Ce qu'il y a de vraiment formidable avec le poker, c'est que c'est la seule situation où le mensonge est socialement encouragé.
Pourtant, nous passons nos vies à mentir. Absolument tout le temps. Du petit mensonge de rien du tout, au gros mensonges qui balaye tout sur son passage. C'est à ce moment là que le vrai et la fiction se croisent, se mêlent et s’entremêlent, jusqu'à donner naissance à une progéniture informe et imparfaite, que la plupart des gens se plaisent à désigner sous le nom de "réalité". Une réalité compliquée, et en constante évolution, une réalité l'image des êtres lacunaires qui lui ont donné vie.
Au fond, c'est presque touchant de constater avec quel désespoir on tente de redorer les apparences, de s'obstiner à sauver ce qui ne peut pas l'être. On tente de cacher comme on peut l'affreuse vérité qui nous dérange, on la recouvre honteusement comme on cacherait un amas de poussière peut reluisant sous la splendeur d'un tapis persan. On met de côté ce qui dérange, et on s'applique à continuer de vernir l'image lisse et figée que nous renvoie notre miroir chaque matin. Toujours paraître conforme à l'image que l'on a décidé de donner. Sourire. Paraître léger. Continuer de planquer sa poussière sous ses tapis, jours après jours. Mois après mois. Et se dire qu'avec un peu de chance, personne ne remarquera jamais ces vilaines saletés qui débordent sur les bords...

Non, ce soir la tromperie est acceptée. On a recouvert nos têtes de pécheurs avec nos plus beaux masques mondains, rangés nos vieux démons au fond du placard, et on s'est apprêtés pour se confronter aux autres tricheurs. Les autres tricheurs... et James, mon éternel acolyte. Une fois de plus, il vient à mon secours en tentant de me rassurer. Je finis par me laisser convaincre facilement, curieuse de pouvoir observer ce monde qui vient s'offrir à mes yeux.

« - Okay, okay, je capitule, cédais-je amusée. Qu'est ce que tu ne me fais pas faire aussi ! C'est bien la première fois de l'histoire que l'on entendra parler d'Andy Swarovksi, martyre de la machine à sous. »

J'accorde enfin un rapide coup d'oeil à ce qui nous entoure. Autour de nous, la fouille grouille avec une volubilité étourdissante et mon regard se perd dans la multitude des visages. Pourtant, un seul retient mon attention. Sans quitter des yeux ce profil familier, je glisse à mon binôme :

« - Je crois que je viens de reconnaître quelqu'un. Tu veux bien m'excuser cinq minutes ? J'aimerais aller la saluer. »

En quelques pas, je rejoins la table de Black Jack où elle est adossée. Cette fois j'en suis sure, c'est bien elle. L'erreur n'est pas permise. Je vient de la retrouver. Mon inconnue du bar perdu.
Je m'arrête à sa hauteur. Je réalise tout à coup que je ne sais pas ce que je fais. Je me suis lancée à sa rencontre sans vraiment réfléchir, mais à présent que j'hésite, je me demande si ce geste ne lui semblera pas déplacé. Pourtant, je me lance, et j'entends bientôt ma voix s'élever, et demander avec son flegme habituel :

« - Cette chaise est libre ? »

Mon sang se glace au son de sa voix. Mais à quoi joue-t-elle ? Ruiner ma réputation ne lui a pas suffi ? Enfin, réputation... je devrais plutôt dire mon anonymat ! Moi qui n'étais personne, connue de peu, je me suis retrouvée affichée sur ce site de malheurs, aux côtés des maris qui trompent leurs femmes et des alcooliques notoires. Faut il encore qu'elle me colle à chaque réception organisée par le quartier ? Si c'est le cas, qu'on me le dise ! Je n'y mettrais plus les pieds !
Je ne la regarde même pas, mais je sens sa présence à mes côtés. D'un mouvement de tête, le croupier l'invite à s'asseoir puis distribue deux cartes face à elle. Je déglutis, ayant instantanément perdu toute confiance en moi. Je lance à Jake un regard de détresse qu'il sera incapable d'interpréter, évidemment. J'ai devant moi un 6 et un valet, Jake quant à lui a un 8 et un 7, Andy une dame et un 2, le croupier - dont on ne voit qu'une seule carte - un 10. Je souris à Jake, il est le premier à jouer.

les règles du Black Jack:

Pas un regard. Pas une parole. Pas même l'ombre d'un acquiescement. Je l'ai perdue à nouveau, la fille du bar que j'ai connu. Elle m'a filé entre les doigts, elle s'est échappée par une sortie dérobée, et je me retrouve à nouveau seule, seule à contempler cette statue de glace qui a prit sa place sans prévenir. Conneries.
Aimablement, le croupier me désigne la chaise d'un coup de tête, et je m'assois à la table. Mais oui Andy, prends vite place ! Ce serait quand même dommage que tu loupe les premières loges de ta propre humiliation publique, non ?
On place devant moi des cartes que je fais semblant d'observer. Pourtant, ma reine me lasse, mon deux m'ennuie et je relève les yeux vers l'homme qui accompagne Tara. Puisque mon inconnue répond aux abonnés absents, peut être que lui saura se montrer de meilleure compagnie. J'attends que nos regards se croisent avant d'improviser un sourire bancal.

« - Il me semble que nous n'avons pas encore été présentés. Je m'appelle Andy. Andy Swarovski. Je suis nouvelle ici.»

William Livingstone n'avait jamais manqué de rien. De fils de bonne famille, il était passé à enfant choyé, d'enfant choyé il était passé par séducteur confirmé, et de séducteur confirmé, il avait finalement échoué la catégorie des adolescents bien dans leurs peaux. L'argent ne lui avait jamais manqué, et c'était peut être pour cette raison qu'il ne le cherchait pas. Le gain lui apparaissait comme un vieil inconnu pourtant familier, avec qui il entretenait de simple rapports courtois. Ils vivaient leurs vies chacun de leurs côtés, et se croisaient de temps en temps, lorsque le destin avait décidé de les réunir.
Pourtant, ce soir là, c'était bien d'argent dont il était question. D'argent, de mises, de lots et de gain. William acceptait volontiers de mettre ses bonnes vieilles habitudes au placard, pour partir sauvagement à la chasse aux billets, et il fut enchanté de voir que sa compagne semblait partager cette idée.

« - Je vois donc que nous sommes sur la même longueur d'ondes, mademoiselle Van Wagner. Allons vite soulager les poches bien trop lourdes de nos charmants voisins. »

Puis, riant de l'attendrissante maladresse de sa moitié, il ajouta :

« - Je n'ose pas imaginer la tête que ta mère a dut faire en rentrant. En tout cas, je ne te pensais pas aussi violente dans tes mouvements. Rappelle moi de ne jamais te contrarier, okay ? »

Mais pour l'instant, pas la moindre trace de dispute à l'horizon. Le couple était au beau fixe, comme en témoignait le baiser furtif que Sara déposa sur ses lèvres. Ce fragment d'intimité au beau milieu de toute cette agitation apparut à William comme un répit délectable. Il passa son bras autour de la jeune femme, et l’entraîna en direction des machines à sous.
Porté par un nuage idyllique, il reprit brusquement contact avec le reste du monde lorsque son chemin croisa malencontreusement un obstacle inattendu.

« - Oups, désolé ! »

Ce n'est que lorsque l'offensé se retourna que la bulle de bonheur lui explosa au visage. Reconnaissant les boucles diaboliques qui lui faisaient face, William eut toutes les peines du monde à ne pas ravaler son sourire, qui se figea en un douloureux rictus.

« - Alistair. Quelle surprise. »

Pour une fois, Alistair voulait faire profil bas, au moins autant que possible. Profiter de la soirée, apprécier la compagnie de Leah, lâcher quelques blagues ici et là, sans plus. C'est aussi pourquoi il n'était pas mécontent de s'être éloigné de Carl pour le moment. Tout le monde ici jouait aux petits adultes, derrière leurs masques habituels qui se fondaient lentement en ceux de leurs parents. Et étrangement, ce soir, il ne se sentait pas le besoin de prouver quoique ce soit. Prouver qu'il était l'incontrôlable Alistair, l'adolescent chieur, le trouble-fête, le petit frère insupportable que sa grande soeur tentait d'élever tant bien que mal. Les regards étaient braqués ailleurs, et il ne se sentait pas le besoin de faire son show.
Toutefois, c'était sans compter sur le destin, qui avait décidé de remettre pour la deuxième fois de la soirée William Livingstone sur son chemin, sous la forme d'une brusque poussée dans le dos. L'ayant poliment mais silencieusement salué une première fois, cette fois-ci, la partie "vocale" semblait inévitable.
Le regard d'Alistair passa rapidement de William à Sara, le temps de ce qui semblait être un rapide calcul. Il était constamment tiraillé entre son affection pour la jeune fille, et cette envie irrépressible de casser la gueule de son petit ami, juste pour le fun. Il y avait des gens comme ça, c'était physiquement pas possible. Retenant un - gros - soupir, il placarda un sourire poli sur sa face et tenta de faire bonne figure, croisant les doigts de pieds pour qu'une partie de son cerveau ne décide pas de faire sa crise d'adolescence ce soir. Ou, qu'au moins, sa conscience l'arrêterait à temps.

"William, quelle bonne surprise. Je vois que tu es en bonne compagnie..." Il s'interrompit pour adresser un sourire rapide mais affectueux à la jeune Van Wagner. "... et que tu ne peux te passer de moi plus de quelques heures. Juste, ton, hm, rictus m'a l'air un peu... crispé ? Les crevettes du mini-bar ne sont pas très fraîches peut-être ?"

Il aurait fait un cas d'études en or pour Freud. Comment, dans une situation délicate, sa conscience décidait soudainement d'aller se dorer la pilule à Ibiza, et le laissait seule avec des répliques toutes faites sortant droit de son inconscient qui avaient, pour être honnête, le don de le mettre dans la m*rde.

Lily parut surprise de cette révélation. Il était vrai qu'Aaron n'avait jamais parlé de ses phobies profondes, inexpliquées et inexplicables à la jeune fille, malgré les années qu'ils avaient passé ensemble. Néanmoins, cela n'entachait pas leur amitié et leur complicité. Disons juste que l'occasion ne s'était jamais présentée. Aaron hocha la tête avec un sourire, tout en jetant un regard intrigué sur l'écran. La demoiselle se débrouillait plutôt pas mal, même mieux que lui. Mais par maladresse, elle perdit à son tour. Ravie, cependant, elle ironisa son sort.
Cette soirée s'était annoncée plutôt mal mais Aaron s'en satisfaisait finalement. Entre les quelques minutes qu'il avait passé avec Alistair Albright, puis la dispute étonnante entre le père Evans et Carl Spencer, pour terminer ensuite avec Lily. Un éventail de connaissances et de couleurs différentes qui rendaient sa soirée fort rafraîchissante.
Elle lui demanda s'il savait combien de temps il pensait rester à la soirée. Il fit mine de réfléchir, non certain de sa réponse. « Pas trop tard, pourquoi ? » Il sentait que son amie n'avait pas envie de s'attarder, mais lui avait encore envie de s'amuser un peu. Il se divertissait pour la première fois depuis des lustres, pourquoi diable s'en priver ?
Il jeta un œil un peu plus loin et trouva une machine à sous des plus banales, de celles avec les trois manches à tirer et les symboles qui s'enchaînent. Si trois identiques symboles tombent en même temps, jackpot. Si trois cerises tombent en même temps, super jackpot. Bref, règle ultra-simple pour dépenser de l'argent sans compter. Aaron glissa son jeton dans l'ouverture et lâcha : « J'ai jamais joué à ça de toute ma vie ! » Cela le fit spontanément rigoler, mais lorsque une, deux, trois cerises apparurent devant lui, il resta coi. Deux secondes filèrent sans qu'il puisse réagir, ni même Lily derrière lui. Le bruit des pièces dévalant la machine le fit sursauter. « Oh mon dieu ! » hurla-t-il lorsque les écus apparurent. Il sautilla sur place, comme un gosse surexcité, avant de se jeter au cou de Lily. Il l'enlaça de joie tout en manifestant son allégresse. Ce fut ce simple geste qui attisa sa douleur. Quelques sentiments antagonistes et dérangeant s'entre-croisèrent pour rendre le moment plus que délicat à vivre. Néanmoins, perdu dans ce méli-mélo, Aaron sentit son cœur se serrer un peu plus.

"Oh, j'en suis navré, vraiment!" Christopher connaissait la passion d'Esperanza pour la nourriture - il avait testé quelquefois ses recettes, elles étaient divines - et il savait qu'elle était assez pointilleuse sur le goût qu'elle voulait obtenir. Il espérait donc qu'à son travail, elle était entourée de gens aussi perfectionnistes que la cuisinière. Puis Damenez le rassura pour l'alcool: c'était permis. Tant mieux, alors ils s'amuseraient davantage! La belle hispanique commanda un verre de vin blanc et une fois que leurs boissons furent servies, ils quittèrent le bar pour aller voir les jeux de plus près. Christopher n'avait de toute façon pas l'intention de rester au bar plus longtemps; quelques bancs plus loin, un homme éternuait souvent, signe d'un virus contagieux très peu agréable. Cooper ne voulait pas se retrouver cloîtré au lit à cause d'un fichu virus!

"Les organisateurs ont vraiment mis le paquet!", s'étonna le marshall. Il y avait un éventail de jeux disponibles, c'était presque équivalent aux casinos de Las Vegas, ce qui n'était pas peu dire. Les deux adultes commencèrent avec les machines à sous: c'était l'équivalent de l'entrée dans un repas. Un amuse-gueule. Christopher se plaça à côté d'une machine libre et fit signe à Esperanza de prendre place devant le jeu. "On va commencer avec les machines à sous, après on pourra aller tenter le blackjack ou le poker!" Cooper prévoyait regarder un peu son amie jouer, voir si ce type de jeu l'intéressait. Si oui, il s'installerait sur la machine libre à côté de celle de l'hispanique pour jouer aussi, et si la belle n'appréciait pas, ils iraient tenter autre chose. Christopher but une gorgée de sa vodka, attendant le premier essai de Damenez.

Erica, ravie, sourit discrètement voyant qu’elle avait attiré l’attention de Nathan Evans lorsqu’elle lâcha une phrase percutante dont elle seule avait le secret. Nul doute, elle ferait une conseillère en relation publique inégalable. Elle s’approcha pour écouter les astuces du quadra en essayant secrètement de retrouver une odeur familière quand son visage ce fut plus près de celui, de Daniel que de Nathan, mais rien. Erica hochait la tête en écoutant les instructions de Nathan, séduire le personnel du Casino temporaire sera un jeu d’enfant pour elle. Même si ce rôle la rendait un peu mal à l’aise, de peur de montrer une trop grande facette de son talent d’actrice à Daniel et que celui-ci ne lui accorde plus aucune confiance. Mais se persuadant que le jeune Montgomerry était assez intelligent pour ne pas se jeter sur des conclusions si hâtives, elle envisagea intérieurement la possibilité de participer à la combine. Erica aimait les jeux dangereux, mais tricher dans un casino n’était pas tricher au Monopoly, c’était genre carrément illégal. Mais d’eux trois celui qui prenait le plus de risque était pourtant Nathan, le plan s’avérer alors plutôt fiable, monsieur Evans ne semblait pas être un abruti de première classe prêt à se jeter dans la gueule du lion.

- Tu me sous-éstime, rétorqua Erica à Daniel. Bien entendu, je suis partante … Dit-elle aux deux hommes avant de se retourner vers Nathan. J’étais très loin d’imaginé ce petit côté mafieux, voir un peu maquereau.

Le ton se voulait léger, mais Erica savait pertinemment que ces mots étaient lourds de sens. Et pourtant, ils reflétaient presque la réalité à l’heure actuelle.

« On verra, si t'es sage. » Dit-elle en ajoutant derrière un petit clin d’œil. Et puis tout dépendrait également de ce qu'il lui demanderait. Avec Elias, rien n'était jamais sûr et la Damenez pouvait vraiment s'attendre au pire. Mieux valait donc être prudente ! Mais bref. Ils partirent ensuite en direction des jeux. Evane regarda ce qui s'offrait à eux et elle proposa à son Serge de commencer par les machines à sous. Elle désigna une petite vieille, suggérant d'attendre que celle-ci parte pour lui prendre sa place. Chose qui n'avait pas l'air d'emballer le garçon. L'espagnole avait vu cette technique dans un épisode de Friends. Ce n'était peut-être pas une grande référence, mais la brunette ne fréquentait en général pas ce genre d'endroit. Il était rare de la voir jouer aux cartes et autres. Si elle le faisait c'était par plaisir et non pour calculer les jeux de chacun afin de remporter le jackpot. En plus, elle était nulle en maths et tout ce qui touchait le calcul mental. Elias n'était pas vraiment aidé ce soir.. Voilà pourquoi elle préférait se simplifier la tâche en entraînant Monsieur aux machines à sous. « Roh mais je la trouvais bien moi mon idée.. » La jeune femme fit une petite moue, déçu de ne pas appliquer son plan qu'elle trouvait pourtant génial.

« Et on fait quoi alors ? » Evane était toute ouïe. Enfin elle aurait préférée ne pas poser cette question, vu la réponse que le barman lui apporta. La brune fit les yeux ronds, surprise qu'il lui sorte des conneries pareilles. Mais où allait-il chercher tout ça ? Pourtant, ça ne devrait plus l'étonner depuis le temps. « T'es sérieux là? » Elle suivit son regard et vit le croupier en question. Bon okay, il fallait avouer qu'il n'était pas mal du tout. Mais quand même.. Evane n'était pas une aguicheuse (a) La Damenez regarda Elias et soupira en levant les yeux au ciel avant de rejoindre la fameuse table. « Bon tu viens ? » Dit-elle en se tournant vers Serge. Qu'est-ce qu'il pouvait être lent celui-là ! Ils s'installèrent et Evane capta qu'il s'agissait de Blackjack. Jeu dont-elle ne connaissait pas du tout les règles. Elle se tourna discrètement vers Elias et lui souffla à l'oreille. « Je ne sais pas comment on joue à ça moi ! » L'espagnole reprit place et glissa au passage un sourire aguicheur au croupier. Bah oui, vu qu'elle n'y connaissait rien à ce jeu, il fallait bien qu'elle se rende utile d'une autre manière. Sauf que ce fameux sourire n'eut aucun effet puisque le garçon en question n'arrêtait pas de dévorer Elias du regard. Evane se mit à rire bêtement et glissa un mot à ce bon vieux Serge. « En fait, je crois que c'est toi qui va devoir promettre des petites gâteries pour gagner ! »

Si une seule chose entachait son plaisir hélas trop inassouvi de tourmenter Livingstone, c'était bien la réaction habituelle de Sara. Il n'avait jamais compris son choix. Pas qu'il ait eu le béguin pour elle durant ses jeunes années, non. C'était autre chose. Il l'avait toujours vue comme une fleur fragile, magnifique et délicate, qu'il devait protéger. Et un jour il s'était avéré qu'elle n'avait pas besoin de cette protection; elle s'était joyeusement enfoncée dans la gueule du loup, avec pour seul regard en arrière un clin d'oeil qui se voulait rassurant. Un jour, il lui reconnaîtrait le mérite de ne jamais avoir choisi de camp, de ne pas l'avoir laissé en arrière, ni d'avoir pris parti pour lui lors de ces querelles dont ils ne savaient plus l'initiateur depuis bien longtemps.
Toutefois, Sara ne perdait pas facilement son humour, et elle venait de le prouver avec cette idée saugrenue. Un Je te tiens, tu me tiens par la barbichette ? Oh, ça ne lui posait aucun problème, ça non. Il était habitué à se ridiculiser en public. Il était en revanche impatient de voir la réaction de William, et de cette entorse à la règle du paraître et de la bienséane. S'abaisser à un jeu de primaire, au milieu de tous ces regards scrutateurs, guettant le moindre faux pas pour mettre un de leurs "famous" à terre ? Se risquer à toucher le paria, à s'engager dans un jeu avec l'immature Alistair ? Le sourire sardonique de ce dernier ne fit que s'élargir. Décidément, il vénérait sa meilleure amie.

- Je suis partant, finit-il par lâcher en s'emparant de la main de la jeune fille restée sur son torse, après avoir tenté d'éloigner les deux garçons l'un de l'autre. Il y déposa un baiser et la laissa délicatement retomber.

Mike sourit devant la défaite de Scarlett. Et dire qu'Annie parlait déjà de sa défaite à lui avant même qu'ils ne commencent à jouer. Maintenant, il pouvait lui demander son dû n'importe quand, à savoir qu'elle le laisse tranquille si la rousse devenait trop envahissante, comme elle le faisait parfois. Mais pour le moment, elle l'amusait bien. Il salua Scarlett, retenant l'attention qu'elle portait à sa sœur. Il aurait aimé que Lou l'accompagne ce soir, mais il avait vite vu qu'il en était hors de question. Son état l'inquiétait, mais à vrai dire il ne pouvait rien faire de plus que tenter de la consoler, jour après jour. Aujourd'hui c'était Annie qui retenait son attention, alors qu'elle semblait lui demander de la pardonner. « Laisse moi réfléchir. » il fit mine de peser le pour et le contre. « Est-ce que tu es en train de revenir vers moi parce qu'Emily n'est pas là ? Et si je te dis qu'elle doit me rejoindre plus tard, tu vas faire comme si tu n'avais rien dit ? » Il aimait beaucoup leur amitié, avant qu'Annie ne décide qu'il était trop proche d'Emily pour continuer de lui parler, mais maintenant qu'ils étaient à deux doigts de renouer, il voulait que les choses soient claires. Annie n'avait pas à l'ignorer en présence d'Emily, puis à faire copain-copain dès qu'elle s'absentait. Il ne voulait pas non plus avoir à prendre l'un ou l'autre parti, comme il avait dû le faire jusqu'à présent sous prétexte que les deux filles ne s'appréciait pas. Lui jouerait sur les deux fronts, que ça leur plaise ou non.

C'était une chose improbable qui lui arrivait. Gagner aux jeux. Enfin, finalement, cela ne l'étonnait pas plus que cela. Heureux aux jeux, malheureux en amour. Voilà le proverbe qui se confirmait. Il jubilait silencieusement du gain qu'il venait d'obtenir, bien qu'en réalité, il ne quitterait pas cette salle avec l'argent. Tous les bénéfices étaient pour une association plutôt connue. Mais sur l'instant, il s'en fichait un peu. Réussir -par pur hasard car il n'y était pour rien-, à gagner le jackpot, c'était incroyable.
Lily lui demanda combien il pensait avoir gagné. Les dernières pièces tombaient, et le brouhaha de luxe cessa. « Je ne sais pas, beaucoup, je pense ! » Elle jeta un œil dans la fente où le pactole s'était arrêté pour confirmer cette hypothèse. Puis, se redressant vers lui, elle s'intéressa à ce qu'il aurait pu faire d'un tel gain. Il fit mine de réfléchir. Si telle chose devait se produire, il était certain que tous ses projets voleraient en éclat. Finies, les études qui ne lui plaisaient qu'à moitié. Finies les heures d'entraînement avec un vieux survet' et des protections qui -il en était sûr- ne protégeaient plus rien. « Et bien, si je devenais millionnaire... commença-t-il en prenant cette voix un peu mielleuse qu'ont les gens trop riches, je découvrirai les joies de la danse classique : j'ai toujours rêvé de porter un justaucorps. Et puis, je quitterai l'université pour profiter d'une suite magnifique jusqu'à ma mort. J'achèterai un tigre qui me servirait d'animal de compagnie, et un yatch pour faire le tour du monde. Tu savais que j'économisais pour ça, d'ailleurs ? »
Mais bien malheureusement, ces doux plaisirs n'étaient que songes parmi tant d'autres. Et cela, Aaron en était bien conscient.

Le comportement d'Annie jusque là l'avait sérieusement agacé, mais à vrai dire sa présence à ses côtés agissait comme un baume. En la voyant ce soir, en entendant ses paroles, Mike oubliait vite qu'elle l'avait complètement ignoré ces derniers temps. À vrai dire il n'avait pas envie que sa colère envers elle empiète sur leur réconciliation, il préférait de loin enterrer les armes de guerre. Et la réaction d'Annie l'incitait à ne pas lui en vouloir plus longtemps. « Tu te cherches un nouveau copain ? Désolée ma p'tite, je suis déjà pris. » Il l'écarta de son visage, mais trop tard, la rousse avait réussi à lui décocher un baiser sur la joue. Il eut un petit sourire lorsqu'elle annonça qu'elle serait capable de rester, même en présence d'Emily. Comme si elle avait toujours fait ça. Enfin, il supposait que c'était de cette façon qu'ils repartiraient sur de bonnes bases. «Je te préviens McCormick, si tu commences à pleurnicher sur ton sort et ta rupture, je dégage.» Un verre, ok, une réunion confessions, non merci.