pensées. Ce tournoi, ils avaient prévu d'y aller ensemble, du temps où ils formaient encore un couple. Ils étaient prêts à réserver leurs places, bien à l'avance pour être sûrs de pouvoir y assister, quand la mort d'Alicia était venue tout perturber. Parce qu'elle ne savait pas trop quoi faire pour soulager la peine de son petit ami, Julia avait quand même acheté les places. Mais leur subite séparation, quelques mois plus tard, ne lui avait pas permis de s'y rendre. C'était un projet qu'ils avaient en commun depuis longtemps, d'ailleurs, c'était Julian qui avait légué cet amour du baseball à Julia, elle qui d'habitude était si peu sportive. Et jusqu'à maintenant, elle n'avait pas seulement coupé les ponts avec le fils King, mais aussi avec ce sport. Trop de pensées liées à ce qu'ils avaient vécu ensemble. Alors en fin de compte, lui reparler de ça n'était peut-être pas une si bonne idée comme elle l'avait d'abord imaginé. Bien qu'elle soit pleine de bonnes intentions en évoquant cette époque.

Un ange passa. Gabriel ? Nathanaël ? Allez savoir lequel d'entre ces hommes ailés étaient venus les visiter, Julia et Julian, chez les Dekker. Mais cet être divin s'installait vraiment dans la petite cuisine, au point de rendre la situation plutôt dérangeante.
Ce n'était plus une tension froide, instable, à la limite de l'explosion comme d'ordinaire. Là, face à la petite blonde, c'était davantage une sensation de complicité étrange. Comme lorsqu'on partage un secret, ou qu'on vient de recevoir une confidence, ou même une bonne nouvelle. Julian avait ce petit pincement au coeur, lui aussi, mais il ne se permit pas de rire pour autant. Il laissait ces jolies émotions à Julia, qui pouvait s'exprimer sans difficulté. Sa façon de pouffer avec retenue et soulagement fit comprendre dans l'instant que leur amitié venait de se renouer. La guerre qui les avait si longtemps confrontés se terminait juste. Ce n'était ni une trêve, ni une pause, c'était un armistice véridique. Un pacte honnête qui liait à nouveau les deux Juju.
C'était alors par un simple sourire, à peine plus contrôlé que le précédent, que Julian dévoila son bonheur à son amie. Il espérait honnêtement que les choses deviennent plus simples, désormais. Après s'être rencontrés, s'être appréciés, s'être aimés, désirés, déchirés, engueulés, ignorés, oubliés, retrouvés, haïs, les deux amants maudits commençaient enfin à regagner un soupçon de réalité dans leurs relations. Alors oui, Julian en était ravi. Maintenant, en dépit de tout l'espoir qui rebondissait dans sa poitrine, impatient, excité, le King ne pouvait empêcher son inquiétude d'apparaître. Et si demain était un tout autre jour ? Si le rêve venait à exploser ? Le brun avait déjà vécu des expériences similaires, ou la réalité basculait en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. La mort de sa mère en était le meilleur et le pire exemple. Alors pourquoi Julia serait-elle dispensée de lui faire subir le même sort ? Vraiment, Julian se jurait de faire attention, de rester prudent et sur ses gardes.
Soudain, sans trop comprendre les pulsions qui poussaient Julia, il la sentit contre lui. Les bras frêles de la jeune femme se refermèrent sur lui, étau de chaleur. Julian fut surpris, évidemment. Il était certes heureux de voir comme les choses s'arrangeaient subitement, mais de là à être enlacé par la demoiselle ? Non, sûrement pas. Notez bien que moins de trois heures avant cette embrassade, Julia dévisageait son ancien petit-ami, lui offrant un sublime regard noir et tout le mépris dont elle était capable. Et là, oubliée, la rancune.
Julian rabattit à son tour ses avant-bras autour de la nuque de la jeune Fitzgerald. Le contact avec les cheveux crépus le fit presque frissonner. Si proche d'elle, il pouvait humer son parfum et récupérer quelques souvenirs disparus. Toutes ses petites actions effectuées en totale discrétion, Julian sourit avec une légère gêne quand enfin son amie lui avança qu'il lui avait manqué. Depuis combien de temps ne s'était-il pas senti sujet d'une phrase si douce et si honnête à la fois ? Vraiment, il trouvait sa révélation chaleureuse et généreuse, et cela lui donnait du baume au coeur. Il ne trouva pourtant rien à répondre. Non pas que Julian ne ressentait rien vis-à-vis de la blonde, mais il craignait que ses paroles sonnent faux. Il aurait été réellement sincère, mais depuis le temps qu'il n'avait pas témoigné de ses sentiments à quelqu'un, il pensait avoir perdu la main. Et il se refusait à avancer de belles paroles si elles avaient goût trop sure et âpre.
Julian attendit donc sans rien dire. Quelque chose lui disait que la nuit ne finirait pas. Qu'il ne traverserait pas la rue comme il l'avait prévu, qu'il ne se glisserait pas sous ses draps en silence. Ce quelque chose, à défaut d'être son petit doigt, était la figure enjouée de Julia. Elle s'empressa d'ailleurs de lui demander s'il était allé au match de baseball.

-Le match de ba... ? Le King s'interrompit, comprenant enfin où voulait en venir la jeune fille. Ah, et bien, non. J'ai déchiré les places le soir même.

Cette fameuse rencontre entre deux équipes connues des environs à laquelle les anciens tourtereaux devaient assister. Julian n'avait même pas suivi le résultat. En réalité, depuis le décès de sa mère, depuis sa séparation avec Julia, il n'avait plus parlé une seule fois de baseball. It's definitly over.

Zachary se réveilla en sursaut, transpirant. Il avait rêvé d'une araignée, d'une énorme araignée. Ou peut être bien d'une centaine d'araignées l'attaquant. Ses yeux s'adaptant à la luminosité de la pièce, il regarda avec incompréhension la bassine sur son ventre. Ah oui, la soirée, son malaise, tout ça. Mais qui avait pu le ramener. Certainement pas Julian et Julia, ces deux là étaient toujours loin de s'entendre au début de son blackout. Se relevant, il décida d'aller voir au rez de chaussée, où des voix résonnaient, pour savoir le fin mot de l'histoire. Se déplaçant discrètement, il se figea en haut des escaliers. Son meilleure pote et sa copine étaient en train de discuter, tranquillement, sans s'arracher les cheveux. Il n'y avait de sang nulle part, et jusque là c'était une réussite. Cependant, il ne put empêcher de se sentir légèrement jaloux. Si ils s'étaient réconciliés, amicalement parlant, ils pouvaient très bien le faire sentimentalement parlant. Se passant une main sur le visage, il entreprit de descendre les escaliers, lentement. "Eh ben, on s'amuse sans moi les copains?". Bon, certes, ça n'avait pas non plus l'air d'être la grande éclate entre les deux exs, mais il pouvait arranger ça. Affichant un sourire gêné, il se passa la main dans les cheveux. "Euh... Désolé pour tout à l'heure. A vrai dire je sais pas trop ce que j'ai fait, juste que vu l'état dans lequel je me suis réveillé, j'ai du être un sacré blaireau." Et c'était peu dire. Se retrouver dans sa chambre, sous les couvertures, en pyjama, avec une bassine, ça voulait dire qu'il était incapable de faire ça seul. Et que, par conséquent, l'un des deux devait l'avoir fait pour lui. Sûrement Julia, même si ça lui faisait du mal d'admettre qu'elle avait pu le voir dans un état pareil.

Ce n'était pas comme si elle avait l'habitude de souvent faire ça ; et ce n'était pas juste une pulsion amicale, il s'agissait de sa réconciliation avec Julian King. Autrement dit quelqu'un d'important. La première personne qu'elle avait connue, ou plutôt qui avait daigné s'intéresser à elle quand elle était arrivée dans le quartier. Et aussi la première à l'avoir fait autant souffrir. Elle qui, pourtant, faisait son possible pour entretenir une bonne relation, sans être trop proche, évitant les risques liés à une possible séparation, elle s'était finalement attachée à Julian. Malgré ses efforts pour rester impassible, pour ne pas trop s'attarder. Et au bout du compte, c'était une erreur d'avoir fait ça. Tout ce que ça lui avait donné en retour, c'était une bonne dose de chagrin. L'homme qu'elle aimait, le premier homme qu'elle avait jamais aimé à Magnolia Crescent s'était mis à déconner après la mort de sa mère. Combien de fois à la question « où est Julian ? » avait-elle pu elle-même répondre « en boite, à se défoncer la gueule » et ce dans tous les sens du terme, aussi bien avec de l'alcool qu'avec des types aussi bourrés que lui. Elle avait essayé de l'aider, elle avait fait son possible, à sa façon, avec les protestations du jeune homme qui voulait qu'on le laisse tranquille. Il pensait vraiment, à ce moment-là, que c'était facile pour elle ? Il se trompait. Et un jour tout ce petit manège avait cessé ; c'était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. À partir de là, pour l'un comme pour l'autre, les choses n'étaient pas vraiment allées en s'arrangeant.

« Ah... »

Gaffe. Julia aurait aussi bien pu dire, même sur le ton de la plaisanterie, « et ta lampe, elle va bien depuis la dernière fois ? » Pour leurs réconciliations, ce n'était pas le bon sujet à aborder. Pourtant la Fitzgerald partait d'un bon sentiment ! Alors qu'elle réfléchissait à toute vitesse à ce qu'elle pourrait bien ajouter maintenant, pensant à souhaiter une bonne nuit à Julian et à aller se coucher, Zach descendait l'escalier, bien réveillé. Elle ne le remarqua que lorsqu'il éleva la voix, trop concentrée sur ses pensées et, par regards furtifs, sur Julian pour l'avoir vu avant. Elle qui tenait encore les bras de Julian, elle les lâcha aussitôt, plus par réflexe que par une quelconque honte à avoir ce geste pour son ex.

« Zach ! » C'est qu'il l'avait prise par surprise. « Bien dormi ? »

Souriant, il observait ses eux amis, apparemment réconciliés. Leur embrassade ne lui avait fait ni chaud ni froid. Rien ne pouvait à vrai dire le déranger à cette heure ci. Souriant à Julia, il hocha doucement la tête. "Si on peut appeler ça dormir et pas ronfler comme un dindon qui a trop mangé... Ca va. Et c'est pas la peine de préciser que les dindons ne ronflent pas hein!" Se dirigeant vers le frigo, il l'ouvrit avant d'attraper une bouteille de lait et d'en boire une grande gorgée. Repérant un doliprane sur le plan de travail, il se jeta dessus avant de l'ingérer. Le doliprane, le Saint Graal des soirées ratées. Enfin ratées, c'était un bien grand mot. A l'entente des mots de Julian, il se tourna vers sa dulcinée (sisi) en haussant les sourcils. "Sérieux? Et mais c'est trop bien!". A vrai dire, il manquait un peu de réactions à cette heure ci. S'approchant de Julia, il la prit par la taille, l'embrassa sur le front avant de la remercier en chuchotant. Levant les yeux vers son ami, il lui sourit en se dirigeant avec lui vers la porte. "C'est sympa de m'avoir ramené, j't'en dois une King." Lui faisant un clin d'oeil, il le regarda croiser la rue pour se diriger vers sa maison. Se retournant vers Julia, il lui fit un petit sourire avant de la prendre par la main. "J'suis désolé, je pourrai pas te porter jusqu'à la chambre. On aura qu'à faire semblant." L'embrassant, il l'entraina dans les escaliers, vers sa chambre. Après tout, Julian avait bien dit qu'il les laissaient en couple non? Et il n'y avait personne à la maison, autant en profiter!

Elle aurait dû s'en douter. Vu le caractère de Zach, celui-ci voudrait absolument qu'elle et Julian se réconcilient. Pour ne pas avoir à se cinder en deux. C'était compréhensible mais, en début de soirée, totalement inenvisageable pour la Fitzgerald. Les deux garçons étaient meilleurs amis, certes, mais ça n'empêchait pas les meilleurs amis de se cacher des choses. Et peut-être que Zach n'était pas au courant de toute l'histoire, pourquoi il y avait un si grand froid entre les deux Juju. Cependant, Julia ne pouvait le nier : l'amitié de Julian lui manquait. Elle avait tenu presque deux ans mais ça commençait à faire long, tous ces regards noirs, froids, vides, ces souvenirs lugubres qui ne voulaient s'effacer pour laisser place aux plus anciens, les joyeux. Dans cette histoire, le côté rancunier de Julia avait pris le dessus et elle n'avait fait que mettre en avant les mauvaises choses du passé. Zach avait peut-être raison. S'ignorer n'améliorait en rien les choses, surtout si un de leurs amis commun était entre eux deux. Zach ne choisirait jamais entre Julian et Julia, la blonde le savait, mais elle ne voulait quand même pas que les histoires avec son ex aient un impact sur l'histoire avec son copain.
C'était peut-être la fatigue engendrée par l'heure tardive qui l'avait poussée à accepter cette réconciliation. Ou ce cauchemar qui lui avait fait perdre la tête l'espace de quelques minutes. Ou... ou tout simplement qu'elle regrettait Julian. Quoiqu'il en soit, la nouvelle réjouissait Zach qui s'empressa de la remercier. Elle aurait voulu lui dire d'attendre un peu, de ne pas être aussi confiant. Les deux ex étaient encore gênés de se retrouver l'un en face de l'autre, en particulier lorsqu'ils ne se disputaient pas. L'un comme l'autre pouvait toujours revenir sur sa décision et reprendre les regards aigres là où ils les avaient laissés. Mais Zach ne lui en laissa pas le temps et raccompagna Julian jusqu'à la porte. L'instant d'après, le King était parti. En les laissant en couple, comme il disait si bien. Il ne semblait pas prendre l'annonce de ce nouvel amour trop mal, c'était déjà ça.

« Steuplait, ne me demande plus rien pendant au moins un mois! »

Les réconciliations, ça avait toujours un côté fatiguant. Et Julia était fatiguée, pas seulement à cause de l'heure, mais aussi parce qu'elle venait de tirer un trait sur deux ans de haine et de reproches. Maintenant elle comptait bien se reposer. (a) Elle suivit Zach à l'étage, vers le liiit, (=DD) alors que le soleil n'allait pas tarder à se lever, tandis que d'autres ne faisaient que se coucher. Ou pas.