30 minutes. La montre numérique sonna au poignet de Katarina. 30 minutes qu'elle courait (alors oui petite mise au point : je ne sais ABSOLUMENT pas si 30 minutes c'est faisable, si c'est irréalisable ou si c'est un temps de minette. La course et moi ça fait douze mille, mais si je disais "ça fait un certain temps assez convenable genre beaucoup parce qu'elle est assez douée mais pas trop non plus car elle ne craque pas son slip, que Katarina courrait" ben c'était moins joli) (voilà comment allonger discretos un rp sans se fouler). Elle s'arrêta, essoufflée, et s'appuya contre une balustrade. Elle était là depuis neufs mois (oui, le temps de faire un bébé, mais qu'est-ce que vous avez tous à évoquer des enfants, ça lui fait mal à Kat), et pourtant elle ne savait toujours pas à qui appartenait chaque maison. Elle avait plus ou moins retenu le nom de ses voisins immédiats, pour le reste elle révisait encore. Mais trop de personnes - et si peu de clients potentiels - l'avaient vite découragée. Elle avait assimilé les noms des célibataires, au début, mais après avoir trouvé porte close lors de ses prospections, elle avait vite baissé les bras. Dans le quartier voisin, ils semblaient plus ouverts.

Quand elle eut trouvé un rythme cardiaque convenable, elle décida de rentrer chez elle. Avril touchait à sa fin, et un beau soleil éclairait la rue. Elle profita de ce bain de soleil, appréciable pour ses jambes et ses bras dénudés, puis reprit son chemin. D'abord, elle examina le numéro des maisons, afin de trouver sa route dans cette rue interminable où elles se ressemblaient toutes. A peine eut-elle fait quelques pas qu'un jeune homme sur le trottoir d'en face attira son regard. Elle se stoppa net, intriguée. « Avgoustin !! » (non je ne sais pas comment ça se prononce, oui j'ai essayé de trouver un prénom rigolo). Elle traversa en trottinant, jusqu'à ce jeune homme qui portait étrangement les traits de son premier amour. « Avgoustin Petroshkov c'est toi ? » demanda-t-elle une fois postée devant l'intéressée, un grand sourire sur ses jolies lèvres de paysanne sexy.

Alexis Carrel a écrit : ❝ C'est la sélection des détails et non pas leur nombre, qui donne à un portrait sa ressemblance. ❞

Un pas en avant, un pas en arrière, et hop, hop, hop. Aaron travaillait un peu ses fessiers et ses abdominaux. Le temps était propice au sport, à la course à pied, aux belles balades en forêt aussi. Le Hamilton avait quitté l'ambiance morose familial, qui traînait là comme un mauvais rhume, et avait longuement couru. Une heure et demie plus tard (ouais, trente minutes, c'est bon pour une femmelette comme Katarina, pas comme un dieu du stade comme Ronron!), il avait décidé de se rentrer à la maison. C'était bientôt l'heure du repas et après s'être autant démené, il avait le ventre bien attisé. Il doutait que Maureen, Nolan, ou n'importe laquelle de ses sœurs n'aient daigné cuisiner dès dix heures du matin, alors il s'était mis martel en tête que des pâtes suffiraient à combler sa faim. Car si Aaron était un fin gourmet, il était un bien piètre cuisinier. Du genre à faire brûler du riz ou à rater un gâteau au chocolat basique. Il était à quelques maisons de chez lui quand remarqua une jolie blonde sur le trottoir d'en face. Elle ne lui disait rien. Peut-être une citadine éloignée de son appartement, ou une nouvelle dans le quartier. Enfin qu'importait, il avait faim. Mais sitôt avait-il détourné le regard de la silhouette longiligne de l'inconnue qu'il l'entendit brailler quelque chose. Il ne pouvait le répéter, ça ne semblait pas le concerner : c'était certainement dit dans une langue étrangère, l'accent ne mentait pas. Il ne se retourna premièrement pas, persuadé que ce qui ressemblait un peu à « langoustine » n'était pas à son intention. Mais en entendant les pas s'approcher derrière lui, il s'arrêta net et fit volte-face.
De près, la blonde était encore plus canon, le genre de beauté russe qu'Aaron n'avait pas trop eu l'occasion de rencontrer. Elle répéta son truc de crevette géante une fois de plus, mais l'associa cette fois-ci à un autre mot totalement improbable. Aaron ne se rappelait déjà plus de l'enchaînement de syllabe, seulement avait-il retenu que la fin en « kov » lui faisait penser à un truc de l'Est. Comme la vodka... pensait-il. Il arqua aussitôt un sourcil, pour témoigner de son incompréhension et usa d'un truc stupide : « Pardon ? ». Comme si faire répéter la blonde pouvait changer quelque chose. Elle était vraiment jolie, dommage qu'elle l'aborde avec des mots qu'il ne comprenait pas le moins du monde.

Katarina n'en revenait toujours pas, d'avoir retrouvé Avgoustin ici. Mais alors qu'elle s'approchait de lui, elle réalisait que le garçon était trop jeune, pour être son ancien amoureux. Ils avaient le même âge, Avgoustin ne pouvait pas être resté bloqué à 20 ans alors qu'elle avait dépassé la trentaine. Les contes de sa grand-mère, qui menaçaient les enfants de ne pas grandir s'ils n'aidaient pas leurs parents aux champs, n'étaient que des foutaises des campagnes estoniennes, afin de convaincre les enfants qu'ils n'étaient pas exploités, qu'ils échappaient simplement à la malédiction. Mais alors pourquoi Avgoustin se tenait-il là, devant elle, copie conforme du garçon qu'elle avait abandonné, dix ans auparavant, en quittant son village ? « Avgoustin Petroshkov c'est toi ! » Il était bien trop ressemblant pour ne pas être lui. Peut-être que l'âge n'avait eu aucun effet sur lui, qu'il était resté le même jeune homme qu'il était à l'époque, avec ce regard enfantin et cette bouille angélique. « Avgoustin ça me fait tellement plaisir de te revoir. » Sans prévenir, elle le prit dans ses bras, se laissant aller à la joie des retrouvailles. Mais le jeune homme restait interdit, impassible. Pourtant, aucun conte ne disait que revoir son premier amour pouvait vous transformer en statue de sel. « Avgoustin tu ne me reconnais pas ? C'est moi, Katarina, ta petite licorne, Katarina Petrova ... » Son visage se décomposait au fur et à mesure de ses paroles. Son ancien amoureux ne la reconnaissait pas. Elle voulait défaillir. Elle avait donc trop vieilli, trop changé, ses traits d’estonienne qu'elle chérissait tant s'étaient effacés, pour laisser place à la vieillesse américaine. Depuis qu'elle avait foulé ce sol occidental pour la première fois, la jeune femme avait toujours revendiqué ses origines. Elle aimait ce pays, mais ce n'était pas chez elle. Elle venait d'Estonie, d'Europe de l'Est ... Mais quelle hypocrisie, de revendiquer un pays qu'on a tant souhaité quitter. Elle récoltait là la monnaie de sa pièce. A prier pour une vie meilleure, hors de la campagne, elle avait fini par en perdre des origines. Désormais, elle n'était plus personne, n'appartenait plus à nulle part, et Avgoustin Petroshkov venait le lui annoncer.

La jeune femme manqua de chanceler. Elle vivait très mal sa trentaine, et ce nouveau coup n'aidait en rien son morale fragile. Elle s'appuya contre la barrière d'une maison, et tant pis si les propriétaires venaient se plaindre. « Pourquoi tu ne me reconnais pas, bon sang ? » Elle, elle l'aurait reconnu entre mille. Ses mains se retenaient de ne pas le toucher, de ne pas tirer sur ces joues lisses, pour vérifier qu'il ne s'agissait pas d'un masque, d'un leur. Se retenaient de ne pas caresser cette chevelure, dont la couleur n'avait pas ternie, exactement la même que d'origine. Qu'avait-il fait pour conserver sa candeur ? Elle n'avait, certes, jamais mis beaucoup d'ardeur aux champs. Mais elle avait effectué sa part, comme tout le monde. Les contes de sa grand-mère avaient peut-être une part de vérité, en fin de compte.

La « langoustine », c'était lui. Du moins, c'est ce que se tuait à répéter la jolie blonde. La surprise passée, Aaron se prit à penser qu'il voulait bien être sa langoustine si elle le voulait. Non mais vraiment, d'où venait une telle sirène, et comment diable avait-il fait pour ne jamais la voir ? Elle semblait vraiment ravie de le voir -et lui aussi- mais certainement pas pour les mêmes raisons. Aaron cherchait quelque chose à répondre, mais il n'en eut pas le temps, car la déesse vint se jeter à son cou. Ah, d'accord, pensa-t-il en refermant ses bras sur elle sans comprendre ce qu'elle voulait exactement. Sans trop bouger, ni même témoigner la joie immense que lui procurait cette magnifique femme qui semblait le désirer de manière presque inconvenante (oh, ils sont en pleine rue là!), Aaron laissa l'inconnue faire ce qu'elle voulait de son corps ô combien magnifique. Elle rompit leur étreinte et se recula un peu. Son air ravi se désagrégea au profit d'une mine déconfite. Oh non, ma belle, ne soit pas déçue, je suis beau, tu es belle, faisons de magnifiques enfants ! La blonde avança qu'elle ne comprenait pas pourquoi il ne la reconnaissait pas -il était donc bien censé l'avoir déjà vue!-. Elle précisa même qu'elle s'appelait Katarina et pour la partie sur la licorne, Aaron n'en tint pas compte. Il était désolé mais son visage ne lui revenait absolument pas. Et s'il ne se souvenait pas d'elle, c'était sans nul doute qu'il ne l'avait jamais vue de toute son existence ! Car un si beau visage, si pur et lisse, avec une peau si douce, des yeux si bleus, des lèvres si roses et pulpeuses, il ne pouvait l'oublier !
La blonde -Katarina donc-, s'appuya contre une barrière, et Aaron crut voir une scène d'une tragédie grecque tant c'était mélo-dramatique. Elle reprit son monologue sur « Pourquoi ne me reconnais-tu pas ? » et le Hamilton faillit applaudir tant c'était bien fait. Il pouvait sentir la détresse dans sa voix, la déception et un quelque chagrin dans son regard. Oh ! Mais peut-être pensait-elle donc qu'il était vraiment la langoustine ? « Mademoiselle, je suis désolée, je ne vous connais pas du tout. Et soyez-en sûre, je n'aurai pas pu oublier un si joli visage ! », finit par corriger Aaron en s'approchant doucement de la blonde. Il posa une main sur son épaule pour l'obliger à reprendre contenance, et lui offrit le sourire spécial « tahu j'suis beau gosse ». Ce sourire là en avait fait craquer plus d'une, alors pourquoi pas une superbe slave ?

Appuyée contre la balustrade, le visage baissé, Katarina aurait donné beaucoup pour que ce sosie de Avgoustin disparaisse. Désormais, la situation était gênante. Elle était prise d'un sentiment de déprime. Déprimée par le fait de ne pas être reconnue, déprimée par le fait d'avoir changé, déprimée par son âge, déprimée par l'absence d'enfants ... Oui, Katarina s'emportait vite. Elle voulait rentrer chez elle et se morfondre puis se reproduire toute la journée avec Harrison pour tomber enfin enceinte comme elle l'espérait en arrivant dans le quartier. Mais Avgoustin la prendrait pour une dégénérée, alors elle devait faire bonne figure.

« Dis moi tu, s'il te plaît, je ne sais pas quel âge tu me donnes mais je ne suis pas si vieille » affirma-t-elle, un peu vexée. Mais comment ressentir un tel sentiment bien longtemps, quand Avgoustin se montrait si adorable ? Semblable à ce qu'il était il y a dix ans, le garçon se voulut rassurant et flatteur. Pourtant, il continuait à affirmer qu'il ne la reconnaissait pas. Pas très convaincue, Katarina devait pourtant le croire, Avgoustin devait avoir une bonne raison pour ne pas la reconnaitre. Ah moins qu'il l'ait vraiment oubliée. Katarina choisit d'entrer dans le jeu, d'admettre qu'ils ne s'étaient jamais vus, qu'elle le confondait ... même si elle restait toujours persuadée du contraire. « Tu es gentil ... Mais qui es-tu alors, si tu n'es pas Avgoustin ? » Elle repassait les paroles du fake-Avgoustin dans sa tête, en boucle. Un compliment lui faisait du bien, surtout en ce moment. Un si joli visage, mais elle ne pouvait s'empêcher de l'imaginer, bientôt, terni par les rides de l'âge, perdant de son éclat et de sa beauté. Un joli visage qui n'allait pas durer. Alors, tant qu'elle le pouvait, elle se répétait, encore et encore, qu'elle était jolie. Ce que son mari lui répétait de moins en moins.

Malgré le sourire colgate d'Aaron et son regard de braise qui, il le croyait dur comme fer, remplaçait le pouvoir Axe, la jolie slave restait noyée dans sa désillusion. Le jeune homme se demandait bien qui était cette Langoustine pour causer autant de soucis à une si jolie poupée. Dans sa tête, l'idée que ce fut un ancien amant fit une apparition remarquée. Il n'était pas mécontent de ressembler à un homme aussi chanceux, mais c'était une fierté qui n'avait réellement de poids dans la conversation. Aussi, il se hâta de répondre, le plus calmement possible, le plus honnêtement aussi, à l'étrangère. « Je vous donne vingt quatre ans. Vingt-cinq au maximum, quand vous prenez cet air dépité », lâcha-t-il en l'obligeant un peu à se redresser. Ah, le dragueur ! Et dire que chaque minette qui avait bien voulu d'un aussi joli garçon s'était finalement désintéressée avant de goûter au plaisir défendu. Enfin, sauf Renata, qui en avait bien profité, et peut-être une ou deux autres. Mais en l'occurrence, Aaron parlait à une magnifique blonde qui semblait bien déçue qu'il ne la reconnaisse pas. Soudainement, le jeune Hamilton s'en voulut de ne pas avoir joué le jeu ; il aurait pu profiter d'un instant de nostalgie avec cette déesse. Mais en s'imaginant ce scénario, le garçon dut se rendre à l'évidence : le « oui, Langoustine, c'est moi », ne serait certainement pas passé inaperçu. Alors, il préféra jouer la carte du voisin canon qui n'en oubliait pas de vouvoyer élégamment sa prêtresse sexy. « Aaron, j'habite là-bas, au dix-neuf... », commença-t-il en indiquant de la tête la petite maisonnée (en réalité carrément grande, fallait faire rentrer sept personnes quand même!) et avant de poursuivre : « Et je ne suis pas gentil, non. J'aurai été gentil si je vous avais épargné une si grande déception. Je m'en veux de ne pas être cet Avgoustin dont vous rêvez tant ! ». Le garçon roula des yeux avant de fixer le sol, pour jouer son rôle à la perfection. En réalité, le Hamilton était terriblement heureux d'avoir su répéter le nom que Katarina tentait de lui attribuer. C'était un peu l'orgie dans sa tête ; car l'entreprise avait été bien périlleuse. Mais en superficie, Aaron jouait toujours avec la déesse, à la limite du sérieux et de l'humour, en lui jetant des petits coups d'oeils furtifs. Ah, que cette situation était cocasse !

Ce jeune homme s'appliquait à consoler la jeune femme, elle ne pouvait pas le nier. Pourtant, elle restait terrée dans sa mélancolie, la tristesse qu'elle éprouvait à l'idée d'être vieille, et toujours pas maman. Il n'était peut-être pas Avgoustin alors, elle commençait à l'admettre. Mais cette idée la travaillait toujours. Cependant, quand il finit par subodorer son âge, toute la tristesse s'envola, et laissa place à un rire. Une crise de rire, presque aux larmes, une crise un peu nerveuse, frénétique, dont elle ne put se dépêtrer avant de longues minutes. Elle essuya ses yeux, ne cherchant pas à retrouver une constance devant le garçon, il devait définitivement la croire échappée d'une maison de fous. « Tu t'en sors vraiment mal dis donc, j'ai presque dix ans de plus. J'ai 32 ans » Et pas d'enfants, mais elle garda pour elle cette rime malheureuse et pauvre.

Elle leva la tête, quand il lui montra sa maison. Définitivement, elle lui disait quelque chose. Pourtant, ce n'était pas le sosie d'Avgoustin, qu'elle y avait croisé. Katarina avait pris l'habitude d'aborder ses voisins afin de dénicher des clients potentiels, et le souvenir de s'être arrêtée devant la maison du garçon était bel et bien présent. Garçon qui, au passage, se prénommait Aaron. Même première lettre, ce n'était pas anodin ... Mais le garçon se montra si gentil, qu'elle décida d'être raisonnable, et d'arrêter de crier au complot. « Oh je ne rêve plus d'Avgoustin, c'est simplement un ancien ami hum, proche, et le revoir m'aurait plu. Ne sois pas désolé » Sa gentilesse était presque étrange, mais Katarina ne pouvait pas le soupçonner de la draguer impunément. Elle aurait pu être sa grande soeur. Pas sa mère, mais ce gringalet devait avoir 10 ans de moins, au bas mot. Il n'était pas Avgoustin, simplement un sosie saisissant. Peut-être son frère ? Tout à coup, son visage s'illumina. Bien sûr, qu'elle s'était arrêtée devant cette maison, pour croiser cet homme qui avait affirmé être marié, avait pris Katarina pour une folle ... Avant de lui demander des conseils pour dire à une femme qu'il avait des sentiments pour elle. Il avait précisé que les conseils seraient pour un ami, mais Katarina n'était pas dupe. Dans ce quartier, la coutume était de ce défiler, niveau histoires de coeur. Cet homme - dont elle avait oublié le prénom - n'avait pas échappé à la règle, donc. « Mais bien sûr que je reconnais ta maison, comme je suis étourdie ! Il y vit un homme, timide non ? Ton frère peut-être ? Enfin bref, il m'a demandé des conseils, une fois, afin de séduire une femme, il était tellement gêné ! »

La jolie blonde fut prise d'une sorte de crise à la limite du fou-rire et des larmes, ce qui obligea Aaron à se poser quelques questions. Il s'était, depuis le début de cette rencontre ô combien originale (quelle bonne idée as-tu eu là Amande!), laissé envoûter par le charme naturel que dégageait cette magnifique slave, et s'était même convaincu qu'elle se trompait simplement sur la personne en le prenant pour Langoustine. Mais finalement, peut-être qu'elle était simplement folle. Et lui, peut-être était-il trop gentil, et se faisait manipuler. Peut-être même avait-il dû répéter le nom d'Avgustin et se faire violence pour ne pas commettre d'erreur alors que ledit garçon n'existait pas. Et si finalement, il venait de rencontrer la nouvelle barge du quartier ? Il eut une seconde d'hésitation, prétexter quelque chose et s'enfuir, ou tenter de rester avec cette marginale fort intrigante ? Katarina choisit pour lui, en se reprenant et en annonçant en un sourire son âge.
Trente-deux ans. Aaron eut sincèrement l'air surpris. Il ne voulait pas y croire. Non pas que cela le dérangeait de trouver une femme de cet âge jolie, mais plutôt qu'il lui donnait réellement bien moins. Il ramassa sa mâchoire tombée là par inadvertance, et fit juste une petite moue qui témoigna fort bien qu'il était suffisamment surpris pour ne pas croire un mot de ce que disait la blonde.
Puis, vint l'instant où Aaron dut se présenter plus convenablement, et désigner sa maison parmi celles qui s'alignaient dans la rue. Il n'était pas certain que cela serve réellement : Katarina n'irait certainement pas lui rendre visite par pur plaisir. Enfin, il apprécierait néanmoins si cela devait un jour arriver, mais elle semblait bien trop préoccupée par quelque chose qui le dépassait totalement.
La jeune femme lui intima d'ailleurs qu'il n'avait pas à s'en vouloir de ne pas être Avgustin, mais elle ne réussit pas à le berner. Son histoire d'« ami heu proches » ne marchait pas avec Aaron. Il avait bien compris que l'autre Langoustine restée -apparemment- au pays, et Katarina, n'avaient pas fait qu'un barbecue ensemble. Mais s'il arqua un sourcil pour montrer qu'une fois encore, il ne croyait pas l'estonienne, cette fois-ci avec une certaine ironie, il se garda de parler. Il n'eut pas longtemps à patienter dans le silence à chercher quoi dire, car une étincelle dans le regard de la belle l'avertit qu'elle venait de penser à quelque chose. Si seulement il avait pu éviter de savoir quoi... Un homme timide. Hormis lui, il n'y avait que Nolan ; tous deux devaient garder raisonnablement la maison pendant que les morues qui complétaient la famille s'amusaient à magasiner ou à diverses occupations dont ils se fichaient guère. Mais Nolan avait presque cinquante ans, et cela choqua Aaron que la slave pense qu'ils puissent être frères. Faisait-il lui-même trop vieux ? Ou son père trop jeune ? Il pensa dans un premier temps qu'il faudrait lui en toucher un mot ; peut-être qu'en cessant de se raser chaque matin, il prendrait un peu d'âge... Mais alors que ses réflexions allaient bon train, la déesse avait qui le Hamilton conversait nota de préciser que ce même-homme lui avait « demandé des conseils, une fois, afin de séduire une femme, il était tellement gêné ». Aaron dut retenir sa mâchoire avant qu'elle ne se décroche une nouvelle fois. Aussitôt, il lâcha : « Quand ? Quand vous a-t-il demandé conseil ? » Oui, c'était important. Il ne croyait son père capable d'une telle chose, peut-être était-ce simplement pour sa mère. Mais... besoin de la séduire ? N'était-ce déjà fait ? Aaron crut que le ciel venait de lui tomber sur la tête.

La figure de la fausse langoustine allait d'expression en expression. Il resta longuement suspicieux, à l'annonce de l'âge de Katarina. S'il n'y croyait pas, l'Estonienne s'en satisfit un peu plus. Elle se savait jolie et plaisante, elle ne ressemblait pas aux autres femmes de la trentaine, cette barre difficile qu'elle avait passé avec dégoût. Le jour de ses trente ans, tout le monde était prévenu : pas un mot sur l'âge malheureux que la paysanne avait finalement atteint. Finalement, à la fin de la journée, Harrison lui avait concocté une soirée surprise et attentionnée, sans mentionner une seule fois son anniversaire. C'était aussi pour de telles pensées, qu'elle l'aimait. Et si revoir Avgoustin lui aurait plu, pour rien au monde elle ne regrettait cette ancienne idylle.

Mais finalement, Aaron gagna le terrain de l'effarement. L'effort de mémoire de l'Estonienne fut bien mal accueilli. D'abord, aucune réponse, il restait définitivement muet. Alors, peut-être qu'une rivalité existait entre Aaron et son frère. Katarina le connaissait à peine, mais ce garçon semblait d'un naturel timide, voire peu confiant. De famille, apparemment ... Mais que son frère ainé ait l'idée de demander des conseils à une professionnelle l'agaçait peut-être. Un moyen peu loyal de prendre l'avantage dans la bataille. « Quand ? Quelle importance ? Attends je réfléchis » Elle se mordit la lèvre inférieure tout en plissant les yeux, une mimique qui venait automatiquement, quand elle réfléchissait. Durant longtemps, Katarina avait travaillé pour effacer ce toc disgracieux. Mais à force d'entendre Harrison affirmer qu'elle était craquante avec ce petit air, elle avait finalement abandonné. Même si elle n'en croyait pas un mot. Son mari avait le compliment facile. Tout comme elle à son égard, d'ailleurs. « Alors, ce n'était pas très vieux, après tout je suis encore nouvelle ici je trouve, je crois que c'était le mois dernier, ou avant ? Bien après la Saint Valentin en tout cas, depuis l'échec de l'évènement je redouble d'efforts pour trouver des clients ! »

Comment ça, quelle importance ? Bien sûr que la date de cette rencontre entre l'entremetteuse et le père Hamilton était importante. En quoi, il fallait encore creuser la question, mais c'était important. Il faillit répondre que cela changeait tout mais les mots se mélangèrent sur sa langue et il n'eut aucune phrase décente à présenter oralement, alors il se tut. Finalement, cela ne changeait rien, la date. Mais il n'avait pas pris le temps de réfléchir avant de poser sa question.
Il ne quittait plus des yeux la petite licorne qui s'efforçait de trouver une réponse à son interrogation. Elle était si craquante, presque juvénile, à froncer ainsi les sourcils pour se concentrer. Et cette petite quenotte sur sa lèvre charnue et rose, pour mieux fouiller en sa mémoire. Vraiment adorable !, se prit à penser Aaron, avant de l'entendre parler à nouveau. Juste après la Saint-Valentin, l'informa-t-elle. « Oh. » souffla le jeune homme un peu intrigué par la nouvelle. La surprise passée, il pressentit un malentendu, sans savoir exactement sous quelle roche se cachait l'anguille. Une petite moue déçue transparut sur son visage. Il voulut s'assurer des dires de Katarina, insister sur la maison -était-ce bien la dix-neuf ?-, sur l'individu dont ils parlaient tous deux -un homme grand et brun, à l'air foncièrement trop gentil. Mais quoi qu'il put dire, il avait l'horrible impression que toutes les réponses de l'estonienne finiraient par le peiner. Si c'était bien le même homme, alors il se passait quelque chose de terrible. Et s'il devait se passer quelque chose de terrible, Aaron serait désemparé. Alors il baissa silencieusement la tête, cherchant un moyen de passer du coq à l'âne en toute discrétion. Il n'avait en effet aucune envie d'importuner une si jolie fille, et plutôt de profiter de cette rencontre hasardeuse et de son tout nouveau nom : Avgoustin le presque russe canon. Alors, en récupérant sa figure des beaux jours, un sourire illuminant son visage maussade, Aaron lâcha : « Au fait ! Moi, j'ai beaucoup aimé, ce que vous avez organisé pour la Saint-Valentin. » Il fit mine de réfléchir un peu en s'appuyant sur la barrière qui avait soutenu la blonde quelques secondes auparavant. « Moi, je n'ai jamais eu de chances avec les filles. Alors, je m'étais dit que c'était une bonne idée, même si j'étais vraiment, mais vraiment pas convaincu. Et puis, ma deuxième rencontre a été géniale... » Aaron soupira, presque nostalgique de cet instant où les masques dissimulaient les identités. « J'ai appris plus tard que c'était Jersey Livingstone » dit-il en jetant un coup d'oeil à la maison de la jeune fille, accolée à la sienne. « C'est drôle, on se connaît depuis toujours, mais je ne l'ai même pas reconnue. » Oui, même si Hamilton et Livingstone n'avaient guère eu l'occasion des dîners puisque Nolan s'était d'office rattaché aux Evans, Aaron avait toujours croisé Jersey, Christian et William. Alors ils s'étaient parlés, inévitablement, mais pourtant, aucun des mots prononcés par la jeune fille en cette Saint-Valentin ne semblait lui appartenir. A moins que ce ne soit le contraire, justement. « En fait, peut-être que j'ai eu la chance inouïe de parler avec la vraie Jersey ; et pas celle qu'on voit dans les défilés, finalement. » Il sourit à nouveau, en tournant la tête vers Katarina. Il s'était premièrement dit que parler de son travail suffirait à changer de conversation. Mais les souvenirs avaient dépassé ses mots et il avait conversé avec honnêteté, et sans pudeur.

Sans prévenir, Aaron oublia son frère pour évoquer à nouveau la Saint Valentin. Katarina le regarda d'abord sans comprendre. Son visage exprima sa surprise, ses sourcils se froncèrent et sa tête eut un léger mouvement de recul. Mais la fausse langouste ne lui laissa même pas le temps de s'indigner, il continuait déjà sur sa lancée. Lui si peu bavard au début, était désormais impossible à arrêter. Katarina crut d'abord à une tentative maladroite de cacher les mauvaises actions de son frère, était-ce donc mal que celui-ci demande un soutien en drague ? L'entremetteuse soupçonnait sa nouvelle connaissance d'être réticent aux pratiques modernes. Mais pourtant, il avait participé au speed dating, qui n'était pas au goût de tout le monde ... Alors, Katarina finit par retrouver une expression normale. Ses traits se radoucirent et elle secoua machinalement la tête, afin de se débarrasser de ces interrogations sans fond ni intérêt. La vie de la famille Langouste ne la concernait pas.

En plus, les propos de Fake Avgoustin étaient une mine d'or. L'occasion de découvrir ses voisins pour ce qu'ils sont, et pas pour ce à quoi il ressemble. C'était exactement l'intérêt du speed dating, et Katarina était ravie qu'il ait fonctionné pour ces deux là (et surtout, d'avoir réussi à faire ses couples avec autant de brio (oui, je m'auto félicite, et alors)). « Voyons Aaron, il ne faut pas être si défaitiste, on ne dit pas à 20 ans qu'on n'a pas de chance avec les filles, tu as encore toute ta vie devant toi ! » Elle lui sourit, se voulant rassurante, pour ce pauvre jeune homme qui manquait de confiance en lui, alors que physiquement il devait en faire craquer plus d'une. « Quand je te vois, je ne comprends pas que tu puisses avoir des difficultés avec les filles, tu es vraiment mignon » Ces précisions faites, Katarina s'attaqua alors à l'intérêt de cette conversation, sa rencontre avec Jersey. « C'était exactement ça, le but du speed dating masqué ! L'amour, ce n'est pas apprécier quelqu'un pour son apparence ou son allure en public. L'amour, c'est s'accorder avec l'autre pour ce qu'il est. Et vu comment tu en parles, Jersey Livingstone et toi avez sacrément accrochés. Vous vous êtes revus depuis ? » Jersey Livingstone faisait partie de ces personnes trop occupées pour répondre à Katarina pour un bilan de son speed dating, mais elle osait espérer que la jeune femme avait saisi les chances qui s'étaient offertes à elle lors de cette soirée.

Si la jolie blonde parut d'abord surprise, puis satisfaite des propos d'Aaron, celui-ci n'en sut rien, car trop concentré sur sa barrière et son histoire. Mais quand il eut enfin terminé, il réalisa qu'il venait de monologuer et que c'était légèrement embarrassant. D'une part parce qu'il ne connaissait Katarina que depuis une dizaine de minutes, d'autre part parce qu'il s'était laissé prendre au jeu de la nostalgie. Or, il n'avait rien attendu de Jersey Livingstone, ni un jour, ni toujours. Elle l'avait surpris, puisque tous deux s'étaient avoués espérer la même chose de ce sentiment tendre qu'est l'amour, mais jamais il n'avait pensé à plus avec elle. Même l'idée de la revoir ne lui était pas venue à l'esprit.
Katarina, d'apparence ravie d'avoir su toucher Aaron et de voir que la Langoustine avait compris ses intentions, s'empressa de vouloir remonter le moral du garçon. Elle lui intima d'ailleurs qu'il ne devait pas s'en faire, qu'il n'avait que vingt ans, qu'il était mignon. Ces gentils mots firent rougir Aaron. Lui qui trouvait la russe terriblement craquante, adorait l'idée qu'elle puisse également le trouver à son goût. Mais il n'eut pas le temps de réfléchir à une technique de drague parfaite pour rappeler qu'il n'était pas sujet à l'homosexualité, car la demoiselle revint au sujet du speed dating. Elle le questionna au sujet de Jersey Livingstone, savoir s'il l'avait revue ou non, suite à leur belle rencontre. Mais Aaron secoua la tête de droite à gauche, secouant par là ses antennes de langoustine.

-Non, jamais. Mais ça ne m'intéresse pas, en fait, répondit-il très sincèrement.

Il y eut un court silence durant lequel le jeune homme s'interrogea sur la nécessité d'expliciter sa réponse. Il ne voulait pas qu'il y ait de méprise, alors il ajouta :

-Je crains de ne jamais reparler à la même Jersey, vous voyez. Et puis, j'ai suffisamment de mésaventure avec les gens connus comme ça.

En tête, Aaron avait forcément l'épisode Satine Wainwright. Un simple geste avait su faire s'exciter les quelques paparazzis minables qui s'étaient installés à Magnolia Cresent pour la sortie du nouveau concerto de la jeune fille. Et ils n'avaient pas hésité, en bonnes hyènes, à toquer directement au domicile des Hamilton. Le garçon s'était lassé très vite de la situation, et heureusement tout était redevenu calme depuis. Mais il en avait eu plein les poumons, de cette histoire, et ne désirait pas réitérer l'expérience. Surtout pas avec l'idole Jersey, qui plus est ; car il aurait le droit à quelques centaines de photographes postés devant sa fenêtre, à tous les coups.

L'engouement de Katarina se calma vite. En effet, le jeune homme était bien moins enjoué, le ton qu'il employait résonnait de sons maussades, banals. Finalement, il avait décidé que cette discussion avec Jersey n'aurait aucune suite, une fois les masques tombés. Et dans un sens, Katarina comprenait le point de vue d'Aaron : l'avantage des masques, c'était aussi de pouvoir oublier qui l'on était le temps d'une soirée, et de devenir qui on voulait. A Baltimore, ils organisaient ces évènements très fréquemment. Ses clientes appréciaient pouvoir oublier le stress de leur notoriété, leurs responsabilités ... Juste durant deux fois sept minutes. Être simplement la femme qu'on est à l'intérieur, et pas celle vue par le reste du monde. Katarina ne connaissait pas spécialement cette Jersey, celle-ci n'ayant pas souhaité entamer un partenariat avec l'agence. Cependant, l'Estonienne connaissait sa carrière en tant que mannequin. Et effectivement, une telle vie ne devait pas laisser beaucoup d'espace pour une vie privée. Et ce garçon semblait nécessiter beaucoup d'attention.

« Oui, je comprends, une soirée masquée, c'est comme une parenthèse dans la vie de tous les jours, une bulle à part, mais une fois qu'on en sort, la vie reprend son cours. » conclut-elle. C'est ce moment que choisit sa montre pour sonner à nouveau. Katarina porta son regard à son poignet, il était temps de reprendre sa course. Avec toute cette discussion, la jeune femme en avait presque oublié son footing. « Oh je suis désolée, ma pause est terminée, je dois retourner courir ! » expliqua-t-elle, presque gênée de prendre congé si prestement.

Avec la jolie russe, Aaron avait l'impression d'être écouté et compris. Peut-être cela avait-il un quelconque rapport avec le métier de la poupée blonde, mais il s'en fichait. L'essentiel était qu'il venait de trouver une oreille pour ses difficiles histoires de cœur, et que l'oreille était accompagnée d'une silhouette magnifique. Comment s'en priver ?
Il se voyait déjà sirotant un café noir, assis sur un pouf doré, elle non loin pour le conseiller et le rassurer. Et comme, malgré leur grande différence d'âge -du moins si elle n'avait pas menti-, ils se seraient magnifiquement bien trouvés, ils auraient parlé du néocolonialisme et d'autres sujets foutrement moins intéressants, tels que le marché à terme d'instruments financiers par exemple (là, je l'ai calé), mais ni l'un ni l'autre ne s'en seraient lassé. Ils se seraient doucement dévorés des yeux, plongés là dans une autre dimension, plus nuageuse et romantique, comme prêts à faire le pas d'une seconde à l'autre. Et dans ce nouvel univers, Aaron se sentait apte à se présenter comme le descendant spirituel d'Avgoustin la Langoustine, peu importait en réalité, du moment que Katarina était sous le charme. Finalement, les rêves du Hamilton s'accordaient bien aux déclarations de la slave. Une bulle à l'écart de tout, où l'on peut devenir n'importe qui et aimer par pur plaisir et pure envie.
Cependant, le garçon n'eut guère le temps de stipuler clairement à la damoiselle comment il imaginait la chose car la sonnerie de la montre de celle-ci vint à rappeler de sa présence. Le jeune homme fit volte-face pour observer la situation qui semblait s'éloigner lentement de son tendre rêve. Katarina paraissait bien moins attachée à lui que lui à elle, sur l'instant, et il la vit annoncer son départ. Kick in your face, guy. Le brun eut à peine le temps de lui souhaiter une bonne journée qu'elle tournait déjà les talons.

-Je passerai peut-être, lâcha-t-il dans un soupir avant d'ajouter : Bonne journée à vous !

Comme elle courrait déjà dans la direction opposée à lui, il donna un coup de pied dans un caillou. C'était tellement bizarre comme rencontre, comme conversation, comme quiproquo, qu'il craignait de se réveiller en sueur dans son lit, avec une trique démesurée (désolée, j'avais très envie). Mais rien ne devint flou et il ne s'éveilla pas. Alors, voyant toujours les cheveux blonds de sa belle au loin, il décida de prendre congé à son tour, et de rentrer chez lui. Après tout, il avait encore quelque chose à faire, et quelques informations à soutirer à son cher père. Et il espérait pour cela n'avoir nullement besoin d'une arme à feu pour faire pression.
Pour quelles raisons Nolan Hamilton s'était-il rendu chez Katarina Greene, l'entremetteuse ? Hinhin, vous le saurez dans le prochain épisode...