Agacé de sa discussion avec la Johnson, Mike se dit que reporter son attention sur le défilé pourrait peut-être le calmer. Se frayant un chemin parmi les spectateurs, il trouva un bon angle de vue et resta là quelques secondes. Le vent s'était levé, à vrai dire l'air était devenu plus lourd que chaud et ça sentait la pluie. La réalité était bien plus catastrophique que ça; le sol se mit à trembler, le tonnerre à gronder, et les gens crièrent, tous plus fort les uns que les autres. Comprenant alors que ces tremblements n'étaient pas censés être là, Mike chercha Emily. Elle ne l'avait pas suivi lorsqu'il s'était éloigné, il le savait, mais il ne l'avait pas laissée si loin que ça. Près du buffet, où ils avaient bu un verre. Mais avec cette foule et l'agitation, impossible d'y voir grand chose. Écartant ceux qui le gênaient, Mike fit demi-tour et s'efforça de retrouver la métisse pendant que le vent se renforçait et envoyait voltiger diverses choses. À force de regarder les têtes, ses yeux se posèrent sur le sol et il crut apercevoir une silhouette à terre ; en y regardant bien il reconnut la robe bleue que la jeune fille portait. Se précipitant comme il put vers elle, il se rendit compte qu'il avait vu juste. « Emily! » Il s'agenouilla près d'elle, la tourna vers lui et s'efforça de lui tapoter les joues pour l'éveiller, mais elle semblait totalement inconsciente. « Nan Emily, c'est vraiment pas le moment là. » À vrai dire les gens courraient partout sans faire attention à où ils allaient, et plus d'une fois Mike se fit bousculer alors qu'il tentait en vain de trouver une tête familière qui pourrait l'aider.

Rose quitta Evane et Heather après leur avoir adressé de brèves paroles. Elle marcha sans direction précise et s’arrêta pour s’asseoir sur le rebord du trottoir. Soudain, le ciel s’assombrit, un violent vent se leva, et Rose vit au loin une tornade se former. Elle se serait crue dans la quatrième dimension. Les objets commençaient à voler dans tous les sens, ne pouvant résister à la puissance du vent. Rose eut à peine le temps de s’abriter sous le porche d’une maison, préférant se mettre à terre pour qu’aucun projectile ne l’atteigne. Le sol trembla. Rose retenait son souffle. Elle était seule, et se demandait si sa famille avait pu rejoindre un endroit sûr. Elle respirait fort, son cœur battait plus vite que d’ordinaire. Après de longues minutes qui lui avaient semblé des heures, elle eut l’impression que le tout se calma un peu. Elle crut même entendre la voix de sa mère. Elle se releva d’un bond, et fonça droit vers le buffet de Natalia et Esperanza. Tout s’était effondré. Rose s’approcha des débris, ne sachant même pas ce qu’elle cherchait. D’instinct, elle était venue là, elle avait comme un pressentiment. Elle entendit des pleurs et quelqu’un haleter, et s’affola. Elle voyait des cheveux bruns sous un amas de débris. Rose se précipita, et se rendit compte que sa mère était prisonnière. « Maman, mon dieu maman, tu vas bien ? » question débile. Rose voyait bien que sa mère n’allait pas bien. Elle essaya d’enlever les débris qui gênait, mais il y’en avait partout. Elle n’y arriverait jamais seule. « Tu es coincée ? » c’était plus une réflexion à elle-même qu’elle avait dit à haute voix, mais la panique la prenait à la gorge. Elle avait la sensation que la mort se trouvait partout autour d’elle. L’ambiance du quartier était encore plus glauque que d’habitude, et pourtant Rose n’avait pas vraiment fait attention à ce qui se passait alentour. Pour le moment elle se concentrait sur sa mère, qui avait désespérément besoin de son aide.

William releva la tête et sourit à la queen bee. C'est à ce moment là que quelque chose attira son attention. Par dessus l'épaule de la lumineuse Erica s’annonçait un ciel beaucoup moins rayonnant. Un ciel orageux occupait maintenant l'horizon. Avant même qu'il n'ait eut le temps d'encaisser ce violent changement, une bourrasque surpuissante s'éleva, balayant tout sur son passage. Alors que William assistait hébété à ce changement, un des arbres de la si parfaite et si rectiligne allée de Magnolia Cresent s'abattit à quelques mètres de lui, le rappelant soudainement à la raison.

« - Bordel de m... »

William sursauta face à la nouvelle offensive du redoutable zéphyr. Cette fois, le temps pressait. Il se tourna vers son interlocutrice, et fit de son mieux pour faire entendre sa voix à travers la cohue ambiante :

« Par là, on va se mettre à l'abri ! »

Sans donner plus d'explications, il fendit la foule et franchit les derniers mètres qui le séparaient du seul lieu sur qu'il lui venait à l'esprit : sa maison. Il ouvrit la porte en toute hâte, et fit rentrer Erica qui semblait avoir réussi à le suivre jusqu'ici. D'autres personnes suivirent le mouvement et s'engouffrèrent dans l'antre des Livingstone, juste avant que la porte ne se referme sur cette dernière vision d'horreur.

Personne ne semblait pouvoir les aider ; chacun était trop occupé à sauver sa propre vie, et si les gens manquaient de les percuter personne ne voyait Emily et Mike. Et au milieu de cette pagaille, celui-ci tentait en vain de trouver un endroit sûr. Fouillant dans les poches de son short, il attrapa son portable et composa le numéro des secours. Après quatre bips sonores, il crut avoir quelqu'un au bout du fil et se mit à expliquer la situation à toute vitesse. Mais quand il s'arrêta pour reprendre son souffle, il se rendit compte qu'on l'avait mis en attente. "Putain!" Dans un excès de panique, il jeta son portable un peu plus loin. En attendant que la tempête se calme il ne pouvait rien faire d'autre que se mettre au-dessus d'Emily pour la protéger des objets volants. Par chance ils n'eurent rien, et lorsque l'ouragan fut passé, Mike jeta un œil à Emily. Elle était toujours aussi inconsciente. "Reste avec moi Emily, d'accord ? Reste avec moi."

Rose venait de retrouver sa mère. Coincée sous un tas de déchets, Rose n’arrivait pas à trouver une solution pour la sortir de là. Et si l’ouragan revenait, reprenait ? Il fallait qu’elle aide sa mère au plus vite pour qu’elles se mettent toutes les deux à l’abri. Sa mère lui faisait même comprendre qu’elle devait l’aider. Rose ne savait pas comment s’y prendre. Elle tenait de dégager quelques débris avec ses mains, mais à elle seule, elle ne savait pas si c’était vraiment efficace. « J’ai réussi à éviter l’ouragan, je n’ai rien, mais je ne sais pas où est Nina. Ni même Esperanza et Evane. » Rose partageait désormais l’inquiétude de sa mère pour sa famille. Et si Nina ou sa tante et sa cousine étaient coincées quelque part, elles aussi ? La jeune violoniste n’arrivait plus à réfléchir convenablement. La situation la dépassait. Elle sentit la chaleur lui monter aux joues. Elle ne se sentait pas bien. Elle arrêta de dégager les grabats autour d’elle et perdit son regard dans le vide. Son cœur commença à s’accélérer subitement. Elle jeta un coup d’œil à sa mère, et fut prise d’une crise de panique intense. « Non, maman, non. » dit-elle à toute vitesse. Elle se leva, le souffle court. On aurait dit qu’elle avait couru un marathon. Elle se sentait impuissante, et sa mère était prisonnière, blessée. Rose ne pouvait rien y faire et cela la terrifiait et l’angoissait. « Maman ! » appela-t-elle, vainement. Sa mère était à moins de deux mètres d’elle, pourtant Rose avait l’impression de l’avoir perdue de vue. Une larme perla à au coin de son œil. Elle se sentait mal.

« T’es qui ? »

« Enchanté Carl. Moi je vais pas me présenter, t’as l’air de plutôt bien me connaitre. Je fais ma dernière année au lycée, et toi ? »

« Ca va je suis pas trop défigurée ? »

« Tu te fous de ma gueule ? Pourquoi j’aurais fait une école d’archi alors que mon rêve a toujours été de faire une école de danse à New York »

« Déjà tu me parles sur un autre ton, on ne se connait pas. Ensuite, oui j’ai besoin de mon sac et par conséquent de mes clés pour savoir si ma maison est encore debout et  et de mon portable pour appeler Jordan et mon père pour savoir s’ils sont en vie. Donc c’est bien gentil de jouer les super héros, mais je t'ai jamais demandé de me secouer comme un sac à patates pour que je me réveille. Maintenant j’ai des j’ai des proches à aller retrouver au lieu de parler à un pauvre inconnu. Sur ce, ciao et à jamais parce que t’es franchement chelou à me faire croire qu’on a fait un bon de 3 ans. Attention, on assiste à un changement spacio-temporel ! »

« Euh, Carl. On est bien à Magnolia hein ? »

Rose avait la sensation d’étouffer. Elle suffoquait, ne faisait même plus attention à ce qu’il y avait autour d’elle. Elle occultait presque sa mère, alors qu’elle était finalement la cause de tout. Elle avait une absence. Quelque chose se passait dans sa tête, une chose qu’elle ne comprenait pas mais qui la chamboulait vraiment. Finalement elle fut rappelée sur Terre par la voix de sa mère, qu’elle fut soulagée d’entendre. Elle se tourna vers Natalia. Elle l’écouta attentivement et sa sensation de peur et de panique diminua un peu. Elle essuya sa joue trempée de larmes, et inspira bruyamment comme lui suggérait Natalia. Elle se calmait peu à peu. Et pourtant l’insécurité qui venait de la prendre à la gorge ne voulait pas disparaître. Tant que sa mère ne serait pas saine et sauve, Rose n’arriverait pas à se calmer. Elle regarda autour d’elle, mais ne vit personne qui était susceptible de l’aider. « Non, il n’y a personne. » fit-elle d’une voix neutre. La jeune violoniste se remit à genoux et déblaya quelques débris. Natalia restait encore bien coincée, et Rose ne se sentait pas capable de faire mieux. Elle attrapa la main de sa mère. Elle ne voulait pas la quitter, même pas pour trouver quelqu’un qui aurait pu les sortir de là. Présentement, elle voulait s’assurer que sa mère tiendrait le coup. « Dis moi que tout va bien se passer maman, s’il te plaît. » fit-elle d’un ton presque implorant. La situation était totalement paradoxale, c’était Natalia qui avait besoin d’aide, et c’est Rose qui venait en réclamer.